Abstracts
Résumé
En vertu de l’article 56 (ex-article 63) de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), certains États parties possédant des territoires ultramarins, peuvent par déclaration expresse, y étendre de manière transitoire, temporaire ou permanente les effets juridiques de ce texte. L’extension du champ d’application de la Convention peut donner lieu à un aménagement, au regard des droits garantis d’une part, et des procédures de saisine des organes de contrôle de la Convention d’autre part, l’introduction du Protocole n° 11 instaurant une cour unique, n’ayant pas modifié cette possibilité. Dans l’espace Caraïbe-Amériques, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont pu faire un usage de cette clause territoriale, plaçant ainsi leurs dépendances dans une situation variable, au gré de leurs diverses déclarations. Oscillant entre intériorité et extériorité vis-à-vis du droit de la CEDH, les territoires ultramarins de l’espace Caraïbe-Amériques se retrouvent en conséquence, dans le cadre d’un régime juridique différencié justifié par l’existence de « nécessités locales », mais dont la signification et la portée restent encore à préciser. L’analyse du champ d’application territoriale de la Convention à l’égard des territoires ultramarins de l’espace Caraïbe-Amériques, met donc en évidence toute l’ambiguïté de ce texte dont la Cour assure certes, une interprétation dynamique, mais néanmoins assujettie au formalisme de l’article 56.
Abstract
By virtue of Article 56 (ex-Article 63) of the European Convention on Human Rights (ECHR), some States Parties possessing overseas territories may, by express declaration, extend there in a transitional, temporary or permanent manner, the legal effects of this text. The extension of the scope of application of the Convention, may give rise to an adjustment, with regard to the rights guaranteed, on the one hand, and to the procedures for referral to the control bodies of the Convention, on the other hand, the introduction of Protocol n° 11 establishing a single court, not having modified this possibility. In the Caribbean-Americas area, France, the United Kingdom and the Netherlands were able to make use of this territorial clause, thus placing their dependencies in a variable situation, according to their various declarations. Oscillating between interiority and exteriority vis-à-vis the law of the ECHR, the overseas territories of the Caribbean-Americas area find themselves consequently, within the framework of a differentiated legal regime justified by the existence of "local necessities", but whose meaning and scope have yet to be clarified. The analysis of the territorial scope of application of the Convention with regard to the overseas territories of the Caribbean-Americas space therefore highlights all the ambiguity of this text, of which the Court certainly provides a dynamic interpretation, but nevertheless subject to the formalism of Article 56.
Resumen
En virtud del artículo 56 (antes artículo 63) de la Convención Europea de Derechos Humanos (CEDH), algunos Estados parte que tienen territorios ultramarinos pueden, por declaración expresa, extender a esos territorios los efectos jurídicos del texto, de manera transitoria, temporaria o permanente. La extensión del campo de aplicación de la Convención puede producir una ordenación, en lo que concierne, de una parte, los derechos garantizados y, de la otra, la presentación de demandas frente a los cuerpos de control de la Convención, ya que la introducción del Protocolo n° 11 que establece una corte única, no modifica esta posibilidad. En el área Caribe-América, Francia, el Reino Unido y los Países Bajos pudieron usar esta cláusula territorial, sometiendo sus dependencias a estas declaraciones, en una situación cambiante. Oscilando entre inferioridad y exterioridad frente al derecho de la CEDH, los territorios ultramarinos del área Caribe-América se encuentran entonces en un marco jurídico diferente, el cual que se puede justificar por la existencia de “necesidades locales” pero al cual es necesario precisar su significación y su alcance. El análisis del campo de aplicación territorial de la Convención con respeto a los territorios ultramarinos en el área Caribe-América pone adelante las ambigüedades del texto, del cual la Corte asegura, sin dudas, una interpretación dinámica, pero que sigue sin embargo sujeto al formalismo del artículo 56.
Article body
Évoquer la question des droits de l’homme en relation avec les territoires dépendants de certains États européens, c’est aborder, entre autres, l’application dans ces territoires, des conventions relatives aux droits de l’homme acceptées et ratifiées par lesdits États. Parmi ces territoires non indépendants ou non autonomes[1] dont la caractéristique commune est de ne pas disposer de la souveraineté, certains, diversement appelés colonies[2], territoires d’outre-mer, territoires ultramarins ou d’autres encore, se distinguent notamment, par leur éloignement géographique, leur degré de subordination et/ou d’autonomie vis-à-vis de leurs États de rattachement[3]. En tout état de cause, quel que soit leur degré d’autonomie, ces territoires sont englobés dans la personnalité internationale unique de l’État dont ils font partie ou auquel ils sont rattachés[4].
L’analyse de l’application à leur égard des conventions relatives aux droits de l’homme, et plus largement, des accords internationaux[5], renvoie en conséquence à la problématique du champ d’application territoriale de ces textes et interroge sur le point de savoir si ces territoires se trouvent dans une situation d’intériorité ou d’extériorité vis-à-vis de ces conventions. En effet, si de nombreuses conventions générales prévoient des clauses relatives à l’étendue géographique des engagements souscrits, cette question, examinée sous l’angle des conventions relatives aux droits de l’homme, quoique plus résiduelle et paradoxale, n’en demeure pas moins importante. Elle induit d’une part, une réflexion sur la place particulière de ces territoires ou la reconnaissance à leur égard d’un régime différent par rapport aux autres entités territoriales de l’État partie et, d’autre part, interpelle sur la singularité de telles clauses corrélativement à l’objet de ces conventions.
La question prend une dimension particulière à l’aune de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la CEDH ou la Convention)[6] signée dans le cadre du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953 et au sein de laquelle certains États contractants ont gardé des liens plus ou moins étroits avec des territoires ultramarins. En effet, la CEDH prévoit à l’article 63 de la version initiale, une clause, autrement dénommée clause territoriale, clause d’extension territoriale ou de manière plus controversée, clause coloniale[7], qui détermine les conditions dans lesquelles les parties contractantes peuvent mettre en oeuvre, dans leurs dépendances, les droits et garanties énoncés. Aucune disposition similaire ne semble exister dans les principales conventions des Nations Unies relatives aux droits de l’homme[8] ou dans les autres conventions régionales des droits de l’homme[9]. La révision de la CEDH par le Protocole n°11 du 1er octobre 1998[10], maintient à l’article 56 cette clause, sans pour autant que son opportunité ou son actualité ne soient remises en cause.
En tout état de cause, la détermination du champ d’application territoriale de la CEDH à l’égard des territoires ultramarins doit s’appréhender à la lumière d’un universalisme situé[11], dont les soubassements axiologiques trouvent leur origine dans la philosophie politique occidentale inscrite notamment dans les textes issus des révolutions britannique, française et américaine[12]. La Convention s’inscrit également dans un contexte géopolitique singulier, marqué par la colonisation ou la guerre froide[13], ce que révèlent les débats au moment des négociations et justifie l’introduction dans le texte, d’une lex specialis pour les territoires couverts par cette clause.
Au titre des territoires concernés, les territoires ultramarins de l’espace Caraïbe-Amériques, qui présentent une mosaïque de statuts et de degrés d’autonomie diversifiés et sont historiquement imprégnés d’une tradition particulière des droits de l’homme[14], constituent un cadre d’analyse intéressant. Leur liste a profondément évolué depuis 1950[15], et désormais sont formellement visées, les dépendances ultramarines :
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Françaises, à savoir, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Martin, Saint Barthélemy;
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Britanniques à savoir, Anguilla, les Bermudes, les îles Caïmans, Montserrat, les îles Turks et Caicos, et les Îles Vierges britanniques;
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Néerlandaises à savoir, Aruba, Curaçao, Sint Marteen, Bonaire, Saba, et Saint-Eustache.
En vertu de l’article 56, les États parties peuvent, par le truchement d’une déclaration expresse, y étendre les effets de la Convention de manière transitoire, temporaire ou définitive, plaçant ainsi les territoires ultramarins de l’espace Caraïbe-Amériques dans une situation juridique ambiguë, évoluant au gré des déclarations effectuées par leurs États de rattachement. De fait, l’application de la Convention à leur égard apparait comme étant à géométrie variable, créant tantôt une situation d’exclusion relative, tantôt en revanche, une situation plus ou moins modérée d’inclusion.
I. Une application différenciée de la CEDH dans les outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques – une extériorité relative
L’article 56 pose un droit d’option en faveur des parties contractantes qui souhaitent appliquer la Convention à l’égard de certaines fractions de leurs territoires. C’est précisément le cas des territoires dont les États parties assument les relations internationales, et singulièrement leurs territoires ultramarins. L’option ainsi prévue met d’emblée lesdits territoires dans une situation de différenciation, l’application de la Convention y étant soumise à un formalisme exclusif (A). Dans l’espace Caraïbe-Amériques, cet impératif a donné lieu à des modalités de mise en oeuvre variées (B).
A. Le formalisme de l’article 56 de la CEDH : une extension territoriale conditionnée
L’article 56 pose les conditions de l’extension de la Convention dans les territoires ultramarins en général, y inclut les territoires ultramarins de l’espace Caraïbe-Amériques. Outre l’exigence de la déclaration expresse d’extension (1), il accentue la divergence en organisant des modalités spécifiques d’entrée en vigueur du texte dans ces territoires (2).
1. L’exigence préalable d’extension territoriale de la CEDH aux outre-mer
En vertu de l’alinéa 1 de l’article 56,
[les États peuvent] au moment de la ratification ou à tout autre moment par la suite, [notifier] au Secrétaire général du Conseil de l’Europe que la Convention s’appliquera […] à tous les territoires ou à l’un quelconque des territoires dont ils assurent les relations internationales[16].
Une telle disposition a pu engendrer de nombreuses discussions tant au sein de la doctrine qu’au moment de la rédaction de la Convention. En effet, lors des négociations, le Sous-comité des droits de l’homme fut le lieu d’intenses débats entre les différentes délégations, le rapport final de cet organe au Comité des ministres du Conseil de l’Europe laissant transparaitre l’impossibilité de parvenir à une formule de consensus à propos de la clause territoriale[17]. Ce dernier, sous l’influence notamment du représentant du Royaume-Uni arguant de difficultés juridiques et constitutionnelles vis-à-vis de ses territoires situés outre-mer[18], opta finalement pour une formule proche de la version finale de l’article 56 (ex-art. 63)[19].
Le passage du texte devant l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe fut également l’occasion de vifs débats, portant non seulement sur le caractère facultatif de ses dispositions[20], mais plus largement sur l’opportunité d’une telle clause dans un traité relatif aux droits de l’homme. Ainsi, le représentant de la France, M. Silvandre, lors d’une séance le 16 août 1950, invoqua en ces termes, l’opposition de la République française à un tel article :
Nous sommes d’autant plus à l’aise pour nous opposer à une telle disposition que la Constitution de la République française confère les mêmes droits et les mêmes libertés à tous les citoyens de l’Union française et les place sur un pied d’égalité profonde, mais, nous plaçant sur le plan plus élevé des principes, nous voulons signaler à cette Assemblée combien une telle disposition est anormale dans une pareille convention […].
