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Le présent ouvrage, issu d’une coopération entre le Centre d’études acadiennes de l’Université de Moncton et le Centre interdisciplinaire de recherches franco-canadiennes et franco-américaines de l’Université technique de Dresden en Allemagne (CIFRAQS), représente non seulement la publication la plus exhaustive parue en langue allemande sur l’Acadie, son histoire, sa culture et sa société, mais également une des contributions les plus remarquables parues sur le plan international dans le sillage des commémorations du 250e anniversaire de la déportation des Acadiens survenue en 1755. Cette impressionnante somme de recherches et de documents sur l’Acadie est susceptible d’intéresser non seulement les lecteurs germanophones, mais également le lectorat francophone, d’autant plus que plusieurs articles, les bibliographies et nombre de documents cités et reproduits sont en langue française.
L’ouvrage est divisé en trois grandes parties rédigées d’abord par ses deux auteurs principaux : dans une première partie, s’étendant sur plus de 300 pages et comportant également de nombreux documents historiques de première main, l’historien et politologue Ingo Kolboom retrace de manière à la fois précise et dense l’histoire des Acadiens, en mettant l’accent sur la période française, l’occupation anglaise, le « grand dérangement » de 1755 et la « Renaissance acadienne » amorcée dès la fin du XIXe siècle. La seconde partie, rédigée par Roberto Mann, donne, en une trentaine de pages, un tableau de l’évolution historique des littératures acadiennes, au Canada et en Louisiane, accompagné d’une anthologie commentée de textes littéraires s’étalant de 1606 jusqu’à 2005 et comportant également des extraits d’ouvrages d’auteurs cajuns de Louisiane, comme Jean Arceneaux (« Je suis cadien »), Zachary Richard « Cris sur le bayou ! ») et David Cheramie (« Si près de la mort »). Dans une troisième partie intitulée « Mélanges acadiens », cinq contributions élargissent la perspective historique et littéraire développée par Kolboom et Mann : la linguiste allemande Ingrid Neumann-Holzschuh donne, en une trentaine de pages, un tableau informatif et dense de l’évolution et des structures du français en Acadie et en Louisiane ; Thomas Scheufler analyse dans sa contribution l’évolution du film en Acadie et en même temps les représentations de l’Acadie et de son histoire dans le média du film, en particulier en France, aux États-Unis et dans le reste du Canada, en fournissant également une chronologie et une bibliographie fort utiles des films acadiens. L’écrivain Jacques Gauthier, né à Bonaventure en Gaspésie et vivant « en exil » à Toronto, présente dans son essai autobiographique « À la recherche d’une 'affaire étouffée'. Témoignage d’un Acadien exilé » une recherche très personnelle des traces de sa famille acadienne déportée, comme de milliers d’autres, en 1755 et dispersée sur le continent nord-américain. Sandra Eulitz s’exerce, dans son récit fictif « Die Grobe Störung im Leben der Rosalie C. Eine Erzählung aus Akadien » (« Le grand dérangement dans la vie de Rosalie C. Un récit d’Acadie »), à imaginer, à partir de récits et de documents historiques, la destinée individuelle des déportés de 1755 dont la mémoire demeure essentiellement orale. L’historien Maurice Basque, directeur du Centre d’études acadiennes de l’Université de Moncton, se penche dans sa contribution conclusive (« En guise de conclusion : J’avons 400 ans. Traditions et modernité en Acadie. Regards d’un historien ») sur l’histoire des constructions identitaires acadiennes en soulignant le rôle important de la littérature et des autres arts. Loin de représenter un mouvement passéiste et nostalgique, le mouvement acadien, dont la renaissance remonte à la fin du XIXe siècle, est ici résolument lié à la modernité artistique et culturelle, incarnée par des poètes comme Herménégilde Chiasson ou des écrivains comme Gérard Leblanc, et aussi étroitement associé à des luttes politiques : « un long combat, non seulement pour la préservation de la langue française, mais pour sa défense, sa promotion, son rayonnement et sa protection juridique » (p. 899). Les contributions à cet ouvrage sont complétées par une chronologie de l’histoire de l’Acadie et de la Louisiane à l’époque de la Nouvelle-France, une bibliographie détaillée (et pourtant non encore exhaustive, notamment en ce qui concerne la Louisiane) des publications sur l’Acadie qui comportent également des bio-bibliographies des principaux écrivains acadiens, un CD-Rom avec des documents filmiques sur l’Acadie et un glossaire du parler acadien ainsi qu’un DVD d’un film de Eva et Georg Bense produit en 1998 par la chaîne franco-allemande ARTE et la ZDF, la seconde chaîne de télévision allemande, intitulé « Die Akadier. Odyssee eines Volkes » (« Les Acadiens. Odyssée d’un peuple »), le seul film de large diffusion sur l’Acadie tourné jusqu’ici en Allemagne.
