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Sommaire

Depuis des décennies, la politique de régionalisation de l’immigration au Québec n’atteint pas ses objectifs. Les immigrants se concentrent toujours dans les grands centres urbains, accusant des taux de chômage élevés, alors que les régions vivent une pénurie croissante de main-d’oeuvre. Le but de la présente recherche était d’identifier les stratégies adoptées par les acteurs dans les régions du Québec pour attirer et retenir des travailleurs immigrants. Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un projet d’arrimage entre les employeurs en quête de main-d’oeuvre et des travailleurs immigrants en recherche d’emploi, mené par la Fédération des chambres de commerce du Québec. Des entretiens semi-dirigés ont été menés auprès d’employeurs, d’agents de développement économique régional et de travailleurs immigrants ayant participé au projet. Les acteurs s’entendent sur l’ensemble et la complémentarité des stratégies d’attraction et de rétention à déployer, mais personne ne souhaite désigner un coordonnateur de ce plan stratégique. Si nous voulons rendre efficiente cette politique, il faudra repenser la régionalisation de l’immigration en fonction des besoins des entreprises et de la reconnaissance des compétences des travailleurs immigrants trop souvent surqualifiés pour les postes à combler. Ceci implique de mettre en place des services pour optimiser les démarches de recrutement.

Contexte

Depuis trois décennies, le nombre de personnes immigrantes qui s’établissent au Canada augmente constamment, et tout particulièrement en milieu urbain. Dans la province, le gouvernement du Québec estime un total de 53 084 personnes immigrantes admises en 2016 et prévoyait environ 54 500 immigrants pour l’année 2019 (MIDI, 2018). Toutefois, seulement 22, 8% s’établissent hors de la Métropole (Le Goff, 2004; Statistique Canada, 2016).

Dès les années 90, le gouvernement du Québec a établi une politique de régionalisation de l’immigration. Les objectifs étaient de renouveler la population des communautés rurales et répondre aux besoins de main-d’oeuvre des régions. La stratégie était de rendre ces emplois plus attrayants aux yeux de la population immigrante afin que celle-ci se répartisse de manière plus équilibrée sur le territoire (Le Goff, 2004; ministère des Affaires internationales, 1994). Les mesures proposées pour assurer le succès de cette politique comportaient trois volets (Simard, 1996). Le premier se rapportait à la planification des interventions de l’État ainsi que la concertation avec les divers organismes intéressés. Le second visait à promouvoir les régions et sensibiliser davantage les immigrants, la population d’accueil et les conseillers à l’immigration sur la politique. Finalement, le troisième volet se rapportait au développement de services d’accueil et d’insertion socioéconomique pour les immigrants des régions du Québec tel que la mise sur pied de services d’aide à la recherche d’emploi et l’apprentissage du français (Simard, 1996).

Or, trente ans plus tard, la stratégie de régionalisation de l’immigration n’a pas rapporté les effets escomptés, car les régions sont toujours en déficit de main-d’oeuvre. En janvier 2017, seulement 22,8 % de la population immigrante habitait hors de la métropole (gouvernement du Québec, 2017). Pour la même période, plus de 60 000 immigrants étaient sans emploi, et ce, malgré la pénurie de main-d’oeuvre alarmante à laquelle font face les régions du Québec (Homsy, 2018). En 2019, la politique de régionalisation de l’immigration se retrouvait encore au coeur des priorités de l’État, le gouvernement misait sur l’intégration des immigrants pour répondre aux changements sociodémographiques et maintenir la prospérité de la province (Lavallée, 2020; MIDI, 2019).

État des connaissances

Des études ont démontré que pour attirer et retenir des travailleurs immigrants dans les régions du Québec, il faut valoriser le capital physique, social, humain et d’ouverture d’une région en déployant des moyens pour inciter les immigrants à les considérer comme des lieux de vie. Certaines études se sont intéressées aux infrastructures régionales, au dynamisme du marché du travail et aux stratégies d’accueil et d’intégration des employeurs et des communautés.

L’étude de Vatz Laaroussi (2012, p.223), sur l’influence des infrastructures et des services sur l’attraction et la rétention des personnes immigrantes en région, a regroupé des déterminants sous l’appellation de capital physique, soit « la présence d’établissements postsecondaires, l’accès à des établissements de santé et services sociaux, à des logements et à des transports en commun, les services et les programmes offerts par les organismes gouvernementaux, non gouvernementaux et privés ». Ces déterminants sont des facteurs de mobilisation des immigrants.

D’autres études soulignent également que l’attraction des travailleurs immigrants repose sur les caractéristiques du marché du travail et du mode de fonctionnement des régions, ainsi que sur l’information véhiculée sur une région (Advanis Jolicoeur, 2016; Bernier et Vatz Laaroussi, 2013; Dion, 2010; Galarneau et Morisette 2008; Girard et al., 2008; Piché et al., 2002; Vatz Laaroussi, 2012; Zhu et Batisse, 2011). Selon Zhu et Batisse (2011), les immigrants migrent vers les lieux possédant un fort dynamisme économique, là où il y a de fortes probabilités de trouver un emploi à plein temps et d’améliorer son niveau de vie (Advanis Jolicoeur, 2016; Dion, 2010).

Il y a également le capital social qui comprend le mode de fonctionnement d’une région tel que la langue de communication par la majorité ainsi que les programmes et services offerts aux immigrants peuvent également exercer une influence sur le choix du lieu de résidence d’un immigrant (Advanis Jolicoeur, 2016; Diversis Inc, 2010; MIDI, 2017; Racine et Plasse-Fernard, 2016; Ralickas, 2017; Roland, 2011; Vatz Laaroussi et al.,2013; Violette, 2015). Les informations concernant ces programmes et services via les plateformes web, les réseaux sociaux et les médias fournissent des indicateurs sur le potentiel des régions, un incitatif à s’établir (Dion, 2010; Girard etal., 2008; MIDI, 2017; Piché etal., 2002; Racine et Plasse-Ferland, 2016; Ralickas, 2017; Roland, 2011; Zhu et Batisse, 2011). Également, la présence de membres de la famille ou d’un réseau social et professionnel influence aussi le choix d’un migrant à s’établir dans une région donnée et d’y rester. L’entourage constitue une source d’information considérable quant aux destinations potentielles, en plus de faciliter l’intégration du nouvel arrivant (Advanis Jolicoeur, 2016; Dion, 2010; Froelich Cim et Lenoir, 2013; Grausem, 2015; Steinbach et Lussier, 2013; Vatz Laaroussi et al, 1995; Vatz Laaroussi et Guilbert, 2013). Le niveau de rétention s’améliore si le conjoint/conjointe est en mesure de se trouver un travail ou s’il est actif au sein de la communauté (Vatz Laaroussi et al, 1995). Dans le même sens, les enfants doivent avoir facilement accès au système d’éducation de la région, répondre aux conditions de réussite scolaire et être acceptés auprès de leurs camarades de classe. (Froelich Cim et Lenoir, 2013; Grausem, 2015; Steinbach et Lussier, 2013; Vatz Laaroussi et Guilbert, 2013).

