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En mars 2020, un important colloque international s’est tenu à Aubervilliers : « Des féminismes noirs en contexte (post)impérial français? Histoire, expériences et théories[1] » a marqué une volonté de rupture dans la manière d’aborder le féminisme noir en France en posant des pistes plurielles de réflexion non pas à partir des théories féministes afro-américaines, mais plutôt des expériences féminines ou féministes, ou les deux à la fois, issues des anciennes colonies françaises. Une des thématiques discutées sur les enjeux épistémologiques de l’écriture de l’histoire des féminismes noirs (africains/afrodescendants) en contexte (post)colonial français nous a interpellée par rapport à une recherche actuelle sur les migrations de domestiques antillaises. Nous y abordions, entre autres, et ce n’est pas le plus commun, la figure de Paulette Nardal, féministe noire, comme défenseure des maîtresses de maison à la Martinique. Elle a déjà été (ainsi que ses six soeurs) l’objet d’études de référence aux États-Unis (Nardal 2009; Musil Church 2013) – qui ont nettement contribué à sa (re)connaissance dans l’émergence du mouvement de la négritude. Il y a actuellement en France une (re)découverte de cette Martiniquaise étudiée en tant que féministe (Gianoncelli 2016) dans un contexte de débats autour de la place de l’histoire coloniale et surtout du féminisme intersectionnel. Plusieurs ouvrages (Grollemund 2018; Pavard, Rochefort et Zancarini-Fournel 2020), notices (Gianoncelli 2017; Célestine 2020) et articles de presse[2] lui ont ainsi donné une visibilité sans précédent. Pour autant, à de rares exceptions et sans être développé (Germain 2018; Palmiste 2021)[3], il n’est pas fait mention dans les écrits sur Paulette Nardal de son intérêt pour la domesticité. Serait-ce un point négatif dans une riche biographie au regard de ses combats pour les femmes noires en général, martiniquaises en particulier?

En fait, loin d’atténuer l’apport de Paulette Nardal en tant que féministe, la question de ses rapports à la domesticité dans sa trajectoire, problématise, à notre sens, d’une part et d’une manière générale, la délicate appréhension dans l’histoire des féminismes du recours aux travailleuses domestiques. Au sein de la lutte globale pour les droits des femmes et l’amélioration de la condition féminine, il y a comme question cette catégorie de femmes qui apportent des réponses aux besoins (professionnels ou de confort) d’autres femmes. Elles ont joué, et continuent de le faire, un rôle important dans les histoires de vie d’autres femmes. Comme le rappelle à la fin des années 70 Suzanne Ascoët, ancienne employée de maison et syndicaliste, « on pourrait dire en une phrase : des générations d’employées de maison ont été sacrifiées pour permettre à des femmes, à des générations de femmes de s’épanouir et de trouver leur place dans la société » (Fraisse 2009 : 291). Comment les féministes parlent-elles de leurs travailleuses domestiques quand elles en emploient? Ce que font pour les féministes ces femmes appelées dans le temps « servantes », « domestiques », « bonnes à tout faire », « employées de maison » ou encore « travailleuses domestiques », etc., a été peu étudié en France. Bien qu’elles soient présentes en filigrane dans leurs manières d’aborder notamment l’émancipation des femmes, le travail des femmes dans les espaces publics et privés, leur situation ne constitue pas un des éléments centraux dans l’histoire des revendications des différents mouvements féministes. Si ces oublis interrogent leurs rapports à d’autres femmes, ils touchent aussi à leur intimité. Dans une enquête auprès de femmes féministes qui emploient des femmes de ménage, Pascale Molinier (2009 : 114) pointe que « la femme de ménage vient mettre le doigt exactement là où ça fait mal : dans la contradiction entre les théories et les pratiques, les idéaux et les compromis ».

Dans le présent numéro de la revue Recherches féministes, qui porte sur les configurations des héritages féministes, il est question, d’autre part, et pour revenir à l’une des questions de ce colloque, de réfléchir à ce que l’on transmet (ou non) dans l’écriture de l’histoire de ces féminismes noirs en contexte (post)colonial. En France, il y a depuis le début des années 2000 dans le « monde universitaire » un enjeu pour rendre visibles, à travers des (ré)éditions d’ouvrages et des publications de travaux de recherches, les féministes noires en général, françaises ou francophones en particulier. Ce qui nous a frappée dans le cas des Martiniquaises à juste titre mises en lumière, comme Paulette Nardal ou Suzanne Roussi-Césaire, c’est que l’on ne dit pas, ou pas assez, qui elles sont à la Martinique. Pourtant, ces femmes y sont nées et y ont grandi, elles y sont revenues par intermittence ou y ont passé une bonne partie de leur vie. Les rapports de genre, de classe, de race, analysés en fait dans la migration (Boittin 2005), sont marqués par leur position à la Martinique, de même que leurs actions féministes à cet endroit (Germain 2018; Couti 2018; Palmiste 2021). Ces rapports sont aussi, nous semble-t-il, un enjeu de l’écriture de l’histoire des femmes et des féminismes noirs de la Martinique. À ce sujet, l’exemple de Paulette Nardal s’avère intéressant. Que sait-on d’elle aujourd’hui?