Nous ne pouvons, pour notre part, accepter que l’idéal européen des Droits de l’homme ne soit pas universel. Cela nous paraît contraire à cet idéal même de l’Europe, aux traditions de l’humanisme européen. Si la Déclaration des Droits de 1789 a tant retenti dans le monde, je pense que c’est en raison de son caractère universel et parce qu’à une époque où régnaient encore l’esclavage et la servitude elle a su proclamer des principes immortels. Nous pensons donc que ceux qui sont chargés de construire l’Europe doivent proclamer des principes analogues et, comme l’a dit notre collègue, M. Édouard Bonnefous : « pour faire l’Europe, il faut défendre une certaine conception de l’homme »[21].
Plus radicale encore est la position de Léopold Sédar Senghor, lors de la présentation du texte devant l’Assemblée consultative, le 25 août 1950. En effet, le représentant de la France proposa un amendement visant à supprimer l’article 63 de la CEDH au motif qu’un tel article, outre le fait de constituer une « séquelle du pacte colonial »[22] et de constituer, au plan moral, « une offense à la dignité des peuples d’outre-mer »[23], établit des discriminations entre les territoires soumis aux juridictions des États, en violation des articles 1 et 14 de la Convention. À cet égard, il faut bien observer que l’article 14 de la CEDH, tout en s’inspirant de l’article 2 de la Déclaration des Nations Unies de 1948 (DUDH), s’en écarte précisément au regard de ladite clause territoriale[24].
Une telle observation est valable pour la Déclaration américaine des droits de l’homme[25] qui ne comporte pas de clause territoriale. Pour autant, si la position de M. Senghor fut adoptée à l’unanimité des membres de l’Assemblée[26], le texte de l’article 63 fut néanmoins réintroduit lors de la sixième session du Comité des ministres des 3 et 4 novembre 1950, avec une inversion des paragraphes 3 et 4. L’entrée en vigueur du Protocole n°11 entraina une renumérotation de celle-ci, ce qui explique que l’article 63 soit désormais l’article 56.
Le choix d’insérer une clause d’extension territoriale dans un instrument tel que la CEDH témoigne de la prégnance de l’histoire coloniale de l’Europe, et est la traduction juridique d’une vision philosophique et politique de l’homme, de ses droits et de leur nécessaire protection, vision forgée par l’histoire de la pensée et des combats politiques en Europe. Pour autant, elle renvoie également à des questionnements sur le sens et la portée de cette clause.
Ainsi, à titre d’illustration, les discussions autour de l’automaticité de la Convention dans les territoires concernés[27] ont entrainé de nombreuses controverses, au moment de la rédaction de celle-ci. Les avis étaient partagés entre ceux qui considéraient que la Convention devait s’appliquer automatiquement à tous les territoires, sauf situation particulière, et ceux qui estimaient qu’elle ne devrait s’appliquer qu’aux territoires métropolitains avec possibilité d’extension aux autres territoires, après déclaration expresse[28]. La doctrine de son côté, soulignant la tradition d’utilisation de ce type de clause au sein du Conseil de l’Europe[29], a pu estimer que l’article 63 ne s’appliquait qu’aux territoires autonomes, mais que la Convention devait être considérée comme s’appliquant automatiquement aux territoires non autonomes. Cependant, et comme l’observe l’auteur M. Wood, cette conception ne trouve aucune base ni dans le texte de l’article ni dans la jurisprudence des organes de la Convention et elle est contraire à la pratique engendrée par celle-ci[30]. En effet, et en réalité, que ces territoires soient autonomes ou non importe peu, l’article 63 fait simplement référence aux territoires dont l’État de rattachement assure les relations internationales[31]. Cette dernière expression a d’ailleurs conduit à considérer que la formule de l’article 63 excédait la traditionnelle « clause coloniale », dans la mesure où elle ne concernait pas seulement les territoires situés outre-mer, mais tous les territoires dépendants[32].
La portée de la clause territoriale a aussi donné lieu à des clarifications de la part des organes de contrôle de la Convention par ailleurs confrontés à des arguments justifiant l’extension territoriale nonobstant l’absence de déclaration telle qu’exigée par l’article 63. C’est d’abord la Commission qui, dans une affaire où les requérants soutenaient que la Convention et le Protocole n°1 s’appliquaient au Congo belge dans la mesure où ce dernier « faisait partie intégrante du territoire national », rejette l’argument en relevant qu’il allait à l’encontre de la conception officielle des autorités belges et du sens naturel et ordinaire de l’expression[33]. La Cour, de son côté, repousse tout argument tendant à considérer la clause d’extension accessoire à partir du moment où l’article 1 de la CEDH prévoit une application du texte à toute personne relevant de la juridiction des États contractants[34] et donc a fortiori aux habitants des territoires outre-mer[35]. Consciente du caractère suranné de la clause d’extension territoriale, elle n’a pu cependant que constater ses limites face à cette exigence estimant que si la « situation a considérablement changé depuis le moment où les Parties contractantes ont rédigé la Convention, y compris l’ancien article 63 […] »[36], elle ne peut pas réécrire les dispositions contenues dans la Convention. Si les États contractants souhaitent mettre un terme au système des déclarations, cela ne peut être possible que par un amendement à la Convention auquel ces États souscrivent et qui témoignent de leur accord par la signature et la ratification[37].
De la sorte, le système des déclarations demeure pertinent s’agissant des outre-mer, l’article 56 prévoyant par ailleurs des conditions spécifiques pour l’entrée en vigueur de la Convention.
2. La conditionnalité requise pour l’entrée en vigueur de la CEDH dans les Outre-mer
En vertu de l’article 56 paragraphe 2, la Convention entre en vigueur dans les territoires concernés par la clause territoriale, trente jours suivant réception par le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la notification d’application territoriale, ce qui les place dans une situation différente des parties contractantes pour lesquelles, la Convention entre en vigueur « dès le dépôt de l’instrument de ratification »[38].
Une telle disparité, y compris en tenant compte des conditions particulières des années cinquante, est difficilement justifiable[39]. Les travaux préparatoires n’apportent sur cette question aucun éclairage, les diverses versions présentées devant les instances du Conseil de l’Europe témoignant de l’existence de cette précision. Il est par ailleurs à signaler que cette spécificité, au demeurant discriminatoire, n’existe pas concernant les Protocoles n°1 et n°4 (relatifs à l’introduction de nouveaux droits dans la CEDH), les articles 4 et 5 relatifs à l’application territoriale, renvoyant simplement au paragraphe 1 de l’article 56 de la CEDH[40]. Pareille omission pourrait laisser supposer dès lors que ces protocoles s’appliquent dans lesdits territoires dès réception par le Secrétaire général de la notification d’extension territoriale. Cette observation est cependant minorée par la lecture des articles 5 et 6 des protocoles susmentionnés, relatifs aux « relations avec la CEDH » en vertu desquels les droits énoncés sont considérés comme additionnels à la CEDH, et que « toutes les dispositions de la Convention s’appliqueront en conséquence ». Cette précision permet dès lors de considérer que l’absence expresse de renvoi au paragraphe 2 de l’article 56 est comblée par cette disposition.
Une autre approche doit en revanche être réservée aux Protocoles n°6 concernant l’abolition de la peine de mort et n°7 (certains droits non encore garantis par la CEDH) à l’égard du délai d’entrée en vigueur. En effet, ces deux protocoles éliminent toute différence entre les parties contractantes et les territoires dont ils assurent les relations internationales, ce qui semble plus conforme à la perception que l’on pourrait avoir d’un instrument relatif aux droits de l’homme[41]. C’est également le parti pris des protocoles ultérieurs[42].
Selon le principe du parallélisme des formes, les dispositions relatives à la fin d’application de la Convention dans les territoires dépendants présentent également quelques éléments d’analyse intéressants. Deux hypothèses peuvent justifier une telle cessation : soit la Haute Partie contractante dénonce la déclaration d’extension territoriale, soit elle cesse d’assurer les relations internationales en lieu et place du ou des territoire(s) concerné(s). Les deux cas de figure ont pu être utilisés par les parties contractantes[43].
En tout état de cause, s’agissant des territoires de l’espace Caraïbe-Amériques, l’utilisation de la clause d’extension territoriale a donné lieu à des modalités de mise en oeuvre hétérogène.
B. La mise en oeuvre de la CEDH dans les outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques : une application territoriale hétérogène
Comme les autres territoires dépendants des autres espaces, l’espace Caraïbe-Amériques fut le lieu de mise en oeuvre des dispositions de l’article 56, la pratique des États contractants montrant une utilisation progressive et irrégulière de la clause (2). Cette disparité s’explique notamment par la faculté laissée aux États de recueillir au préalable le consentement des autorités locales et d’invoquer la clause des « nécessités locales » (1).
1. Le consentement des autorités territoriales concernées et la clause des « nécessités locales »
L’un des buts des clauses d’application territoriale est de permettre aux États adhérant à un traité et, ayant en sus de leur territoire métropolitain des dépendances ou des territoires distincts, de tenir compte des voeux de ces derniers[44].
Cet objectif s’inscrit dans la philosophie de la « mission civilisatrice » destinée à respecter l’orientation de la politique coloniale des États responsables[45]. La règle de droit a ainsi formalisé une situation sociopolitique variable au sein des États européens disposant de territoires dépendants. En réalité, si le texte de l’article 56 ne mentionne pas expressément le recours à la consultation préalable des autorités territoriales, les travaux préparatoires reflètent en revanche clairement ces préoccupations. Précisément, l’avant-projet de convention en date du 15 février 1950 comportait un article 42 stipulant :
La présente Convention ne s’appliquera à tout territoire des Hautes Parties contractantes, disposant d’une compétence propre dans le domaine visé par la présente Convention, que lorsque le consentement des autorités qualifiées de ces territoires aura été obtenu. S’il y a lieu, les Hautes Parties contractantes responsables de ces territoires s’efforceront d’obtenir ce consentement[46].
Cette disposition sera progressivement affinée, voire amendée lors des discussions au Comité des ministres, notamment. L’argument du Royaume-Uni, invoquant l’impossibilité de ratifier la Convention sans avoir au préalable pris l’avis et obtenu l’accord des gouvernements des colonies, l’emporta, la formule de consensus retenue consistant à introduire in fine le paragraphe 3 de l’actuel article 56 relatif aux nécessités locales[47]. En effet, en vertu de cette disposition, les États contractants peuvent moduler l’application de la Convention, la référence aux nécessités locales permettant d’« adapter les normes de la Convention au niveau de civilisation différent qui, dans l’esprit des rédacteurs de la Convention, prévaut dans les territoires d’outre-mer »[48]. Bien plus, cette clause des « nécessités locales », qui permet à une partie contractante d’exclure partiellement ou totalement ses territoires dépendants des bénéfices ou des charges de la Convention, relève de la seule responsabilité des États concernés une fois admis les effets de cette dernière, et induit une analyse sur la nature d’une telle disposition. Cette étude prend une dimension particulière à l’aune de la situation par exemple de la France, qui mentionne systématiquement la condition des nécessités locales dans sa déclaration d’extension de la Convention.
