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Comme son titre l’indique, l’ouvrage de Réjean Pelletier jette un regard critique sur le fédéralisme canadien et sur la place que le Québec y occupe. De tous les ouvrages consacrés à ce sujet, celui de Pelletier est sans contredit l’un des plus accessibles. L’auteur ne cherche pas à répondre aux articles et autres ouvrages écrits sur le même thème, mais il propose tout simplement, sans prétention, d’analyser l’évolution du fédéralisme canadien dans une perspective québécoise.

La première partie de l’ouvrage est essentiellement historique. Elle fait un tour d’horizon des diverses raisons qui ont motivé le choix du fédéralisme en 1867 et des nombreuses perceptions qui s’en sont dégagées. Dans le premier chapitre, l’auteur rappelle que ce sont surtout des facteurs économiques, politiques et militaires qui expliquent l’adoption de la formule fédérale au moment de la création du Canada, ainsi que la présence d’un clivage ethnique important reposant avant tout sur l’existence de deux grandes communautés, l’une anglophone et l’autre francophone. Plus précisément, l’adoption en 1867 de la formule fédérale résulte d’un « compromis entre ceux qui désiraient une forte intégration des colonies et une forte centralisation des pouvoirs et ceux qui insistaient sur la décentralisation afin de préserver la diversité des cultures et des intérêts régionaux » (p. 14). Néanmoins, selon Réjean Pelletier, l’inégalité du partage des compétences – cette inégalité découlant du fait que tous les pouvoirs inhérents à la souveraineté et toutes les affaires d’importance nationale ou d’intérêt général ont été confiés dès le départ au gouvernement central – témoigne de l’ambition centralisatrice des artisans de la fédération canadienne. Plus précisément, « l’esprit centralisateur qui a prévalu finalement dans le partage de compétences se trouve renforcé par l’idée d’une subordination des provinces à l’égard du gouvernement central, selon le modèle colonial qui avait marqué jusque-là les rapports entre les colonies et les autorités britanniques » (p. 18). De souligner l’auteur, « cette volonté d’assujettir les provinces aux autorités centrales était clairement présente au début de la fédération. Est-elle disparue par la suite ? L’histoire nous enseigne que ce n’est pas le cas, […], même si elle a pu prendre des formes différentes et même si on a assisté parfois à des périodes d’accalmie, ce qui a pu laisser croire à une certaine décentralisation » (p. 20). Or, cette décentralisation n’est qu’un mythe selon Réjean Pelletier, puisque l’histoire ne révèle aucun transfert de compétences du fédéral en faveur des provinces, alors que l’inverse est survenu à différentes occasions.

Élaboré suivant une démarche chronologique, le second chapitre illustre bien le fait que, durant les cent quinze années qui ont suivi la fondation du fédéralisme canadien, la recherche d’une identité nationale forte, elle-même reposant sur un gouvernement central fort, a consacré un modèle de fédéralisme centralisateur plus ou moins respectueux des provinces, et surtout, de la nation québécoise. En gros, pendant toutes ces années, le gouvernement fédéral a cherché à assurer sa prédominance sur les provinces et, selon l’auteur, y est parvenu. Réjean Pelletier reconnaît toutefois que, entre 1867 et 1896, on a assisté à une certaine reconnaissance des provinces et de leur autonomie et que, de 1896 à 1930, on a vu naître une période marquée par la recherche d’un certain équilibre entre les provinces et le fédéral.

Au total, on peut dire que cette période […] se caractérise, à l’exception du temps de guerre, par un fédéralisme de plus grande coopération entre les deux ordres de gouvernement. Les provinces jouissent d’une plus grande latitude pour utiliser leurs compétences, de telle sorte que chaque ordre de gouvernement joue davantage le rôle que lui assigne la Constitution. […] [L]es conflits sont peu nombreux entre les deux : au contraire, le fédéral cherche à collaborer avec les provinces plutôt qu’à les dominer totalement, sauf durant la guerre évidemment. On en arrive ainsi à un meilleur équilibre entre les partenaires de la fédération, surtout du fait que le gouvernement fédéral sort affaibli de la guerre (dette publique et gouvernements minoritaires) (p. 29 et 30).

