Comptes rendus

Denise Robillard, Monseigneur Joseph Charbonneau. Bouc émissaire d’une lutte de pouvoir, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2013, 526 p.[Record]

  • Alexandre Turgeon

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L’affaire semblait pourtant entendue. La démission de l’archevêque de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau, survient le 30 janvier 1950 dans des circonstances pour le moins mystérieuses. Quelques mois à peine se sont écoulés depuis les événements de la grève de l’amiante où Charbonneau s’est signalé par ses prises de position en faveur des grévistes – et contre le gouvernement de Maurice Duplessis. Le chef de l’Union nationale ne lui aurait pas pardonné cet affront et, à la suite de pressions auprès du Saint-Père à Rome, aurait obtenu la démission forcée du prélat. On ne s’oppose pas à celui que l’on surnommait le « cheuf », et cette affaire est devenue une pièce maîtresse de ce qu'on appelle la Grande Noirceur duplessiste. Or la démission de Charbonneau ne serait pas une affaire politique, mais bien une affaire cléricale. Ce n’est pas son appui aux grévistes, mais bien son appui au dominicain Georges-Henri Lévesque sur la question de la non-confessionnalité des corporations qui a fait de Joseph Charbonneau le « bouc émissaire d’une lutte de pouvoir », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Denise Robillard. Depuis plusieurs années déjà, l’auteure s’intéresse au fait religieux dans le Canada français au 20e siècle. Après avoir publié des études sur la religieuse Émilie Tavernier-Gamelin (1988), le cardinal Paul-Émile Léger (1993), l’Oratoire Saint-Joseph (2005), l’archevêque Maurice Baudoux (2009) et l’Ordre de Jacques Cartier (2009), elle s’attaque dans cet ouvrage à éclaircir les circonstances de ce « drame humain » qui a mené Joseph Charbonneau, archevêque de Montréal entre 1940 et 1950, à finir ses jours dans l’exil à Victoria, en Colombie-Britannique. Pour ce faire, elle a rencontré une soixantaine de personnes sur une dizaine d’années, dépouillé les archives de plusieurs fonds et consulté la correspondance de Charbonneau. La somme de travail est au bas mot colossale et mérite d’être soulignée. Au fil des seize chapitres qui composent l’ouvrage, Robillard retrace le parcours de Charbonneau, depuis sa formation (chapitre 1) jusqu’à son exil (chapitres 15 et 16) en passant par les moments forts de sa carrière épiscopale, le premier en Ontario (chapitres 2 à 7) et le second à Montréal (chapitres 8 à 14). L’auteure nous présente également ses difficultés, les unes fondées, les autres un peu moins, avec le clergé franco-ontarien et québécois ainsi qu’avec les milieux nationalistes. Alors que Charbonneau préfère la conciliation dans un climat de luttes et de revendications entre francophones et anglophones en Ontario, le père Claude Charlebois n’hésitera pas à dire à qui veut l’entendre qu’il est « vendu aux Irlandais » et un « traître à sa race » (p. 159). Au Québec, ses positions sociales avant-gardistes l’éloignent de ses confrères de l’assemblée des évêques. Ainsi, lorsque Charbonneau appuie sans réserve le père Lévesque sur l’affaire de la non-confessionnalité des corporations (chapitre 12), on peut affirmer qu’il s’agit de la traditionnelle goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ce sont Mgrs Georges Courchesne de Rimouski et Philippe-Servule Desranleau de Sherbrooke qui mènent la charge et obtiennent du Vatican la disgrâce de leur confrère de Montréal. De toute façon, ce ne pourrait être une affaire politique, souligne Robillard, du fait que la présence des deux ministres du gouvernement Duplessis à Rome au moment des faits, Antonio Barrette et Albiny Paquette, fut trop brève pour avoir pu jouer un rôle quelconque dans cette affaire (p. 474). Cela dit, l’auteure aurait gagné à étayer sa démonstration en utilisant davantage les archives du gouvernement québécois, de l’Union nationale et de Maurice Duplessis. Que Barrette et Paquette n’aient point fait pencher la balance, le lecteur peut en convenir. Mais, sans avoir joué …