Félix Jeanne Paule Nardal, dite Paulette, est née le 12 octobre 1896 au François[4] et décède le 16 février 1985 à Fort-de-France à l’âge de 88 ans. Son enfance et les débuts de sa vie d’adulte se passent à la Martinique. Puis, de 1920 à 1939, Paulette Nardal vit principalement en métropole avant de revenir définitivement à la Martinique (à l’exception d’une courte période entre 1946 et 1948 où elle réside aux États-Unis). Les différents travaux et publications à son sujet traitent essentiellement de la période de l’entre-deux-guerres, c’est-à-dire de la vie de Paulette Nardal sur environ 20 ans. Il est alors question de ses activités d’étudiante, d’attachée parlementaire et de journaliste. Ces écrits focalisent en réalité sur son importante contribution, passée sous silence pendant des années, à l’émergence du mouvement de la négritude et de la place que tient le salon des soeurs Nardal à Clamart. On aborde beaucoup moins sa vie à la Martinique, qui correspond pourtant dans son parcours biographique à plus de 60 années. Sur cette période, les recherches ont privilégié la dizaine d’années à partir de la Seconde Guerre mondiale. Celles-ci sont marquées par la création en 1944 de son association, le Rassemblement féminin (RF), et de son organe de presse, La Femme dans la cité. Les écrits rendent compte en outre de son apport au domaine de la musicologie et de la création de la chorale Jeunesse étudiante chrétienne, devenue La joie de chanter. Ses fonctions d’enseignante et de journaliste à la Martinique sont brièvement évoquées (Musil Church 2013, Grollemund 2018). La quasi-absence dans les biographies de ses considérations sur les services domestiques et de sa participation à des instances d’employeurs de gens de maison, ainsi que le fait que Paulette Nardal elle-même n’en parle pas dans des interviews ultérieures, ou dans son propre récit de vie transcrit dans des extraits d’entretiens par Philippe Grollemund (2018)[5], interrogent sur ce que l’on donne à voir. Loin d’être anecdotique, la question de l’emploi de domestiques, de leurs rapports avec ceux et celles qui les emploient, est un élément constitutif du RF et l’objet de divers articles écrits par Paulette Nardal.

De fait, la situation est presque paradoxale. Tout en participant à la mise en lumière d’une figure des féminismes noirs longtemps restée dans l’oubli d’une histoire du féminisme en France, on peut, en ne mentionnant pas cet aspect, invisibiliser la situation d’autres femmes, elles-mêmes déjà marginalisées par leur situation de domestiques. Si Paulette Nardal oeuvre pour l’amélioration de la condition sociale des femmes noires en général, elle met aussi à la Martinique d’autres femmes en position de subalternes. Nous tenterons donc d’établir comment, pendant la période 1944-1964, se déroulent, dans la mise en place de structures ayant pour objectif de développer des services domestiques, des rapports de domination issus d’un héritage personnel et colonial dans une société martiniquaise en mutation. Nous rappellerons d’abord le rôle que joue la position sociale de Paulette Nardal et de sa famille. Ensuite, nous verrons qu’elle s’intéresse dès l’entre-deux-guerres au sort des domestiques. Nous montrerons enfin la manière dont elle entend influer sur les rapports entre employeur ou employeuse et employées de maison.

Un nom, une famille, en héritage

Paulette Nardal bénéficie dans sa trajectoire du statut et de la notoriété de ses parents. L’importance de sa généalogie familiale dans une histoire marquée par l’esclavage, du métier de son père, des réseaux de sa mère, de leur transmission d’une éducation artistique, culturelle et catholique, a été mise en avant dans les travaux d’Emily Musil Church (2013 : 376-378) et de Clara Palmiste (2021 : 4-6). Nous estimons toutefois nécessaire de rappeler le contexte colonial dans lequel Paulette Nardal a grandi et où elle est revenue au début de la Seconde Guerre mondiale. Cela ne sera pas sans effet sur sa propre situation et son regard sur les femmes au moment où elle abordera la question de la domesticité dans une colonie transformée en département, mais où il n’y a pas de rupture brutale de la réalité de la stratification sociale en partie basée sur le phénotype et un préjugé de couleur. Eugène Revert décrit bien cette Martinique où une hiérarchie raciale (au sens sociologique) se superpose à une échelle de revenus (Sylvestre et Lotaut 1936 : xxxii) :

