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Jacques Lacoursière est reconnu comme l’un des meilleurs vulgarisateurs de l’histoire du Québec. Avec son style bien particulier, il invite à revisiter celle-ci en l’agrémentant d’anecdotes et de commentaires amusants qui illustrent magnifiquement les particularités de l’époque. Auteur de nombreux ouvrages dont la célèbre Histoire populaire du Québec, en quatre tomes, ainsi que Canada-Québec, 1534-2000, écrit en collaboration avec Jean Provencher et Denis Vaugeois, Jacques Lacoursière demeure un incontournable pour qui veut s’initier à l’histoire du Québec. Ses talents de raconteur ont pu être constatés sur les ondes de la première chaîne de Radio-Canada.

L’ouvrage est une synthèse qui émane d’un ensemble de travaux de l’auteur et d’une connaissance approfondie du Québec. En onze chapitres, il a relevé le défi de décrire l’évolution de la société québécoise sans oublier aucun des grands événements qui ont fait le Québec d’aujourd’hui. La division des chapitres s’explique tout d’abord par la chronologie des événements et aussi par les changements soit géographiques, soit de mère patrie, mais toujours sous l’angle du politique. La position de l’auteur est de chercher les fondements des choix politiques que la société québécoise est sans cesse appelée à faire.

L’histoire permet à une collectivité de se définir et son rôle consiste à lui faire prendre conscience de son passé. Dans cet ouvrage, on apprend comment le fait français a réussi à survivre.

Le chapitre initial illustre les difficultés liées à la colonisation et évoque les raisons du conflit avec les Iroquois. La première de ces raisons était essentiellement politique et concernait l’appropriation du territoire. La seconde était d’ordre commercial et avait pour objet la traite des fourrures. Ce conflit avec les Iroquois engendra par la suite un nouveau différend entre Français et Anglais qui débuta dans la mère patrie et se transposa ici, puis le peuplement devint l’axe central ; cela se confirma par l’arrivée des filles du Roi et par l’incitation financière à une famille nombreuse. Progressivement, on voulut franciser les Amérindiens, entreprise qui connut certaines difficultés ; Jacques Lacoursière saisit ici l’occasion de rappeler la remarque savoureuse de Marie de l’Incarnation : « On fait plus facilement un Sauvage avec un Français que l’inverse. » (P. 27.)

La possession réelle d’un territoire suppose l’occupation effective. Deux pays, soit la France et l’Angleterre, s’affrontent pour un territoire. La France envoie moins d’effectifs militaires en Nouvelle-France à cause de la guerre dans son pays et l’Angleterre y voit l’occasion de s’implanter davantage en prenant possession du territoire. Ce que confirme la signature du Traité d’Utrecht.

On s’identifie comme Canadien à partir de 1630. Et comment les Canadiens se différencient-ils de plus en plus des Français ? Tout d’abord par leur style de vie très apparenté à celui des Sauvages mais également par leur langage légèrement différent de celui des Français.

Le chapitre quatre retrace plusieurs tentatives pour sauvegarder la spécificité canadienne-française qui se concrétisent par la mise en place de fortifications à Québec et à Montréal ainsi que par la volonté de développer le commerce local. Ces réussites seront suivies de plusieurs échecs jusqu’à la capitulation de la Nouvelle-France.

Commence alors la première vague d’assimilation, à travers l’organisation du nouveau régime politique qui impose un nouveau code de lois. Dès les premières lignes du sixième chapitre, on a une idée du climat de l’époque à travers l’écrit d’un dénommé Anglicanus qui déclare : « Cette province est déjà une province trop française pour une colonie britannique. […] Mon grief est contre le résultat inévitable du développement inutile de la langue française dans un pays où une politique de bon sens requiert sa diminution plutôt que sa propagation. […] Après 47 ans de possession du Québec, il est temps que cette province soit anglaise ! » (P. 87.) C’est pour répondre à ce genre d’attaque que naquit le premier journal exclusivement de langue française, Le Canadien. L’affrontement passe des journaux au terrain. En 1837, Papineau appelle à la mobilisation : de petits groupes armés de Canadiens français se forment et mènent une insurrection contre le régime anglais, mais se heurtent à l’armée britannique. Ce sont les patriotes, appelés Fils de la liberté. Même les évêques menacent d’excommunication ceux qui prennent les armes.

Le chapitre sept s’ouvre avec la résistance des Canadiens français à l’Acte d’Union sous l’influence de Louis-Hippolyte La Fontaine. L’article 41 de l’Acte d’Union, qui voulait faire de l’anglais la seule langue officielle de l’administration gouvernementale, devient désuet et cet article, qui aurait entraîné l’abolition de la langue française, ne s’est pas appliqué. À la même époque, l’idée d’annexion aux États-Unis devient de plus en plus pressante. La présence religieuse au Bas-Canada a pris une très grande ampleur et l’emprise du clergé sur la population jouera un rôle de premier plan pour la sauvegarde de la langue française.

Après la Confédération, peu à peu, le Parti libéral gagnera la confiance des Canadiens français. L’un des leurs, Wilfrid Laurier devient premier ministre du Canada en 1896. Ce dernier dira : « En effet, nous Canadiens français, nous sommes une race conquise. C’est une vérité triste à dire, mais enfin c’est la vérité. […] Or, quelle est la cause qui nous vaut cette liberté ? C’est la constitution qui nous a été conquise par nos pères, et dont nous jouissons aujourd’hui. » (P. 125-126.)

Le chapitre neuf commence avec le début de la guerre de 1914. On incite les Canadiens français à y participer en mettant sur pied le régiment du Royal 22e. Comme la guerre se prolonge, la question de la conscription obligatoire s’amplifie et le Québec s’y oppose fortement. Après la guerre, c’est la période de la grande dépression économique de 1929. Pour certains, la solution à la crise passe par l’idée de l’indépendance du Québec qui fait son apparition en 1935. C’est aussi l’époque où Duplessis prône l’autonomie du Québec.

Dès 1941, les changements s’accélèrent. L’expansion démographique s’explique par deux facteurs : le baby-boom et l’émigration. Le sentiment nationaliste s’intensifie avec l’adoption du drapeau fleurdelisé, le début de la Révolution tranquille, la formation du RIN et les actions violentes du FLQ. Après avoir contribué à la nationalisation de l’électricité, René Lévesque quitte le Parti libéral et fonde le mouvement souveraineté-association qui deviendra le Parti québécois et qui prendra le pouvoir en 1976.

Au dernier chapitre, l’auteur fait état des obstacles qu’a rencontrés le projet d’indépendance du Parti québécois à une époque où l’on croyait que tout était possible : défaites aux référendums, échecs des discussions constitutionnelles avec le gouvernement fédéral (accord du lac Meech).

On regrettera que les deux derniers chapitres se limitent surtout à une liste d’événements déjà très médiatisés pour lesquels l’auteur ne fait qu’un survol rapide sans véritable analyse. Quoique l’ouvrage s’adresse au grand public, il aurait été intéressant qu’il contienne une brève bibliographie. Néanmoins, cette petite synthèse est un bon ouvrage sur les origines de la société québécoise analysées plus particulièrement sous l’angle politique.