La doctrine est assez nuancée vis-à-vis de ces clauses, les assimilant à des réserves (autorisées ou non)[49], ou à des déclarations interprétatives, ce qui de ce dernier point de vue apparait comme superfétatoire, la clause des nécessités locales étant consubstantielle à toute extension de la CEDH outre-mer[50] et ne nécessitant pas de déclaration expresse, comme c’est le cas de la décision d’extension de la Convention. Une telle approche est en revanche moins sure concernant les protocoles de la Convention[51]. En tout état de cause, les organes du Conseil de l’Europe, pour leur part, plus qu’une analyse de la nature juridique de la clause, en retiennent les motivations sous-jacentes, à savoir le bénéfice au profit des territoires dépendants. Ainsi, la Commission européenne, dans une affaire opposant la Chypre à la Turquie, a pu souligner que
le but de l’article 63 est non seulement l’extension territoriale de la Convention, mais aussi son adaptation au degré d’autonomie atteint par tels ou tels territoires non-métropolitains et aux différences socio-culturelles qu’ils présentent; l’article 63 (3) confirme cette interprétation[52].
De son côté, la Cour, dans les premières affaires où la clause des nécessités locales a été évoquée, a pu d’une part en faire une application stricte, et relever, d’autre part, que
le système instauré par l’article 63 tendait pour l’essentiel à répondre au fait qu’au moment où l’on a rédigé la Convention il était encore des territoires coloniaux dont le niveau de civilisation ne permettait pas, pensait-on, la pleine application de cet instrument[53].
En tout état de cause, l’examen de la portée des « nécessités locales » donne peu d’indices sur ce qu’elles recouvrent vraiment. Elles peuvent, comme l’a souligné la doctrine, refléter différentes réalités[54] : il peut s’agir de « nécessités politiques » [55], de particularités locales, voire de coutumes locales, le plus souvent avancées pour justifier l’exclusion de certains territoires de la Convention, ou des ingérences des autorités publiques dans les droits reconnus par celle-ci. L’incertitude qui entoure cette notion peut ainsi laisser place à l’arbitraire ou à la discrimination. Pour autant, et afin d’éviter une utilisation abusive des « nécessités locales », la Cour a été amenée à circonscrire l’expression, en rappelant d’abord dans une affaire impliquant le Royaume-Uni concernant la pratique de la fustigation dans l’île du Man, que pour que l’article (anciennement) 63 puisse s’appliquer, il faut « la preuve décisive et manifeste d’une nécessité »[56]. Dans sa jurisprudence, la Cour opère un véritable contrôle d’opportunité des situations devant être retenues comme des « nécessités locales ».
Plus largement, si la jurisprudence de la Cour est majoritairement relative à des territoires situés dans les océans Indien et Pacifique ou en Europe continentale[57], leur portée est tout de même enrichissante pour l’ensemble des outre-mer et singulièrement ceux de l’espace Caraïbe-Amériques. À titre d’exemple, la Cour a-t-elle pu préciser qu’une conjoncture politique délicate, mais qui pourrait également se rencontrer en métropole, « ne suffit pas pour interpréter la formule des “nécessités locales” comme justifiant une ingérence dans le droit [à la liberté d’expression] garanti par l’article 10 »[58]. Bien plus, les nécessités locales, lorsqu’elles renvoient au statut juridique particulier d’un territoire, doivent revêtir un caractère impérieux pour justifier l’application de l’article 56 de la Convention. En effet, dans une affaire relative à l’absence d’organisation d’élections au Parlement européen à Gibraltar en 1994, la Cour relève que
le Gouvernement ne soutient pas que le statut de Gibraltar soit tel, qu’il faille admettre l’existence de « nécessités locales » de nature à limiter l’application de la Convention, et [elle] ne décèle aucun élément faisant apparaître pareilles nécessités[59].
La rareté de la jurisprudence relative aux nécessités locales, n’enlève rien au fait que la clause des « nécessités locales » et plus largement la clause territoriale, dont la pertinence peut être posée actuellement, traduisent les tendances colonialistes de l’époque[60]. Elles reflètent le consensus qui présidait alors à l’époque et qui a permis l’adoption rapide de la Convention par les États du continent européen, soucieux de préserver leur « souveraineté outre-mer »[61]. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la mise en oeuvre progressive de la clause d’extension territoriale par les États européens administrant des territoires dans l’espace Caraïbe-Amériques.
2. L’introduction progressive de la clause territoriale dans l’espace Caraïbe-Amériques
D’emblée, le caractère spécifique de la clause territoriale, voire son utilisation exceptionnelle, est mis en avant par les organes de Strasbourg en charge de recevoir les déclarations étatiques. Ainsi, le Secrétariat général du Conseil de l’Europe, dans une réponse au questionnaire de la Commission du droit international sur la question des réserves, souligne l’utilisation restrictive des déclarations territoriales, faites par les États en ces termes :
Dans la pratique des États membres du Conseil de l’Europe, les clauses territoriales ont toujours été utilisées d’une manière restrictive, en s’appliquant uniquement aux :
Territoires d’outre-mer (voir notamment la pratique du Royaume-Uni et des Pays-Bas) ;
Territoires qui, tout en faisant partie du territoire national, jouissent d’un statut particulier. Ces territoires peuvent se situer aussi en Europe (voir sur ce point l’affaire Gillow, arrêt du 24 novembre 1986, série A no 109, paragraphe 62). Leur exclusion du champ d’application d’un traité est souvent due au fait que les organes représentatifs n’avaient pas (encore) donné leur consentement à ce que les traités en question s’appliquent à leur territoire (iles Féroé et Groenland pour le Danemark ; Svalbard (Spitzbergen) et Jan Mayen pour la Norvège; Bailliages de Jersey et Guernesey et l’île de Man pour le Royaume-Uni).
Land de Berlin avant la réunification de 1989 pour la République Fédérale d’Allemagne[62].
Qu’en est-il des outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques?
Si l’alinéa 2 de l’article 56 prévoit les conditions de mise en oeuvre de la clause territoriale[63], le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la France, États possédant dans l’espace Caraïbe-Amériques des territoires dont ils assurent les relations internationales, en firent un usage contrasté et différencié dont les fondements, difficilement saisissables, questionnent au regard de l’universalité des droits de l’homme[64].
De la sorte, si le Royaume-Uni et les Pays-Bas différèrent dans un premier temps l’application de la Convention à l’égard de leurs territoires situés outre-mer, la France adopta une démarche différente en invoquant la clause territoriale au moment de la ratification du texte.
Tout d’abord et concernant le Royaume-Uni, deux ans après la ratification de la Convention, mais seulement un mois après son entrée en vigueur[65], ce pays formula une déclaration en date du 23 octobre 1953, consignée dans une lettre du Représentant permanent, étendant l’application de la Convention en faveur des territoires caribéens suivants : Barbade, Bermudes, Guyane britannique, Honduras britannique, Jamaïque, Iles Bahamas, Trinité, Dominique, Grenade, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines[66]. L’accession à l’indépendance initiée à partir des années soixante[67], de même que les évolutions statutaires en cours dans la zone, amenèrent le Royaume-Uni à actualiser la liste des territoires dont il assure les relations internationales[68]. Désormais, et depuis une déclaration de 2010, les territoires concernés par l’application de l’article 56 ne sont plus que six[69]. La situation est en revanche plus nuancée pour les protocoles à la CEDH, le Royaume-Uni n’ayant pas étendu l’application de certains protocoles aux outre-mer à l’exemple du Protocole n°1 concernant les Bermudes, ou du Protocole n°13 concernant les Îles Vierges britanniques et les îles Caïman[70].
Les Pays-Bas, de leurs côtés, formulèrent le 31 août 1954, date de la ratification et de l’entrée en vigueur de la CEDH, une déclaration précisant que la Convention ne s’appliquerait que pour le Royaume en Europe. Il fallut attendre 1955 pour que le champ d’application de la Convention soit étendu au Suriname et à la fédération des Antilles néerlandaises (composée d’Aruba, Curaçao, Sint Maarten, Bonaire, Saint-Eustache et Saba)[71]. Les évolutions statutaires amenèrent également des modifications de la déclaration initiale, l’accession de Suriname à l’indépendance en 1975 entrainant automatiquement la fin des effets de la Convention pour ce territoire, sans qu’il ne fût par ailleurs nécessaire pour la Haute Partie contractante de procéder à une dénonciation telle que prévue par l’article 65 paragraphe 4 CEDH. Pour leur part, Aruba[72] et les Antilles néerlandaises[73], bien qu’ayant subi des modifications constitutionnelles, demeurèrent dans le champ d’application de la Convention. Une approche différente fut cependant réservée au Protocole n°4 introduisant de nouveaux droits à la CEDH; ainsi, les modifications constitutionnelles introduites à partir de 2010 eurent pour conséquence, l’extension territoriale du Protocole aux îles Bonaire, Saint-Eustache et Saba, tandis que les Pays-Bas formulèrent une déclaration reconnaissant Aruba, Curaçao, et Sint Marteen comme des territoires distincts pour l’application des articles 2 et 3 dudit Protocole[74].
Enfin, la France qui ratifia tardivement, le 3 mai 1974[75], la Convention ainsi que les Protocoles n°1 et n°4[76], déclara que chacun de ces textes s’appliquerait « à l’ensemble du territoire de la République, compte tenu en ce qui concerne les territoires d’outre-mer, des nécessités locales auxquelles l’article 63 fait référence »[77]. Le renvoi à « l’ensemble du territoire de la République », est en étroite congruence avec la Constitution française de 1958 considérant les territoires concernés[78] comme des collectivités territoriales de la République, indivisible, laïque, démocratique et sociale au même titre que celles situées dans l’hexagone, et dont elle assure les relations internationales. Si de manière générale, c’est cette formule qui est retenue lors de la ratification par cet État des protocoles à la Convention ou des autres conventions du Conseil de l’Europe, la précision relative aux nécessités locales laisse entrevoir la possibilité d’une application modulée de la Convention, plaçant les territoires concernés au même titre que les autres de l’espace Caraïbes-Amériques dans un régime partiellement inclusif.
II. Les conséquences de l’application différenciée de la CEDH dans les outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques – une inclusion modérée
L’approche réservée à l’application de la CEDH dans les outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques apparait largement contrastée lorsqu’il s’agit d’observer qu’au plan du droit matériel, le droit de la Convention peut être appliqué de manière parcellaire (A) et qu’au plan du droit processuel, la saisine par les personnes privées des organes de contrôle, est marquée par son caractère progressif (B).