[L]e plus frappant, le seul point sur lequel j’insisterai, est l’inégalité brutale des fortunes et des revenus. Il existe une petite minorité de gens riches, quelques-uns très riches. Ce sont presque tous des blancs, créoles ou non. Je ne crois pas que ce groupe dépasse de beaucoup le millier d’individus. Les classes moyennes comprennent quelques dizaines de médecins, avocats, notaires, avoués et huissiers, un petit nombre de commerçants, les employés supérieurs d’usine et la masse de fonctionnaires, dont le nombre, y compris les gendarmes, est inférieur à 2 200. Je doute qu’il y ait au total plus de 20 à 25 000 personnes, sur les 200 000 que contient la colonie, qui vivent dans une aisance au moins relative. Le reste est composé de l’armée des travailleurs de cannes, des petits propriétaires obligés de se louer une partie de l’année à l’usine ou à la distillerie voisine et des marins pêcheurs. La plupart vivent, au jour le jour, avec des salaires souvent inférieurs à 10 francs.

Dans cette catégorie complexe de classes moyennes, qui est une classe entre les békés, ou population blanche riche, et la majorité de la population noire avec peu ou pas de revenus, se trouvent des Mulâtres et d’autres Noirs ou Noires qui forment une bourgeoisie hétérogène. Pour ces personnes, les frontières entre les préjugés de couleur et de classe sont mouvantes. C’est ce qui permet de comprendre que Joseph Zobel puisse écrire ceci : « Or les Nardal […] Ils restaient noirs comme on ne pouvait pas se le permettre à Fort-de-France » (Hopquin 2021) et à Paulette Nardal de dire : « nous faisions partie de la classe mulâtre, bien que sans fortune » (Grollemund 2018 : 46). Sa famille à la Martinique appartient à cette classe moyenne qui se situe au-dessus donc de la masse des pauvres et qui, tout en mesurant l’écart avec les plus riches, est dotée de revenus ainsi que d’un capital scolaire et culturel.

Son père, Paul Nardal, nommé ingénieur colonial de première classe des Ponts et Chaussées par l’arrêté du 29 décembre 1922, a fait carrière dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (d’employé secondaire de 2e classe des Ponts et Chaussées à chef du Service des eaux, de l’électricité et de l’assainissement). Il a en outre enseigné au lycée de Saint-Pierre, à l’école professionnelle du Bassin de Radoub à Fort-de-France[6]. Paul Nardal a épousé, le 28 décembre 1895 dans la commune du Lamentin, Louise Achille[7], fille de Louis-Thomas Achille, huissier civil. Un contrat de mariage précédemment signé par le futur époux et la future épouse montre déjà leur patrimoine. La mère de Paulette Nardal, devenue institutrice en 1887, a démissionné de sa fonction le 1er octobre 1896, quelques jours avant la naissance de celle-ci[8].

Outre une position sociale, les Nardal ont aussi des codes significatifs de la petite bourgeoisie avec l’emploi de domestiques. Si nous en émettons l’hypothèse en raison de leur statut social et d’une famille nombreuse, les archives consultables ne nous permettent pas d’être catégorique avant les années 1920. Le recensement de la commune de Fort-de-France de 1927, où Paul, Louise, Alice et Andrée Nardal cohabitent avec deux membres de la famille Achille, fait état d’une cuisinière et d’une blanchisseuse[9]. Selon le recensement de 1931, d’après lequel Paul, Louis et Alice vivent avec Lucie Nardal, épouse Goussard, et ses deux enfants, Yves et Marie-Thérèse, il y a quatre domestiques dont trois sont identifiées comme cuisinière, blanchisseuse et femme de chambre[10]. En 1934 paraît dans le journal catholique La Paix une annonce pour laquelle « [l]es personnes que cette question intéresse sont priées de se faire inscrire chez […] Mme Nardal, 83 rue Schoelcher[11] ». L’idée est alors de résoudre ce qui, pour ces personnes, est un problème : trouver du personnel de maison bien formé qui reste à sa place. « Quelques dames de la ville justement émues des doléances unanimes des maîtresses de maison ont décidé de créer à Fort-de-France une ligue d’organisation ménagère qui essayera de porter remède de toutes les façons possibles à cet état d’esprit pénible pour tous[12]. » Les demandes sont nombreuses, et cette ligue commence à fonctionner en juillet 1934. Outre la formation des domestiques, les réunions de la ligue portent sur l’aide à apporter aux maîtresses de maison pour la bonne tenue de leur foyer en tant qu’épouse et mère.

