Comptes rendus

Marc Perreault et Gilles Bibeau, La gang : une chimère à apprivoiser. Marginalité et transnationalité chez les jeunes Québécois d’origine afro-antillaise, Montréal, Boréal, 2003, 391 p.[Record]

  • Patrice Corriveau

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  • Patrice Corriveau
    Section de la politique en matière de droit pénal
    Ministère de la Justice
    Gouvernement Canadien

Le travail socio-anthropologique de Marc Perreault et de Gilles Bibeau sur les gangs montréalaises d’origine afro-antillaise est colossal en ce qui a trait à la quantité et à la qualité de l’information recueillie (entretiens auprès de 200 jeunes) et surtout, novateur par son approche de cette problématique souvent « démonisée », à tout le moins surmédiatisée. Faisant fi des discours alarmistes des médias et des policiers, qui considèrent que les jeunes d’origine afro-antillaise forment des groupes à risque, « irrémédiablement enlisés dans les marges de la société (prostitution, drogue et petite criminalité) et dangereux » (p. 23), les auteurs examinent le phénomène des gangs par l’autre extrémité de la lorgnette, c’est-à-dire à partir du discours des jeunes eux-mêmes. Ils préciseront en annexe qu’ils se sont efforcés « de comprendre moins l’individualité des expériences et des discours que les structures communes, pour la plupart cachées » (p. 369). Ainsi, ils ont été à même de constater le décalage entre la pratique discursive et la réalité de l’action, où les jeunes tiennent un discours relativement homogène à l’égard de la dynamique de la gang alors que ce même discours se modifie lorsqu’il s’agit d’expliquer leurs expériences personnelles en rapport avec celle-ci (p. 374). Autrement dit, par l’entremise de l’approche déconstructiviste, et influencés par la conception goffmanienne des rôles sociaux sans jamais y faire directement référence, les auteurs se sont attardés à montrer « ce qui se cache derrière les modèles dominants d’intervention, à penser autrement la marge dans ses rapports aux normes sociales et à la situer vis-à-vis des valeurs centrales de la société » (p. 19). Dès le début de leur investigation, Perreault et Bibeau constatent que les jeunes Néo-Québécois d’origine afro-antillaise, contrairement à bon nombre de jeunes Québécois de « souche », réagissent très peu aux difficultés inhérentes de la vie par des conduites autodestructrices. Ils avancent alors l’hypothèse originale que la gang, loin d’être le symbole univoque d’une dérive sociale des jeunes, est plutôt un lieu privilégié de création du lien social. Autrement dit, l’appartenance à une gang favorise la création d’un environnement social globalement positif qui permet aux jeunes de sortir de leur isolement en leur offrant un espace collectif d’identification. D’une part, l’appartenance à un groupe permet aux jeunes marginalisés de pallier un manque évident de lien social. D’autre part, la rue devient un lieu de refuge et de fuite par rapport aux autres conflits auxquels les jeunes doivent faire face (violence familiale, violence institutionnelle, violence sociétale). Perreault et Bibeau dégagent ainsi quatre principales raisons évoquées par les jeunes pour justifier leur adhésion à une gang de rue. Premièrement, la gang est un groupe d’amis qui partage les mêmes réalités et vit les mêmes problèmes ; deuxièmement, elle devient une nouvelle « famille » qui comprend et qui peut aider le jeune ; troisièmement, elle s’avère un moyen de protection personnelle ; et quatrièmement, la gang constitue une occasion de faire de l’argent. Les auteurs précisent toutefois que ces raisons, une fois déconstruites ultérieurement par le jeune, s’avèrent des semi-vérités ou des mensonges cachant d’autres intentions. Ils constatent qu’au-delà du discours initial des jeunes, la gang, en tant que nouvelle « famille » permettant de conjuguer moralement et socio-économiquement les valeurs de l’identité d’appartenance avec les valeurs de la société, ne constitue pas réellement un groupe d’amis fiables en cas de crises graves. Dans certains cas, les amis se transforment progressivement en partenaires économiques. Dès lors, la gang n’est plus uniquement un espace protecteur mais davantage un espace privilégié pour obtenir des gains personnels. À cet égard, les auteurs remarquent l’adhésion de ces jeunes accordent aux valeurs …