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D’aucuns s’entendent pour affirmer que la négociation collective est un phénomène complexe dont il s’avère difficile d’en circonscrire pleinement les tenants et les aboutissants. À cet égard, la négociation collective dans les secteurs public et parapublic ne fait pas exception, au contraire. À preuve, peu d’ouvrages académiques se sont spécifiquement intéressés à cette problématique et, qui plus est, ont fourni un cadre d’analyse cohérent permettant de comprendre les interactions complexes entre les acteurs durant le processus de négociation, de même que les différents moyens d’exceptions utilisés par le législateur afin de résoudre les nombreuses impasses qui ont caractérisé les négociations entre l’État et ses salariés depuis 40 ans. C’est pourtant à cet exercice ardu que s’est livré Yvan Perrier dans son ouvrage « De la libre contractualisation à la négociation factice » où l’auteur cherche à présenter, à la fois de façon descriptive et critique, l’évolution des rapports entre l’État québécois et les salariés des secteurs public et parapublic du milieu des années 1960 à aujourd’hui.
L’ouvrage s’attarde à expliquer le contexte sociopolitique dans lequel la négociation dans les secteurs public et parapublic a émergé, à décrire de façon succincte le déroulement des différentes négociations qui se sont déroulées depuis 1964, à fournir un rappel des principaux enjeux au coeur des revendications des parties et les différents moyens utilisés par l’État pour sortir les nombreuses impasses rencontrées lors de ces négociations.
C’est justement en regard de la « légitimité » des moyens d’interventions utilisés par l’État lors des négociations avec ses salariés que l’analyse critique de Perrier se veut le plus acerbe, en montrant notamment comment les nombreuses régulations exceptionnelles apportées par l’État au cours des différentes rondes de négociations remettent en question la plausibilité d’un réel exercice de négociation dans les secteurs public et parapublic. Lois spéciales, modifications des lois habilitantes, décrets unilatéraux des conditions de travail ont marqué, selon l’auteur, la négociation entre l’État et ses salariés. Cette possibilité pour l’État de déroger aux règles du jeu selon son bon vouloir a créé un déséquilibre structurel dans le rapport de force entre les parties. De plus, cette réalité a faussé la négociation collective, faisant en sorte que le résultat dans les secteurs public et parapublic ne soit pas une réelle co-détermination des conditions de travail dans le cadre d’un processus de libre contractualisation, mais un processus faussé à sa base même, qui s’éloigne des prémisses de la libre discussion entre les parties qui caractérisent la négociation collective en Amérique du Nord.
Divisé en trois parties, l’ouvrage propose, d’abord, une analyse de la problématique de la régulation étatique dans les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec de 1964 à 1986. Perrier présente, ensuite, une analyse théorico-descriptive des rôles et fonctions de l’État « bicéphale », à la fois employeur et législateur. L’auteur conclu par une réflexion à caractère stratégique sur différents leviers de mobilisation syndicale permettant de mieux préparer les salariés de l’État aux prochaines négociations de « l’ère des surplus milliardaires » (p. 22).
L’auteur identifie dans la première partie deux grandes périodes caractérisant la négociation dans les secteurs public et parapublic. Une première, celle de la libre contractualisation, couvre la période 1964-1965 à 1985 alors que la deuxième, celle de la négociation factice, s’étend de 1985 à aujourd’hui. Afin de déterminer ces deux périodes, l’auteur s’inspire d’un cadre conceptuel emprunté à la théorie de la régulation de système de Jean Daniel Reynaud et à la théorie des cycles disciplinaires de Jean-Paul de Gaudemard. Pour Perrier, la Loi 37, promulguée en 1985, a limité le champ du négociable en précisant les dispositions du Code du travail en matière de services essentiels. Dans la même veine, la Loi 160, adoptée en 1986, a eu pour effet d’encadrer de façon stricte l’exercice du droit de grève dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux. Ces lois sont le point culminant des diverses modifications législatives apportées aux règles du jeu établies en 1964-1965, créant ainsi un frein important à la capacité des salariés de l’État d’établir un réel rapport de force avec ce dernier. Les régulations exceptionnelles de l’État deviennent avec le temps de plus en plus coercitives et rompent avec la régulation initiale prévue aux lois du travail de 1964-1965.