Paulette Nardal a donc une trajectoire par rapport à ce milieu privilégié. « Grâce à nos parents, a-t-elle eu l’occasion d’écrire, nous avons baigné dans une atmosphère d’entente éclairée par la foi et la beauté intérieure[13] » : elle a pu, d’une part, faire des études à la Martinique et est titulaire de plusieurs diplômes. Ainsi, Paulette Nardal obtient le brevet élémentaire en juillet 1912, le brevet supérieur en juillet 1915, le diplôme de fin d’études secondaires en 1918 et le Cambridge Local Examination (senior) en 1919[14]. Par son métier et ses revenus, d’autre part, elle appartient elle-même à cette classe moyenne. Paulette Nardal est en effet institutrice à la Martinique. Elle intègre le Service de l’instruction publique en tant que stagiaire au Saint-Esprit, d’octobre 1915 au 30 décembre 1916, puis exerce au Lamentin, de cette date au 3 février 1917 avant d’être détachée comme maîtresse pour l’enseignement de l’anglais au pensionnat colonial à Fort-de-France jusqu’en juillet 1920. C’est d’ailleurs cette position de fonctionnaire qui lui permet de partir en France pendant l’entre-deux-guerres, période centrale dans sa vie.

Les choix et les regards d’une femme de la petite bourgeoisie

Paulette Nardal décide à deux reprises pendant l’entre-deux-guerres de se rendre en France afin d’étudier, ce qui n’est pas commun pour nombre de femmes en Martinique, y compris dans la classe moyenne. Elle n’est cependant pas dans la même situation qu’une jeune fille fraîchement sortie du pensionnat colonial (lycée de jeunes filles de l’île) à 18 ou 19 ans qui part étudier en métropole après l’obtention de son baccalauréat. Lors de son premier départ en 1921, Paulette Nardal est une femme adulte de 24 ans. C’est surtout une salariée qui opte pour « un congé pour affaires personnelles sans solde[15] » d’octobre 1921 à mars 1922. Elle se met par la suite en disponibilité, dont elle demande le renouvellement. Rendue en France, Paulette Nardal habite Paris, rue Dauphine dans le sixième arrondissement. Elle prépare, grâce à une bourse, le diplôme d’études supérieures de langues vivantes et littératures étrangères à l’Université de Paris, diplôme qu’elle obtient à la session de juin 1924[16] et fréquente la Faculté des lettres (la Sorbonne). Elle commence aussi la préparation du certificat d’aptitude à l’enseignement de l’anglais dans les lycées et collèges de jeunes filles. En septembre 1924, Paulette Nardal rentre à la Martinique et réintègre le pensionnat colonial. À peine sept mois après son arrivée, elle sollicite du chef de l’Instruction publique la possibilité d’un nouveau congé afin de poursuivre la préparation du certificat d’aptitude. Elle lui écrit ceci :

[É]tant donné que ce diplôme[17] ne peut me procurer aucun avantage d’ordre matériel et que je possède une partie du certificat d’aptitude à l’enseignement de l’anglais dans les lycées et collèges, je vous serai reconnaissante de vouloir bien me faciliter la préparation de ce concours en me permettant de partir en fin juin (le nouveau programme étant publié à cette époque) afin que je puisse jouir d’une année complète de travail[18].

Ce second départ vers la France en 1925 jouera un rôle influent quant aux actions ultérieures de Paulette Nardal à la Martinique. Alors qu’elle a obtenu un congé d’un an seulement, Paulette Nardal repartira de Paris vers son île le 21 juillet 1939[19]. Admissible au certificat d’anglais en 1926 et en 1927[20], elle réitère ses demandes de congé qu’elle prend sans solde jusqu’en 1928. Si la question des revenus doit être considérée, d’autant plus que ses soeurs qui viennent étudier en France habitent avec elle, Paulette Nardal conserve un mode de vie bourgeois, dont témoigne l’importance du salon des soeurs Nardal dans la vie mondaine et les services domestiques. À ce propos, leur cousin, Louis Thomas Achille, rappelle que « le nombre de soeurs Nardal étudiant ou travaillant à Paris leur avait fait choisir un immeuble de la proche banlieue plus économique. C’est donc à Clamart, près de la gare, que la famille s’installa au 7, rue Hébert. Très vite, la vie de famille reprit son cours sous la tutelle vigilante de la journaliste Paulette, aidée par d’efficaces femmes de ménage du quartier[21] ».

