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À l’aube du retour de la Ligue nationale de hockey (LNH) à Québec, Steve Lasorsa se penche sur la période durant laquelle journalistes et partisans s’invectivaient sur les mérites respectifs de leur équipe favorite, les Nordiques de Québec et les Canadiens de Montréal. La thèse de Lasorsa, c’est que l’animosité entre supporters de ces deux équipes, lorsqu’elles évoluaient dans la LNH entre 1979 et 1995, était le symbole de la dualité nationale et identitaire qui sévissait dans le Québec de la période référendaire. Le débat sur l’indépendance se transpose dans l’arène sportive, où, comme dans le monde politique, des gladiateurs (les francophones) et des mercenaires (les non-francophones) s’affrontent au Forum et au Colisée. Lasorsa procède à de nombreuses métaphores pour étayer sa thèse. Les entraîneurs Michel Bergeron et Jacques Lemaire symbolisent René Lévesque et Pierre Elliott Trudeau ; les Nordiques jouent en bleu avec la fleur de lys sur leur chandail, comme les couleurs du drapeau québécois, tandis que les Canadiens jouent en rouge, couleur du drapeau canadien. Les Québécois de toute la province auraient ainsi transposé leurs débats politiques et leur guerre fratricide sur les joueurs de ces deux équipes. Bien qu’il reconnaisse que le résumé soit trop court, Lasorsa associe les partisans des Nordiques aux souverainistes et transforme les fédéralistes en partisans du Canadien.
Lasorsa fait parfois preuve d’un enthousiasme débridé, notamment quand il affirme que « le hockey, ici au Québec, c’est l’opium du peuple, c’est notre religion » (p. 39). Il tempère ses propos quand il reconnaît que le soccer européen est aussi à la source de confrontations rituelles et systématiques entre supporters. D’autre part, il ne faudrait pas oublier que le hockey a ses fanatiques hors Québec. La rivalité entre Calgary et Edmonton, à l’époque de Wayne Gretzky et lorsque les Flames de Calgary sont devenus compétitifs, tout comme l’étaient devenus les Nordiques, était sûrement à la mesure de celle entre Québec et Montréal.
Pour en revenir à la thèse principale du livre, il est assez ironique de constater que si les partisans des Nordiques étaient indépendantistes, ils ne l’ont pas laissé savoir lors du référendum d’octobre 1995, puisque la région de Québec avait massivement voté pour le non. Lasorsa se penche d’ailleurs sur ce paradoxe (p. 110), spéculant qu’il s’explique par le refus de Jacques Parizeau de financer un nouveau Colisée ce qui aurait ainsi empêché le départ des Nordiques en mai 1995, une erreur que les partis politiques ont voulu éviter en 2011 sous la pression du maire Labeaume.
Lasorsa termine en affirmant que les Maple Leafs de Toronto ne constituent qu’un placebo, et que les partisans du Canadien souhaitent un retour des Nordiques pour pouvoir vraiment assouvir leurs passions. Lasorsa pense aussi qu’un club concurrent incitera le Canadien à recruter davantage de joueurs québécois, ce que montre d’ailleurs le livre de Bob Sirois (Le Québec en échec, Éditions de l’Homme, 2009), le Canadien repêchant en moyenne trois Québécois par saison durant les années des Nordiques, et seulement deux par après. Espérons seulement que les Molson et le Canadien n’imposeront pas de conditions délétères à la venue des nouveaux Nordiques, évitant de répéter ce qu’ils avaient fait en 1979.