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L’histoire est une matière controversée. La récente réforme du curriculum au Québec en est un exemple frappant. C’est que dans sa forme populaire, l’histoire joue un rôle essentiel à la construction de la mémoire collective et à la formation des identités. Comme l’a si bien résumé George Orwell dans son roman 1984, « celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. » Le collectif de Félix Bouvier et de Michel Sarra-Bournet est un livre issu du débat houleux sur l’enseignement de l’histoire au Québec. Parrainé par la Société des professeurs d’histoire du Québec, l’ouvrage présente une série de textes présentés au 45e congrès de la SPHQ en 2007. Se demandant quel rôle joue l’histoire nationale dans la société québécoise du XXIe siècle, le collectif vise à placer le lecteur au coeur des enjeux politiques, historiques, éducatifs et identitaires liés à la place de l’histoire dans un système scolaire en pleine mutation.

Grosso modo, on peut regrouper les dix chapitres du volume dans deux domaines d’activités complémentaires : l’enseignement et la didactique de l’histoire et les perspectives historiographiques. Dans un premier temps, les textes s’attardant à la didactique présentent les arguments de certains critiques face aux programmes et contenus actuels (Christian Rioux, Alexandre Lanoix), offrent des points de vue analytiques quant au processus même de la réforme des programmes d’histoire (Julien Prud’homme, Paul Inchauspé) et dévoilent les résultats de recherches empiriques menées auprès des enseignants et des élèves (Sébastien Parent, Félix Bouvier, Étienne Dubois-Roy et Luc Guay). Dans un deuxième temps, les textes de Mourad Djebabla et de Samy Mesli sur la Confédération et la Grande Guerre, d’Ivan Carel sur les années 1930 et la modernisation du Québec et de Jacques Rouillard sur le découpage chronologique de l’histoire moderne du Québec mettent en lumière des interprétations historiques souvent méconnues ou en porte-à-faux avec les orientations des programmes actuels. Michel Sarra-Bournet clôt l’ouvrage en offrant sa perspective critique sur le renouveau pédagogique en lien avec ce qu’il appelle les « grandes tendances lourdes », soit la diversification ethnoculturelle de la population, la montée de l’histoire sociale et les nouvelles approches socioconstructivistes.

Étant à Ottawa et n’ayant pas participé directement à ce que certains ont qualifié de « crise de l’enseignement de l’histoire », l’ouvrage de Bouvier et Sarra-Bournet offre des textes engagés avec des idées qui ne laissent pas le lecteur indifférent. On ne s’étonne pas de la position idéologique de certains auteurs mais on apprécie les opinions exprimées ouvertement et les références généralement détaillées aux diverses sources consultées. D’un point de vue de didacticien de l’histoire, le volume offre un contenu intéressant (programmes d’étude, recherche empirique, analyse des réformes) mais l’intégration des idées présentées et l’analyse des faits et des données demeurent incomplètes, voire tendancieuses. Ainsi, le chapitre de Lanoix présente six tentatives d’imposer un manuel d’histoire nationale « pan-canadienne » depuis la Confédération. Cette étude est superficielle et basée sur un corpus sélectif d’exemples ne servant qu’à prouver l’hypothèse, y incluant même les Minutes Historica (segments audiovisuels d’histoire populaire et non un manuel scolaire approuvé pour les cours d’histoire). L’auteur aurait gagné à étudier les écrits historiques de Charles Bilodeau, André Laurendeau et Arthur Maheux sur le sujet. Ce dernier rapporte notamment qu’en 1951, dans l’ensemble, les manuels scolaires du Québec négligent le Canada anglais et réciproquement. On retrouve même quelques erreurs notoires. Par exemple, contrairement à ce que soutient Bouvier, Historica n’a jamais produit la télésérie Le Canada : une histoire populaire – une production qui a nécessité tout près de 25 millions de dollars de la SRC/CBC. Si certains textes sont pertinents, on peut toutefois déplorer un manque de cohérence de l’ouvrage. En quoi, par exemple, le chapitre sur la Première Guerre mondiale, tout à fait valable sur le plan de l’histoire militaire, contribue-t-il à une meilleure compréhension de l’enseignement de l’histoire au Québec ? Les auteurs auraient dû répondre à cette question dans leur analyse. En revanche, le texte relatant l’expérience d’Inchauspé à titre de président du groupe de travail sur la réforme du curriculum offre une perspective à la fois personnelle et riche pour la compréhension de la réforme. Il en est de même du chapitre de Parent sur l’adéquation des changements au sein des programmes scolaires et des nouvelles tendances en historiographie. En somme, l’ouvrage de Bouvier et Sarra-Bournet m’apparaît utile, non pas parce qu’il prétend faire le point sur l’enseignement de l’histoire au Québec mais plutôt parce qu’il s’inscrit parfaitement dans cette conversation sur le rôle que doit jouer l’enseignement de l’histoire au XXIe siècle.