Si Paulette Nardal exprime dans des écrits pendant l’entre-deux-guerres son vécu de la domination en tant que femme noire issue d’une colonie française, qui consiste en une réflexion majeure sur la conscience noire, il ressort aussi, dans sa manière d’exposer la situation d’Africaines et d’Antillaises dans des écrits et des conférences[22], sa position de femme bourgeoise noire colonisée. Au cours de la même période, des domestiques antillaises viennent en France, notamment par les recrutements de l’association L’oeuvre des serviteurs coloniaux (Milia-Marie-Luce 2016)[23] et pour l’exposition coloniale de 1931 à Vincennes. Paulette Nardal a passé presque toutes les années 1920 et 1930 en France. Le sort malheureux de plusieurs de ces domestiques a fait les titres ou a été l’objet d’articles dans la presse nationale et régionale. Ainsi, on parle de « la traite des Antillaises[24] » dans le Midi socialiste. Le journal Paris-Soir rapporte « qu’il y a eu jusqu’à 4 500 Antillaises employées ici comme bonnes ou cuisinières l’an passé. Mais les trois quarts d’entre elles furent atteintes par des affections pulmonaires et on dut les renvoyer dans leur pays natal[25] ». On peut aussi faire dans la presse de cette époque toute une analyse sémantique sur l’emploi d’un vocabulaire péjoratif et racialisé pour les désigner. On évoque « leur minois de moricaude[26] », on donne « quelques renseignements sur les négresses[27] ». De fait, on s’interroge sur le portrait certes émouvant mais décontextualisé d’une condition subalterne fait par Paulette Nardal relativement à une domestique martiniquaise dans son article En exil[28]. Il raconte l’histoire d’Elisa, « vieille négresse », femme de ménage dans le cinquième arrondissement de Paris. Celle-ci décrit, entre autres, son corps souffrant, comment elle est perçue en tant que noire dans la rue et le bus, et surtout la nostalgie qu’elle a de sa jeunesse dans sa commune d’origine, Sainte-Marie. Paulette Nardal, institutrice qui a fait le choix de venir à Paris, aborde la question de l’exil d’Elisa sous l’angle du regret de « sa douce Martinique qu’elle n’aurait jamais dû échanger contre le mirage de Paris ». Or, à la lecture de l’article, on comprend qu’Elisa, « après sa journée de repassage », y fait déjà un travail subalterne. Il n’y a pas d’indication temporelle, mais Sainte-Marie est la commune du nord-atlantique la plus touchée par le cyclone de septembre 1928, ce qui a probablement rendu plus précaire la situation de nombreuses femmes. La question du phénotype et l’exotisme sont des éléments à discuter dans les recrutements des domestiques antillaises en France. Par exemple, pour ceux qui sont exploités par l’oeuvre des serviteurs coloniaux au cours des années 1920, qui pourraient aussi être à l’origine de la venue d’Elisa, un article d’un journal guadeloupéen souligne ceci :

[Le] commandant Reynaud qui était venu recruter chez nous des bonnes de 20 à 30 ans pour les commodités des familles bourgeoises de la métropole a déclaré ne désirer que des bonnes au teint clair. Il frappait ainsi comme d’ostracisme celles qui n’[avaient] pas eu l’heur de venir au monde par la porte du métissage. La pureté de leur marque de fabrique trop ébène était devenue un vice pour l’occasion[29].

Dans le portrait d’Elisa, il n’est pas fait mention de la ou des personnes qui l’emploient ni, finalement, de la manière dont se reproduit dans une migration en contexte colonial sa position sociale inférieure en tant que femme noire ou du fait qu’il est difficile pour une femme noire pauvre de s’en sortir. Paulette Nardal souhaite néanmoins, en rapport avec son adhésion à l’Union féminine civique et sociale (UFCS), améliorer la profession d’employée de maison, élément qu’elle tentera de mettre en oeuvre à la Martinique.

De l’influence de l’Union féminine civique et sociale à une transposition dans une réalité martiniquaise

C’est au cours de cette seconde période en France que Paulette Nardal, profondément croyante, se rapproche de l’UFCS. Cette association a été fondée en mars 1925 par Andrée Butillard. Militante du catholicisme social, elle incite alors les femmes catholiques, surtout celles qui sont issues de la bourgeoisie, à s’engager pour améliorer la situation et le statut des femmes en France ainsi que dans ses colonies. Elle a oeuvré notamment pour la formation d’une élite féminine, poussé à la syndicalisation des ouvrières de même que favorisé les rencontres et les échanges entre femmes de milieux sociaux différents (Rollet 1960). Si l’UFCS est devenue non confessionnelle à partir de 1965, cette association a pour objectif durant les années 1920 et 1930 d’« étudier et [de] promouvoir, à la lumière de la Doctrine Sociale Catholique les réformes civiques et sociales nécessaires[30] ». Ses actions sont focalisées avant la Seconde Guerre mondiale sur le retour de la femme, de la mère au foyer. Reconnaissant l’importance de la famille comme fondement de la société, l’UFCS s’intéresse aux services domestiques.

