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Secession and Self. Quebec in Canadian Thought porte sur un sujet tabou au Canada anglais : le débat constitutionnel canadien et la question de la sécession du Québec. Prenant au sérieux la possibilité de sécession du Québec, l’ambition de l’auteur est de proposer un argumentaire afin de contrer le discours des souverainistes, tout en étant respectueux de leur option. L’auteur est aussi en faveur d’un « fédéralisme asymétrique modéré », qu’il ne définit malheureusement pas, mais qui devrait accommoder le Québec au plan institutionnel. De façon plus précise, Millard procède à un long plaidoyer pour la formulation de raisons normatives, non utilitaires, contre la sécession. En soi, l’entreprise n’a rien d’original mais l’auteur refuse de faire porter le fardeau de la preuve sur le dos du Québec. Il invite plutôt les Canadiens anglophones à faire leur propre introspection et à se demander – un peu à la Ignatieff – pourquoi le Québec devrait être important pour eux.

Millard ne définit pas ce qu’il entend par la « pensée canadienne » mais il puise dans un vaste registre d’auteurs et se confronte de façon intelligente à leurs arguments pour ou contre la sécession. Ainsi, il déconstruit la prose douteuse d’auteurs comme David Bercuson et Barry Cooper, à droite, mais également celle tout aussi problématique de Gad Horowitz, de Philip Resnick et de Reginald Whitaker à gauche. Pour sa part, Millard trouve un appui à sa démarche dans les écrits de Charles Doran en politique internationale et chez les théoriciens du bien commun comme Samuel LaSelva et James Tully. Si ces personnes sont les plus présentes dans l’ouvrage, Millard incorpore à sa démarche une foule d’autres commentateurs, tant anglophones que francophones, ce qui est tout à son honneur car il est rare qu’un ouvrage écrit en anglais cite autant d’auteurs francophones.

En simplifiant, dans la première section de l’ouvrage, Millard remet en question les propos de Bercuson et de Cooper et de plusieurs autres dont William Johnson, Rainer Knopff, Ramsay Cook et Pierre Trudeau selon lesquels le Québec ne serait pas une société libérale. Pour les premiers, cela justifie la souveraineté alors que pour les Trudeau et compagnie, l’appartenance au Canada sauve le Québec de son tribalisme et permet sa plus grande ouverture sur le monde. C’est dire que le Québec serait incapable, pour des raisons congénitales bien sûr, de respecter les minorités, les Autochtones et les immigrants. Nous connaissons bien ce discours et Millard réussit à le déconstruire de façon élégante montrant, pour sa part, que la sécession du Québec pourrait tout aussi bien servir à cautionner l’avènement d’un Canada moins libéral et moins ouvert au pluralisme. Soulignons aussi le chapitre qui déconstruit la thèse de Horowitz, également partagée par Resnick et Whitaker, selon laquelle le Québec et le Canada sont trop différents pour s’entendre. Chez ces auteurs, les demandes de reconnaissance du Québec constituent une entrave à la réalisation d’une authentique identité canadienne et de la vraie politique, celle qui porterait principalement sur des enjeux de types économiques et sociaux. Millard rappelle les propos violents de Resnick, à l’époque des débats sur le libre-échange, qui insiste avec Whitaker sur la quasi-trahison du Québec à l’égard du Canada en raison de son appui à l’entente de libre-échange avec les États-Unis. Procédant à une synthèse utile des idées de la gauche canadienne-anglaise, Millard les rejette d’emblée. On ne peut pas présumer comme le fait la gauche que le Québec empêche le Canada de se préoccuper des « vraies » affaires.

Finalement, l’auteur se confronte au discours rejetant la légitimité de la sécession, pensons notamment à la formule choc popularisée par Stéphane Dion selon laquelle si le Canada est divisible, le Québec le serait aussi. Il procède à une déconstruction en règle de ce type d’argument et montre comment la sécession peut être justifiée comme un moyen de dernier recours tant que le Canada s’obstinera à ne pas reconnaître le Québec. Millard fonde aussi une partie de son argumentaire sur les propos de Michel Seymour pour qui la souveraineté sera gérée par le gouvernement du Québec selon des règles précises reconnues et des exigences morales fortes envers le respect des minorités et des peuples autochtones.