Plusieurs études se sont alors intéressées au capital social et à l’influence de celui-ci sur le bien-être des immigrants ainsi que le sentiment d’appartenance que peuvent développer ces derniers envers la région d’accueil (Esses et al, 2010). Le développement d’un réseau social favorise l’insertion socioprofessionnelle des immigrants et augmente, par le fait même, leur employabilité ainsi que leur désir de demeurer dans la région d’accueil (Béji et Pellerin, 2010; Bernier et Vatz Laaroussi, 2013; Esses et al, 2010). Dans cette perspective, certains auteurs se sont intéressés au capital d’ouverture d’une région, soit les représentations des citoyens concernant les personnes immigrantes, influencées notamment par leurs perceptions individuelles, l’apport des immigrants en région, leurs craintes ou méfiances à leur égard et le message véhiculer par les médias. (Vatz Laaroussi et Bernier, 2013). Sous l’angle du capital d’ouverture, on tente de poser un regard neutre sur des phénomènes sociaux non désirables, tels que la discrimination et la xénophobie. Toutefois, les études traitant du capital d’ouverture à l’immigration (Vatz Laaroussi et Bernier, 2013) et de la diversité en région démontrent essentiellement que les caractéristiques personnelles des personnes immigrantes font l’objet de préjugés ou de stéréotypes de la part des populations d’accueil. Ce sont également sources de discrimination à l’emploi et au logement (Gallant et al, 2013; Reitz, 2007).

Les autres déterminants de la rétention et de l’attraction des immigrants dans les régions liées au capital humain font référence aux compétences des personnes, leurs formations, connaissances, expériences et leur capacité d’adaptation (Bernier et Vatz Laaroussi, 2013, p.103).

En somme, les études s’étant intéressées au phénomène convergent vers l’idée que l’intégration socioéconomique des immigrants dans les régions du Québec dépend de la participation et de la mobilisation de tous les acteurs concernés, à savoir l’immigrant, le gouvernement, les municipalités, les organismes communautaires, les dirigeants d’entreprise et les membres de la communauté d’accueil (Diversis Inc,  2010; Gormanns, 2015; MIDI, 2017 ; Racine et Plasse-Ferland, 2016 ; Ralickas, 2017; Roland, 2011; Vatz Laaroussi et al, 2013; Violette, 2015). Or, peu de données font état de la volonté des employeurs des régions à accueillir des travailleurs immigrants dans leur entreprise et des stratégies utilisées en vue de les attirer et les retenir.

But, objectifs et méthode

Le but de la présente recherche était d’identifier les stratégies d’attraction et de rétention adoptées par les employeurs des régions du Québec et des agents de développement économique régional (ADE) pour attirer et retenir des travailleurs issus de l’immigration. Les objectifs de cette recherche étaient de : a) comprendre les besoins de main-d’oeuvre des gestionnaires des régions; b) connaître les volontés politiques des régions, les ressources et partenariats dont les gestionnaires disposent pour attirer et retenir ces travailleurs afin de combler les besoins de main-d’oeuvre; c) comprendre les besoins socioprofessionnels des travailleurs immigrants pour s’établir dans les régions du Québec; et d) décrire les stratégies d’attraction et de rétention déployées selon les acteurs concernés.

Pour mener cette étude, le cadre d’analyse retenu est le Modèle générique intégré du développement du capital régional d’attraction et de rétention des immigrants en région de Vatz Laaroussi et Bernier (2013). Les assises de ce modèle d’analyse du développement du capital régional reposent sur la mobilisation de tous les acteurs d’un territoire, une mobilisation transférable d’une région à l’autre (Vatz Laaroussi, 2013, p.221). Pour atteindre nos objectifs de recherche, des ajustements étaient nécessaires pour aborder la situation sous la perspective de l’employeur et de comprendre l’influence de celui-ci dans l’intégration des immigrants en région. Pour ce faire, les concepts managériaux de l’attraction et de la rétention ont été greffés au modèle.

Les principaux concepts d’attractivité organisationnelle utilisés sont liés au processus de recrutement et au contexte de croissance de l’entreprise (Rynes et Barber, 1990; Chapman et al., 2005; Dolan et Saba, 2013). Le processus de recrutement influence la capacité d’attraction d’une entreprise à travers les sources et les méthodes de recrutement utilisées ainsi que le message véhiculé dans l’offre du poste à pourvoir (Dolan, 2013 : Rynes et Barber, 1990). Les sources de recrutement font référence aux bassins de candidats potentiels pour occuper le poste à pourvoir. Les méthodes de recrutement représentent les plateformes permettant d’afficher le poste à pourvoir telles que les centres d’emplois gouvernementaux, les agences de placements privés, les journaux, les médias, etc. (Dolan et al, 2013, p.170-190). Les méthodes de recrutement influencent l’attractivité organisationnelle dans la mesure où elles sont diversifiées et ciblent des profils précis de candidats (Rynes et Barber, 1990).  Pour inclure la perspective de l’employeur dans le modèle, il convient d’analyser les méthodes de recrutement privilégiées par les employeurs des régions pour attirer des travailleurs issus de l’immigration afin qu’ils viennent déposer leurs candidatures. Outre la méthode de recrutement, il faut aussi s’intéresser au message contenu dans l’affichage de postes, l’information transmise ainsi que les incitatifs en lien avec le poste à pourvoir (Rynes et Barber, 1990). Toujours dans la perspective des employeurs, nous avons analysé les incitatifs liés aux programmes habilitant les candidats potentiels : la reconnaissance des titres de compétences étrangers, les expériences sur un marché du travail hors du Canada, les cours de francisation, et l’accès à des formations techniques pouvant contribuer à la mise à niveau des compétences aux normes canadiennes.

En somme, les études montrent que l’efficacité des stratégies en lien avec le processus de recrutement dépend du contexte de l’entreprise, aussi appelé attributs organisationnels, soit : les caractéristiques du marché du travail, les caractéristiques de l’organisation et des postes vacants, le moment du processus d’affichage et les considérations légales (Chapman et al, 2005; Dolan et al, 2013; Rynes et Barber, 1990).

Pour définir la rétention, nous faisons référence à sa forme opposée, soit l’intention de quitter (withdrawal behaviours, turnover). Un « proxy » plus facilement analysable puisque les causes qui poussent un travailleur à quitter son emploi sont plus faciles à identifier que celles qui l’incitent à le garder (Causal model of turnover, Price, 2001). L’intention de quitter volontairement son emploi se rapporte à une situation où un employé peut rester chez son employeur, mais préfère saisir une opportunité d’aller ailleurs pour de meilleures conditions salariales, d’horaire, une promotion ou pour se rapprocher de son domicile (Hausknecht, 2007, p.883). Une situation où peuvent se jouer des déterminants de l’environnement externe (entreprises concurrentes), l’environnement interne (les choix managériaux de l’entreprise) et des variables individuelles (Price, 2001). Dans le modèle de Price (2001) les variables individuelles sont essentiellement liées à la formation acquise par le travailleur ayant des effets directs sur la satisfaction au travail et la rétention, entre autres à savoir si le poste occupé correspond aux formations acquises. Toujours selon Price (2001), l’environnement interne fait référence à la justice distributive au sein des équipes, à la rémunération, les chances de promotions et le soutien social. Ces variables influencent toutes positivement la satisfaction au travail et négativement l’intention de quitter son employeur (Price, 2001). Les éléments de l’environnement externe sont essentiellement la rareté des candidats pour combler les postes et les stratégies adoptées par les entreprises pour débaucher des travailleurs employés par leurs concurrents.