A. L’aménagement des droits de l’homme dans les outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques : une application possible du droit de la Convention
Les formalités prescrites par l’article 56 placent les territoires ultramarins dans une situation hybride, en vertu de laquelle ils se voient appliquer le droit commun de la Convention porteur d’un véritable standard européen des droits de l’homme (1), avec cependant la possibilité d’introduction de mesures d’adaptation, tenant compte de leurs situations particulières (2).
1. L’alignement de principe des outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques sur les principes structurants de la CEDH
Une fois admise l’application de la CEDH outre-mer, et plus précisément dans les Outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques, le droit de la CEDH s’y applique, du moins tant que ceux-ci font partie intégrante de l’État contractant[79]. En conséquence, bien que la Convention reconnaisse l’existence de populations dont les conditions de vie justifient des modulations, voire des dérogations, ces territoires se voient également assujettis aux principes qui la sous-tendent, en structurent la portée et donc, à l’application d’une construction théorique perfectionnée réalisée par la Cour européenne et visant à sauvegarder l’intégrité de la Convention[80]. À cet égard, les finalités de la Convention, et plus largement le système de garantie organisé consistent à assurer une cohérence dans la protection des droits reconnus, autrement dit, une garantie collective des droits de l’homme et des libertés fondamentales[81]. Ainsi,
la CEDH représente une sorte de contrat social fondateur de la coopération européenne, coopération qui s’inscrit désormais dans le cadre d’une communauté européenne de valeurs partagées comportant à charge des États des obligations de plus en plus contraignantes[82] [nos italiques].
De ce fait, le système de la Convention, quoique fondé sur le principe de subsidiarité, s’analyse comme étant au carrefour du droit conventionnel et constitutionnel[83], la Convention étant destinée à édifier « une norme commune en matière de droits de l’homme sans gommer les particularismes des droits internes »[84]. Ce système est en conséquence articulé autour de la préservation d’un ordre public commun et opposable à l’ensemble des États parties, ce qui justifie que la Cour considère la Convention comme un « instrument constitutionnel de l’ordre public européen » dans le domaine des droits de l’homme[85]. Cette finalité immanente s’accompagne de la reconnaissance d’une classification des droits protégés, entre ceux intangibles[86], dont les limites sont strictement encadrées, et ceux conditionnels, acceptant des dérogations ou des restrictions fixées par la loi dans un but social impérieux et donc exigées par l’intérêt général, l’ordre public, les intérêts d’autrui, la morale et la santé publique. Il est par ailleurs essentiel que cette limitation soit nécessaire et proportionnée au but ou à l’intérêt public ou général considéré. Mais ces limitations ne doivent jamais porter atteinte à la substance[87], c’est-à-dire au « noyau dur » de la liberté considérée.
Confrontée à l’application de la CEDH dans les outre-mer, cette approche retenue par la Cour, justifiée par l’impératif de sécurité juridique[88], implique une subtile conciliation entre les droits garantis et les singularités reconnues à ces territoires.
2. L’adaptation permise en raison des particularismes juridiques
L’existence de régimes juridiques différents, voire plus largement de singularités dans ces territoires outre-mer, est admise comme ne méconnaissant pas les dispositions de la Convention. C’est en ce sens qu’il faut analyser la clause des nécessités locales spécifiquement destinées à ces territoires, mais plus largement la mobilisation du principe de la marge nationale d’appréciation[89].
Si pour l’heure il ne semble pas avoir de jurisprudence dans laquelle la clause des nécessités locales est invoquée pour justifier une dérogation ou une modulation du droit de la CEDH dans les outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques, la jurisprudence pertinente de la Cour relative à la marge nationale d’appréciation laisse en revanche apparaître d’une part, un alignement de ces territoires aux principes prétoriens communs développés par la Cour, et d’autre part, un subtil effort de conciliation entre les droits et obligations issus de la Convention avec les particularismes juridiques qui sont reconnus dans ces territoires.
L’exemple du régime cultuel en Guyane en témoigne. En effet, prédomine dans cette collectivité un régime dérogatoire à la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État. C’est d’abord l’ordonnance royale du 27 août 1828 instituant la reconnaissance du seul culte catholique, puis les décrets Mendel des 16 janvier et 6 décembre 1939[90], accordant aux conseils d’administration des missions religieuses (y compris la mission catholique) la personnalité juridique, qui s’y appliquent. En vertu de ces derniers textes, les missions religieuses sont des personnes morales de droit privé qui peuvent recevoir des libéralités et disposent d’une capacité très étendue. Avec ce régime juridique particulier, subsiste en Guyane, un régime préférentiel en faveur de l’Église catholique, dont l’entretien est assuré par des subventions publiques et dont le traitement des prêtres incombe au département. La justification avancée alors consistait à reconnaitre que « la pauvreté du territoire » ne permettrait pas à la population d’assurer la charge de l’entretien de ce culte et que le « risque d’influences étrangères […] favoriseraient des missionnaires étrangers » si les desservants catholiques n’étaient plus rétribués[91]. La départementalisation en 1946, puis le passage en collectivité unique en 2011[92] n’ont pas modifié ce régime[93].
En confrontant ce régime aux articles 9 (liberté religieuse) et 14 (non-discrimination) de la CEDH, il ressort de la jurisprudence de la Cour une certaine indifférence au regard du cadre d’exercice de la liberté religieuse, la haute juridiction admettant l’existence d’une certaine marge d’appréciation en faveur des États[94] qui peuvent de la sorte instaurer un système d’église majoritaire constitutionnellement reconnue[95]. La Cour s’assure néanmoins que cette formule n’a pas pour conséquences l’exercice de contraintes à l’égard d’individus ou de groupements contraires à leur droit de pratiquer la religion de leur choix[96]. Pour autant, si un tel régime pouvait historiquement trouver une justification, force est de reconnaitre que la sacralisation d’un déséquilibre entre la religion catholique et les autres religions, en raison notamment d’un soutien matériel et financier de la collectivité, si elle doit être objective et raisonnable au sens de la jurisprudence de la Cour pour être compatible avec les articles 9 et 14 CEDH, n’apparait plus de nos jours, justifiée. C’est le sens de l’action introduite par la Collectivité territoriale de Guyane devant le tribunal administratif de Cayenne à l’encontre de la décision du 12 mars 2015 par laquelle le préfet de la Guyane a refusé de l’indemniser au titre des rétributions versées aux prêtres de l’Église catholique, en se fondant notamment sur l’incompatibilité de l’ordonnance royale de 1828 avec les articles 9 et 14 de la CEDH[97].
Par ailleurs, la Cour a pu souligner, en examinant la situation dérogatoire de la Guyane au regard de la législation relative aux conditions d’éloignement des étrangers, la nécessité pour l’État français de respecter les garanties procédurales dans la mise en oeuvre des mesures d’éloignement afin qu’elles soient conformes aux dispositions pertinentes de la CEDH[98]. Dans cette collectivité de l’article 73 de la Constitution, et contrairement au droit commun en matière d’éloignement des étrangers[99], le recours contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière devant le tribunal administratif dans un délai de quarante-huit heures n’a pas d’effet suspensif[100]. L’État justifie ce régime spécifique d’aménagement au principe de l’effet suspensif du recours, par l’existence, en Guyane de
contraintes particulières en matière d’immigration illégale. Celle-ci, tout comme les réseaux criminels qui la favorisent, est encouragée par la topographie particulière de la Guyane, qui rend les frontières perméables et impossibles à contrôler efficacement[101].
Si la Cour admet qu’un tel régime puisse relever « de la marge d’appréciation dont les États disposent pour honorer les obligations au regard de l’article 13 de la Convention »[102], elle précise que la situation particulière de la Guyane et la forte pression migratoire qu’elle subit ne constituent pas des motifs justifiant pour le requérant, l’impossibilité « de disposer en pratique des garanties procédurales minimales adéquates visant à le protéger contre une décision d’éloignement arbitraire »[103].
La différenciation juridique est également inscrite dans la Charte constitutionnelle du Royaume des Pays-Bas et caractérise notamment les relations entre la partie européenne et la partie caribéenne (composée des îles BES). En ce sens, le deuxième paragraphe de la section 1 de la Charte du Royaume des Pays-Bas contient une disposition stipulant que des mesures spécifiques peuvent être mises en oeuvre pour les îles caribéennes des Pays-Bas, compte tenu des circonstances économiques et sociales, de la grande distance vis-à-vis de la partie européenne des Pays-Bas, de leur insularité, de leur faible superficie et de leur population, des conditions géographiques, du climat... À cet égard, et à titre d’illustration, la question du droit des enfants présente des traits caractéristiques d’un écart entre la partie continentale du Royaume et la partie caribéenne. De même, de nombreuses conventions internationales, à l’exemple de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des violences domestiques, également connue sous le nom de Convention d’Istanbul[104], ou la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels[105], ne s’appliquent pas aux entités caribéennes des Pays-Bas, au motif qu’une phase de rattrapage est encore nécessaire pour respecter les obligations conventionnelles[106]. En outre, l’absence de législation sur la situation des personnes handicapées constitue un particularisme de ces îles[107], alors même qu’une telle législation existe pour la partie continentale du Royaume. Pour autant, l’absence de jurisprudence pertinente sur ces thématiques ne permet pas d’apporter plus de précision sur la situation de ces territoires vis-à-vis du droit de la CEDH. L’on pourrait y appliquer par analogie, la jurisprudence de la Cour rendue le 16 octobre 2001 et concluant à la non-violation de l’article 14 de la CEDH vis-à-vis de l’instauration dans les Antilles néerlandaises d’un régime particulier de cassation contre les jugements rendus par défaut. Une telle distinction est justifiée par les considérations suivantes :
compte tenu de la grande distance qui sépare le siège de la Cour de cassation et les Antilles néerlandaises, il n’est pas recommandé de prévoir dans les Antilles la possibilité d’un pourvoi en cassation dans tous les cas où pareil recours est possible aux Pays-Bas[108].
Pris ensembles, les exemples français et néerlandais sont éclairants au regard de l’application de la Convention outre-mer. En effet, il est remarquable de relever que dans l’affaire De Souza Ribeiro, la France n’a pas explicitement mentionné l’article 56 de la Convention, mais s’est contentée d’invoquer les dispositions de l’article 73 de la Constitution de 1958 (existence de caractéristiques et contraintes particulières)[109]. De même, dans l’affaire Eliazer de 2001, les Pays-Bas n’ont pas non plus invoqué l’article 56, mais les motifs retenus par l’article 10 du Règlement de cassation pour les Antilles néerlandaises et Aruba et le but poursuivi par le système de justice antillais[110]. D’emblée, l’argument des caractéristiques et contraintes particulières mis en miroir avec celui de la marge nationale d’appréciation brouille quelque peu l’appréhension de l’expression « nécessités locales » prévue à l’article 56 paragraphe 3 de la Convention. On aurait pu imaginer que la référence aux nécessités locales demeure pertinente pour les collectivités disposant d’une autonomie large[111] et non pour celles relevant du régime de l’assimilation législative, cependant la jurisprudence pertinente de la Cour ne se prononce pas sur cette hypothèse[112]. Par ailleurs, et en tout état de cause, demeure immuable la règle en vertu de laquelle il appartient aux autorités nationales (le législateur en l’occurrence), de prévoir expressément, lorsque telle est leur volonté, une disposition de non-applicabilité, ou d’applicabilité différée, aux collectivités situées outre-mer[113]. La même règle prévaut concernant la saisine des instances de contrôle des droits garantis et singulièrement le droit de recours individuel en faveur des personnes privées des outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques.