L’attention accordée au personnel de maison s’inscrit dans un contexte plus global, pendant l’entre-deux-guerres en France, de questionnements autour d’une crise de la domesticité (baisse des effectifs, manque d’un personnel formé, exigences salariales, etc.). Dans une approche chrétienne, l’UFCS ne croit pas qu’il faille travailler uniquement dans l’intérêt de la personne qui en emploie une autre. Selon cette association, la domesticité est une question sociale. Il convient aussi de (re)valoriser le métier et la personne même de l’employée ou de l’employé de maison, en montrant qu’ils sont associés à l’équilibre, au bon fonctionnement d’un foyer. Encadrer les services domestiques permet de toucher à la place des femmes dans le monde du travail dans un contexte de chômage féminin en hausse, d’influer sur des aspects moraux par la formation tirée des cours d’arts ménagers. En 1938 naît, au sein de l’UFCS, l’Union familiale des maîtres et maîtresses de maison (UFM). Celle-ci « poursuit une meilleure organisation du service familial et, dans ce but, étudie toutes les questions intéressant la vie domestique, les rapports avec les serviteurs, tant au point de vue des conditions de travail que de la moralité et de la dignité des personnes[31] ». Les mouvements catholiques comme l’UFCS ou la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF) cherchent pendant cette période à faire reconnaître les spécificités d’une profession exercée au sein des maisons, largement ignorée dans la législation du travail. Dans l’esprit d’une collaboration entre les maîtres et maîtresses de maison et le personnel de maison, l’UFM se mobilise pour établir des conventions collectives de travail (Puech 2021).

Bien qu’il reste à apprendre des conditions de son adhésion, Paulette Nardal est membre de l’UFCS. C’est « une des actives, animatrice dévouée de la Commission de compréhension des races de l’UFCS[32] ». Elle participe aux congrès annuels nationaux, où elle expose sur la situation des femmes aux Antilles et en Afrique. À celui de 1935, elle « montre la nécessité d’une action sociale catholique urgente aux Antilles et éveille l’espoir d’y introduire l’Union Féminine[33] ». L’UFCS est en fait implantée à la Martinique par le père Delawarde[34], mais c’est Paulette Nardal qui lui donne une dimension importante à son retour. Grièvement blessée en octobre 1939 (le navire sur lequel elle se trouvait a été torpillé par un sous-marin allemand), Paulette Nardal réside à partir de 1940 à la Martinique. Elle y matérialise sa vision des femmes et de leur rôle dans la société, notamment par la création en décembre 1944 du RF[35], groupement d’information et d’action civique et sociale, branche martiniquaise avec des nuances de l’UFCS. Dans le programme d’action du RF, il y a onze commissions de travail. Paulette Nardal anime la commission n° 10, dénommée « Coordination, propagande et presse ». La commission n° 6 porte sur les questions ménagères et la domesticité[36]. Lors du premier éditorial de la revue La Femme dans la cité, support du RF, Paulette Nardal confirme que cette thématique revêt à ses yeux un aspect important. Elle écrit à ce sujet :

[P]ourtant point n’est besoin d’études compliquées pour connaître certains problèmes qui s’imposent journellement à l’attention de la femme, celui de la domesticité, par exemple? C’est pourquoi joignant l’acte à la parole, nous avons fondé un Cours d’Enseignement ménager pour les domestiques dont l’ouverture est fixée à ce jour et une Association de Maitresses de Maison[37].

Les objectifs de la commission de travail sont aussi présentés dans le premier numéro : « nous voulons créer une jeunesse consciente aussi bien de ses devoirs que de ses droits en même temps qu’une patronne plus compréhensive et plus soucieuse des besoins de ces gens… ce sera l’oeuvre de la commission des maîtresses de maison en étroite collaboration avec celle des servantes[38] ». Le RF reprend ici l’argumentaire de l’UFCS au moment de la création de l’UFM. Cependant, la réalité est plus complexe, car entre en jeu la nature même de la relation qui s’établit entre patronat et membres du personnel et les représentations d’une autre femme. Si le RF entend travailler pour toutes les Martiniquaises, il s’est constitué dans un rapport de classe sociale. La cotisation annuelle est de 200 francs pour les membres actifs, avec un supplément de 5 francs pour ceux et celles qui veulent adhérer à l’association des maîtresses de maison[39]. Paulette Nardal souligne, dans une présentation du RF, que leurs « dirigeantes sont recrutées pour la plupart dans le monde enseignant et comptent quelques femmes aisées sans profession[40] ». De fait, la collaboration affichée se révèle difficilement réalisable, d’autant plus que les employées de maison n’ont pas de structures représentatives. Bien que le RF demande à ses membres de ne pas faire état de leurs convictions religieuses (article 7 de ses statuts), on retrouve probablement un idéal chrétien, mais l’appellation même d’« association des maîtresses de maison » pose question sur une possible égalité entre patronnes et domestiques. Elle est d’autant plus mal engagée qu’à travers la formation aux cours d’arts ménagers, il y a un discours ambigu sur le métier. Les employées doivent aimer ce qu’elles font, mais les phrases utilisées, comme « réhabiliter le métier à leurs yeux », « pas de déshonneur à remplacer les maîtresses de maison »[41], rappellent que des femmes socialement moins élevées font ce que d’autres femmes plus aisées ne veulent pas faire. Le but des cours d’arts ménagers est de « former l’élite de la profession ménagère[42] ». Au profit de qui?