Inspiré de trois modèles, le modèle générique intégré du développement du capital régional de Vatz Laaroussi et al (2013), du modèle de l’attractivité organisationnelle de Rynes et Barber, (1990) et celui de l’intention de quitter de Price (2001), nous avons développé un modèle d’analyse (Dupuis, 2019; Robidoux-Bolduc, 2019) pour répondre aux besoins de cette recherche inclusive de la perspective des employeurs. Ce modèle adoptant la perspective des employeurs est présenté ci-dessous:

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Cette étude a été menée grâce au projet pilote Un emploi en sol québécois organisé à l’automne 2017 par la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), en collaboration avec le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (Forget, 2017). L’objectif de ce projet visait à favoriser l’accès et l’intégration en emploi des travailleurs issus de l’immigration dans les régions du Québec, tout en répondant au besoin de main-d’oeuvre des entreprises. Un salon de l’emploi a ainsi été organisé à Montréal le 8 novembre 2017, où les travailleurs immigrants, résidant dans la métropole souhaitant s’établir en région, avaient l’opportunité de soumettre leur candidature. Avec la collaboration des chambres de commerce et ses organismes d’intégration aux personnes immigrantes des régions visées par le projet, les travailleurs immigrants sélectionnés furent invités à participer à des visites en région afin de rencontrer des employeurs intéressés par leur candidature et découvrir le milieu de vie (Forget, 2017).

Cette étude a été réalisée selon un devis phénoménologie inductive et une méthodologie qualitative, avec une approche prospective basée sur les intentions des travailleurs immigrants à s’établir en région et sur les opportunités d’intégration créent par les employeurs et les communautés d’accueil.

L’échantillon total est constitué de 74 répondants, tous sollicités lors de leur participation au projet pilote « Un emploi en sol québécois » des régions de l’Estrie, de Lanaudière et du Centre-du-Québec. Les employeurs (n=16) regroupent des représentants de la direction générale, des ressources humaines et du marketing provenant d’entreprises de secteurs d’activité variés, mais principalement manufacturiers. Les ADE (n=7) sont des employés provenant d’OBNL dédiés à l’intégration des immigrants et d’employés municipaux ou oeuvrant au sein des chambres de commerce. Les travailleurs immigrants (n=51) sont les participants au projet pilote des trois régions précitées. Ceux-ci proviennent de divers pays, majoritairement de l’Amérique du Sud, de l’Europe et d’Afrique. Ils étaient âgés entre 25 et 40 ans et résidaient au Québec depuis au moins un an. Ils étaient détenteurs de diplômes d’études de niveaux collégial ou universitaire. Pour des raisons de confidentialité, la FCCQ, promoteur du projet « Un emploi en sol québécois », limite la diffusion des caractéristiques des participants, contrainte à laquelle nous avons souscrit en nous associant au projet.

La collecte de données des employeurs et des ADE a été réalisée à l’aide d’une grille d’entretien semi-dirigé. Les entretiens ont une durée de 20 minutes à 1 h 30 et ont été menés entre janvier et avril 2018. Les thèmes abordés dans les grilles d’entretien traitent principalement des besoins en main-d’oeuvre, des stratégies d’attraction et de rétention ainsi que des facteurs de succès et d’échec de celles-ci. Les entretiens ont été enregistrés avec l’application téléphonique Call Recorder (ACR) afin d’être retranscrits et analysés sur le logiciel Nvivo. Une analyse thématique a été réalisée permettant d’identifier les idées et les discours convergents et divergents entre les catégories de répondants et entre les trois régions participantes.

La collecte de données auprès des travailleurs immigrants a été réalisée sous la forme de trois groupes de discussion d’une durée d’environ une heure. Ces groupes de discussion se sont déroulés dans les autobus, lors du trajet de retour vers Montréal. La très grande majorité des travailleurs participant à ces visites ont pris part aux discussions poussant leur réflexion sur les embûches à l’attraction et la rétention. Quelques-uns, déçus de ne pas avoir conclu une entente d’embauche lors de ces visites en région, ont préféré s’abstenir de tout commentaire. Mais de façon générale, les propos recueillis lors de ces groupes de discussion ont été retenus comme source secondaire de données.

Résultats

Avant de présenter les résultats, il convient de préciser que ceux-ci sont basés sur la perception d’employeurs ayant déjà la volonté d’engager des travailleurs issus de l’immigration et la perception d’immigrants désirant s’établir en région. La participation volontaire des employeurs et des travailleurs au projet pilote a indéniablement une influence sur les résultats. Les résultats sont rapportés selon trois thèmes, soit 1) les besoins en main-d’oeuvre, 2) les stratégies d’attraction et de rétention qui traitent du capital régional, des méthodes de recrutement et de l’intégration sociale ainsi que 3) le bilan que font les acteurs de ces stratégies.

Besoins en main-d’oeuvre des entreprises des régions du Québec

Tous les employeurs de l’échantillon ont mentionné avoir besoin d’embaucher des employés supplémentaires dans leurs entreprises. Les postes à combler étaient principalement des postes de journaliers spécialisés, des postes d’opérateur ayant des savoir-faire spécifiques comme des tôliers, des mécaniciens et des opérateurs de séchoirs. Pour pourvoir à ces postes, tous les employeurs avaient déjà envisagé d’embaucher des travailleurs issus de l’immigration. En dépit des emplois disponibles et des efforts déployés pour les combler, les entreprises reçoivent très peu de candidatures. En effet, quinze des seize employeurs ont mentionné ne pas avoir réussi à combler leur besoin en main-d’oeuvre de façon satisfaisante :

Tous les postes que j’affiche, je ne reçois pas vraiment de CV que ce soit commis aux pièces, manutentionnaire, mécanicien, soudeur.

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Cette difficulté à trouver des candidats pour pourvoir à ces postes vacants est d’autant plus prononcée lorsqu’il s’agit des travailleurs immigrants ayant des qualifications supérieures à celles exigées pour occuper le poste:

[…] Comme lors du projet pilote, il y avait juste des professionnels, mais nous, on avait juste des postes pour des gars de manufactures […].

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[…] ils sont souvent trop qualifiés pour travailler en région. Il faut tenir compte du marché économique de la région.

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Ce résultat converge d’ailleurs avec le point de vue des participants aux groupes de discussion où la majorité d’entre eux s’entendent pour dire qu’il y a une incompatibilité entre les postes offerts en région et leur qualification.

Je suis ingénieur, je suis prêt à être technicien, mais quand même pas à travailler dans une usine avec un poste de journalier… oui à la sous-qualification ou au changement de branche, mais pas à ce point.

