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Cet ouvrage analyse 66 romans pour adolescentes[1], publiés en France et au Québec, principalement depuis 1985. Bien que « l’invention » de l’adolescence, pour reprendre les propos de l’auteure, remonte au XIXe siècle, ce n’est pourtant qu’au début du siècle suivant que des collections spécifiquement destinées aux jeunes filles paraissent en grand nombre. Di Cecco va, tout au long de son livre, caractériser cette production éditoriale spécifique, d’abord en examinant plus attentivement l’adolescence dans la littérature. Cette première partie est double.

La première sous-partie, Entre adultes : du roman de l’adolescence au roman pour adolescents aborde sous treize angles différents la place occupée par l’adolescence dans le roman. C’est ainsi que sont traités le roman de l’adolescence tant québécois que français, le portrait de quelques adolescentes en révolte dans l’oeuvre de Marie-Claire Blais, la série « Brigitte », les romans de Marie-Claire Daveluy, à l’aube de la Révolution tranquille et les romans pour adolescentes en France et au Québec avant 1968. La deuxième sous-partie aborde neuf volets de ce créneau éditorial en pleine expansion, influencée par la tendance étatsunienne d’après-guerre, visible aussi bien en France dès 1968, qu’au Québec dans la décennie suivante. Cette partie de l’étude de Di Cecco examine les stratégies éditoriales utilisées pour séduire la lectrice-consommatrice. C’est dans ce contexte que l’auteure étudie le rapport contenant-contenu et compare entre elles les productions française et québécoise.

Comme le roman contemporain pour adolescentes constitue un phénomème à la fois littéraire et commercial, l’auteure s’attarde à plusieurs aspects des collections comme la présence de personnages sériels, le rôle des marchés, le paratexte. Ces caractéristiques les apparentent au secteur de l’édition de consommation et plus particulièrement au « roman à l’eau de rose », précurseur et modèle du roman pour adolescentes.

La deuxième partie, Entre auteures et lectrices : le roman pour adolescentes, comprend également deux sous-parties. La première, Entre mères et filles : le roman pour adolescentes, regarde de plus près comment ce type de roman spécifique constitue un lieu de rencontre entre auteures et lectrices. C’est dans cet espace thématique que les différentes relations mère-fille sont observées, soit la mère copine, la mère célibataire, la mère femme de carrière, la mort de la mère. Quant à la dernière partie, elle aborde diverses questions reliées à la féminité, à la sexualité et au féminisme. L’auteure scrute, à l’aide d’exemples précis, diverses représentations de l’adolescence comme la jeune fille objet du fantasme masculin, les rapports sexuels, « la première fois », etc.

Bien que l’étude de Di Cecco soit exhaustive, ce n’est pourtant pas la première fois que l’on traite du roman pour adolescentes. En effet, au Québec, la même année où paraissait l’étude précitée, Lucie Guillemette (2000) étudiait le discours de l’adolescente dans le récit de jeunesse contemporain à partir des romans de Marie-Francine Hébert et Françoise Lepage (2000a), analysait le roman pour adolescentes de 1945 à 1960. Guillemette l’a fait au sein de la trilogie de Marie-Francine Hébert et a analysé les « pratiques discursives d’une jeune protagoniste qui tente de se dégager des discours d’autorité marqués par la domination du masculin sur le féminin » (Guillemette, 2000, p. 280), alors que Lepage a étudié une période marquée par le conservatisme québécois dans ses thèmes et ses formes.

Malgré cette tendance conservatrice intransigeante, apparaissent en filigrane ce que Lepage qualifie de « formations idéologiques en émergence » (Lepage, 2000a, p. 21) qui trahissent, selon l’auteure, l’ouverture croissante de la société québécoise à la pluralité idéologique. Précédemment, Lepage (2000b) s’était attardée au concept d’adolescence en étudiant son évolution et sa représentation dans la littérature québécoise pour la jeunesse. À ceci, nous ajoutons tout le numéro thématique des Cahiers de la recherche en éducation consacré aux Figures de l’adolescence. Ce numéro met en relief la pluralité des figures adolescentes, telles que représentées par les collections d’hier et d’aujourd’hui, les personnages sériels, voire certaines pratiques éditoriales. En somme, ces interventions contribuent, chacune à leur façon, à éclairer sous différents aspects un sous-champ éditorial en émergence et souligne à larges traits les représentations sociales de l’adolescence imposées ou suggérées, tant par les auteures que par les directeurs ou les directrices de collection, même les maisons d’édition.