Face à un ouvrage long de plus de mille pages, il est certes difficile de mettre l’accent sur des lacunes. On peut certes regretter, outre certaines omissions dans la bibliographie, le fait que les auteurs du présent ouvrage aient prêté moins – ou pas assez – d’attention aux autres médias que la littérature et le film, en l’occurrence aux arts plastiques, à la radio, à la télévision et surtout à la presse. Celle-ci a joué, avec le journal Évangéline (qui est très brièvement mentionné, de même que quelques journaux louisianais) et des almanachs populaires comme l’Almanach du Moniteur acadien, un rôle de premier plan dans le cadre de la renaissance acadienne à partir de la fin du XIXe siècle. Le rôle important des mouvements régionalistes et nationalistes québécois dans l’essor du mouvement acadien aurait également pu être souligné davantage. Celui-ci devient évident quand on se penche notamment sur la presse populaire canadienne-française, des publications comme l’Almanach des familles et l’Almanach de la langue française (1916-1937) dont Lionel Groulx fut un des collaborateurs. Formant un des liens socialement les plus importants entre la renaissance acadienne et le mouvement de défense de la langue française au Québec (notamment autour de la Ligue des droits du français créée en 1913), ces périodiques de très large diffusion furent également lus en Acadie (comme des comptes rendus et annonces dans le journal Évangéline le montrent) et fournirent d’importants supports pour la cause acadienne, la commémoration de la déportation de 1755 et les récits sur les rencontres entre Québécois, Louisianais et Acadiens des provinces maritimes. La presse servit également de relais socioculturel entre les traditions orales et l’univers de l’écrit et de l’imprimé en publiant, comme le journal Évangéline, plus de 130 chansons entre 1885 et 1955 dans ses colonnes dont une qurantaine sous le titre de « chants acadiens ».
Quelques remarques critiques, enfin, qui sont toutefois ponctuelles et n’enlèvent rien à la valeur d’ensemble de cet ouvrage imposant : la troisième version de l’Histoire des deux Indes de Raynal mentionnant la déportation des Acadiens parut d’abord en 1780 à Genève en quatre volumes in-4, puis en 10 volumes in-8 et non pas en 16 volumes en 1780-1785 ; la référence d’un site web indiquée à la page 161 (note 570) n’est pas correcte ; la notion de « degré d’assimilation » (« Assimilationsgrad ») de la population acadienne, chiffré précisément à la page 222, aurait dû être problématisée et expliquée plus en détail ; le Prix Goncourt attribué à Antonine Maillet en 1979 ne fut pas le premier accordé à un livre de langue française hors de France, comme l’affirme Mann (p. 325), mais fut précédé par celui du Martiniquais René Maran en 1921 ; et la mise en parallèle entre l’holocauste des Juifs pendant le Troisième Reich et la déportation des Acadiens en 1755, certes utilisée dans le discours politique acadien, aussi par Antonine Maillet (citée à cet égard p. 124), qui est évoquée assez longuement par Kolboom (p. 122-125), aussi avec des références à Hannah Arendt, aurait peut-être dû être maniée, dans un discours scientifique comme le présent, avec plus de subtilité et de distance historique.
Dans l’ensemble, cet ouvrage représente, sans conteste, une somme importante, bien conçue et originale, qui fera date dans l’enseignement et la recherche sur l’histoire, la société et la culture acadiennes.