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Dans le même sens, la majorité de ces participants ont évoqué leur mécontentement en ce qui concerne la non-reconnaissance de leurs diplômes et leur difficulté à obtenir un emploi à la hauteur de leurs expertises. Malgré cette frustration généralisée, bon nombre des travailleurs ont reconnu la pertinence de participer à ce type d’activité, c’est-à-dire des visites en région permettant de rencontrer des employeurs pour élargir leur réseau professionnel :

C’est vrai que les postes n’étaient pas intéressants, mais la journée est faite pour faire du réseautage selon moi. Le réseautage, c’est important, car il y a le marché caché, 80% des emplois ne sont pas affichés […] c’est souvent par nos contacts qu’on trouve un emploi intéressant dans notre domaine.

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Dans une perspective opportuniste, des travailleurs immigrants ont vu dans les propositions d’emploi peu qualifiantes des possibilités de promotion en entreprise. En effet, ceux-ci ont évoqué la possibilité de faire un compromis, c’est-à-dire d’accepter un emploi sous-qualifié dans leur domaine avec la confirmation que l’employeur lui assurerait des chances de promotion dans un avenir rapproché.

Dans le cas [d’un compromis)], serait-ce possible de faire un accord écrit avec l’employeur? Dans la mesure où s’il y a des postes plus haut placé qui correspondent mieux à notre formation, c’est sûr qu’on va les avoir. Un accord sur l’avancement en entreprise qui serait basé sur les compétences du travailleur immigrant.

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Les stratégies d’attraction et de rétention

Les stratégies d’attraction et de rétention les plus fréquemment nommées par les employeurs, les travailleurs et les ADE, sont: le processus de reconnaissance des équivalences professionnelles, le capital région, les méthodes de recrutement et l’intégration sociale.

Le processus de reconnaissance des équivalences professionnelles

Les possibilités d’avancement en lien avec les tâches et les exigences d’un poste à pourvoir pourraient susciter l’intérêt des travailleurs immigrants à poser leurs candidatures et à s’installer en région, dans la mesure où des programmes de soutien à l’emploi sont offerts et présentés dans les entreprises. Pour mettre sur pied une telle stratégie, les employeurs pourraient utiliser les programmes d’insertion au marché du travail et d’équivalence de compétences offerts dans leur municipalité.

On appelle ça le Service Intégrer en Emploi (SIE). Ce n’est pas juste les personnes immigrantes, c’est pour les personnes québécoises aussi. Ce sont des entreprises qui se sont mises ensemble, qui participent monétairement afin d’offrir une formation continue selon les besoins des entreprises.

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Même si plusieurs employeurs ont mentionné connaître des programmes gouvernementaux d’insertion au marché du travail tels que le PRIIME et ceux offerts par Emploi Québec, près de la moitié ne savaient pas que ces programmes existaient. Ils n’étaient pas « assez informés ou outillés pour savoir de quoi il s’agissait » (ENT07-R3). D’ailleurs, plusieurs répondants ont appris l’existence des programmes d’aide et d’insertion au travail qu’offrent les organismes municipaux seulement lors de leur participation au projet pilote de régionalisation de la FCCQ. La méconnaissance des employeurs sur les programmes existants a aussi été soulevée par un ADE :

Il y a beaucoup de monde qui ne les [services d’employabilité] connaît pas, tu vois dans les entreprises que nous avons rencontrées cet été, il y avait beaucoup de monde qui ne les connaissait pas, alors on a fait leur publicité. On va aussi faire des formations sur le programme PRIIME. Nous on donne les informations aux entreprises sur les projets de régionalisation.

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Une initiative qui pourrait aider les employeurs à bonifier le message véhiculé dans leurs offres d’emplois. D’ailleurs, certaines entreprises ont créé des partenariats avec des OBNL et des écoles comme stratégie pouvant accroître la visibilité de leurs entreprises. Bien que les écoles de la région ne soient pas des lieux de recrutement de travailleurs immigrants, elles sont des partenaires importantes à l’intégration. Par ses programmes de francisation, les écoles contribuent à accroître la capacité d’attraction des régions puisqu’elles offrent aux travailleurs issus de l’immigration des cours pour améliorer leur maîtrise de la langue et obtenir du soutien pour procéder aux demandes d’équivalences des diplômes. Pour certains employeurs, l’école régionale peut être un soutien considérable pour attirer des candidats si elles offrent des programmes aux compétences spécifiques à l’entreprise et du soutien financier aux candidats pour compléter leur formation.

Nous avons besoin de faire affaire avec les écoles, en donnant des bourses d’études par exemple. Même chose avec les stagiaires, il faut faire affaire avec les écoles…il faut que je trouve un moyen pour l’aider [le travailleur immigrant].

ENT02-R3

D’autres employeurs ont quant à eux pris l’initiative de reconnaître les compétences des travailleurs immigrants pour favoriser leur rétention.

Donc notre mécanicien était mécanicien en Colombie, puis on a reconnu son expérience et ses diplômes là-bas, pour qu’il puisse avoir des conditions de travail intéressantes et qu’il accède à un salaire intéressant aussi. […] c’est vraiment nous à l’interne qu’on a décidé de reconnaître les heures qu’il a fait là-bas pour le positionner dans notre échelle salariale.

ENT01-R3

Plusieurs employeurs sont convaincus de leur ouverture quant au développement de nouvelles stratégies de rétention adaptées à la réalité des travailleurs immigrants. Ces stratégies de fidélisation visent principalement la formation à l’interne, l’adaptation de l’accueil, l’intégration en emploi et la possibilité d’avancement ou le support continu.

Oui, il y a un parrainage avec des collègues, pas nécessairement un superviseur, mais quelqu’un avec qui il va pouvoir bien s’adapter. Par exemple, on a fait travailler le nouveau Haïtien avec notre autre Haïtien et notre directeur général qui est aussi haïtien, déjà on voyait se développer un sentiment d’appartenance.

ENT07-R3

Il (employé immigrant) est retourné sur les bancs d’école pour aller chercher son titre d’ingénieur. Ça n’a pas été compliqué de l’inciter à y retourner, car il était très déçu que son baccalauréat ne soit pas reconnu ici. Donc moi je l’ai embauché comme technicien-dessinateur au départ, puis l’entente que j’avais avec lui était que s’il réussissait à compléter sa formation en ingénierie et devenir un ingénieur junior, nous étions prêts à le parrainer et à l’aider dans ce processus-là.

ENT06- R3

[…] Je ne peux pas dire que je change ma stratégie, mais c’est sûr que je vais essayer de faire des suivis plus serrés avec les travailleurs immigrants, de les voir bien heureux. Autant que je puisse leur fournir des logiciels de traduction dans leur travail, peu importe les outils dont ils ont besoin, on fait des suivis avec eux pour savoir si on peut leur fournir quelque chose qui peut les aider davantage.

