Article body

Les activités humaines se déploient à diverses échelles spatiales : le niveau local, de la ville, de l’agglomération urbaine, de la région, de la nation et, de plus en plus, le niveau international et planétaire. Parmi celles-ci, l’échelle métropolitaine est particulièrement difficile à saisir, se trouvant dans une position ambiguë entre le local et le national (ou régional-provincial, selon les circonstances). Bien qu’elle constitue un espace fonctionnel sur le plan des déplacements et des activités économiques, comme en témoignent les formules statistiques servant à définir le périmètre des régions métropolitaines, et qu’elle fasse partie du vécu de nombreux citadins, dans la plupart des cas, cette échelle demeure orpheline sur le plan administratif. Dépourvue d’un appareil gouvernemental qui lui soit propre et qui soit pourvu de solides moyens d’intervention, l’échelle métropolitaine est occultée par la primauté que les élus locaux donnent aux questions propres à leur municipalité. Pourtant, c’est de plus en plus à ce niveau que se manifestent les problèmes urbains, tels la congestion des réseaux autoroutiers, la desserte déficiente des transports en commun en banlieue, les déplacements qui se font de plus en plus longs et fréquents, et l’émission de gaz à effet de serre.

La métropolisation et ses territoires met au jour les principales dimensions du phénomène métropolitain, se fondant pour ce faire sur le cas de Montréal. Le milieu urbain montréalais se prête bien à un tel exercice, mais encore faut-il être conscient des particularités de l’agglomération montréalaise. D’abord, comme le montrent le chapitre de Pierre J. Hamel et l’épilogue rédigé par Julie-Anne Boudreau et Jean-Pierre Collin, Montréal se distingue par une architecture institutionnelle qui est à la fois exceptionnellement complexe et inefficace. Non seulement cette région est-elle dépourvue d’une administration métropolitaine performante, mais sa ville centrale fut affaiblie par l’introduction d’une structure décentralisée qui avantage les arrondissements. Par ailleurs, Montréal, qui était autrefois une région urbaine à forte densité, s’est rapidement décentralisée au cours des cinq dernières décennies, un phénomène qui est toujours en cours, alors qu’il s’est stabilisé ou même renversé chez plusieurs de ses consoeurs nord-américaines.

Les chapitres, rédigés surtout par des experts montréalais de la recherche urbaine, mais aussi par leurs jeunes collègues ainsi que par quelques chercheurs français, peuvent être regroupés en trois catégories. Il y a d’abord ceux qui offrent un survol de la métropolisation en tant qu’objet d’étude, sans se concentrer sur un cas particulier. Par exemple, le regretté Claude Manzagol décrit les aspects économiques de la métropolisation, qu’il situe dans un contexte de restructuration et de polarisation. Il perçoit un effet de renforcement qui permet aux secteurs urbains qui sont bien positionnés économiquement de profiter des tendances actuelles, alors que ceux qui sont désavantagés sur ce plan voient leurs chances de rattrapage se dissiper. Ce même raisonnement peut être transposé aux zones métropolitaines dans leur ensemble. François Ascher adopte une approche différente. Il relie la métropolisation aux dynamiques des déplacements et des échanges économiques des dernières décennies et il dégage les conséquences sur le développement urbain d’un mode de production plus respectueux de l’environnement. Assisterons-nous alors à une dé-métropolisation ou à l’émergence de nouvelles formes métropolitaines ? Finalement, Paul Villeneuve présente une étude portant sur l’inégalité financière des individus et ménages dans les régions urbaines canadiennes et le rapport entre cette inégalité et différents facteurs associés à la nature des ménages et la dimension des agglomérations urbaines.

Les chapitres appartenant au second groupe traitent aussi de questions métropolitaines, mais se concentrent sur des enjeux montréalais. Ils se distinguent des premiers par un contenu empirique beaucoup plus fort. Christel Alvergne et Daniel Latouche posent une question fondamentale sur le développement économique de Montréal, qui remet en question les idées reçues sur les facteurs favorisant la croissance économique des régions urbaines : comment se fait-il que Montréal, qui se classe bien sur les indices de diversité, créativité, culture, haute technologie et qualité de vie, performe-t-elle piètrement sur le plan économique, plus particulièrement sur ceux du revenu et de la productivité ? Un autre chapitre porte sur le réseau autoroutier de Montréal, qui constitue le principal vecteur de mobilité à l’échelle métropolitaine. Claire Poitras y distingue deux discours urbanistiques portant sur les projets autoroutiers. Le premier, qu’on peut qualifier d’urbain, propose la transformation d’autoroutes en boulevards urbains, susceptibles de stimuler le redéveloppement des secteurs ambiants. Le second, porteur de valeurs plutôt suburbaines, s’en tient aux types conventionnels d’autoroutes. Les autres chapitres appartenant à cette catégorie traitent des organismes sociaux et de l’immigration.

La troisième catégorie de chapitres s’éloigne du thème de la métropolisation en se penchant sur divers problèmes urbains montréalais, dont la portée métropolitaine est moins évidente que dans le cas précédent. Ces chapitres portent sur des quartiers en particulier : ils comparent la mobilité dans deux secteurs, décrivent un processus d’aménagement au niveau local, font part de la trajectoire économique d’un arrondissement et décrivent des projets de revitalisation de deux quartiers centraux.

Plusieurs contributions de cet ouvrage apportent une meilleure compréhension de la réalité métropolitaine et, surtout, de ses manifestations montréalaises. L’argumentation est solide, les perspectives mises de l’avant souvent originales et les aspects fondamentaux de la métropolisation (transports, gouverne, activités économiques), bien couverts. Le principal problème soulevé dans le livre concerne les difficultés de gérer l’échelle métropolitaine de façon démocratique et participative, cela dans un espace politique qui se prête mal à l’ajout d’un niveau supplémentaire de gouvernement. La plupart des citoyens ont en effet déjà de la difficulté à se retrouver dans le système politique actuel, une source de déclin de la participation électorale.