Mais l’équilibre dont parle Réjean Pelletier était loin d’être parfait. Ainsi, selon lui, cet équilibre ne parvint pas à empêcher la subordination des provinces au fédéral, cette dernière en venant même à se transformer en une véritable domination de celles-ci par celui-là. « [L]e gouvernement fédéral fixait les grandes priorités pour les provinces, comme si elles ne pouvaient pas être autonomes dans leurs propres champs de compétences et qu’elles avaient toujours besoin d’une béquille fédérale » (p. 24). S’inspirant de Philip Resnick, Réjean Pelletier dira que les interventions musclées d’Ottawa dans les champs de compétence des provinces datent de bien avant l’arrivée du gouvernement Trudeau. Elles remontent plutôt à la Première Guerre mondiale et s’inscrivent, depuis, dans une véritable tradition. Cependant, de dire l’auteur, le premier ministre Trudeau a poussé plus loin ces interventions, les a raffinées et les a parachevées. Ainsi, sous Trudeau, et même avant, le gouvernement fédéral « a été un instrument puissant dans la construction de cette identité nationale et d’une véritable nation canadienne, sans qu’il y ait reconnaissance de la nation québécoise, mais tout en reconnaissant les Premières Nations en 1982 » (p. 37). L’exercice du pouvoir fédéral de dépenser, notamment sous la forme de programmes de subventions directes à des individus ou à des organismes – comme ce fut le cas pour les bourses d’étude du millénaire ou la création des chaires de recherche du Canada –, ne fut que l’une des manifestations de cette construction nationale.

Le troisième chapitre précise comment ce modèle de nation building a été consolidé par le « rapatriement » de la Constitution canadienne, survenu en 1982, et plus particulièrement par l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. En effet, cette dernière comporte des droits linguistiques qui parviennent à contrecarrer certaines des dispositions de la Charte de la langue française adoptée par le Québec en 1977. En revanche, la vision fédérative du Québec s’est construite autour de l’idée d’une autonomie entière dans ses champs de compétence, sans domination de la part du gouvernement central. L’auteur souligne que ces deux visions du pays s’affrontent notamment dans la conception du fédéralisme et de l’idéal fédéral, et demeurent irréconciliables. Cet affrontement constitue d’ailleurs, comme on le sait, un thème récurrent en politique canadienne. Selon Réjean Pelletier : « [l]es libéraux fédéraux sont demeurés fidèles à cette vision d’une seule grande nation canadienne qui était devenue la pierre angulaire de l’action politique du gouvernement Trudeau à son retour en politique en 1980 » (p. 54). Or, de rappeler l’auteur, « la fragmentation politique du territoire canadien a permis aux libéraux de se maintenir au pouvoir durant les années 1990 sans craindre la concurrence des partis d’opposition, dont les appuis sont trop concentrés dans une seule région, et en bénéficiant largement de la division de la droite entre deux partis politiques » (p. 48 et 49).

La deuxième partie du livre compte quatre chapitres abordant autant de thèmes. Ainsi, le premier fait ressortir les ratés de la politique de bilinguisme adoptée par Ottawa dès 1965. L’auteur en profite pour souligner que cette politique n’a aucunement freiné l’assimilation des francophones vivant en situation minoritaire. En se basant sur des données statistiques pertinentes, l’auteur démontre que la situation de ces derniers se détériore constamment et que, parallèlement, les francophones du Québec peinent à maintenir leurs acquis. Étant donné le déclin irréversible de la francophonie canadienne, le Québec est de plus en plus face à lui-même. Il doit mettre toutes ses énergies au service de la francisation de sa population. Au passage, l’auteur dresse un bilan du choix qu’a fait le Canada de l’individualité plutôt que de la territorialité en matière de droits linguistiques.

Pelletier se consacre à l’examen des relations intergouvernementales entre les provinces et le fédéral, surtout à la lumière de dossiers comme la formation de la main-d’oeuvre, l’Accord sur le commerce intérieur, l’Union sociale et la santé. En construisant son argumentaire sur la base d’une définition normative du fédéralisme qui insiste sur les principes de souveraineté partagée, de respect de l’autonomie provinciale et de coopération entre les gouvernements, l’auteur montre que les objectifs de représentation et de réelle participation des entités fédérées à l’exercice du pouvoir central sont loin d’être atteints au Canada. Par exemple, il souligne que le Sénat a perdu toute légitimité puisqu’il n’assume pas le rôle qu’il était historiquement censé jouer en matière de représentation des provinces. Il mentionne aussi que les mécanismes de coopération intergouvernementale mis en place pour répondre au besoin de participation de ces dernières aux grandes décisions pancanadiennes ne favorisent pas la pratique d’un fédéralisme de collaboration, fondé sur l’égalité entre les partenaires.

S’appuyant sur l’exemple québécois, Réjean Pelletier montre que l’inclusion dans les ententes fédérales-provinciales des demandes particulières du gouvernement du Québec ne se fait pas sans heurts. Conséquemment, il remet en question, dans le troisième chapitre, l’application qui est faite en ce moment du principe d’asymétrie, lequel permettrait pourtant, s’il était bien compris et bien mis en oeuvre, de favoriser une égalité réelle, plutôt que simplement théorique, des provinces.