ENT06-R3

Néanmoins, nombreux sont les employeurs qui déplorent le manque de soutien externe favorisant l’intégration professionnelle des travailleurs immigrants telle que la reconnaissance des équivalences, la recherche de formation complémentaire en lien avec le poste et l’explication des normes en matière d’emploi.

Les travailleurs sont pris en charge jusqu'à tant qu’ils arrivent. Du moment où ils sont arrivés, ils sont un peu laissés à eux-mêmes [les travailleurs immigrants]. Il y a beaucoup d'organismes gouvernementaux, accès travail et autre, ils vont s'occuper d'eux pour les faire passer des entrevues et visiter la région. Une fois qu'ils ont été embauchés, c'est un peu organise-toi [pour l’entreprise]

ENT02-R1

Malgré ces initiatives, la plupart des employeurs et des ADE considèrent que cette responsabilité est imputable aux services gouvernementaux d’immigration et d’employabilité.

Nous savons fort bien que nous n’avons pas le gros bout du bâton. Je trouve dommage qu’il y ait des gens hautement qualifiés qui seraient en mesure de nous aider et qu’ils ne se trouvent pas de travail à cause de la lourdeur administrative que nous avons. […] Nous avons beau crier haut et fort toutes ces choses-là, mais nous avons peu de poids dans la balance.

ADE02-R3

Le capital régional

Certains éléments liés à la qualité de la vie en région ont été largement évoqués par les répondants, assez attrayants pour les inciter à postuler. Parmi ceux-ci, la priorité pour l’ensemble des répondants demeure les commodités reliées à l’accès aux logements et aux moyens de transport. Ces derniers considèrent que le prix abordable des logements présente un avantage distinctif à l’attraction et la rétention des travailleurs immigrants en région.

[…] pour sortir les gens de Montréal, il faut vraiment leur faire comprendre qu’en région, il y a aussi des moyens de bien gagner sa vie et d’avoir des loyers moins dispendieux.

ENT07-R3

C’est l’aspect numéro 1, tous les services, que ce soit l’épicerie, les hôpitaux, le service scolaire, nous sommes vraiment en dessous de la métropole au niveau du prix.

ADE02-R3

Les services d’aide pour accéder aux logements, souvent plus abordables en région, pourraient certainement constituer une stratégie d’attraction et de rétention. Dans la mesure où celle-ci doit davantage être mise de l’avant comme un avantage à s’installer. Toutefois, la complexité des démarches pour obtenir les services de logement est déplorée par les ADE.

[…] il y a certaines règles dans la politique, par exemple : les gens doivent être à [Nom de la municipalité] depuis minimum un an. De plus, nous avons un défi de logement familial, les immigrants ont souvent de grosses familles.

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De plus, les stratégies favorisant la mobilité des travailleurs issus de l’immigration en région sont déficientes. La majorité des employeurs considèrent que les réseaux de transport collectif en région ne sont pas adaptés aux horaires de travail et à la localisation de certaines entreprises ainsi qu’à la réalité des travailleurs issus de l’immigration.

Les nouveaux arrivants ont très rarement un véhicule. Souvent le système d'autobus ne cadrait pas avec l’horaire de leur travail. Avec les enfants qu’il faut amener à la garderie, alors c'est difficile pour eux d'arriver dans un horaire très rigide quand tu sais très bien que pour vivre en région il faut absolument avoir un véhicule.

ADE02-R3

Évidemment, il arrive ici sans permis de conduire canadien ou québécois. Ni de voiture, rien, nous ne sommes pas à Montréal, il n’y a pas de métro ni d'autobus. Avec cela moi je veux savoir s'il y a quelque chose ici en région qui peut m'aider avec cela.

ENT02-R1

Les programmes municipaux et gouvernementaux en matière d’accès aux transports n’offrent pas suffisamment de soutien aux employeurs, selon certains répondants. Afin de remédier à ce problème, des employeurs ont décidé d’offrir différents moyens de transport pour alléger le voyagement de leurs employés immigrants en offrant des services de covoiturages (ENT02-R2) ou même de vélos (ENT01-R1).

La plupart n’ont pas encore de voiture, donc l’offre de transport est très intéressante pour eux.

ENT03-R2

Une stratégie de transport collectif pourrait certainement augmenter la capacité d’attraction et de rétention des entreprises et des régions puisque ce résultat converge avec certaines préoccupations soulevées par les participants des groupes de discussion quant à l’accès aux services.

Les méthodes de recrutement

Une des dimensions importantes des stratégies d’attraction est d’adapter les méthodes de recrutement. Les méthodes de recrutement standards telles que les plateformes d’affichages offerts sur Internet, les programmes et services gouvernementaux, les réseaux sociaux électroniques et la sollicitation directe des employés sont toutes utilisées par les employeurs. Bien qu’elles soient variées, la majorité des employeurs ont mentionné ne pas adapter leurs méthodes de recrutement aux travailleurs immigrants, n’ayant pas l’information nécessaire pour le faire:

[…] Je pense que pour aller chercher des travailleurs immigrants directement, ce serait plus par les programmes gouvernementaux […], mais encore là, il faut être au courant des programmes qui existent.

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Malgré les obstacles, certains employeurs ont revu leurs méthodes de recrutement. Les stratégies les plus fructueuses utilisées sont : 1) la sollicitation directe des employés via leurs réseaux de contacts, 2) l’usage de programmes d’employabilité qui ciblent les postes recherchées et 3) le recrutement à l’international.

Pour combler ses besoins en main-d’oeuvre, une entreprise a réussi à recruter via le réseau de contacts de ses employés des travailleurs non immigrants, mais issus des communautés autochtones.

Le président a essayé à plusieurs reprises de faire des rapprochements avec les membres de la réserve […]. Avec le temps, la population et les membres de la réserve se sont ouverts à vouloir travailler ensemble. En plus, la communauté de la réserve s’est retrouvée dans la situation contraire de nous. Eux, ils sont trop nombreux pour la réserve et nous, on n’a pas assez de travailleurs, donc les citoyens de la réserve devaient se trouver des emplois à l’extérieur de la réserve. Je suis allée faire une journée de recrutement dans la réserve. Ce jour-là, j’ai rencontré une vingtaine de personnes!

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Par la suite, cette entreprise a organisé un comité d’emploi en collaboration avec la chambre de commerce pour trouver des façons d’inciter les travailleurs de la réserve à venir s’installer en ville et les intégrer dans la population. Une stratégie qui a fait ses preuves.

Le recours aux firmes de placements externes comme les agences internationales de placement privées ou des programmes gouvernementaux spécifiques ont également été largement utilisés pour recruter des travailleurs immigrants. Ces programmes de recrutement ont d’ailleurs permis à certains employeurs de cibler davantage le type de candidats recherchés.

[…] on vient juste d'embarquer dans un projet avec Emploi-Québec qui consiste à former des gens à l'interne qui ont été embauchés comme des journaliers pour devenir des tôliers. On leur donne de la formation une fois par semaine à l'école et quelques jours en entreprise pour faire leur formation.

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D’autres employeurs ont eu recours à des agences de recrutement international pour combler leurs besoins en main-d’oeuvre.