B. La saisine des instances de contrôle de la CEDH dans les outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques : une application contrastée de la procédure contentieuse
L’originalité de la Convention ne réside pas tant dans le fait qu’elle réaffirme, sur le plan européen, l’existence d’un certain nombre de droits fondamentaux au profit des individus, mais davantage dans le mécanisme judiciaire de garantie internationale des droits de l’homme qu’elle instaure. En effet, au départ composé d’une Commission et d’une Cour européenne des droits de l’homme, complétées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe chargé de contrôler le respect par les parties contractantes des droits protégés par la Convention, le mécanisme s’est perfectionné faisant de la Cour l’organe principal de garantie. L’une des mesures phares de ce mécanisme réside dans la reconnaissance au profit des personnes privées de la possibilité de saisir directement la Cour européenne[114]. Cette capacité doit néanmoins être lue, concernant les territoires outre-mer, à la lumière des dispositions de l’article 56 paragraphe 4. En effet, il faut, de prime abord, observer que la déclaration d’extension territoriale de l’article 56 paragraphe 1 n’équivaut pas à la reconnaissance de la compétence d’abord de la Commission et de la Cour avant l’entrée en vigueur du Protocole n°11[115], puis de la compétence automatique de la seule Cour européenne depuis 1998. Historiquement donc l'accès aux organes de contrôle de la Convention a été épisodique (1).
L’article 56 paragraphe 4 (anciennement article 63 paragraphe 4 relatif au droit de requête individuelle auprès de la Commission) stipule que tout État peut à tout moment déclarer qu’il accepte la compétence de la Cour pour connaitre des requêtes de personnes physiques, d’ONG ou de groupes de particuliers, dans les conditions prévues par l’article 34 de la Convention[116], ce qui dénote de son caractère facultatif (2).
Cette disposition a donc engendré une mise en oeuvre échelonnée et discontinue dans les outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques instaurant ainsi un régime à double vitesse.
1. Un accès aux organes de contrôle de la CEDH initialement sporadique
Historiquement, les articles 25 et 46 de la CEDH relatifs respectivement à la saisine directe de la Commission (article 25 de la CEDH) et à la déclaration de clause facultative de juridiction obligatoire de la Cour (article 46 de la CEDH) ont connu au regard des territoires outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques une application variée. D’emblée, il faut bien observer qu’en
l’absence de la déclaration prévue à l’article 63§4, c’est pratiquement tout le contrôle européen de la protection des droits de l’homme dans les « colonies » qui fait défaut, la Convention ne jouant plus son rôle qu’en tant que partie du droit interne des colonies, dans le seul cas des États bien sûr qui ont intégré la Convention dans leur droit interne[117].
Par ailleurs, lorsqu’ils l’ont effectué, il n’est pas rare d’observer que dans leur pratique, les États contractants ont multiplié les déclarations temporaires de reconnaissance du droit de requête individuelle ou de juridiction obligatoire, avec ou non des phases de renouvellement. Enfin, les dispositions relatives à la garantie des droits prévus par la Convention, qu’elles soient issues du texte ou de la pratique, laissent apparaitre qu’il est possible de reconnaitre le droit de saisine de la Commission sans pour autant rendre effective la clause de juridiction obligatoire de la Cour ou vice-versa.
Quoi qu’il en soit, et concernant d’abord la Commission, la reconnaissance en faveur des habitants des territoires dépendants du droit de requête individuelle a fluctué en fonction des relations entretenues par la métropole avec ces derniers. Ainsi, par exemple, les Pays-Bas qui très vite ont reconnu cette compétence en faveur de Suriname[118] ont tout de même mis plus de dix-huit ans avant de l’étendre aux habitants des Antilles néerlandaises[119]. Le Royaume-Uni, pour sa part, a procédé de la même manière, mais systématiquement effectué une déclaration de reconnaissance simultanée des articles 25 et 46. Concernant précisément les dispositions de l’article 25, alors qu’il a fallu seulement trois ans après la déclaration d’extension territoriale pour ouvrir le droit de saisine individuelle en faveur des habitants des îles Caïmans et de Turks et Caicos, ce droit ne fut reconnu aux habitants des Bermudes et de Montserrat que le 12 septembre 1967 pour une période de deux ans, soit près de quatorze ans après[120]. À Anguilla, un tel droit de saisine n’a été accordé que le 14 janvier 1981, soit vingt-huit ans après[121].
La France présente, de son côté, une situation remarquable. La déclaration initiale de reconnaissance de la compétence de la Commission pour connaitre des requêtes individuelles, quoique tardive, ouvre simplement pour une période de cinq ans, cette possibilité à toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers, qui se prétend victime d’une violation[122], ce qui laisse supposer l’absence dès le départ, de distinction entre le territoire hexagonal et les territoires outre-mer.
À l’égard de la Cour, la situation était encore plus complexe, l’absence de précision de l’article 63 paragraphe 4 ayant conduit à l’utilisation de l’article 46 comme base pour exiger une déclaration expresse de reconnaissance de la juridiction obligatoire de cette juridiction à l’égard de ces territoires[123].
Les Pays-Bas ont ainsi formulé une déclaration de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour, le 21 août 1974, en faveur du Suriname et des Antilles néerlandaises pour une période de cinq ans[124].
La France, de son côté, a reconnu la compétence de la Cour en même temps qu’elle a ratifié la Convention, instaurant ainsi un système de garantie égalitaire[125]. Le Royaume-Uni, comme indiqué précédemment, a procédé de manière échelonnée à une telle reconnaissance en même temps que celle de la Commission[126]. Concernant toutefois la clause facultative de juridiction obligatoire, après de nombreux renouvellements de ses déclarations, le Royaume-Uni formula à partir des années deux-mille, une série de déclarations d’extension à titre permanent[127].
Il est évident que la variabilité de l’accès aux organes de contrôle a instauré une véritable discrimination entre les particuliers des territoires situés outre-mer et ceux du continent. L’introduction du Protocole n°11, réformant le système de contrôle[128] et instaurant la Cour comme organe unique de garantie des droits, a induit cependant des changements à l’égard des outre-mer, et par voie de conséquence, des outre-mer l’espace Caraïbe-Amériques.
2. Un accès à la Cour désormais ouvert, mais facultatif
Le système de garantie introduit par le Protocole n°11, instaurant un droit de requête individuelle désormais obligatoire (article 34)[129], propose un cadre dans lequel les droits et libertés prévus par la Convention sont garantis à « toute personne relevant de [la] juridiction »[130] des États parties, sans distinction aucune. Le saut qualitatif opéré pourrait laisser croire que les habitants des territoires dépendants sont placés sur le même pied d’égalité que ceux du continent. Cependant, le paragraphe 4 de l’article 56 réduit la portée de l’article 34 en vertu duquel le droit de recours individuel est ouvert à toute personne qui se prétend victime d’une violation des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles, par l’une des Hautes Parties contractantes. Il incombe en conséquence aux États de ne pas entraver l’exercice efficace de ce droit.
Pour les territoires situés outre-mer, en revanche, subsiste toujours, selon les termes de l’article 56 paragraphe 4, le système de déclaration facultative d’acceptation de la compétence de la Cour[131]. Cette analyse justifie la déclaration des Pays-Bas au moment de la ratification du Protocole n°11 le 21 janvier 1997 : ledit protocole s’applique au royaume en Europe, aux Antilles néerlandaises et à Aruba[132]. En conséquence, et si dans les faits les territoires outre-mer de l’espace Caraïbe-Amériques se retrouvent désormais soumis aux mêmes conditions de saisine de la Cour européenne des droits de l’homme, cette égalité est, au préalable, soumise à la réalisation des formalités requises par l’article 56 paragraphe 4. Cependant, il semblerait que la plupart des territoires couverts par les déclarations au titre de l’article 56 paragraphe 1 soient désormais couverts de la même manière par les déclarations au titre de l’article 56 paragraphe 4, le plus souvent faites de manière permanente.
L’analyse du champ d’application territoriale de la Convention au prisme des territoires dépendants de l’espace Caraïbe-Amériques laisse apparaitre tout le paradoxe de cet instrument, dont la Cour assure l’interprétation « à la lumière des conditions de vie actuelles »[133]. En effet, la dynamique développée par la Cour européenne dans le sens d’une interprétation large, au profit d’une approche holistique des droits de l’homme, semble s’arrêter à certains égards aux frontières des territoires situés outre-mer. Les efforts effectués pour limiter les tentatives de certains États d’échapper à leur responsabilité vis-à-vis de ces territoires au regard des droits et obligations découlant du texte, les précisions apportées aux termes de l’article 56[134] ne masquent pas les défis qui attendent la Cour[135] et l’ensemble des parties pour faire coïncider une vision commune et intégrale des droits de l’homme.
Appendices
Notes
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[1]
Si les deux expressions sont relativement proches, au regard du droit international elles n’ont cependant pas la même portée. Ainsi, les territoires non autonomes désignent les territoires qui, en vertu du chapitre XI de la Charte des Nations Unies, sont inscrits sur la liste des territoires devant faire l’objet d’un processus de décolonisation susceptible de leur conférer un statut juridique particulier y compris la souveraineté. Dans l’espace Caraïbe sont visés les territoires britanniques (Anguilla, Bermudes, Iles Vierges britanniques, îles Caïmans, Montserrat, îles Turks et Caicos) et américains (Îles Vierges américaines). Les territoires non indépendants désignent une catégorie plus large, quoique plurivoque, multiforme, comprenant les territoires qui n’ayant pas accédé à la souveraineté, sont sortis de la liste onusienne ou n’y ont pas été inscrits et conservent avec leur État d’appartenance des liens juridico-constitutionnels plus ou moins étroits; Justin Daniel, « Les territoires non indépendants de la Caraïbe à la croisée des chemins : la quête de nouveaux modèles de gouvernance » (2014) Université des Antilles et de la Guyane Rapport de recherche, en ligne : Centre de Recherche sur les Pouvoirs locaux dans la Caraïbe <hal.univ-antilles.fr/hal-01675024/document>.
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[2]
Voir Kirsten Sellars, « Human Rights and the Colonies : Deceit, Deception and Discovery » (2004) 93:377 The Round Table 709.
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[3]
Voir Pierre Lampue, « L’application des traités dans les territoires et départements d’outre-mer » (1960) 6 AFDI 907; Emmanuel Moresco, « Les rapports de droit public entre la métropole et les colonies, dominions et autres territoires d’outre-mer », (1936) 5 RCADI.