Le RF opère en fait dans une société martiniquaise où la transformation d’une colonie en département le 19 mars 1946 n’a pas abouti à des changements radicaux. Les écarts de revenus et de conditions de vie déjà mesurés du temps de la colonisation perdurent. L’historien Jean-Pierre Sainton (2012 : 177) rappelle que, de 1946 à 1954, le groupe des petits revenus auquel appartiennent les employés et les employées de maison représentent 80 % de la population (environ 70 000 personnes), tandis que celui des gros revenus, où l’on trouve notamment les fonctionnaires et les propriétaires de plantation, est formé d’à peu près 20 000 personnes, soit 20 % de la population. Le développement souhaité des services domestiques maintient, d’une part, ces Martiniquaises dans la précarité, d’autant plus en raison des lenteurs de l’introduction de la législation sociale (Terral 2014 : 16) :

Jusqu’à la fin des années 1960, peu de personnes bénéficiaient d’une assurance sociale et l’accès au régime général restait limité à ceux qui disposaient d’un emploi déclaré. Les domestiques et les ouvriers agricoles étaient exclus du régime de protection sociale car la majorité des emplois dépendait encore de la canne à sucre et de ses rythmes imposés. La législation sociale métropolitaine ne s’adaptait guère au caractère journalier ou saisonnier du travail domestique et agricole issu de l’économie de plantation.

Les services domestiques, d’autre part, concernent surtout les femmes pauvres noires. On trouve donc des rapports de domination empreints de race et de classe dans la société postcoloniale. Pour sa part, Jacqueline Couti (2018 : 136; notre traduction) souligne déjà à propos d’Elisa que « Nardal ne se focalise pas sur le sort de cette négresse martiniquaise défavorisée dans le but premier de dénoncer les inégalités raciales et socio-économiques […] Avec le portrait d’Elisa, la vision de la féminité de Nardal, bien que moins élitiste que celle de Lacascade, ne consiste pas à donner du pouvoir aux pauvres négresses ». Si nous n’avons pas d’indications sur la date de cessation des activités de l’association des maîtresses de maison, la création dans un temps postérieur très court du Syndicat des employeurs de gens de maison montre la place occupée par la question des services domestiques à la Martinique. Dans l’un des derniers numéros de La Femme dans la cité en 1951, une page pleine est consacrée au thème « ménage et domesticité », avec comme sous-titre « Les femmes martiniquaises réclament l’institution d’un cours démocratique d’art ménager où sont formées de vraies domestiques[43] ». Satisfaction leur est donnée durant les années 1960 pour qu’elles s’occupent de leurs intérêts avec la création du Syndicat des employeurs de gens de maison, dans lequel s’engage Paulette Nardal en tant que secrétaire.

Ainsi, Paulette Nardal rend compte en 1964 d’une « crise » de la domesticité à la Martinique, allant même jusqu’à révéler sa propre expérience : « Nombre de maîtresses de maison comprendront ce que j’entends par là[44]. » Il manque à ce jour des informations sur sa situation personnelle. En raison de lourdes séquelles, conséquences de son accident de 1939, Paulette Nardal pourrait en effet avoir du personnel de maison à son service[45]. Elle signe plusieurs articles sur la « question domestique à la Martinique[46] » dans le journal catholique La Paix. Elle y aborde, entre autres, la difficulté de recrutements, des aides-ménagères qui ne savent pas rester à leur place, des employeurs ou des employeuses qui manquent de charité. Ses propos marqués par sa foi rappellent l’influence de l’UFCS et les ambitions déjà formulées par le RF. Paulette Nardal aspire à changer les relations entre les parties, à redorer l’image de la profession domestique et à lui donner un véritable statut en obtenant la signature de conventions collectives. En janvier 1964, elle estime qu’il y a « l’urgence de la création d’une Association des Maîtresses de maison[47] ». Cinq mois plus tard a lieu à Fort-de-France la réunion constitutive du Syndicat des employeurs de gens de maison, dont le siège se trouve dans la maison familiale des Nardal du 83, rue Schoelcher[48]. Sa création rapide le 4 juin 1964 révèle les changements d’une société martiniquaise plongée dans une profonde crise économique et sociale depuis le milieu des années 1950. La déstructuration progressive de l’économie avec un secteur sucrier en déclin provoque un chômage important et un exode rural vers Fort-de-France. Devant une situation tendue marquée par des affrontements violents avec les forces de l’ordre lors des grèves ou des événements de décembre 1959, des tensions raciales avec des fonctionnaires venus de l’Hexagone ou de l’Afrique du Nord ainsi que de nouvelles revendications politiques visant l’autonomie, voire l’indépendance, de l’île, une des réponses du gouvernement est l’introduction de l’émigration comme effet de levier du développement économique et social. En 1963 est officiellement mise en place une politique d’émigration qui concerne la jeunesse martiniquaise, à travers le Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer (BUMIDOM).