Moi à ma connaissance, c’est la seule compagnie sur laquelle je suis tombée qui fait du recrutement international de journalier. Toutes les autres que j’ai appelées, il se concentrent sur les travailleurs qualifiés. […] Eux, ils ont une entente avec une firme de recrutement locale au Maroc. Pourquoi avoir choisi le Maroc, parce que le taux de chômage est très élevé là-bas et la deuxième langue la plus parlée est le français.

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En recrutant à l’étranger, certains employeurs estiment augmenter les probabilités de voir leurs employés s’établir de façon durable en région grâce au parrainage ou aux divers programmes visant à obtenir la résidence permanente. Toutefois, les embûches juridiques et les délais administratifs sont des contraintes importantes à leurs efforts d’embauche.

Le dernier justement [candidat étranger], ça nous a pris plus d’un an pour être capable de le faire venir au Québec. […] le délai était court puisqu’on a trouvé un moyen différent de le faire parrainer parce que si ça avait été moi qui l’avais parrainé, ça aurait pu prendre jusqu’à deux ans.

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Selon cet employeur, le délai encouru pour recruter des employés à l’international est tributaire de la liste des métiers admissibles, liste établie par le ministère de l’immigration. Lorsqu’un travailleur immigrant est embauché à l’étranger pour occuper un métier qui ne figure pas sur ladite liste, le processus de recrutement est beaucoup plus long, l’employeur doit justifier le besoin du métier et trouver une façon de les faire parrainer. Les employeurs sont aussi contraints d’engager un nombre maximum de candidats issus de l’immigration parmi son personnel, lorsque le métier n’apparaît pas sur la liste.

[…] Ce qui est complexe c'est que le gouvernement nous donne une limite. Je ne peux pas avoir plus de 10 % de ma main-d'oeuvre provenant de l'immigration. Je n'ai donc pas le droit d'avoir plus de dix pour cent de gens qui ont un permis de travail temporaire. Ceci me bloque beaucoup parce que je vais bientôt atteindre mon quota. Mais le problème, c'est que j'ai encore besoin de trois autres travailleurs et au Québec, il n’y en a juste pas! [Tôliers] On a vraiment des bâtons dans les roues et on n'a aucune aide.

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Certains employeurs déplorent les délais et la complexité du processus tributaire à l’obtention du permis de travail d’un employé issu de l’immigration (ENT04-R1).

Moi, mes candidats avaient déjà leur permis de travail. Et puis, j’aime mieux qu’ils aient déjà leur permis de travail et le droit de travailler ici parce que c’est plus simple pour nous, déjà que le temps nous manque […]

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Les employeurs attendent une aide au recrutement des instances gouvernementales, aide qui n’est pas entendue ou non recevable.

L’intégration sociale

La majorité des répondants reconnaissent l’importance de l’intégration sociale et culturelle dans le processus d’établissement des travailleurs issus de l’immigration en région. Plus de la moitié des employeurs valorisent la sensibilisation et la formation à la diversité culturelle dans l’organisation et dans la communauté. Ceux-ci considèrent cette stratégie comme un moyen d’atténuer les effets négatifs des stéréotypes et d’encourager l’ouverture de la communauté à la diversité culturelle.

Nous sommes très ouverts et nous voulons les accueillir avec nous, mais c’est parfois difficile au sein de notre personnel. Par exemple, ils vont les appeler les immigrés, ''non ce ne sont pas les immigrés, ce sont tes collègues''. Il y a ça aussi à gérer. On va bientôt mettre en marche des programmes de sensibilisation à la diversité dans l’entreprise.

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D’ailleurs, le tiers des employeurs déplorent, sans solution apparente, l’absence de groupes culturels en région et de moyens pouvant créer une synergie favorable à l’établissement de réseaux de contacts, d’activités d’intégration sociale et culturelle pour les immigrants dans la communauté. Très peu d’entreprises de notre échantillon ont d’ailleurs contribué à la mise sur pied de ces activités d’intégration sociale et culturelle considérant celles-ci comme des initiatives externes à l’organisation.

Par exemple, quelqu’un qui arrive du Maroc en région doit se sentir pas mal isolé, car il n’y a pas de communauté marocaine dans le coin. Si tu ne connais pas personne, tu as tendance à rester chez vous. Donc, après est-ce qu’il pourrait y avoir des activités (dans la région) avec les personnes immigrantes pour essayer de les intégrer? Qu'ils apprennent ne serait-ce qu’à se connaître entre eux. Déjà ça, ils auraient des contacts et des amis.

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À l’opposé, les ADE sont très positifs à l’égard des initiatives communautaires de leur région visant l’intégration sociale de ces travailleurs, sans toutefois, être en mesure de les identifier concrètement. En fait, les ADE considèrent les diverses activités sociales offertes à l’ensemble des citoyens de leur région comme une contribution à la qualité de vie pour tous. Ils ont également mis de l’avant l’importance d’offrir aux citoyens de la région et aux travailleurs québécois des programmes de sensibilisation à la diversité culturelle, afin d’informer ces derniers de la réalité des travailleurs issus de l’immigration et des difficultés de leur intégration.

Je pense que les entreprises devraient offrir ou faire des formations en diversité au niveau de leur équipe et leur RH pour les sensibiliser à cette réalité. Pour que tout le monde comprenne la même affaire concernant les moyens à privilégier et à adapter sur l'embauche de ce type de main-d’oeuvre. Surtout au niveau de l’attraction ou la rétention. Le but, ce n’est pas de tout changer, mais d’augmenter leur connaissance à ce niveau.

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La majorité des participants aux groupes de discussion et les ADE considèrent que l’intégration des membres de la famille dans la communauté influence la rétention d’une famille issue de l’immigration en région, mais la principale condition est l’accès à un travail intéressant pour le conjoint/conjointe. Toutefois, très peu d’ADE et d’employeurs ont été en mesure d’identifier ces programmes.

[…] quand il y a une personne [Immigrante] qui arrive, il s’occupe de la famille au complet. Ils trouvent un emploi à la conjointe, inscrivent les enfants à l’école et les aident à s’intégrer et se trouver un logement.

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Mis à part deux initiatives informelles de programmes de référence, aucune entreprise ne met en place des stratégies favorisant l’insertion des membres de la famille de leurs employés issus de l’immigrant en région.

[…] par exemple, on peut les aider à se trouver un médecin de famille, un pédiatre, un logement, leur donner des références d’organismes qui pourraient les aider et les soutenir à leur arrivée. C’est moi qui leur ai tous fourni les informations. La conjointe du travailleur peut m’appeler facilement une fois par semaine pour me poser des questions sur ses ressources. […] Je leur fais des suggestions selon le parcours professionnel de la conjointe et je les mets en contact avec les commissions scolaires, des choses comme ça.