La deuxième partie de l’ouvrage s’attache à cerner les implications théoriques et pragmatiques du rôle ambigu de l’État dans le processus de négociation collective : législateur, juge et partie. En effet, l’auteur montre comment l’État a la possibilité d’établir les règles du jeu à sa convenance, d’y déroger temporairement, lorsque cela lui semble opportun, ou encore d’en créer de nouvelles de façon permanente. Selon Perrier, le « bras législatif » de l’État est animé par les préoccupations et contraintes du « bras employeur » afin de faire triompher les objectifs de ce dernier. S’appuyant sur des cadres d’analyse provenant à la fois des théories des relations industrielles, du droit du travail et des sciences politiques, l’auteur livre dans cette partie de son ouvrage une explication théorico-critique des mécanismes législatifs et stratégiques de « l’État bourgeois » (p. 99) dans sa volonté d’atteindre ses objectifs propres. À la limite du sarcasme, l’auteur expose les limites théoriques des cadres conceptuels habituellement utilisés pour comprendre le double fonctionnement de l’État dans le processus de négociation collective et invite le lecteur à s’interroger à cet égard.
La dernière partie porte sur une analyse des négociations depuis 1985. En rappelant les différents enjeux, l’auteur montre également les ratés et les points positifs. À la suite de ce bilan, Perrier propose une réflexion de nature stratégique pour renforcer l’action syndicale grâce à divers moyens d’action concrets pouvant être mis en oeuvre par les syndicats. L’auteur conclut par une vision prospective sur les prochaines négociations.
La qualité première de l’ouvrage de Perrier est certes la précision de la synthèse sur la description du déroulement, des enjeux et du dénouement des négociations collectives entre l’État et ses salariés depuis l’instauration du Code du travail en 1964 et la Loi de la fonction publique en 1965. Par ailleurs, la combinaison théorique des contributions de Reynaud et de Gaudemard est un exercice novateur ouvrant la porte à un renouveau théorique dans l’étude de la négociation collective dans les secteurs public et parapublic. Finalement, la troisième partie de l’ouvrage constitue certes une réflexion des plus intéressantes qui met en lumière de façon fort judicieuse les avenues possibles pour les salariés de l’État afin de maximiser l’efficacité de leur action collective. Écrit avec un style alerte, souvent imagé, l’ouvrage peut assurément être apprécié autant par le novice que par le spécialiste du domaine.
On peut cependant reprocher à cet ouvrage l’hétérogénéité de sa démarche analytique. D’un regard purement descriptif au début à une analyse appuyée par des cadres théoriques plutôt éclectiques, le livre se transforme rapidement dès la deuxième partie en un pamphlet pour ensuite prendre la forme d’un manifeste. À cet effet, que penser des affirmations suivantes : « Quand on sait que les élus sont au pouvoir non pas pour représenter la population, mais bien pour faire triompher la position de leur parti politique majoritaire à l’Assemblée nationale » (p. 80) ou encore « […] l’État agit en vue de protéger réellement l’intérêt public (et autres élucubrations du genre) […] » (p. 96) ? Alors que dans une remarque introductive, l’auteur précise que le livre trouve son origine dans deux communications, « remaniées », présentées à la Société québécoise de science politique, on ne peut que constater que l’ouvrage s’éloigne peu à peu de l’analyse scientifique pour rejoindre le point de vue élaboré d’un militant syndical. À tout le moins, l’auteur semble troquer son chapeau de chercheur en science politique s’inspirant de cadres d’analyse de l’école de la régulation française et des approches économiques et systémiques en négociation collective, pour celui de l’économie politique critique.
Assurément pertinent pour tout militant syndical qui cherche à comprendre la dynamique propre aux négociations des secteurs public et parapublic, potentiellement déstabilisant pour l’étudiant en relations industrielles ou en science politique à la recherche d’un savoir objectif sur cette question et résolument dérangeant pour le chercheur qui y trouvera des raccourcis théoriques quelques fois inadéquats, le livre souffre de confusion paradigmatique sur son objet d’étude et est parsemé de jugements de valeur, qui minent les principales conclusions découlant du schéma théorique. Reste qu’il ne peut laisser indifférent. Trop court pour satisfaire pleinement les ambitions de départ de l’auteur, insatisfaisant pour le lecteur qui aimerait voir l’analyse plus étayée, quelque peu dérangeant en raison de la perspective néo-marxiste qui teinte l’analyse de l’auteur, fascinant dans sa capacité de proposer une nouvelle perspective sur l’étude de la phénoménologie de la négociation collective dans les secteurs public et parapublic, l’ouvrage d’Yvan Perrier doit, malgré tout, être lu par quiconque s’intéresse à la dynamique des rapports collectifs de travail entre les principales institutions de l’État et leurs employés.