-
[4]
Ibid.
-
[5]
L’application territoriale des traités internationaux est abordée par l’article 29 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT) en ces termes : « À moins qu'une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, un traité lie chacune des parties à l'égard de l'ensemble de son territoire ». Avant l’entrée en vigueur de la CVDT, diverses clauses d’application territoriale ont été implicitement ou explicitement prévues par certaines conventions internationales; voir Pierre Lampue, supra note 3 à la p 917; voir aussi Hanna Bokor-Szego, « The Colonial Clause in International Treaties », (1962) Acta juridica aux pp 261-94.
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[6]
Dans le cadre de cette contribution, la référence à la CEDH implique également les protocoles additionnels ou d’amendement entrés en vigueur.
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[7]
Voir à propos des controverses doctrinales vis-à-vis de la clause de l’article 56 (ex. 63) de la CEDH que d’aucuns qualifient comme telle et d’autres estiment que la formule retenue par cet article couvre un champ plus large que la seule clause coloniale; Syméon Karagiannis, « L’aménagement des droits de l’homme Outre-mer : la clause des "nécessités locales" de la Convention européenne » (1995) 1 Rev b dr Intern 226 à la p 229.
-
[8]
À l’exception de l'article 12 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948, 78 RTNU 277 (entrée en vigueur : 12 janvier 1951).
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[9]
Voir la discussion plus approfondie de cette question aux pp 6-7, ci-dessous.
-
[10]
Protocole n°11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la Convention, 11 mai 1994, STE n°155 (entrée en vigueur : 1er novembre 1998) [Protocole n°11].
-
[11]
Patrick Wachsmann, Les droits de l’homme, 4e éd, Paris, Dalloz, 2002 à la p 49.
-
[12]
Nicolas Valticos, « Universalité et relativité des droits de l’homme » (1998), en ligne (pdf) : Société française pour le droit international <www.sfdi.org/wp-content/uploads/2014/03/Universalite%CC%81relativite%CC%81DH.pdf>.
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[13]
L’auteur Mikael Rask Madsen explique que la rédaction de la Convention apparaît ainsi à bien des égards comme une stratégie de guerre froide; Mikael Rask Madsen, « "La Cour qui venait du froid". Les droits de l’homme dans la genèse de l’Europe d’après-guerre » (2005) 1:26 Critique intl 133 à la p 135.
-
[14]
Karine Galy, Contribution à l'étude de l'imprégnation progressive du régionalisme par les droits de l'homme : l'exemple du régionalisme américain, thèse de doctorat, Université des Antilles et de la Guyane, 2006, en ligne : <www.theses.fr/2006AGUY0200>.
-
[15]
Voir la discussion plus approfondie de cette évolution aux pp 14-16, ci-dessous.
-
[16]
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221 art 56 (entrée en vigueur : 3 septembre 1953) [CEDH].
-
[17]
Selon le rapport du Sous-comité des Droits de l’Homme au Comité des ministres du 6 août 1950 concernant la clause coloniale (article 62), « [a]ucun accord n’ayant pu être réalisé par le sous-comité des Conseillers au sujet de ce problème »; Cour européenne des droits de l’homme et Conseil de l’Europe, AC, 2e sess, Travaux préparatoires de l’article 63 de la Convention européenne des droits de l’homme, Débats, Cour (78) 8 (1978) aux pp 20-21 [Travaux préparatoires de l’article 63 de la CEDH].
-
[18]
« M. Davies (Royaume-Uni) déclare […] [qu’]il lui est, en effet, impossible, du point de vue constitutionnel, de prendre des engagements sur le plan international, au nom de plusieurs colonies britanniques, sans avoir, tout d'abord, pris l'avis et obtenu l'accord des gouvernements de ces colonies. Il préférerait donc un texte qui permit au Royaume-Uni de ratifier la Convention sans délai et de ne déposer les notifications de ratification qu'après accord de ces derniers. Si, aux termes, de la Convention, ces dispositions s'appliquaient de droit aux colonies, le Royaume-Uni ne serait en mesure de les ratifier qu'après avoir consulté tous les gouvernements coloniaux intéressés; dans ce cas, si l'un d'eux n'acceptait pas la Convention, le Royaume-Uni se trouverait purement et simplement dans l'impossibilité de ratifier », ibid à la p 23.
-
[19]
En vertu de cette disposition : « 1. Tout État peut, au moment de la ratification ou à tout autre moment par la suite, déclarer, par notification adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, que la présente Convention s'appliquera, sous réserve du paragraphe 4 du présent article, à tous les territoires ou à l'un quelconque des territoires dont il assure les relations internationales; 2. La Convention s'appliquera au territoire ou aux territoires désignés dans la notification à partir du trentième jour qui suivra la date à laquelle le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe aura reçu cette notification; 3. Tout État qui a fait une déclaration conformément au premier paragraphe de cet article, peut, à tout moment par la suite, déclarer relativement à un ou plusieurs des territoires visés dans cette déclaration qu'il accepte la compétence de la Cour pour connaître des requêtes de personnes physiques, d'organisations non gouvernementales ou de groupes de particuliers, comme le prévoit l'article 34 de la Convention; 4. Dans lesdits territoires les dispositions de la présente Convention seront appliquées en tenant compte des nécessités locales », CEDH, supra note 16, art 56.
-
[20]
Le représentant de l’Italie, par exemple, souhaitait que la faculté laissée aux États par l’alinéa 1 de l’article 63 soit remplacée par une obligation, dans Travaux préparatoires de l'article 63 de la CEDH, supra note 17 à la p 26.
-
[21]
Ibid à la p 27.
-
[22]
Ibid à la p 31.
-
[23]
Ibid à la p 32.
-
[24]
L’article 2 de la DUDH retient une formule non reprise de l’article 14 de la CEDH : « De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté. », Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés AG 217A (III), Doc off AG NU, 3e sess, supp n°13, Doc NU A/810 (1948) 71.
-
[25]
OEA, Déclaration américaine des Droits et devoirs de l’Homme (1948), Doc off OEA/Ser.L/V/II.23/Doc.21, rev. 6 (1979).
-
[26]
Conseil de l'Europe, AP, 2e sess, partie 1, Projet de Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, Débats (1950), art VII.
-
[27]
Arthur Henry Robertson, Le Conseil de l’Europe : sa structure, ses fonctions et ses réalisations, Leyde, A.W. Sythoff, 1962, à la p 213.
-
[28]
Michael Wood, « Article 63 » dans Louis-Edmond Pettiti, Emmanuel Decaux et Pierre-Henri Imbert, dir, La Convention européenne des droits de l’homme. Commentaire article par article, Paris, Economica, 1999, 916 à la p 919.
-
[29]
Sia Spiliopoulou Akermark, « Reservations clauses in treaties concluded within the Council of Europe » (1999) 48:3 Intl & Comp L Rev 479 à la p 508.
-
[30]
Wood, supra note 28 à la p 919.
-
[31]
Raphael Wilde, « "Anachronistic As Colonial Remnants May Be…" Locating the Rights of the Chagos Islanders As a Case Study of the Operation of Human Rights Law in Colonial Territories » dans Stephen Allen et Chris Monaghan, dir, Fifty Years of the British Indian Ocean Territory, Cham, Springer, 2018, 175 à la p 184.
-
[32]
Karagiannis, supra note 7 à la p 230.
-
[33]
X, y et z c Belgique (déc), n°1065/61 (30 mai 1961) à la p 5; elle a réitéré cette position dans des affaires concernant la Turquie en lien avec la Chypre; voir Chrysostomos, Papachrysostomou et Loizidou c Turquie (1991), 68 Comm Eur DHDR 253.
-
[34]
À ce sujet, voir « Guide sur l’article 1 CEDH, Obligation de respecter les droits de l’homme – notions de juridictions et d’imputabilité » (2020), en ligne (pdf) : Cour européenne des droits de l'homme <echr.coe.int/Documents/Guide_Art_1_FRA.pdf>; voir aussi Magne Frostag, « The "Colonial" Clause and Extraterritorial Application of Human Rights : The European Convention on Human Rights Article 56 and its Relationship to Article 1 » (2013) 4:1 Arctic Review on Law and Politics 21.
-
[35]
Al-Skeini et autres c Royaume-Uni, n° 55721/07, [2011] IV CEDH 1999 au para 137; Chagos Islanders c Royaume-Uni (déc), n°35622/04 (11 décembre 2012) au para 72 [Chagos Islanders v UK].
-
[36]
Quark Fishing Ltd c Royaume-Uni, n°15305/06, [2006] XIV CEDH 301 à la p 309.
-
[37]
Ibid.
-
[38]
CEDH, supra note 16, arts 56-2, 59-4.
-
[39]
Karagiannis, supra note 7 à la p 242.
-
[40]
Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, 20 mars 1962, STE n°009, art 4 (entrée en vigueur : 18 mai 1954) [Protocole n°1]; Protocole n°4 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention, 16 septembre 1963, STE n°046, art 5 (entrée en vigueur : 2 mai 1968) [Protocole n°4].
-
[41]
Selon une lecture combinée des articles 5-2 et 8 du Protocole n°6, le Protocole entrera en vigueur dans les territoires concernés par une déclaration d’application territoriale, « le premier jour du mois qui suit la date de réception de la déclaration par le Secrétaire Général » et dans les États parties « le premier jour du mois qui suit la date à laquelle cinq États membres du Conseil de l'Europe auront exprimé leur consentement à être liés », Protocole n°6 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, 28 avril 1983, STE n°114 (entrée en vigueur : 1er mars 1985); selon une lecture combinée des articles 6-2 et 9 du Protocole n°7, le Protocole entrera en vigueur dans les territoires concernés par une déclaration d’application territoriale « le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de deux mois après la date de réception de la déclaration par le Secrétaire Général » dans les États parties, et « le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de deux mois après la date à laquelle sept États membres du Conseil de l'Europe auront exprimé leur consentement à être liés », Protocole n°7 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, 22 novembre 1984, STE n°117 (entrée en vigueur : 1er novembre 1988).
-
[42]
Protocole n°12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, 4 novembre 2000, STE n°177 (entrée en vigueur : 1er mars 2005); Protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, 3 mai 2002, STE n°187 (entrée en vigueur : 1er juillet 2003) [Protocole n°13].
-
[43]
Karagiannis, supra note 7 à la p 243.
-
[44]
Wood, supra note 28 à la p 919.
-
[45]
Arthur Girault, Principes de colonisation et de législation coloniale – Les colonies françaises avant et depuis 1815, 6e éd, Paris, Sirey, 1943.
-
[46]
Travaux préparatoires de l’article 63 de la CEDH, supra note 17 à la p 11.
-
[47]
Ibid à la p 23.
-
[48]
Karagiannis, supra note 7 à la p 251.
-
[49]
Spiliopoulou Akermark, supra note 29 à la p 511.
-
[50]
Ibid.
-
[51]
Sur les subtilités introduites dans les Protocoles 1, 4, 6 et 7 de la CEDH, voir Karagiannis, supra note 7 aux pp 254-57.
