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En des temps où les oppositions parlementaires s’évertuent à démontrer la turpitude des gouvernements issus des élections en évoquant incessamment des accrocs à l’éthique et des comportements irréguliers, il est plutôt exceptionnel – mais ô combien rafraîchissant ! – que paraisse un livre qui vise à redonner « un peu de crédit » aux élus en invitant à « reconnaître qu’ils font un métier souvent ingrat qui exige beaucoup de compromis et de sacrifices » (p. 5). Pour ce faire, Yves Boisvert s’appuie sur des entretiens réalisés entre novembre 2004 et mars 2005 auprès de 31 élus ou ex-élus (17 ministres et 14 députés). S’il ne doute aucunement de la sincérité de leur propos, l’auteur note tout de même les élans de candeur que ce propos trahit parfois sans être absolument exempt de contradictions. Comment, en effet, les interlocuteurs de Boisvert peuvent-ils soutenir que la grande majorité des personnes engagées en politique sont soucieuses de servir l’intérêt public et, en même temps, déplorer que beaucoup d’élus se révèlent d’abord carriéristes et narcissiques, traits qui, paradoxalement pour le profane externe, se font plus brutalement jour avec les « ennemis » de l’intérieur (des partis) qu’avec les « adversaires » des partis concurrents ?

La contribution de Boisvert était plus que bienvenue, et elle aurait pu se révéler extrêmement importante. Toutefois, la qualité quelque peu brouillonne du texte risque malheureusement d’en réduire la portée. Au-delà de la négligence qui caractérise le travail éditorial (en témoignent la quinzaine de fautes et coquilles recensées au fil des pages), il faut souligner quelques contradictions surprenantes… dans le propos de l’auteur cette fois : comment, en effet, peut-on mettre en évidence l’opinion des députés qui insistent sur l’importance des commissions parlementaires et, du même souffle, la contraster avec celle des « ministres qui n’en font aucune mention » (p. 137) ? Pourtant, n’avait-on pas auparavant (p. 82) mis en relief les jugements de deux ministres relatifs au rôle très important de ces commissions pour notre démocratie et à leur potentiel de régulation ? Finalement, l’exposé de 150 pages aurait pu être considérablement raccourci en y éliminant un nombre incalculable de redites qui, en très grande partie, tiennent à la structure générale de l’exposé. La décision de traiter séparément les témoignages des ministres et des députés serait apparue mieux justifiée si ces deux groupes d’interlocuteurs avaient été sources de discours nettement différents. Au vu de leurs similitudes prononcées, il aurait apparemment suffi de mettre en lumière les caractéristiques propres à chacun de ces deux univers de représentation et, ainsi, traiter globalement les positions des élus – comme d’ailleurs annoncé dans le titre – tout en apportant les nuances pertinentes pour tenir compte de points de vue spécifiques aux ministres et aux députés.

À ces remarques critiques sur la structure de l’ouvrage pourrait s’en ajouter une autre pour déplorer l’absence de précisions sur la démarche de recherche, en particulier sur la méthode de sélection des interviewés et leur distribution par affiliation partisane. Pareille information aurait été appréciée du lecteur qui attend que ce genre d’écrit aille au-delà de l’écho journalistique, et elle aurait renforcé la portée d’un rapport (préliminaire) de recherche qui, de plus, aurait indiscutablement gagné en profondeur et en qualité avec des références à une littérature où plusieurs des thèmes abordés dans La face cachée des élus ont été examinés… et analysés. En bref, il faut remarquer un déficit de rigueur, traduit notamment dans le flou qui entoure certaines notions comme le patronage et le lobbyisme, phénomènes placés au coeur même des observations que Boisvert emprunte à ses témoins. Ceux-ci ont par ailleurs évoqué des aspects extrêmement intéressants, éclairants même, de leur travail de médiation au profit des mandants qui les élisent. Manifestement, ils accomplissent avec le plus grand respect les tâches greffées à ce travail et souhaitent l’adhésion à des normes éthiques exigeantes qui permettraient de faire apprécier leur action à sa pleine valeur.

Conscients que des préoccupations d’un tel ordre ont pour effet de ralentir le rythme de l’activité politique, couramment tenue pour inefficace, les élus rencontrés par Boisvert les jugent néanmoins nécessaires pour (re)gagner la confiance de citoyens facilement portés au cynisme. Tout comme certains professionnels de la médecine, ils estiment tout de même que l’aversion des citoyens à l’égard de l’ensemble des politiciens n’affecte pas, la plupart du temps, la qualité des relations interpersonnelles avec leurs concitoyens. Ils privilégient par ailleurs des approches qui respectent leur autonomie ; du moins paraissent-ils peu apprécier des interventions qui leur « dicteraient » de l’extérieur des conduites estimées bonnes. Dans cette perspective, cela pourrait surprendre plus d’un profane, l’application de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme agace vivement alors que les règles relatives au financement des partis politiques et l’institution du jurisconsulte se valent généralement des notes positives. Certains font, vraisemblablement sans le savoir, aussi écho à La contre-démocratie de Pierre Rosanvallon quand ils signalent les abus de contrôle et de surveillance dont les fonctions politiques sont l’objet. D’autant plus que plusieurs sont convaincus que, sur une base comparative, le Québec et sa classe politique font preuve de conduites éthiques remarquables.

Si Yves Boisvert a produit un travail qui comporte des faiblesses méthodologiques et éditoriales, il faut par ailleurs lui donner crédit d’avoir publié un ouvrage qui tranche avec le dénigrement dont la classe politique est allègrement l’objet. Il aiguise ainsi notre conscience que le règne d’un citoyen-juge qui se dégage trop légèrement de sa propre responsabilité de participer à l’édification du vivre-ensemble accroît dangereusement les risques d’érosion d’une éthique démocratique qui, elle, ne peut s’épanouir que grâce à un débat public ouvert et axé sur le compromis.