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Le bilan des acteurs sur le succès des stratégies déployées

Nos résultats pointent des écarts importants entre les perceptions qu’ont les différents répondants sur les stratégies d’attraction et de rétention ainsi que sur les ressources dont ils disposent pour les mettre en place. Les ADE saluent principalement l’ouverture et la mobilisation des employeurs et des instances gouvernementales dans le processus d’intégration économique des travailleurs immigrants. Ils ont remarqué une plus grande ouverture des employeurs des régions à vouloir recruter des travailleurs issus de l’immigration au sein de leur entreprise. Malgré ceci, plusieurs d’entre eux considèrent qu’il faut en faire davantage. En effet, selon un ADE, « les entreprises n’ont pas encore adapté leur offre d'emploi » (ADE02-R2).

D’autre part, presque tous les ADE déplorent l’absence de vision à long terme des instances gouvernementales sur l’élaboration de stratégies pouvant favoriser davantage l’intégration économique des travailleurs issus de l’immigration et leur installation en région.

Il faut qu’il y ait de vrais politiques, des décisions doivent être prises. Il faut aussi qu’ils valorisent l’embauche de personnes issues de l’immigration auprès des employeurs. Je pense qu’il faut vraiment sensibiliser les employeurs pour qu’ils accompagnent mieux les travailleurs immigrants […].

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Pour les employeurs, les ressources offertes par les organismes municipaux, provinciaux et fédéraux ne sont pas suffisantes et adéquates pour attirer et retenir des travailleurs issus de l’immigration dans les régions du Québec.

[…] Les immigrés en fait, ils ont des ressources pour les aider à faire des CV, à chercher un emploi et les faire évoluer. Eux, ils ont de l’aide. Mais nous en tant qu’entreprise, on est complètement démunie.

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Les employeurs se désolent de l’absence de connaissances sur le sujet et du nombre restreint des ressources qu’ils peuvent consulter.

Nous n’avons pas de repère, surtout au niveau des lois en vigueur, des permis, donc oui ça nous prend une expertise externe parce que nous ne pouvons pas nous improviser par rapport à cela. Toutefois, pour les immigrants qui sont déjà ici en place, ça serait le fun d’avoir quelqu’un qui nous aide […]

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En outre, les délais et les lourdeurs administratives en lien avec l’obtention des permis de travail, le processus de recrutement à l’international et les équivalences des diplômes ont engendré des difficultés supplémentaires, créant ainsi de la frustration chez certains employeurs.

Le plus grand frein, c’est les demandes d’information sur le marché du travail (IMT) et de certificat d’acceptation du Québec (CAQ). Moi, ça l’a pris 6 mois avant que la demande soit acceptée. Et ça a été accepté seulement 1 an au lieu de 3 ans. Donc moi, je dois déjà refaire ma demande pour l'année prochaine et les agents du gouvernement ne veulent pas du tout nous aider. Les demandes d’IMT, ce sont des documents de 200 pages. Ce document est juste pour le fédéral ensuite le CAQ est aussi à faire et c'est la même chose. En plus, on est laissé à nous-mêmes. Les documents du gouvernement sont vraiment quelque chose. Écoutez, ils m'ont retourné le document juste parce que j'ai oublié d'inscrire que je parlais français. À cause de cela, ils ont rejeté ma demande. Ils auraient juste pu m'appeler pour me dire que j'ai oublié de cocher une partie du document. […] À cause de leur procédure, j'ai des machines ici qui ne fonctionnent pas, car je n’ai personne pour les opérer. À cause de cela, je ne peux pas bien desservir mes clients.

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D’ailleurs, plus de la moitié des employeurs nous ont confié avoir besoin de soutien supplémentaire pour compléter le processus d’embauche des travailleurs immigrants et pour assurer leur accueil et leur intégration.

[…] Il faut des ressources qui s’occupent de la sélection des candidats. Ça prend des ressources un moment donné des personnes qui vont faire la sélection parce que je ne peux pas! […] C’est beaucoup d’énergie pour quelqu’un qu’on n’a pas toujours rencontrée. Actuellement, je dois répondre à 5 ou 6 candidats et j’en ai eu environ 10 dans les 2 derniers mois […] ce n’est pas facile […] Pis, on n’a pas fait le dossier d’immigration encore là.

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Des programmes dédiés, vraiment très ciblés. À l’heure actuelle, les programmes visent surtout les travailleurs diplômés. Quand on regarde les processus de sélection des immigrants, ils visent beaucoup les travailleurs diplômés, alors que quand ils arrivent ici, ils ont quand même une certaine difficulté à se trouver un emploi.

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La notion de programmes clé en main est revenue à plusieurs reprises dans les entrevues, c’est-à-dire une organisation externe à l’entreprise qui assurerait une prise en charge totale des besoins des travailleurs immigrants dès leur arrivée en région.

Il faut partir un programme où les gens vont les prendre en charge, aller les chercher à l'aéroport, les amener à leur appartement, les aider à trouver un logement, montrer où sont les épiceries et les cabines téléphoniques, comment louer une voiture, peu importe. Parce que nous avons notre travail aussi à faire. On est laissé à nous-mêmes, en plus de nous mettre des bâtons dans les roues! C'est triste pour les entreprises, mais c'est surtout triste pour les candidats qui arrivent ici.

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De tels services de recrutement de travailleurs immigrants dédiés aux régions du Québec constitueraient une stratégie d’attraction des plus fructueuses. En effet, ceux-ci répondraient à la fois aux besoins en main-d’oeuvre des entreprises et bénéficieraient aux travailleurs immigrants en recherche d’emploi. Les firmes de recrutement spécialisées pourraient également fournir de l’information sur les démarches requises pour recruter un travailleur immigrant et les aider à compléter le processus d’embauche.

Discussion

Cette étude comporte des biais de participation et des limites à l’analyse ne permettant pas de généraliser les résultats. L’échantillon n’est pas réparti proportionnellement selon les régions et les secteurs d’activités économiques des entreprises. Les employeurs de notre échantillon ont tous participé au projet pilote de la FCCQ qui encourage l’embauche de travailleurs immigrants dans les entreprises des régions. Ils étaient donc favorables à l’idée de recruter une personne issue de l’immigration. Dans le même sens, les travailleurs immigrants des focus groupes participaient volontairement au projet pilote, manifestant ainsi déjà un intérêt à s’établir en région. La perception positive des employeurs et des travailleurs immigrants de notre échantillon a assurément influencé nos résultats.

Le contexte dans lequel s’est déroulée notre recherche doit également être considéré dans l’interprétation de nos résultats. D’abord, le processus de sélection des immigrants participants au projet pilote de la FCCQ comporte certaines lacunes qui ne favorisent pas une concordance efficiente entre les profils des candidats sélectionnés et les postes à pourvoir des entreprises participantes au projet. En effet, pour chaque région, trois étudiants étaient chargés en une seule journée de faire le maillage entre les nombreuses offres d’emploi et les candidatures reçues. Quatre à six mois s’étaient écoulés entre la remise des offres d’emplois des employeurs et les visites des régions. Ainsi, plusieurs emplois étaient déjà comblés lorsque les travailleurs immigrants ont pu rencontrer les employeurs des régions. De plus, certains travailleurs ont été déçus de ne pas rencontrer l’employeur sur lequel ils misaient pour obtenir un entretien d’embauche. L’ensemble de ces éléments a engendré de la frustration et de la déception chez certains participants immigrants, pouvant ainsi influencer les résultats tirés des groupes de discussion.