-
[52]
Chypre c Turquie (1975), 2 Comm Eur DH DR 138 au para 9.
-
[53]
Tyrer c Royaume-Uni, (1978), 26 CEDH (série A) 1 au para 38.
-
[54]
Pauline Bonino, La France face à la convention européenne des droits de l’homme, thèse de doctorat, Université de Cergy-Pontoise, 2006 aux pp 241-42, en ligne : <www.theses.fr/2016CERG0826>.
-
[55]
Karel Vasak, « The European Convention of Human Rights beyond the Frontiers of Europe » (1963) 12:4 ICLQ 1206 à la p 1209.
-
[56]
Tyrer c Royaume-Uni, supra note 53 au para 38.
-
[57]
Valérie Parisot et Marie-Elodie Ancel, « III. – Conflits de lois » (2011) 3:3 Rev crit dr int privé 610 à la p 620.
-
[58]
À propos de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie : Piermont c France (1995), 314 CEDH (Sér A) 1 au para 59.
-
[59]
Matthews c Royaume-Uni [GC], n°24833/94, [1999] I CEDH 305 au para 59.
-
[60]
À ce sujet, voir Ralph Wilde, « The extraterritorial application of the Human Right Law on civil and political Rights » dans Scott Sheeran et Sir Nigel Rodley, dir, Routledge Handbook of International Human Rights Law, Routledge, Abingdon, 2013, 635; Louise Moor et A. W. Brian Simpson, « Ghosts of colonialism in the European Convention on Human Rights » (2006) 76:1 Brit YB Intl L 121.
-
[61]
Mme Valentina Vardabasso expliquant les raisons de la ratification tardive de la CEDH par la France souligne que l’une des raisons justifiant les réticences de ce pays fut l’opposition au droit de pétition individuel prévu en ce qu’il constituait une possible ingérence dans les affaires intérieures des États contractants et une arme qui pourrait être utilisée à l’encontre de ceux qui administraient des territoires non autonomes; Valentina Vardabasso, « La Convention européenne des droits de l’homme » (2007) 3:131 Relations intl 73 à la p 85.
-
[62]
Spiliopoulou Akermark, supra note 29 à la p 511.
-
[63]
Voir section A.2.
-
[64]
Moor, Simpson, supra note 60.
-
[65]
Le Royaume-Uni a ratifié la Convention le 8 mars 1951 à l’égard de la partie européenne du Royaume uniquement. Il déposa son instrument de ratification le 3 septembre 1953, date d’entrée en vigueur de la Convention.
-
[66]
Voir la déclaration déposée par le Royaume-Uni le 23 octobre 1953 dans la CEDH, supra note 16.
-
[67]
Les territoires suivants accédèrent à l’indépendance : Jamaïque (6 août 1962) et Trinité-et-Tobago (31 août 1962).
-
[68]
En vertu d’une déclaration de 1969, la clause d’extension territoriale ne fut plus valable que pour les Bahamas, les Bermudes, le Honduras britannique, les Iles Caïmans, Antigua, les Iles Vierges britanniques, Montserrat, St. Christophe-Nevis-Anguilla, les Iles Turks et Caicos, Dominique, Grenade, Sainte Lucie et Saint Vincent. De 1979 à 1983, cette liste fut amputée de Sainte Lucie, Saint Vincent, Belize (Honduras britannique), Antigua, Saint Kitts et Nevis, la Dominique et Grenade. Pour une approche générale de la politique du Royaume-Uni, voir Christopher Lush, « The Territorial Application of the European Convention on Human Rights : Recent Case Law » (1993) 42:4 ICLQ 897.
-
[69]
Pour rappel : Anguilla, les Bermudes, les Iles Vierges britanniques, les îles Caïman, Montserrat, et les Iles Turks et Caicos, voir Justin, supra note 1.
-
[70]
Protocole n°13, supra note 42
-
[71]
Voir la déclaration déposée par les Pays-Bas le 29 novembre 1954 dans CEDH, supra note 16.
-
[72]
Selon la déclaration déposée par les Pays-Bas le 24 décembre 1985 dans la Convention européenne des droits de l'homme, ibid, l'île d'Aruba « obtient son autonomie interne en tant que pays à l'intérieur du Royaume des Pays-Bas à partir du 1er janvier 1986. En conséquence, à partir de cette date, le Royaume n’est plus seulement constitué de deux pays, à savoir les Pays-Bas (Royaume en Europe) et les Antilles néerlandaises (situées dans la région des Caraïbes), mais de trois pays, à savoir les deux précités et Aruba. [Pour autant,] [c]omme les changements intervenant le 1er janvier 1986 ne concernent qu'une modification dans les relations constitutionnelles internes à l'intérieur du Royaume des Pays-Bas, et comme le Royaume en tant que tel demeure le sujet de Droit international avec lequel sont conclus les traités, lesdits changements n'ont pas de conséquences en Droit international à l'égard des traités conclus par le Royaume et qui s'appliquent déjà aux Antilles néerlandaises y inclus Aruba. Ces traités restent en vigueur pour Aruba en sa nouvelle capacité de pays à l'intérieur du Royaume. C'est pourquoi en ce qui concerne le Royaume des Pays-Bas, ces traités s'appliquent à partir du 1er janvier 1986, aux Antilles néerlandaises (sans Aruba) et à Aruba ».
-
[73]
Jusqu'au 10 octobre 2010, le Royaume des Pays-Bas était composé de trois pays, à savoir les Pays-Bas, Aruba et les Antilles néerlandaises. Les Antilles néerlandaises se composaient des îles Bonaire, Curaçao, Sint Maarten, Saint Eustache et Saba. Entre 2000 et 2005, des référendums ont eu lieu sur toutes les îles des Antilles néerlandaises au sujet du statut de chaque île du Royaume. À l'exception de Saint-Eustache, toutes les îles ont voté pour la dissolution des Antilles néerlandaises. Les îles sont parvenues à un accord final sur un nouvel ordre constitutionnel au sein du Royaume des Pays-Bas le 15 décembre 2008. Les Antilles néerlandaises ont cessé d'exister lorsque la Charte amendée du Royaume des Pays-Bas (Statuut voor het Koninkrijk der Nederlanden) est entrée en vigueur le 10 octobre 2010. La scission de la Fédération des Antilles néerlandaises à compter du 10 octobre 2010, entraina les modifications suivantes : dans la nouvelle structure constitutionnelle, conformément aux résultats des référendums, Curaçao et Sint Maarten ont acquis le statut de pays au sein du Royaume, ce qui en fait des partenaires à part entière et autonomes au sein du Royaume et responsables de leur propre gouvernement et législation nationale. Aruba a conservé le statut de pays distinct qu'elle avait déjà depuis 1986. Bonaire, Saint-Eustache et Saba (également appelées collectivement « les îles BES ») sont devenues une municipalité spéciale (openbaar lichaam) des Pays-Bas.
-
[74]
Voir la déclaration déposée par les Pays-Bas le 27 septembre 2010 dans le Protocole n°4, supra note 41.
-
[75]
À ce sujet, voir Jean-François Villevieille, « La ratification par la France de la Convention européenne des Droits de l'homme » (1973) 19 AFDI 922; Alain Pellet, « La ratification par la France de la Convention européenne des droits de l’homme » [1974] RDP 1319.
-
[76]
Les Protocoles n°1 (20 mars 1953, entrée en vigueur le 19 mai 1954) et n°4 (16 septembre 1963, entrée en vigueur le 2 mai 1968), complètent la liste des droits et libertés établie par la Convention. Il est à noter que la France a également à cette date ratifiée les Protocoles n°3 (6 mai 1963, entrée en vigueur le 21 septembre 1970) et n°5 (20 janvier 1966, entrée en vigueur le 28 décembre 1971) qui modifient la Convention sur certains points de procédure.
-
[77]
Voir la déclaration consignée dans l’instrument de ratification déposée par la France le 3 mai 1974 dans la CEDH, supra note 16.
-
[78]
Dans l’espace Caraïbe, il s’agit de la Martinique et de la Guadeloupe (y compris les dépendances de Marie-Galante, la Désirade, les Saintes, Petite Terre, Saint-Barthélemy et la partie française de Saint-Martin), et sur le continent sud-américain, de la Guyane française.
-
[79]
À titre d’illustration, voir pour la France, l'affaire concernant la Nouvelle-Calédonie et la violation de l’article 3 de la CEDH, dans Rivas c France, n°59584/00 (1er avril 2004); et l'affaire concernant la Martinique et la durée de procédure excédant le « délai raisonnable » prévu par l’article 6 para 1 de la CEDH, dans Caloc c France, n°33951/96, [2000] IX CEDH 1; pour les Pays-Bas, voir l'affaire concernant Curaçao, Aruba et les conditions de détention d’un condamné à la prison à vie, incompatibles avec l’article 3 de la CEDH, dans Murray c Pays-Bas [GC], n°10511/10 (26 avril 2016); et l'affaire concernant Sint Marteen et les conditions de détention d’un détenu dans l’attente de son extradition, incompatibles avec l’article 3 de la CEDH, dans Corallo c Pays-Bas, n°29593/17 (9 octobre 2018).
-
[80]
Sur la question des principes structurants de la CEDH et notamment celui des obligations positives issus de la jurisprudence de la Cour, voir Colombine Madelaine, La technique des obligations positives en droit de la Convention européenne des droits de l’homme, thèse de doctorat, Université Montpellier I, 2012, aux pp 33 et s, en ligne : <tel.archives-ouvertes.fr/tel-01702280/document>.
-
[81]
CEDH, supra note 16 au préambule.
-
[82]
Michèle de Salvia, « La place de la notion de sécurité juridique dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme » (2001) à la p 1, en ligne (pdf) : Cahiers du Conseil constitutionnel <www.conseil-constitutionnel.fr/node/510/pdf>.
-
[83]
Luc Gonin et Olivier Bigler, La Convention européenne des droits de l’homme : Commentaire des articles 1 à 18, Berne, Stämpfli, 2018 à la p 685.
-
[84]
Frédéric Sudre, « Libertés fondamentales, société démocratique et diversité nationale dans la Convention européenne des droits de l’homme » dans Anne-Marie Le Pourhiet, dir, Droit constitutionnel local. Égalité et liberté locale dans la Constitution, Paris, PUAM-Economica, 1999 à la p 384; Michel Levinet, « La Convention européenne des droits de l’homme socle de la protection des droits de l’homme dans le droit constitutionnel européen » (2011) 2:86 Rev fr dr constl 227 à la p 231.
-
[85]
Loizidou c Turquie [GC] (exceptions préliminaires), n°15318/89 (23 mars 1995) au para 75; Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c Irlande [GC], n°45036/98, [2005] VI CEDH 179 au para 156.
