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La décennie 2010 a vu se confirmer le regain d’intérêt pour la recherche historique sur la guerre de Sept Ans entrevu à la fin de la décennie précédente. Malgré le « raté » de la commémoration du 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham en 2009, les chercheurs ont avec succès relancé l’analyse scientifique de cette guerre aux conséquences mondiales, et de ses impacts encore perceptibles un quart de millénaire plus tard. La collaboration de plus en plus accentuée entre des historiens des deux côtés de l’Atlantique, qu’ils soient québécois, français, américains ou encore britanniques a amené de nouveaux questionnements, cherchant à replacer la partie nord-américaine du conflit dans le contexte plus global d’une lutte impériale dans le monde atlantique.

La dernière pierre, et non des moindres, ajoutée à ce vaste édifice encore loin d’être achevé, est le Montcalm, général américain de Dave Noël. Maintes fois fut posée la question « Montcalm : ange ou démon? » et maintes réponses, toutes contradictoires et peu convaincantes, y ont été apportées. Plutôt que de prendre parti pour l’une ou l’autre des options, Dave Noël choisit de répondre à une autre question : « pourquoi Montcalm a-t-il agit ainsi lors de sa carrière nord-américaine? ». S’inscrivant dans une jeune génération d’historiens traitant des connexions et des comparaisons des pratiques militaires entre la France et la Nouvelle-France, Noël questionne ici les campagnes américaines du marquis de Montcalm au regard du bagage militaire acquis par ce dernier dans les guerres européennes. Trop souvent, le rejet du marquis de la « petite guerre » ou guerre « à la canadienne » a été mis de l’avant par une historiographie se cantonnant à l’opposition entre Français et Canadiens. Noël remet en cause cette vision réductrice en se penchant sur l’apprentissage de cette partie de la guerre par Montcalm par ses confrontations avec des troupes irrégulières en Italie lors du conflit précédent.

L’accent est tout de même mis sur la fameuse bataille des plaines d’Abraham du 13 septembre, qui par son dénouement tragique pour la Nouvelle-France « demeure le principal, pour ne pas dire l’unique ancrage mémoriel du conflit qui a déchiré le nord-est du continent entre 1754 et 1760 » (p. 10). Souhaitant briser le « récit caricatural » (p. 12) de cette bataille, qui persiste encore aujourd’hui, et refusant l’image d’un Montcalm paniqué et pressé d’en découdre au matin du 13 septembre, et ainsi coupable de nombreuses erreurs fatales, Noël cherche à restituer la complexité du déroulement de l’affrontement et à replacer celui-ci dans le contexte bien plus large d’une campagne s’étirant sur plus de deux mois à l’été 1759. Pour ce faire, l’historien fait appel à un corpus de sources de choix, multipliant les témoignages permettant entre autres d’accéder au ressenti de nombreux officiers ayant côtoyé de près comme de loin le haut commandement de l’armée française à Québec au cours de ces semaines éprouvantes tant physiquement que moralement pour les défenseurs de la capitale de la colonie. Allant là aussi à l’encontre d’une historiographie quelque peu dépassée présentant une opposition manichéenne entre Français et Canadiens, Dave Noël nous offre une vision de l’armée française non monolithique, faisant au contraire ressortir les dissensions régnant parmi le corps des officiers. Il intègre également avec brio les sources produites par les acteurs et témoins canadiens des événements, offrant une multiplicité des points de vue sur la chute de Québec.

Un chapitre entier (le dixième) est ainsi consacré aux sources nécessaires pour l’analyse et la compréhension d’un tel sujet. Si les historiens utilisant les écrits des officiers européens comme matériau premier sont légion, rares sont cependant ceux à s’être penchés avec autant de détail sur la question de la provenance – et de l’utilisation – de ces sources. Un exemple marquant est celui du journal de campagne du marquis de Montcalm, dont il était de notoriété commune qu’il avait connu plusieurs scripteurs, et pour lequel Noël propose une analyse minutieuse et détaillée mettant en lumière ces écrivains de l’ombre ainsi que leurs rôles respectifs dans l’état-major de l’armée. En plus de ravir l’amateur érudit à la recherche de nouvelles références, ce chapitre constitue à notre sens une véritable leçon en matière de recherche historique sur le comportement que doit adopter le chercheur face à ses sources.

L’ouvrage de Dave Noël s’impose ainsi comme une référence majeure sur l’étude de la bataille des plaines d’Abraham, et plus encore au sein des études visant à lier l’analyse des versants nord-américain et européen de la guerre de Sept Ans. En outre, la plume dynamique et efficace de l’auteur rend l’ouvrage accessible à un public large et varié, bien loin de se cantonner aux seuls chercheurs.