Puisant ses sources et son inspiration dans la théorie du Soi de Taylor, dans les idées d’Acton sur la multination et dans la théorie du développement de Mills, Millard s’attèle ensuite à formuler ces raisons valables, non utilitaires, pour inviter le Québec à s’identifier au Canada tout en poursuivant son autonomie au sein de la fédération. De façon rapide, le maintien du Québec au sein du Canada contribuerait au développement d’un type meilleur d’individu en mesure d’opérer dans une société multinationale. Fort de son approche pluraliste, démocratique, multinationale et normative, l’auteur passe en revue les propos non utilitaires déjà existants que lui ont inspirés les théoriciens du bien commun. Il revient sur l’argument selon lequel le Canada est un modèle de pluralisme culturel, une source d’inspiration pour la planète mais considère qu’un tel propos ne peut suffire à empêcher la sécession. En effet, une négociation réussie pourrait bien constituer un exemple pour le reste de la communauté internationale contribuant à la réputation du Canada. Plus séduisante est l’idée de LaSelva selon laquelle les rapports entre les anglophones et les francophones au Canada sont l’expression d’une fraternité complexe au plan historique. Cette fraternité, explique Millard, devrait servir de guide au dialogue démocratique entre le Québec et le Canada. Puisant aussi dans l’approche du multilogue de Tully, il insiste sur la nature enchevêtrée des identités canadienne et québécoise, l’une empruntant sans cesse à l’autre, afin de proposer une démarche de reconnaissance mutuelle entre les deux peuples. Reconnaissant que Tully ne réussit pas à traduire sa démarche en termes institutionnels, Millard, qui rappelle son engagement en faveur d’un « fédéralisme asymétrique modéré », évite aussi de se confronter à la realpolitik. Son plaidoyer pour un argumentaire normatif renouvelé l’incite plutôt à effectuer un retour sur les récits historiques canoniques canadiens-anglais car ils constitueraient une source importante de dialogue interculturel susceptible de rappeler aux Canadiens anglophones leur lien identitaire inextricable avec le Québec. Malgré les propos souvent outrageux d’un Donald Creighton à l’endroit du Québec, Millard considère, en revanche, que de tels travaux contiennent des références à l’Autre, soit le Québec, qu’il faut aussi comprendre comme un appel à la solidarité. Nous devrions profiter de cette histoire au sein de laquelle le Canada et le Québec sont en constant dialogue – ou confrontation – afin d’affirmer la nature multinationale du pays. C’est dire que le Canada anglophone devrait mieux s’ouvrir à la part québécoise de l’identité canadienne plutôt que de continuer de se représenter comme une société qui dispose de son histoire comme bon lui semble. Le dialogue avec les récits historiques devrait nous permettre d’exploiter cette nouvelle voie plus fraternelle et faire prendre conscience aux Canadiens anglophones de l’importance de la longue durée dans le dialogue interculturel.

Il faut souligner la richesse du propos de l’auteur et sa maîtrise d’un éventail impressionnant d’auteurs où il puise une démarche normative séduisante mais qui montre rapidement ses limites. Apolitique, la démonstration de Millard donne l’impression que celui-ci se réfugie dans les discours historiques à défaut de pouvoir identifier les acteurs les plus aptes à faire débloquer la situation constitutionnelle canadienne. Le fait de donner un fondement historique à l’imbrication des identités canadienne et québécoise est pertinent mais insuffisant. Le projet repose sur l’idée selon laquelle les identités proviennent d’une multiplicité de sources, fluides et embrouillées plutôt que d’être constituées de façon autocentrée. Certes, l’auteur considère que la sécession amputerait le Canada d’une partie de son histoire et de son identité. Toutefois le thème de la multiplicité des identités se pose non uniquement au Canada ou dans les sociétés divisées et ne contribue pas à enrichir l’argumentaire en cause. Par surcroît, il n’est pas clair que Millard souhaite poursuivre le dialogue avec des acteurs plutôt qu’avec des textes. À moins de mal comprendre les potentialités de la théorie du dialogue ou du multilogue, sa valeur me semble limitée pour faire débloquer une situation sans aborder l’épineux thème de la volonté politique qui fait cruellement défaut dans ce débat. Or, les théoriciens du dialogue font l’impasse sur cette question en raison d’une compréhension appauvrie de la politique. Plusieurs se défendront de ne pas négliger la politique mais sans prendre en compte ce que celle-ci exige comme effort au plan de la réflexion. En outre, comment ces mêmes auteurs peuvent-ils continuer de faire preuve d’autant d’indifférence envers le fait que le Québec n’a toujours pas paraphé la Loi constitutionnelle de 1982 ?

Malgré ces réserves, l’ouvrage de Millard mérite d’être lu. L’auteur procède à une synthèse utile de différentes traditions de pensée au Canada anglophone en plus d’étudier l’apport des universitaires francophones au débat sur la sécession. Il réussit à innover au sein de la théorie normative grâce à la démarche historiographique qu’il propose de mettre à jour à la lumière de la théorie du multilogue et de la reconnaissance mutuelle. Il faut aussi souligner le ton fraternel et l’effort très louable de l’auteur qui veut faire preuve de solidarité avec le Québec. S’il s’inscrit dans un courant de pensée minoritaire au Canada anglais, il est décevant de constater que nous sommes toujours dans un cul-de-sac tant au plan théorique que pratique. Que signifie reconnaître au Québec un fédéralisme asymétrique modéré ? Qui procède à ce type de reconnaissance ? Qui sont les acteurs qui participeront à un nouveau dialogue interculturel ? Et si le fédéralisme d’ouverture du gouvernement conservateur constituait un exemple de fédéralisme asymétrique modéré ? La crise économique annoncée en 2009 constitue un argument tout indiqué pour ne pas discuter de politique constitutionnelle. Une fois résorbée, un autre argument sera mis de l’avant afin d’éviter d’affronter la situation. Malgré son originalité, l’ouvrage ne constitue pas un baume sur cette plaie qui ne cicatrise jamais. À défaut de se confronter à la realpolitik en termes non utilitaires comme Millard l’appelle pourtant de ses voeux, son livre constitue néanmoins une raison de plus pour prendre la question des rapports entre le Canada et le Québec au sérieux.