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Contrairement à ce que laisse croire son titre, cet opuscule est rédigé en anglais. Les dix chroniques qu’il rassemble sont toutes parues sur le web, sur des sites journalistes indépendants et progressistes ou préoccupés par les questions de justice sociale (The Link, rabble.ca, Montreal Media Co-op, Al Jazeera English). Musicien et photographe, l’auteur se dit également activiste social. Il a suivi de près la grève étudiante et il décrit sa progressive transformation en mouvement social durant le printemps et l’été 2012. Animé du souci de faire de l’expérience personnelle des militants la base d’un discours journalistique alternatif, Christoff contribue effectivement à relativiser les perceptions négatives et biaisées de la presse anglo-canadienne au sujet de cette grève et à contrebalancer les propos tenus sur la chaîne anglophone de télévision nationale, la Canadian Broadcasting Corporation (CBC).

Les chroniques révèlent ainsi l’importance du contexte historique du mouvement étudiant québécois, systématiquement escamoté dans les médias anglophones, en montrant que si les droits de scolarité sont plus bas au Québec qu’ailleurs au Canada, c’est essentiellement parce que le mouvement étudiant y est une force politique importante depuis les années 1960. Elles mettent en relief tout le travail de terrain, surtout celui de l’Association pour une solidarité sociale étudiante (ASSÉ) – le fastidieux travail d’information et de mobilisation des étudiants échelonné sur plusieurs années –, montrent l’élargissement de la contestation grâce à la multiplication des liens entre le mouvement étudiant et des organismes communautaires, des mouvements sociaux, des syndicats, etc.

Les billets s’indignent également de la violence répressive des forces policières, en premier lieu celles de Montréal, et de leur usage exagéré des grenades assourdissantes (flashbang grenades) qui, en explosant, produisent une onde de choc de 175 décibels, émettent une lumière intense et relâchent un irritant chimique qui brûle les yeux et affecte le système respiratoire. Le travail de la Sûreté du Québec (SQ) est également mis en cause, notamment le jour, la soirée et la nuit du 4 mai 2012, dans les heures qui ont suivi la manifestation à Victoriaville, où avait été déplacé le congrès du Parti libéral du Québec. La chronique qui relate cette intervention policière (p. 25-28) constitue certainement le point d’orgue du livre, avec sa colère contenue devant l’évident abus de pouvoir. Durant cette nuit, le bus qui ramenait à Montréal les manifestants issus des universités McGill et Concordia est intercepté (avec deux autres) par des voitures de la SQ, ramené à Victoriaville et littéralement transformé en prison (tous ses passagers en état d’arrestation pour avoir « participé à une émeute »). Ce n’est qu’au petit matin (au bout de dix heures d’attente) que les manifestants seront interrogés un à un sur leur militantisme, leur participation à la manifestation, etc., et photographiés pour une future comparution devant le juge. L’intervention, probablement censée intimider les militants, a surtout consolidé leur sentiment de solidarité et leurs convictions politiques.

Enfin, les chroniques de Christoff s’en prennent directement aux médias anglophones et particulièrement à la CBC, qu’elles accusent d’avoir renoncé à toute objectivité : d’abord, le silence têtu des médias sur la brutalité policière en dit long sur leur inféodation au pouvoir en place. En éludant par ailleurs le caractère politique de la lutte étudiante, la CBC escamote non seulement l’arrière-plan historique du mouvement mais également l’essentiel de son discours, lequel est pourtant partie prenante de sa raison d’être. De même, taire les nombreuses ramifications et alliances entre le mouvement étudiant et d’autres mouvements sociaux permet aux médias de faire l’impasse sur le champ idéologique élargi qui anime tous ces groupes, non pas la défense d’intérêts particuliers, mais tout au contraire la préservation de la sphère publique et de ses institutions. En utilisant, par surcroît, les termes du gouvernement sur la grève (boycott, juste part, etc.), la CBC prend carrément, selon l’auteur, le parti du discours néolibéral, alors que, ironie du sort, elle-même fait face à d’importantes restrictions budgétaires dues aux mesures d’austérité adoptées par le gouvernement fédéral.

Imprimé à seulement cinq cents exemplaires, ce petit livre risque fort de ne tomber qu’entre quelques mains amies, alors qu’il mérite une bien plus large diffusion.