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De nombreuses publications ont souligné le 250e anniversaire de la bataille de Québec, dont la traduction française de l’ouvrage très connu de C.P. Stacey, Québec, 1759. La première édition est parue en 1959, la deuxième, publiée d’abord en 2002 et ensuite en 2006 sous un autre format, contient du matériel fourni par Donald Graves. C’est cette dernière édition qui a été traduite pour la publication de 2009. L’ouvrage de Stephen Manning est tout à fait récent ; il a paru simultanément en Amérique du Nord et au Royaume-Uni en 2009.

Les deux travaux tournent autour des sièges de Québec et les deux auteurs sont des historiens militaires, le premier canadien, le second, britannique. Bien sûr on trouve les mêmes faits historiques, surtout en ce qui a trait à la bataille des Plaines d’Abraham de 1759, ainsi que l’approche particulière à ce type d’histoire qu’on lit, je dois dire, avec bonheur. Le champ d’études ici est celui des conflits armés et de leur impact sur les sociétés. Il s’agit d’analyser le conflit en tenant compte de la personnalité des officiers, du processus de décision des belligérants, du support économique de la société, ainsi que les méthodes – stratégiques, opérationnelles et tactiques – utilisées par les forces armées pour atteindre leur but. Le travail de l’historien militaire n’est pas de prendre parti, son objectif final est de comprendre ce qui s’est passé et, surtout, d’apprendre de ce passé. Ni Stacey ni Manning ne font dans le romantisme, ils ne succombent pas à leur subjectivité, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de compassion pour les armées qui ont eu à se battre dans des conditions plus que difficiles, ni pour la société civile qui subit ce qu’il est convenu d’appeler les « dommages collatéraux ».

L’ouvrage de Stacey/Graves ne porte que sur l’été de 1759, de mai à septembre ; tout y est, et dans le détail. L’auteur confronte les documents, examine avec attention la correspondance entre Vaudreuil et Montcalm et entre Wolfe et ses brigadiers, analyse les cartes, fait état des stratégies préconisées et des tactiques adoptées, etc. Un travail minutieux auquel on a ajouté tout l’appareillage scientifique nécessaire : iconographie pertinente, notes détaillées, bibliographie exhaustive et de nombreuses annexes dont deux articles de Stacey écrits après 1959. Depuis une cinquantaine d’années, plusieurs – dont des membres des forces armées du Canada – ont commenté ce classique qui demeure un ouvrage de référence incontournable.

Le Quebec. The Story of Three Sieges est d’une tout autre nature : c’est un livre pour le grand public et qui se lit facilement. Manning, spécialisé dans l’histoire militaire de l’époque victorienne, nous présente une chronique de trois sièges de la ville de Québec dont deux opposant Britanniques et Français et, le troisième, Britanniques et « Américains ». Moins collé sur le déroulement des batailles comme tel, Manning met les choses en perspective, voit les événements dans une durée plus longue, et un espace plus large. Son récit commence en fait autour de la longue guerre, la French-Indian War qui se déroule de 1754 à 1760 ; cette guerre oppose des troupes britanniques, la milice des treize colonies américaines et des alliés amérindiens aux troupes françaises qui combattent aux côtés de la milice canadienne et d’autres alliés amérindiens. Si les Canadiens français se souviennent de cette guerre comme la Conquête, pour bon nombre d’Américains, elle est éclipsée par la guerre d’Indépendance (1775-1783) (p. 2). Contrairement à ce que l’on dit habituellement, pour Manning, la Guerre de Sept Ans, déclarée en 1756, est une suite à la guerre de la Succession d’Autriche. Ainsi, les Britanniques laissent leurs alliés, essentiellement la Prusse, se battre en Europe tandis qu’ils s’emploient à bâtir leur empire dans les colonies, mettant ainsi à profit leur formidable force navale.

La marche vers le siège de Québec de 1759 fut longue et difficile. Menée sur trois fronts – de l’ouest par la vallée de l’Ohio, du sud de New York vers Montréal et de l’ouest par le Saint-Laurent –, ce n’est que la bataille des Plaines et l’occupation de Québec, ville impériale, qui furent déterminantes. Si, selon les experts, les troupes françaises avaient fait l’erreur de mener bataille à l’extérieur des fortifications en 1759, le printemps suivant, Murray fera le même choix, et la même erreur. Or, en 1760, les troupes de Lévis, trop mal équipées, n’ont pu s’emparer de la ville à leur tour. Le troisième siège dont parle Manning est celui de 1775, l’objectif des « patriotes/rebelles » des treize colonies étant de chasser les Anglais du continent nord-américain. Or, le choix de diviser les effectifs militaires entre Arnold et Montgomery, ralentissant ainsi considérablement la progression vers Québec, serait la cause principale de la défaite de l’Armée continentale américaine le 31 décembre 1775. Voilà pour une brève description du contenu que Manning livre de manière journalistique : il informe, va à l’essentiel. Donnons quelques exemples : « Having made the decision, […] Wolfe had calculated that the assault must take place on the night of 12/13 September. Even Wolfe’s sternest critics admit that his awareness of the tide and moon in the decision to launch his attack when he did verged on the brilliant » (p. 49). Ou, en parlant de l’armement de Lévis lors de la bataille de Sainte-Foy : « […] he was still left with just twelve pieces [of artillery], the condition of which was described as ‘miserable’, to batter the walls of Quebec. What the French lacked in materials and supplies they made up for in morale and were eager for the fight to regain Quebec » (p. 95). Ou encore, ce très court paragraphe au sujet de la mentalité qui prévalait dans les treize colonies après 1763 alors que, non seulement la population se voyait imposer de nombreuses taxes, mais qu’il lui était aussi interdit de s’établir dans les territoires durement conquis à l’ouest des Appalaches : « Britain was loosing the battle of hearts and minds » (p. 127). En fait, les Britanniques ont été fort maladroits dans la gestion de leur nouveau territoire nord-américain et l’Acte de Québec de 1774 fut, pour les treize colonies du moins, la goutte qui fit déborder le vase !

Pour conclure, je reprends les mots de Manning : il serait souhaitable que l’importance de la ville de Québec dans l’histoire de la France, du Canada, des États-Unis et, bien entendu, de la Grande-Bretagne soit non seulement enseignée, mais qu’elle soit gravée dans la mémoire collective (p. 184).