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Pierre W. Bélanger est décédé le 31 juillet 2009 à la suite d’une longue maladie. Malgré plusieurs problèmes de santé, il a tenu jusqu’à la fin à poursuivre ses réflexions sur des enjeux éducatifs et sociaux qui lui tenaient à coeur.

Né en 1934 à St-Louis de Lotbinière, il fit ses études classiques au Collège de Saint-Laurent à Montréal. Après avoir milité quelques années au sein de la Jeunesse étudiante catholique, il s’inscrivit à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval. À la suite de l’obtention de sa maitrise en sociologie en 1960, il fut engagé comme professeur assistant à l’École de pédagogie et d’orientation de l’Université Laval. Il fit partie de l’équipe de recherche d’Arthur Tremblay sur le système scolaire au Québec, notamment sur la persévérance scolaire et l’accessibilité à l’éducation. Sa participation aux travaux de cette équipe lui permit de se familiariser avec les enjeux de l’éducation à l’époque qui a précédé la création de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement (Commission Parent) et elle a été un élément déterminant de sa carrière. Il retourna aux études en 1963 à l’Université de Californie à Berkeley où il s’intéressa particulièrement à la sociologie de l’éducation et compléta sa scolarité de doctorat. À son retour à l’Université Laval en 1967 comme professeur adjoint, il participa activement, au côté du doyen Jean-Yves Drolet notamment, à l’implantation de la nouvelle Faculté des sciences de l’éducation, après le transfert de la formation des enseignants des Écoles normales aux universités. Nommé professeur agrégé en 1970, puis professeur titulaire en 1974, il y enseignera jusqu’à sa retraite en 2003. L’Université Laval a reconnu son apport en l’élevant au rang de professeur émérite en 2004.

Pierre W. Bélanger fut, avec Guy Rocher et Pierre Dandurand, l’un des principaux instigateurs du développement de la sociologie de l’éducation au Québec dès la fin des années soixante. Ses contributions sont nombreuses et très variées. En 1970, il publia avec Guy Rocher un ouvrage collectif en deux tomes : École et société au Québec. Éléments d’une sociologie de l’éducation. Mais l’élément qui a le plus marqué son itinéraire tant par son ampleur que par sa constance est sa contribution au développement de la recherche en sociologie de l’éducation. On pense immédiatement au projet ASOPE, qu’il a dirigé avec G. Rocher, sur les aspirations scolaires et l’orientation professionnelle des étudiants. Cette recherche longitudinale s’inscrivait dans le prolongement des travaux sur l’accessibilité à l’éducation auxquels il avait participé au tournant des années soixante. Elle comportait trois cohortes d’étudiants francophones et anglophones des écoles secondaires et des collèges et des universités du Québec, qui ont été suivies sur une période de quatre à six ans, certains jusqu’à l’université. Ce fut le plus vaste projet de recherche en éducation au cours des années 1970, et il compte encore parmi les projets les plus ambitieux réalisés au Québec non seulement en éducation mais en sciences humaines. Il a permis (a) d’analyser l’orientation et les cheminements scolaires des jeunes de même que leur insertion professionnelle et (b) de faire le point sur l’atteinte des objectifs de démocratisation de l’éducation après la réforme scolaire des années 1960. À cet égard, il aura été un pionnier de la recherche en éducation au Québec.

Il initia et dirigea plusieurs autres projets de recherche notamment sur la contestation étudiante, les caractéristiques du personnel enseignant, sur les cégeps et leur fonction de « warming up », de réchauffement des aspirations scolaires des étudiants, sur l’évaluation du cégep de Limoilou, les universités québécoises et les politiques d’admission, l’histoire de la réforme scolaire, la gestion des organisations scientifiques, universitaires et multi-universitaires, et, plus récemment, sur une approche pédagogique axée sur la lecture des romans d’Harry Potter comme moyen de favoriser la réussite scolaire des garçons.

Cet investissement en recherche s’est aussi traduit dans la supervision d’un très grand nombre d’étudiants. On ne compte plus les thèses, les mémoires et les essais qu’il a dirigés, notamment dans le cadre du projet ASOPE, ni les chercheurs qu’il a formés et qu’on retrouve dans plusieurs universités et la fonction publique du Québec et de plusieurs pays africains. Sa grande force était d’amener les étudiants à cerner les enjeux théoriques et sociaux sous-jacents à leur objet de recherche et à dégager la signification de leurs résultats du point de vue des politiques éducatives.

Son apport au développement de la recherche et à la formation des étudiants ne devrait pas faire oublier ses contributions dans d’autres domaines. Outre sa participation à la mise en place de la Faculté des sciences de l’éducation telle qu’on la connaît aujourd’hui, il a assumé de nombreuses responsabilités dans la gestion pédagogique à titre de directeur des programmes d’études supérieures en administration et politiques scolaires, directeur du Département d’administration et politiques scolaires et du Département des fondements et pratiques en éducation. Son expertise l’a amené à jouer à plusieurs reprises un rôle de consultant auprès d’organismes en éducation, notamment auprès du Conseil supérieur de l’éducation en début de carrière, du Conseil des universités et du Comité d’évaluation pédagogique du Cégep de Limoilou. Il a milité activement au sein du Syndicat des professeurs de l’Université Laval et de la Fédération des associations et des syndicats des professeurs des universités du Québec, dont il a été le vice-président. Il y a aussi lieu de souligner sa contribution au rayonnement international de la Faculté bien avant que l’internationalisation de la formation ne devienne à la mode. Il a été très actif dans l’élaboration et la mise en oeuvre du Projet ouest-africain, subventionné par la Fondation Ford, visant à former des cadres africains en administration et politiques scolaires. Il a participé à plusieurs missions de recrutement et de supervision d’étudiants au Cameroun, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Togo.

On se souviendra du pionnier qu’il a été, du professeur et du chercheur qui a exercé un leadership dans des domaines variés, et de la source d’inspiration qu’il a été pour ses collègues et plusieurs générations d’étudiants.