Et c’est dans ce contexte que le Syndicat des employeurs de gens de maison relaie les inquiétudes des familles qui peuvent embaucher des domestiques de ne plus trouver de jeunes filles (particulièrement des campagnes), celles-ci voyant plus d’espoir financièrement et socialement à partir vers la France qu’à s’engager comme employée de maison à la Martinique. La question « Le BUMIDOM veut-il nous priver de tout service domestique[49]? » est inscrite à l’ordre du jour de la réunion du 19 novembre 1964. Paulette Nardal publie même un article à ce sujet intitulé « L’exode des aide-ménagères. Alerte au B.L.U.M.I.D.O.M[50] ». Ce syndicat est aussi un moyen de mettre au jour des rapports de genre, de classe, de race.

Contrairement à l’UFM, qui compte des hommes dans son conseil et souhaite leur participation à l’organisation familiale, le Syndicat des employeurs de gens de maison est féminin dans sa composition. Il vise principalement à préserver les intérêts des femmes noires et mulâtresses de la classe moyenne car, comme l’écrit Paulette Nardal, « il se produit en ce moment une mutation, un changement dans les moeurs, les habitudes, inconsciemment provoqué par le groupe important des maîtresses de maison métropolitaines[51] ». Leur manière d’appréhender les services domestiques désorganise l’offre et la demande dans ce secteur, influe sur les comportements et les exigences des aides-ménagères martiniquaises. À la réunion du Syndicat des employeurs de gens de maison, on rappelle par exemple que « certains métropolitains, il faut bien le dire, versent à leurs employées mensuellement des sommes dépassant les rétributions du cadre local[52] ». Paulette Nardal évoque aussi dans un article « des habitudes que leur laissent prendre certains employeurs métropolitains[53] ». Ce sont finalement les rapports entre femmes mulâtresses et noires des classes aisées et femmes noires pauvres qui sont bouleversés. Si Paulette Nardal, comme d’autres, se dit consciente du désir de promotion sociale, de l’attrait de la France, elle entend maintenir une partie de ces femmes dans ce secteur d’activité.

Tout en critiquant le BUMIDOM, le Syndicat des employeurs de gens de maison souhaiterait d’ailleurs être sur place un partenaire du gouvernement dans la formation des aides-ménagères. Finalement, ce syndicat, auquel ont aussi adhéré d’autres membres de la famille Nardal (Lucy Nardal, Alice Eda-Pierre), apparaît comme conservateur. Son comité, constitué de quinze personnes dont Paulette Nardal, envisage tout un programme d’action pour l’année 1965, d’une grande manifestation en janvier à l’utilisation des médias, en passant par la création d’une revue « agrémentée de chants et de danses, qui, dans une série de sketches, présenterait au public toute la vie domestique de notre pays. Cette revue serait d’ailleurs intitulée la Comédie domestique en Martinique[54] ».

Conclusion

Paulette Nardal est une femme aux multiples facettes, dont le parcours semble être dicté autant par un caractère singulier que par sa condition de femme dans une Martinique coloniale et postcoloniale. Elle ne se conforme pas totalement aux attentes de son milieu, là où d’autres femmes auraient suivi une existence sans doute tracée sur la base d’une position sociale et d’un bagage suffisant à cette époque pour se réaliser. Aborder la question de la domesticité dans ses activités montre néanmoins les élans et les contradictions d’une femme noire, bourgeoise, elle-même aux prises avec une situation racisée. Si ses convictions religieuses l’amènent à montrer un intérêt pour le sort des domestiques, elle semble bien plus préoccupée par le fait que les bourgeoises aient besoin de domestiques que de permettre à ces dernières de sortir de leur condition. Même les cours d’arts ménagers préconisés paraissent davantage viser à procurer des domestiques efficaces qu’à faire évoluer leur situation. C’est un élément d’un héritage complexe, qui n’est pas en opposition avec la construction d’une figure du féminisme antillais opérée en France. La contextualisation depuis la Martinique, période la plus longue de la vie de Paulette Nardal, qui reste encore à découvrir, apporte en fait des compléments d’information. Un des enjeux de l’écriture des féminismes noirs se situe aussi à ce niveau. Dans la perspective d’introduire cette thématique dans une histoire plus globale des féminismes, les études ont principalement mis en avant jusqu’à ce jour les actions d’une élite sociale et intellectuelle féminine martiniquaise, antillaise. Parler ici des domestiques contribue au sein d’une histoire des féminismes noirs à rendre aussi visibles toutes les femmes.