Dans le quatrième chapitre, c’est la promesse du gouvernement Harper d’un fédéralisme d’ouverture qui est examinée. À cet égard, Réjean Pelletier souligne que cet engagement audacieux faisait espérer un nouveau fédéralisme de collaboration sous le signe d’un rapport égalitaire entre les partenaires fédératifs, de même qu’une « ouverture » du gouvernement central à l’endroit des provinces et une meilleure reconnaissance de la spécificité québécoise. Toutefois, le fédéralisme d’ouverture n’a pas donné les résultats escomptés selon lui. Il ajoute qu’il y a certes une ouverture du gouvernement conservateur à l’endroit des provinces par rapport à la décennie précédente, laquelle était marquée par des relations plus tendues entre les deux ordres de gouvernement, mais il note aussi qu’« [à] l’heure actuelle, on ne perçoit aucune ouverture d’ordre constitutionnel : c’est une voie complètement bloquée » (p. 166). Le fédéralisme d’ouverture : quelle ouverture ? s’interrogera-t-il.

Du reste, selon Pelletier, la reconnaissance des particularismes se traduisant dans des formules asymétriques a été relativisée par des ententes administratives ouvertes à toutes les provinces. Quant à la reconnaissance par la Chambre des communes du Canada du fait que les Québécois forment une nation, elle reste symbolique, puisqu’elle n’est pas inscrite dans la Constitution et qu’elle ne se traduit pas par l’obtention par le Québec de pouvoirs particuliers. Faisant un lien entre le thème de l’asymétrie et la question de la reconnaissance de la nation québécoise, l’auteur dira que « [l]a reconnaissance particulière du Québec comme nation minoritaire se traduisant dans des formules asymétriques prend habituellement deux directions qui viennent toutes deux atténuer, sinon occulter, le statut de minorité nationale » (p. 150). En conformité avec le fédéralisme territorial, les provinces sont donc sur un pied d’égalité. L’auteur dresse un portrait semblable de l’asymétrie qui découle des dispositions constitutionnelles concernant particulièrement le Québec puisque, selon lui, ces dernières lui imposent des obligations que n’ont pas les autres provinces, sauf en ce qui a trait à l’article 59 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Si l’on examine la Constitution canadienne, on n’y trouve rien (ni même le droit civil, comme nous l’avons montré) qui soit une forme de reconnaissance particulière du Québec ou de la nation québécoise. Si le Québec y est reconnu de façon particulière, c’est plutôt pour se voir imposer des obligations supplémentaires que les autres provinces n’ont pas nécessairement (bilinguisme institutionnel, comtés protégés, collèges électoraux pour le Sénat). Ces obligations avaient essentiellement pour but de protéger la minorité anglophone au Québec et non pas de reconnaître d’une façon spéciale la majorité francophone (p. 231).

En somme, plutôt que de voir en l’asymétrie une formule gagnante pour le Québec, Réjean Pelletier n’y voit, pour le moment, aucune reconnaissance positive du particularisme québécois.

Enfin, la troisième et dernière partie se divise en deux chapitres traitant respectivement des limites du Sénat et du Conseil de la fédération en ce qui regarde la représentation des provinces dans des instances décisionnelles de portée pancanadienne. Pour Réjean Pelletier, le premier n’a jamais réussi à jouer son rôle de deuxième chambre, d’où la nécessité de le réformer. Cette institution constitue ni plus ni moins qu’une Chambre des lords manquée. Quant au second, il est, toujours selon lui, une source de déception compte tenu des espoirs que sa création avait suscités.

Somme toute, dans son ouvrage, Réjean Pelletier souligne à grands traits que le fédéralisme canadien se centralise sans cesse et que, de ce fait, il est de moins en moins en mesure de répondre positivement aux demandes de reconnaissance du Québec. Il insiste à maintes reprises sur l’esprit de domination qui caractérise la plupart du temps les relations entre le fédéral et les provinces dans la fédération canadienne. Il soutient qu’une identité politique dominante s’est imposée unilatéralement au Canada avec le temps, et cela, sans tenir compte de la spécificité de la nation québécoise.

