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Le préfacier de cet ouvrage, Pierre Hurtubise, directeur du Centre de recherche en histoire religieuse du Canada, a raison de qualifier sa réalisation de « travail de bénédictin » (p. XI). À la première édition, parue en 2002, sont ajoutées environ 400 pages, consacrées notamment à 70 nouvelles notices biographiques et à l’ébauche d’une typologie relative à un peu plus de deux siècles d’histoire de l’épiscopat canadien, de la nomination de Mgr Laval, premier évêque de Québec, en 1674, à la mort, en 1885, de Mgr Bourget, deuxième évêque de Montréal.
Cette publication présente toutes les qualités d’un excellent outil de recherche et d’un ouvrage de référence pour qui s’intéresse à l’histoire non seulement religieuse mais également politique du Canada, tant ces deux dimensions sont étroitement imbriquées. Illustrons-le par trois exemples empruntés à chacune des trois parties de ce savant volume. La première partie, consacrée au cadre administratif et historique, dresse la chronologie précise de la création et de l’évolution des diocèses, au travers de leur périmètre et de leurs titulaires successifs ; le lecteur a ici à sa disposition le moyen d’observer les étapes de l’occupation religieuse et sociale du territoire canadien ; ainsi, en 1938, par voie de démembrement du diocèse de Haileybury, sont créés ceux d’Amos, de Hearst et de Timmins, au nord du Québec et de l’Ontario, au moment où ces régions entrent dans un processus de développement économique et démographique.
Dédiée sur plus de 900 pages à la biographie des quelque 600 évêques qui ont oeuvré au Canada depuis la fondation de la Nouvelle-France, la deuxième partie constitue le coeur de l’ouvrage. Ces notices, qui prennent appui sur l’exploitation d’une riche bibliographie, sont très fouillées et rédigées de façon claire et évocatrice ; elles rendent compte à la fois du cadre chronologique, des conditions d’exercice du ministère épiscopal et de la contribution des évêques à la réflexion et à l’organisation de l’Église catholique, y compris en ce qui concerne la gestion des conflits internes et les débats théologico-idéologiques. Des notices d’une dizaine de pages chacune sont consacrées à la biographie des grandes figures : les évêques Laval (Québec, 1674-1688, mais vicaire apostolique au cours des seize années précédentes), Plessis (Québec, 1806-1825), Lartigue (premier évêque de Montréal, 1836-1840), Bourget (son successeur à Montréal, 1840-1876) et Léger (Montréal, 1950-1968) ; l’analyse de ces parcours épiscopaux, qui se sont déroulés à des moments particulièrement importants de l’histoire du Québec et du Canada, viennent enrichir singulièrement une histoire nationale au cours de laquelle les acteurs religieux centraux ont occupé une place éminente voire déterminante. On ne saurait voir de simples anecdotes dans l’entrecroisement des enjeux politiques et religieux, en particulier lorsqu’on lit que le dais de Mgr Lartigue – dont on sait à quel point il s’opposera au mouvement des Patriotes –, au moment où celui-ci prend possession du tout nouveau siège épiscopal de Montréal, le 8 septembre 1836, est porté par ses cousins Denis-Benjamin Viger, alors conseiller législatif, et Louis-Joseph Papineau, député de Montréal-Ouest…
La dernière partie, composée d’une série d’« appendices », permet en particulier de mesurer la place occupée par le clergé régulier dans le choix des nouveaux évêques par Rome : une soixantaine d’Oblats de Marie-Immaculée, une vingtaine de Pères blancs, une quinzaine de Sulpiciens, mais seulement cinq Dominicains et quatre Jésuites. L’essai de typologie de l’épiscopat canadien montre par ailleurs que la Conquête constitue une césure en matière de recrutement : le Régime anglais s’accompagne en effet d’une « canadianisation » et d’une « démocratisation » de l’épiscopat de langue française (p. 1263).
Cet ouvrage, réalisé en solitaire et sans soutien institutionnel, représente un véritable gisement d’informations qui vient nourrir la réflexion et enrichir la connaissance de l’histoire religieuse et politique du Canada et du Québec. Le lecteur n’en est évidemment pas pour autant tenu de partager les orientations ni les préférences de l’auteur, en particulier lorsqu’il est écrit à propos du cardinal Marc Ouellet (Québec, 2002-2010, puis Rome au poste important de préfet de la Congrégation pour les … évêques, et, enfin, en position de papabile lors du conclave de mars 2013), qu’« il combattit courageusement, sans appui marqué de ses collègues dans l’épiscopat trop souvent réfugiés dans une attitude de silence, l’étroitesse et l’intolérance du discours sécularisant »…