Comptes rendus

Pierre Delorme (dir.), La ville autrement, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2005, 281 p.[Record]

  • Pierre Gauthier

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  • Pierre Gauthier
    Département de géographie, urbanisme et environnement,
    Université Concordia.

Pierre Delorme a convié quinze collaborateurs – sociologues, philosophe, politologues, urbanistes, économistes et historiens – à penser autrement la ville postmoderne et postindustrielle. L’ouvrage se décline en treize chapitres et se découpe en deux parties. La première partie est consacrée aux manières de penser la ville et fait place à cinq contributions qui exposent autant de perspectives théoriques et philosophiques pour appréhender l’urbanité contemporaine telle qu’elle se fonde sur de nouveaux rapports au temps et à l’espace. La seconde partie compte huit chapitres qui explorent comment cette urbanité est engendrée et vécue en autant de manières d’habiter, de pratiquer, de bâtir et de gérer la ville qui se fait jour. Delorme lance la discussion en insistant sur le défi épistémologique à la recherche en sciences sociales que pose la ville. Multiforme, cette dernière s’est révélée rétive à toute tentative d’analyse totalisante ; la ville est un champ privilégié pour l’exercice de la multidisciplinarité, voire de la transdisciplinarité, estime-t-il d’emblée, convaincu néanmoins que l’une des perspectives disciplinaires les plus fécondes pour comprendre la ville contemporaine demeure à ce jour la sociologie urbaine. Après avoir passé en revue quelques moments saillants de la recherche sociologique sur la ville – École de Chicago, analyses urbaines structuro-marxistes, analyses des politiques publiques et de la gouvernance urbaine –, Delorme propose de penser aujourd’hui la ville sous l’égide fédératrice d’une sociologie urbaine renouvelée et inclusive : une sociologie de l’imaginaire urbain. Il entend par imaginaire : « une théorisation de l’être, singulier ou dans son espace collectif, qui donne un sens à sa vie en société » (p. 24). Bref, Delorme invite à appréhender l’ordre symbolique et à se pencher sur les représentations internalisées, qui confèrent du sens à la façon dont l’individu habite, pratique et (re)construit sa ville aujourd’hui. C’est l’universalité de ces pratiques cognitives individuelles et leur caractère de co-construction symbolique qui confèrent un caractère collectif à l’imaginaire urbain. Delorme y voit l’un des ressorts fondamentaux de la construction de la ville contemporaine. Michel Maffesoli répond plus directement à l’invite de Delorme et il voit s’opérer un changement d’épistémè dans les sociétés contemporaines, dont l’une des caractéristiques fondamentales serait la contraction du temps en espace : « ce n’est plus un monde à venir, pur, ‘nouménal’, qui occupe l’imaginaire collectif, mais au contraire le monde phénoménal et ‘ses composantes sensibles et concrètes’ » (p. 31). Le fait de sentir et d’éprouver en commun serait au fondement de l’habitus, cette construction sociale et essentiellementsymbolique de la réalité. La dimension communicationnelle et intersubjective de l’espace contemporain, ce que Maffesoli désigne comme l’architectonique culturelle de cet espace, acquiert ici une importance non moins grande que son architecture physique. Il existerait entre les deux réalités une « constante et féconde réversibilité » (p. 32). La ville est parsemée de « hauts lieux » petits et grands où se construit l’imaginaire urbain : hauts lieux emblématiques de la célébration technique, culturelle (tels musées et bibliothèques), ludico-érotique (boîtes de nuit) ou consommatoire (centres commerciaux), ou encore petits hauts lieux de la vie vécue au quotidien (bistrot du coin, zone piétonne) où s’accomplissent les « mystères de la communication-communion » (p. 34). Christian Saint-Germain livre une réflexion philosophique sur la déspatialisation de la ville contemporaine. La montée de l’ordre marchand et la croissance tentaculaire des réseaux de télécommunication, argue-t-il, contribuent à dissoudre à la fois les distances géographiques et les rapports sociaux de proximité qui sont fondés sur autre chose que des rapports de production / consommation. Luc Noppen et Lucie K. Morisset se questionnent sur la pertinence d’une conception du patrimoine héritée des XIXe et XX …