Affirmations discutables

En ce qui nous concerne, nous partageons le point de vue de Réjean Pelletier que l’évolution du fédéralisme canadien s’inscrit essentiellement dans une dynamique où les rapports hiérarchiques tendent à favoriser le centre au détriment des provinces, ne serait-ce que par l’exercice par Ottawa de son prétendu pouvoir de dépenser. Toutefois, l’utilisation par l’auteur des termes subordination et domination pour décrire notamment les rapports qui existent entre le Québec et le fédéral est fort discutable. En effet, ces termes présentent le défaut de ne pas accorder toute l’importance qu’il mérite au fait que l’État québécois a réussi tant bien que mal avec les années à conserver son autonomie à l’intérieur du fédéralisme canadien et à contrecarrer les velléités interventionnistes d’Ottawa. Certes, l’auteur souligne, à la page 54 de son ouvrage, la résistance du Québec aux visées centralisatrices du fédéral, mais il ne lui accorde cependant pas une place suffisamment importante, selon nous, dans son analyse de l’évolution du fédéralisme canadien. Dans la même veine, Réjean Pelletier sous-estime les nombreux gains que le Québec a faits au cours de son histoire au sein de la fédération.

Par ailleurs, l’auteur nous étonne lorsqu’il parle de la faillite du fédéralisme intra-étatique au Canada (p. 196). L’expression est trop forte et ne traduit pas fidèlement la réalité. Au contraire, bien qu’imparfaites, nous estimons, pour les avoir vues de près, que les relations intergouvernementales sont de bonne qualité et se portent bien dans ce pays. Elles prennent forme dans de nombreuses conférences fédérales-provinciales-territoriales et provinciales-territoriales, de même que dans une foule d’échanges bilatéraux entre chacun des partenaires fédératifs.

Tout aussi étonnante est l’affirmation que fait Réjean Pelletier, aux pages 140 et 141 de son ouvrage, voulant que la Loi constitutionnelle de 1867 n’ait même pas institué une forme d’asymétrie en ce qui a trait au droit civil québécois, asymétrie que seule la mise en oeuvre de l’article 94 de cette loi aurait consacrée. Certes, il est vrai que le paragraphe 92(13) de la Loi de 1867 accorde à toutes les provinces, sans distinction, le pouvoir législatif en matière de « propriété et de droits civils ». Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que cette mesure a été adoptée à l’origine précisément pour permettre au Québec de préserver et de développer son droit civil, par opposition aux autres provinces qui ont adopté le régime de common law. L’article 94 ne fait d’ailleurs que reconnaître cette asymétrie, en prévoyant la possibilité d’une uniformisation du droit privé dans les provinces de common law, ce qui évidemment ne concerne pas le Québec.

Du reste, le bilan que Réjean Pelletier dresse du Conseil de la fédération nous semble devoir être nuancé. Il est vrai que cette instance est moins efficace qu’on eût pu l’espérer à l’origine, mais ses résultats sont néanmoins concluants en plusieurs matières, notamment en ce qui touche le renforcement de l’Union économique canadienne. Avant la création du Conseil de la fédération, « l’interprovincialisme » se réalisait de manière ponctuelle et dépendait des exigences et circonstances du moment. Le Conseil a permis la mise en place d’une structure qui offre désormais aux provinces un forum où elles peuvent échanger et chercher à développer des consensus entre elles. Il a été créé dans deux buts précis : 1) renforcer les provinces dans leur relation avec Ottawa, et 2) permettre aux provinces de développer des avenues de collaboration entre elles dans leurs propres champs de compétence. S’il est possible que le Conseil ait performé en-deçà des attentes en ce qui touche le premier des deux buts susmentionnés (sous réserve du dossier du financement de la santé et, dans une certaine mesure, de celui du déséquilibre fiscal), il n’en reste pas moins qu’il a été plutôt efficace en ce qui concerne le second but.

Par ailleurs, l’affirmation que fait Réjean Pelletier aux pages 196 et 232 de son volume (lues en conjonction), voulant que le Conseil de la fédération ait été censé compenser, en partie, la défaillance du Sénat en ce qui a trait à la représentation des provinces au palier de gouvernement central, mériterait d’être précisée. En effet, le Conseil de la fédération n’a jamais été destiné à assumer une telle fonction ni à suppléer, ne serait-ce que partiellement, aux carences du Sénat. Au contraire, chacune de ces deux institutions a sa propre sphère d’intervention, laquelle est exécutive ou intergouvernementale dans le cas du Conseil, et législative dans le cas du Sénat.

En dépit des quelques critiques qui précèdent, le livre de Réjean Pelletier ne manque pas d’intérêt, loin de là. Il est à la fois précis et concis et il présente adéquatement les grands thèmes qui marquent le débat politique au Canada et au Québec. Il offre une lecture intéressante et éclairante du fédéralisme canadien. Surtout, il rappelle combien il est difficile de modifier les pratiques fédératives existantes et à quel point la vigilance sera toujours de mise pour le Québec dans ce pays.