Michèle Charpentier et Maryse Soulières, dans cet ouvrage fort intéressant, invitent à abandonner nos représentations habituelles du vieillissement en nous proposant de porter un regard différent sur la réalité des aînés vivant en milieu d’hébergement. Plutôt que de mettre l’accent sur les pertes, le déclin, la dépendance des aînés et les contraintes imposées par les milieux d’hébergement comme l’ont fait la plupart des auteurs jusqu’à maintenant, elles nous convient à appréhender l’expérience de placement et d’hébergement des personnes âgées à la lumière de leur trajectoire de vie et à nous intéresser à la marge de pouvoir et de liberté dont elles disposent pour s’adapter à leur nouveau milieu de vie. Ce livre présente les principaux résultats d’une recherche menée en 2006 à partir d’entretiens réalisés auprès de vingt personnes âgées de plus de 75 ans vivant en milieu d’hébergement public et privé. En donnant primauté à la perspective des résidents, les auteures ont ainsi cherché à combler une lacune importante en recherche : le peu d’attention accordée à la parole et à l’expérience des personnes âgées vivant en milieu d’hébergement. Habitées par la conviction que « tous les individus, même âgés et fragilisés, ont à la fois la capacité et le droit de prendre en charge leur propre vie » (p. 34) et refusant de considérer les personnes âgées « comme des bénéficiaires passives et dominées » (p. 3), Charpentier et Soulières vont à la rencontre des stratégies d’empowerment utilisées par les résidents des milieux d’hébergement dans leur quotidien. Il ne s’agit pas ici d’un empowerment synonyme d’indépendance « niant les pertes et la vulnérabilité des aînés » mais plutôt de propos et de gestes qui reflètent « la possibilité de faire des choix et de les faire respecter » (p. 43). Ces stratégies, « si fragiles puissent-elles paraître à nos yeux » (p. 42), sont d’une grande importance puisque, il ne faut pas l’oublier, l’expérience de l’hébergement constitue en soi une perte de contrôle sur son quotidien. Comme nous le rappellent les résidents interrogés, l’entrée en hébergement découle rarement d’un choix et le lieu de cet hébergement encore moins. Le sentiment de ne pas être chez soi, la routine imposée par les exigences organisationnelles et les horaires des employés, l’ennui et le manque d’activité, le manque d’attention et de personnalisation des soins, la promiscuité avec des personnes présentant des problèmes cognitifs importants, les comportements inadéquats de certains intervenants (langage infantilisant, manque de respect et de délicatesse, manque de considération, etc.) ponctuent les propos des résidents. Les auteures font le constat que les situations de mauvais traitements, d’abus ou de négligence de grande intensité sont rares mais que les pratiques, plus discrètes et sournoises, qui portent atteinte aux droits fondamentaux sont fréquentes et banalisées. L’ouvrage de Charpentier et Soulières montre que les différentes stratégies adoptées par les résidents pour s’adapter à ce nouveau milieu de vie s’inscrivent généralement en continuité avec la trajectoire personnelle et professionnelle des résidents : « […] rares sont les résidents qui ont présenté un bilan de leur vie faisant état de stratégies diamétralement différentes de celles qu’ils utilisent aujourd’hui, dans leur quotidien en milieu d’hébergement » (p. 84). Ces stratégies sont modulées par l’âge, le genre et le milieu social d’appartenance. Ce qui expliquerait en partie pourquoi les mécanismes de recours (processus de plaintes formelles, comités de résidents) « mis en place par une génération qui a été élevée dans une culture d’affirmation des droits » (p. 121) sont sous-utilisés par les personnes âgées vivant en milieu d’hébergement. Les stratégies d’évitement et de contournement (laisser faire, user de diplomatie, remercier fréquemment le personnel, taire …
Michèle Charpentier et Maryse Soulières, Vieillir en milieu d’hébergement : le regard des résidents, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007, 164 p.[Record]
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Marie-Hélène Deshaies
Candidate au doctorat en sociologie,
Université Laval.