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L’histoire du peuplement de la Nouvelle-France et du Québec demeure encore un chantier ouvert à de nouvelles et profitables explorations. C’est dans cette veine que se situe l’ouvrage de Jean de Laplante. Il s’agit donc ici d’une étude qui relève à la fois de l’histoire, de la géographie humaine et de la sociologie rurale. En 1993, Louis-Edmond Hamelin avait publié Le rang d’habitant. Le réel et l’imaginaire, dans lequel il analysait l’« appellation concurrente » de rang et de côte et « la polysémie » de la côte (p. 43 et suiv.). De son côté, Jean de Laplante a, nous dit-il dès la « Remarque préliminaire », « lu et étudié cet ouvrage » et il présente le sien comme « un complément modeste », tout en ajoutant que sa « perspective se dissocie » de celle de L.-E. Hamelin.

En effet, les deux ouvrages peuvent avec avantage se lire d’une manière complémentaire. C’est tout particulièrement le cas du chapitre premier du livre de Jean de Laplante, dans lequel il expose en détail la sémantique et l’historique de la « côte » et du « rang » ; il peut être lu en correspondance avec des pages de l’ouvrage de Louis-Edmond Hamelin. Ce sont les quatre chapitres suivants qui font l’originalité, la personnalité de l’ouvrage de Jean de Laplante. Le chapitre 2 présente une étude en profondeur de la côte dans « l’île et seigneurie de Montréal », une importante contribution à nos connaissances. Revenant ensuite à des perspectives plus générales, Jean de Laplante analyse dans le chapitre 3 les rapports entre la seigneurie et la paroisse religieuse dans le contexte géographique de la côte et, dans le chapitre 4, les liens entre la famille et la culture de la côte. La construction de ces deux chapitres s’appuie d’une manière très particulière sur des « monographies » ou des « cas exemplaires », qui font sans doute office d’illustrations, mais qui servent en réalité de piliers à la démonstration que poursuit l’auteur.

Jean de Laplante a associé le terme « culture » à celui de la côte. Au fil de la lecture, on se rend compte que le terme « culture » prend une double connotation. Il apparaît d’abord pour désigner un mode d’appropriation et d’exploitation du sol et du territoire. Puis, il en vient à s’étendre pour adopter la signification anthropologique de mentalité et conduite de vie. Il en ressort, sans que l’auteur ait à l’expliciter, que cette sorte de dérive conceptuelle sert à fortement marquer le lien organique entre ces deux connotations. Le rapport à la terre, surtout dans un pays de colonisation, sert non seulement de cadre mais donne surtout forme aux rapports entre les hommes, à la fois comme « contrainte » et comme support. Les « monographies » qui parsèment l’ouvrage en témoignent abondamment.

Je voudrais ici revenir sur le chapitre 2, que l’auteur intitule « Un cas exemplaire : l’île et seigneurie de Montréal ». Le passé rural, de ce qui est devenu une vaste agglomération urbaine, est encore tout récent : il s’est poursuivi jusque vers le milieu du XXe siècle. Et ce passé n’est ni statique, ni linéaire. Jean de Laplante en retrace l’évolution et ses points de rupture (le passage savamment documenté du couple ancien blé-bovins au couple avoine-cheval). L’analyse détaillée que mène de Laplante de « la grande étape 1740-1880) », dont il fait le « centre de l’évolution de la culture de la côte » (p. 112), est particulièrement éclairante. Insérée dans l’histoire du peuplement et de l’enracinement dans l’île, de 1642 à 1971, cette transition prend tout son relief et sa signification historique et sociologique.

Le lecteur familier des travaux de recherche historiques et sociographiques dans nos disciplines sera probablement étonné, peut-être dérouté, par le style et les remarques de l’auteur. Il faut savoir que Jean de Laplante a été, de son métier, un journaliste. Mais il a conservé toute sa vie une passion pour la recherche historique et sociologique. Celle-ci fut en quelque sorte sa deuxième carrière, parallèle à la première. Cet ouvrage est le fruit d’une entreprise de longue haleine, amorcée en 1950 et poursuivie depuis lors avec patience et constance. Le mariage du journaliste et du chercheur se fait bien sentir dans le ton de l’ouvrage, sa construction, sa démarche et, j’ajoute, dans la richesse des photos, dessins et cartes qui l’illustrent. Quand on s’y est fait, ce style à la fois savant et journalistique apporte une fraîcheur humaine, à ce que je considère comme étant sans conteste une riche contribution à un pan de l’histoire du Québec et un préalable à toute sociologie du milieu rural québécois.

Je ne peux m’empêcher de souligner que l’ouvrage s’enrichit d’un Index des sujets et des noms propres. C’est là une pratique si rare dans l’édition québécoise (et française, hélas !) qu’il ne faut pas manquer d’en faire état.