-
[86]
Sont considérés comme indérogeables le droit à la vie (article 2), le droit à ne pas être torturé ou soumis à des traitements inhumains ou dégradants (article 3), le droit de ne pas être mis en l’esclavage et en servitude (article 4), le droit à la non-rétroactivité de la loi pénale (article 7), la règle de non bis in idem (article 4 du Protocole n°7), et enfin l’abolition de la peine de mort (Protocole n°13). Ces droits, même s’ils présentent un caractère contingent, s’appliquent à tous les individus quelle que soit leur situation.
-
[87]
Olivia Rouzière-Beaulieu, La protection de la substance du droit par la Cour européenne des droits de l’homme, thèse de doctorat, Université Montpellier, 2017.
-
[88]
Hélène Hardy, Le principe de sécurité juridique au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, thèse de doctorat, Université de Montpellier, 2019.
-
[89]
Frédéric Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, 12e éd, Paris, Presses universitaires de France, 2008 aux pp 213-14; Marc Verdussen, « La protection des droits fondamentaux en Europe : Subsidiarité et Circularité » dans Francis Delpérée, dir, Le principe de subsidiarité, Bruxelles, Bruylant, 2002, aux pp 311-33.
-
[90]
Décret du 16 janvier 1939 instituant aux colonies des conseils d'administration des missions religieuses, JO, 19 janvier 1939, n°0016.
-
[91]
Gérard Gonzalez, « Le régime de droit commun des associations cultuelles à l’épreuve des particularismes locaux (Alsace-Moselle, outre-mer), et de la jurisprudence européenne des droits de l’homme », (1996) 53 Les Petites Affiches à la p 25.
-
[92]
La Guyane est une collectivité unique (exerçant les compétences d’un département et région) régie par l’article 73 de la Constitution française de 1958; l’article 73 de la Constitution dispose que dans les départements et les régions d’outre-mer les lois et règlements sont applicables de plein droit, tout en prévoyant qu’ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités; Constitution du 4 octobre 1954, JO, 4 octobre 1954, art 73.
-
[93]
Gonzalez, supra note 91.
-
[94]
Darby c Suède, n°11581/85 (1990), 187 CEDH (Sér A) 1 au para 45.
-
[95]
Kokkinakis c Grèce (1993), 260 CEDH (Sér A) 1.
-
[96]
Voir Ásatrúarfélagið c Islande (déc.), n°22897/08 (18 septembre 2012) au para 27.
-
[97]
Collectivité territoriale de Guyane c Préfet de Guyane (6 décembre 2018), n°1500357, en ligne (pdf) : Tribunal administratif de Guyane <guyane.tribunal-administratif.fr/content/download/151040/1529854/version/1/file/1500357.pdf>.
-
[98]
De Souza Ribeiro c France [GC] (satisfaction équitable), n°22689/07 [2012] VI CEDH GC 139 au para 96.
-
[99]
En matière de droit des étrangers, le régime applicable en outre-mer est le droit commun prévu par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), avec des spécificités.
-
[100]
Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, JO, 1er août 2020, art L 514-1.
-
[101]
De Souza Ribeiro c France, supra note 98 au para 58.
-
[102]
Ibid.
-
[103]
Ibid au para 97.
-
[104]
Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des violences domestiques, 11 mai 2011, STCE n°210 (entrée en vigueur : 1er août 2014).
-
[105]
Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, 27 octobre 2007, STCE n°201 (entrée en vigueur : 1er juillet 2010).
-
[106]
UNICEF, « Situation Analysis Children and Adolescents in the Caribbean Netherlands » (2019) à la p 39, en ligne (pdf) : UNICEF < www.unicef.nl/files/Situation%20Analysis%20Children%20and%20Adolescents%20in%20the%20Caribbean%20Netherlands%202019%20(1).pdf>.
-
[107]
Institut néerlandais des droits de l'homme, « Submission to the Committee on the Rights of Persons with Disabilities Concerning the Initial Report of the Netherlands » (2018) à la p 6, en ligne (pdf) : ENNHRI <publicaties.mensenrechten.nl/file/9cb28851-98a8-4d4b-bfdd-e67c3f3163fb.pdf>.
-
[108]
Eliazer c Pays-Bas, n°38055/97, [2001] X CEDH 195 au para 23.
-
[109]
De Souza Ribeiro c France, supra note 98 aux para 25, 40; c’est la même ligne de défense qui a été retenue par la France dans une affaire similaire concernant le territoire de Mayotte, devenue une collectivité départementale relevant de l’article 73 depuis la Loi n°2001-616 du 11 juillet 2001; voir Mohamed c France (déc), n°21392/09 (25 mars 2014).
-
[110]
Eliazer c Pays-Bas, supra note 108 à la p 197.
-
[111]
En l’occurrence en France, elle n’a été invoquée que pour les collectivités disposant d’une autonomie plus grande à l’exemple de la Polynésie (relevant désormais de l’article 74 de la Constitution) et la Nouvelle-Calédonie (bénéficiant d’un statut ad hoc au sein de la Constitution).
-
[112]
Voir concernant les collectivités françaises, Piermont c France, supra note 58 au para 59 où la Cour refusa de considérer la situation tendue liée aux essais nucléaires en Polynésie française et aux mouvements indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, comme caractérisant des nécessités locales; a contrario, et quelques années plus tard, dans Py c France, n°66289/01, [2005] I CEDH 1 au para 64, elle a pu reconnaitre que la Nouvelle-Calédonie, collectivité située dans le Pacifique bénéficiant d’un régime juridique transitoire susceptible d’évoluer vers l’accession à la pleine souveraineté, et dont « l'histoire et le statut […] sont tels qu'ils peuvent être considérés comme caractérisant des "nécessités locales" de nature à permettre les restrictions apportées au droit de vote du requérant ». Une telle tendance est retenue par la Cour de cassation concernant les différences entre Statut civil de droit commun et Statut civil coutumier en Nouvelle-Calédonie. Valérie Parisot et Marie-Elodie Ancel, supra note 57 à la p 619.
-
[113]
Stéphane Diémert, « Le droit de l'outre-mer » (2005) 2:113 Pouvoirs 109 à la p 113.
-
[114]
CEDH, supra note 16, art 34.
-
[115]
Le Protocole n°11 a créé une Cour unique permanente et travaillant à plein temps; elle assume les fonctions de l’ancienne Commission, de l’ancienne Cour et du Comité des ministres auquel, en tant qu’organe de la Convention, ne reste confiée que la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour. Protocole n°11, supra note 10, art 46 au para 2.
-
[116]
CEDH, supra note 16, art 34.
-
[117]
Karagiannis, supra note 7 à la p 250.
-
[118]
Alors que la compétence de la Commission a été reconnue en 1960 pour le Royaume en Europe, il a fallu attendre pour le Suriname la déclaration du 31 août 1964; cette déclaration, initialement formulée pour une période de cinq ans, a été renouvelée selon les mêmes termes jusqu’au 25 novembre 1975, année d’indépendance de ce territoire; voir la déclaration déposée par les Pays-Bas le 31 août 1964 dans la dans la CEDH, supra note 16.
-
[119]
Voir la déclaration déposée par les Pays-Bas le 30 août 1974 dans ibid.
-
[120]
Voir la déclaration déposée par le Royaume-Uni le 12 septembre 1967 dans ibid.
-
[121]
Voir la déclaration déposée par le Royaume-Uni le 14 janvier 1981 dans ibid.
-
[122]
Voir la déclaration déposée par la France le 2 octobre 1981 dans ibid.
-
[123]
Karagiannis, supra note 7 à la p 250.
-
[124]
« Le Gouvernement des Pays-Bas reconnaît, pour le Royaume en Europe, le Surinam et les Antilles Néerlandaises, comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, vis à vis de toute autre Partie Contractante à la Convention ci-dessous mentionnée acceptant la même obligation, c'est à dire sous condition de réciprocité, la juridiction de la Cour européenne des Droits de l'Homme conformément à l'article 46 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales [cf. article 34 de la Convention depuis l'entrée en vigueur du Protocole n°11], signée à Rome le 4 novembre 1950, pour une nouvelle période de cinq années, à partir du 31 août 1974, sur toutes les affaires concernant l'interprétation et l'application de ladite Convention »; le Secrétariat a ajouté que « [c]ette déclaration a été renouvelée à partir du 1er septembre 1979 jusqu'à révocation par une déclaration du Ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas »; voir la déclaration déposée par les Pays-Bas le 21 août 1974 dans la CEDH, supra note 16.
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[125]
Elle a ratifié pour une période de trois ans, successivement renouvelée selon les mêmes termes, jusqu’au 31 octobre 1990; voir la déclaration déposée par la France le 9 mars 1974 dans le Protocole n°4, supra note 40.
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[126]
Consulter la p 24, ci-dessus, pour les détails sur les déclarations de reconnaissance du Royaume-Uni.
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[127]
Il reconnait le droit de recours individuel devant la Cour à titre permanent aux Îles Vierges britanniques (à compter du 28 septembre 2009), aux îles Turks et Caicos (à compter du 14 octobre 2009) et aux îles Caïman (à compter du 21 février 2006); voir la déclaration déposée par le Royaume-Uni le 19 novembre 2010 dans Convention européenne des droits de l'homme, supra note 16; Anguilla, Bermudes et Montserrat ont, pour leur part, été reconnues ce droit à compter du 22 novembre 2010; voir la déclaration déposée par le Royaume-Uni le 18 novembre 2009 dans ibid.
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[128]
Protocole n°11, supra note 10, préambule.
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[129]
À ce sujet, voir Olivier De Schutter, « La réforme des mécanismes de contrôle de la Convention européenne des droits de l’homme. États des lieux et perspectives d’avenir » (1996) 7:1512-1513 Courrier hebdomadaire du CRISP 1; Ireneu Cabral Barreto, « Le droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme » (2002) 15:2 RQDI 1.
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[130]
CEDH, supra note 16, art 1.
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[131]
« Tout État qui a fait une déclaration conformément au premier paragraphe de cet article, peut, à tout moment par la suite, déclarer relativement à un ou plusieurs des territoires visés dans cette déclaration qu’il accepte la compétence de la Cour pour connaître des requêtes de personnes physiques, d’organisations non gouvernementales ou de groupes de particuliers, comme le prévoit l’article 34 de la Convention », ibid, art 56-4.
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[132]
Voir la déclaration déposée par les Pays-Bas le 21 janvier 1997 dans le Protocole n°11, supra note 10.
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[133]
Tyrer c Royaume-Uni, supra note 53 au para 31.
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[134]
Chagos Islanders c Royaume-Uni, supra note 35; dans cette affaire bien qu’elle n’ait pas admis les arguments des requérants, la Cour a tout de même reconnu que la position prise en matière de déclarations au titre de la clause coloniale ne pouvait plus être exclusivement déterminante pour justifier de l'applicabilité de la Convention.
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[135]
Pour une approche plus générale des critiques formulées à l’encontre de la Cour, voir Yannick Lecuyer, « Les critiques ataviques à l’encontre de la Cour européenne des droits de l’homme » (2019) 53 R Dr & libertés fondamentales 1.