En France, par ailleurs, la tradition littéraire étant plus longue et plus ancienne, de nombreuses publications ont abordé et analysé cette production spécifique, principalement les vingt dernières années du dernier millénaire. Pour n’en nommer que quelques-unes, nous pensons plus précisément, ici, aux articles de Bernadette Poulou (1987, 1991) et de Denise Escarpit (1975) ainsi qu’aux nombreuses interventions de Jean Perrot, réalisées dans le cadre de colloques. Avec quelques années d’avance sur le Québec, ces auteurs ont débusqué les pièges, sinon les filets éditoriaux, tendus aux jeunes lectrices avides d’identification.

En somme, ce phénomène éditorial en pleine expansion n’a pas fini de réserver des surprises, aussi bien aux lectrices qu’aux chercheures qui s’y intéressent, puisqu’il s’appuie sur les bouleversements sociaux qui ont caractérisé la fin de la Deuxième Guerre mondiale, du moins en Occident, et qui ont eu, pour les femmes, notamment, des impacts majeurs sur leur façon de voir et de penser le monde. Le discours féministe du dernier quart de siècle a marqué profondément ses auteures et conséquemment les personnages féminins qu’elles ont créés. Les valeurs féministes visibles aussi bien dans les actions menées par les protagonistes que dans leurs paroles et leurs pensées ont engendré de nouveaux rêves ainsi que des projets inédits que tentent de réaliser les héroïnes avec plus ou moins de bonheur, confrontées à de nombreux modèles souventes fois contradictoires.

À rebours, la principale contribution de Di Cecco a été de comparer deux corpus littéraires, marqués par des histoires socioculturelles différentes. À cette fin, l’auteure a pu dégager de son étude « comment les milieux culturels préparent les jeunes filles à la vie adulte » (p. 16) et conséquemment comment ces romans définissent la condition féminine.

Bien que Di Cecco réfère à des romans parus entre 1928 et 1999, elle s’attarde principalement à la production des quinze dernières années du dernier siècle afin de discuter des tendances générales qui caractérisent chacun des corpus. La page couverture évoquée par le tableau de Suzanne Valadon, La poupée abandonnée, donne le ton de l’étude qui cherche à circonscrire cette période trouble de la vie qu’est l’adolescence située quelque part entre l’enfance et la vie adulte.

Peu à peu, il se dégage de cette analyse que cette période de la vie et les rôles qui en émanent constituent des constructions sociales produites dans les limites d’un contexte culturel spécifique. On aura vite compris que la France républicaine et laïque ne propose pas les mêmes types de modèles que le Québec, province marquée du sceau rouge des valeurs judéo-chrétiennes. Il en ressort que la production québécoise est plus didactique que la française et plus préoccupée par la fabrication de modèles sociaux spécifiques qui s’inscrivent dans une tradition, mise de l’avant, dès les origines de cette littérature, en 1920, avec la naissance de la première revue pour jeunes, L’Oiseau bleu.

En conclusion, l’auteure constate que le « roman sentimental, qui a servi de prototype aux premières collections pour jeunes filles, a cédé, au fil des années, la place au roman-miroir, caractérisé surtout par sa fonction thérapeutique » (p. 163). Di Cecco note également que certaines écrivaines comme Michèle Marineau (1992) préconisent la communication intergénérationnelle, la transmission de valeurs qui aideront les jeunes filles à s’affirmer dans une culture qui les objective ou les réduit trop souvent au silence.

L’intérêt de l’étude fouillée de Di Cecco est d’avoir situé, identifié et caractérisé, sous le mode comparatif, un sous-champ éditorial en pleine mutation des deux côtés de l’Atlantique. Pour cela, l’auteure n’a négligé ni les exemples, ni les entrées textuelles ou paratextuelles pour cerner son sujet. Cependant, on aurait souhaité mieux connaître le cadre théorique qui a orienté le travail d’analyse et conséquemment les résultats obtenus. La méthodologie emprunte à la fois à la démarche historique et aux travaux réalisés dans le cadre du paradigme féministe. Les concepts élaborés en sociologie littéraire ne sont pourtant pas mentionnés, bien qu’implicitement le travail d’analyse s’y réfère. En somme, nous aurions souhaité que la méthodologie soit plus explicite, ce qui aurait donné plus d’assises aux résultats obtenus et analysés.

Hormis ces dernières remarques, nous reconnaissons que cet ouvrage éclaire un territoire éditorial de plus en plus étudié au Québec et enrichit le patrimoine scientifique sur le sujet traité. De plus, cette étude met en relief une tendance littéraire qui a le vent dans les voiles, en plus de constituer un lieu de construction sociale important pour des adolescentes.