Malgré les limites de l’étude, les résultats soulèvent à juste titre des contradictions entre la politique de régionalisation de l’immigration et les besoins en main-d’oeuvre des entreprises des régions du Québec. Bien que le gouvernement provincial ait révisé son plan d’action en matière de régionalisation de l’immigration, ces résultats nous interrogent sur la prise en compte des besoins des employeurs des régions du Québec, à savoir attirer et retenir les travailleurs immigrants. L’un des freins les plus importants à l’attraction des immigrants dans les régions du Québec est certainement l’inéquation entre les emplois disponibles en région et les qualifications des travailleurs issus de l’immigration. Les postes de journaliers spécialisés qui représentent la majorité des postes à pourvoir en région ne sont pas attrayants pour les travailleurs issus de l’immigration, en raison de leur surqualification. Ces résultats viennent confirmer les nombreuses recherches de la littérature scientifique qui ont souligné l’importance des caractéristiques du marché du travail, des postes vacants et du rôle majeur de l’emploi, comme dimensions prédominantes à l’attraction des immigrants dans les régions (Advanis Jolicoeur, 2016; Dion, 2010; Girard et al., 2008; Piché et al., 2002; Ralickas, 2017; Zhu et Batisse, 2011; Dolan et Saba, 2013; Rynes et Barber, 1990; Vatz Laaroussi et Bernier, 2013). Or, si aucun poste disponible en région ne correspond au parcours professionnel de l’immigrant ou des membres de sa famille, il sera très difficile, voire impossible de l’inciter à venir s’y établir. Ces résultats montrent qu’il est nécessaire de concevoir l’intégration économique des travailleurs immigrants dans les régions du Québec comme un ensemble dynamique.

Nos résultats interrogent aussi l’efficacité des politiques de recrutement et les services d’employabilité visant à soutenir l’employeur dans son processus de recrutement d’un travailleur immigrant. Bien que plusieurs recherches avaient déjà montré que l’information véhiculée auprès des immigrants sur les opportunités d’emplois, les services, les politiques et les programmes offerts dans les régions constitue un élément qui favorise la capacité d’attraction d’une région (Dion, 2010; Girard et al. 2008; Gormanns, 2015; ministère des Affaires civiques et de l’Immigration, 2017; MIDI, 2017; Piché et al, 2002; Racine et Plasse-Ferland, 2016; Ralickas, 2017; Roland, 2011; Zhu et Batisse, 2011), l’accès à ces informations est tout aussi important dans l’élaboration des stratégies d’attraction pour les dirigeants d’entreprises. Tout comme l’offre de transport et l’accès au logement, constituent des éléments attractifs pour les travailleurs immigrants. Toutefois, pour implanter ce type de stratégies, les employeurs doivent idéalement connaître l’éventail des ressources et services offerts par leurs municipalités.

Certaines actions visant à sensibiliser la population d’accueil et les conseillers à l’immigration sur l’intégration régionale des immigrants semblent avoir porté fruit puisque la plupart des ADE ont salué l’ouverture récente des employeurs et la mobilisation du gouvernement pour l’intégration des travailleurs immigrants en région. Toutefois, nos résultats convergent avec maintes études qui avaient souligné l’ambigüité des rôles entre les différents acteurs impliqués dans le processus d’intégration des nouveaux arrivants (Diversis Inc, 2010; Gormanns, 2015; MIDI, 2017 ; Racine et Plasse-Ferland, 2016 ; Ralickas, 2017; Roland, 2011; Vatz Laaroussi et al, 2013; Violette, 2015). Pourtant, l’intégration socioéconomique des immigrants dans les régions du Québec dépend de la participation et de la collaboration de toutes les parties prenantes au processus d’intégration des immigrants (Diversis Inc, 2010; Gormanns, 2015; MIDI, 2017; Racine et Plasse-Ferland, 2016 ; Ralickas, 2017; Roland, 2011; Vatz Laaroussi et al., 2013; Violette, 2015). Malgré ceci, nos résultats montrent que les employeurs sont encore très peu consultés sur le sujet, ce qui constitue inévitablement un frein à l’élaboration de nouvelles stratégies d’attraction.

Nos résultats indiquent également des contradictions entre les acteurs quant aux stratégies de rétention. Les trois types de répondants (employeur, ADE et travailleurs immigrants) ne s’entendent pas sur les mêmes stratégies de rétention permettant de pallier la non-reconnaissance des compétences et des diplômes. Les ADE associent la non-reconnaissance des diplômes à la méfiance des employeurs face à la diversité culturelle. Ils proposent d’augmenter les subventions gouvernementales, afin de mettre en place des stratégies favorisant l’ouverture à la diversité, et ce, au sein de l’entreprise et de la communauté. Considérant la reconnaissance des diplômes comme fastidieuse et imputable aux instances externes, les employeurs proposent de fidéliser cette main-d’oeuvre en offrant des formations spécifiques à l’entreprise, des services de mentorat pour favoriser l’adaptation lors de de l’accueil et l’intégration en emploi pour leurs travailleurs qualifiés issus de l’immigration; contournant ainsi la problématique de la reconnaissance des diplômes. Alors que les travailleurs immigrants proposent une stratégie basée sur le compromis, c’est-à-dire d’accepter à court terme un emploi moins qualifiant avec la promesse de pouvoir être formé aux besoins spécifiques de l’entreprise et de concourir éventuellement sur les postes correspondants à leurs qualifications initiales. Une stratégie qui met l’emphase sur les chances de promotion. Une stratégie qui ne peut voir le jour que dans une vision de développement et de croissance économique des régions appuyée par les institutions d’enseignement régionales, arrimées aux besoins des entreprises.

Conclusion

Si le gouvernement provincial compte sur la population immigrante pour répondre à la pénurie de main-d’oeuvre des régions du Québec et à leur intégration sur le marché du travail, il sera nécessaire de mettre en place des services d’accompagnement des employeurs pour optimiser leurs démarches d’embauche auprès des travailleurs immigrants. De tels services d’accompagnement devraient miser sur la création de partenariats, l’adaptation de pratiques d’embauche ciblées et l’offre de service-conseil pour l’équivalence des diplômes spécifiques aux travailleurs immigrants. Il devrait également comprendre un service-conseil pour la mise en place d’un plan de gestion de la diversité spécifiquement adapté aux dynamiques des régions.

De tels services devraient faire l’objet d’une évaluation d’implantation et d’impact centrée sur ces deux notions d’attraction et de rétention. Une évaluation dont la finalité est de proposer une réflexion sur l’ensemble des étapes d’intégration socioprofessionnelle des travailleurs immigrants dans une entreprise en région. Pour une parfaite compréhension de la situation, l’évaluation devrait aborder systématiquement les relations entre les différents acteurs, dans une perspective de concertation et de partage des rôles. Nous aurions ainsi un aperçu de l’importance des actions de chacun dans l’efficacité d’un tel service offert en région.