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Dans la préface d’un livre questionnant La coopération syndicats-recherche en Europe (Chouraqui, 1991), Alain Touraine qualifiait de méfiance mutuelle les relations syndicalistes-chercheurs et imputait cette distance inévitable au fait que la recherche étudiait non pas la situation où agit le syndicat mais le syndicat lui-même comme acteur (p. 24), ce qui suscitait embarras et malaises dans les organisations. Ce point de vue ne semble pas partagé par André D. Robert qui dirige un collectif sur la nécessaire complémentarité de ces deux institutions, les syndicats ayant besoin de connaissances pour argumenter leurs positions et défendre leur action, alors que la recherche nécessite une audience.

Cet ouvrage, paru en 2004, répond à un appel d’offre de l’Éducation nationale de France en vue de documenter le rôle et la fonction des associations professionnelles et des organisations dans l’utilisation de la recherche par les enseignants (p.17). Il tend à montrer que le dépassement des clivages antithétiques peut et doit mener à une circulation des résultats de recherche auprès et par les syndicats d’enseignants. Des équipes d’enseignants-chercheurs ont été constituées pour une revue de presse d’une quinzaine de syndicats majeurs de l’enseignement public et privé. Bien qu’il soit très difficile pour un lecteur étranger de s’y retrouver dans la soixantaine de sigles et acronymes qui ne sont pas tous explicités, le dépouillement des éditoriaux, des dossiers spéciaux, des comptes rendus d’entretiens avec des chercheurs et des articles de fond des diverses revues et publications raconte l’histoire et recense la place de la recherche en éducation dans la presse syndicale. La sélection des disciplines, des thèmes de recherche et des conclusions à publier, si elle relève encore souvent d’un désir d’instrumentalisation des résultats au service d’intérêts professionnels, corporatistes et/ou pédagogiques, montre cependant le passage à une recherche produite indirectement par les syndicats, à travers des commandites, ou encore, plus directement, par des expériences, peu nombreuses mais innovantes, de collaborations avec des équipes de chercheurs. Cette analyse des choix éditoriaux quant à la mise en valeur de tel ou tel résultat, la citation des travaux de tel ou tel laboratoire ou l’interview de tel ou tel chercheur, si elle ne permet pas de traiter la question de l’utilisation des résultats de recherche dans la pratique des enseignants, mène effectivement à mieux comprendre l’évolution des liens recherche/syndicat en France, à en dégager les différents enjeux et à formuler des hypothèses pour expliquer l’interprétation, l’adaptation et la vulgarisation de la recherche en éducation par les syndicats d’enseignants.

Il n’en demeure pas moins que, dans cette translation, les syndicats n’agissent pas, à proprement parler, comme agents de diffusion ou de relais des résultats de la recherche, mais comme producteurs, comme le dit le professeur Robert, d’un discours second (p. 29) sur cette même recherche, discours dont on comprend mal les mécanismes spécifiques selon chaque type de regroupement des enseignants français. Par contre, toute cette étude illustre à merveille le dilemme que soulève Dubet au chapitre premier en soulignant, comme sociologue, que : Il y a deux situations dramatiques : la première, c’est de n’être pas lu ; la deuxième, c’est de l’être, parce que, dans ce cas, vous ne contrôlez plus rien (p. 105). Un tel paradoxe, qui traverse une grande partie du présent ouvrage, s’avère susceptible de stimuler la réflexion de n’importe quel chercheur.