Depuis toujours, dans divers contextes philosophiques, les affinités entre la sémiotique et l’économie ont fait l’objet de discussions. Les premiers écrits s’en tenaient souvent au parallèle entre les biens échangés contre de l’argent et les significations véhiculées par des mots ou des énoncés. Leibniz est considéré comme l’un des premiers sémioticiens de l’économie (Dascal 1978), pour ses réflexions relatives aux liens et différences entre, d’un côté, la valeur matérielle inhérente à l’or, aux pièces et toutes formes de monnaies, et de l’autre, la valeur sémantique des signes verbaux Dans Les Mots et les choses (1966), Michel Foucault propose une théorie générale de la représentation visant, entre autres, à révéler les rapports entre l’ordre sémiotique et l’économie à travers l’histoire culturelle, de la Renaissance à la modernité. À leur tour, Bauer (1998) et Kliemt (2003) donnent un aperçu général de l’évolution des relations entre l’économie politique et la sémiotique depuis Thomas Hobbes. Au vingtième siècle, dans le champ de la sémiotique, Roman Jakobson fut le premier à souligner les liens entre cette discipline et l’économie. En hommage à Claude Levi-Strauss qui avait en quelque sorte anticipé cette idée, il déclara que les deux se consacraient à l’étude de la communication, mais à différents niveaux. Alors que la sémiotique s’intéresse à l’échange de messages, les sciences économiques étudient “l’échange de biens et de produits”. Ainsi ces deux disciplines “abordent les mêmes types de problèmes, à des niveaux stratégiques distincts. Elles font donc réellement partie du même champ” (Jakobson 1971, 663, traduction libre). Une théorie économique souvent qualifiée de sémiotique avant la lettre figure en ouverture du Capital de Karl Marx, plus exactement dans les trois premières sections du chapitre inaugural de la première partie de l’ouvrage (Erckenbrecht 1973, 98-119; Goldschmidt 1990; Scheffczyk 1998, 1456). Dans ce chapitre, Marx distingue l’utilisation de la valeur d’échange d’un bien, puis envisage la seconde comme un “hiéroglyphe social” dont le sens est à déchiffrer. Il conclut que “la transformation des objets utiles en valeurs est un produit de la société, tout aussi bien que le langage”. En tant qu’objet d’échange, une marchandise “entre en société avec une autre marchandise [et] ne trahit ses pensées que dans le langage qui lui est familier; le langage des marchandises. Pour exprimer que sa valeur vient du travail humain” (section 3.2). Cependant, soutient Marx, le langage des marchandises ne parle que de la valeur d’échange de ses hiéroglyphes, jamais de leur valeur d’usage. Pour son intérêt principalement historique et terminologique, il convient de mentionner Maffeo Pantaleoni (1857-1924), économiste italien influent et contemporain de Saussure qui postula une “sémiologie” ou “sémiotique économique” dans les années 1890 et 1900. Il désignait ainsi une science visant à “rassembler des faits économiques pouvant faire l’objet d’un traitement statistique”. Dans le premier paragraphe de son article, “Observations sur la sémiologie économique I : Système d’indice unique et système totaliseur”, Pantaleoni écrit : Pantaleoni concevait donc la “sémiotique statistique” comme une science ayant pour tâche d’interpréter ces “symptômes” sous-tendant les réalités et tendances cachées derrière les données statistiques recueillies par les économistes. Sur le plan historique, l’utilisation des termes sémiologie et sémiotique dans un cadre sociologique neuf ans avant que Naville n’intégrât ceux-ci à sa Nouvelle classification des sciences de 1901 est en soi remarquable (cf. Nöth 2021). Durant la première moitié du vingtième siècle, apparemment sans même avoir été influencé par Marx et sans aucune référence à Saussure, Karl Bühler, dans le chapitre quatre (section trois) de son ouvrage Théorie du langage, proposa une interprétation sémiotique (qu’il nomma sématologique) du système des marchandises pour montrer que “[l] e pendant de l’échange de signes est …
Appendices
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