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Si le féminisme a engendré des interprétations bibliques depuis plus de 100 ans, les études de genres ne font que commencer à explorer l’articulation des masculinités dans le corpus biblique. Ce petit livre de Peter-Ben Smit est l’outil tout indiqué pour approfondir ce champ de recherche novateur. On y retrouve une présentation de la genèse des études de masculinités en sciences humaines, un tour d’horizon des interprétations bibliques à partir de l’étude des masculinités ainsi qu’un exemple original d’interprétation biblique à partir des masculinités en Mc 6.

La première définition des masculinités offerte dans l’ouvrage a l’avantage d’être simple et directe : « Masculinities studies is a vibrant, interdisciplinary field of study broadly concerned with the social construction of what it means to ‘be a man’[1] ». Le point de départ de ces études est un article de Carrigan, Connell et Lee : « Towards a New Sociology of Masculinity »[2]. Cet article propose l’expression « hegemonic masculinity » pour désigner le type de masculinité dominant dans un contexte particulier. Bien que ce concept soit toujours une construction simplifiée de la réalité, Smit souligne que ce concept est utile pour l’étude des structures hiérarchiques de construction de genre. Il propose un regard intersectionnel et pluridisciplinaire sur les masculinités en explorant les relations des masculinités à la sexualité, à la « race », au (post)colonialisme, à la politique, à la santé, aux institutions et à la religion.

La deuxième partie du livre présente de façon quasi exhaustive les analyses des masculinités en études bibliques, tant dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau. Ces études prennent leur origine dans les études féministes de la Bible et s’inspirent aussi des études queer. L’auteur identifie deux trajectoires dont témoignent ces études. La première porte un regard essentiellement historique par l’étude des masculinités bibliques en contexte des cultures de l’Antiquité. La deuxième porte un regard sur les masculinités bibliques en relation avec les enjeux contemporains de la masculinité. Ainsi, l’étude des constructions de genre de l’Antiquité éclaire nos propres constructions de genre et vice-versa. Smit plaide pour l’inscription de l’étude des masculinités bibliques dans le champ des études de la réception biblique.

La troisième partie du livre présente l’exemple de Marc 6 analysé sous l’angle du rituel et de la (dé)construction de la masculinité. Il permet de voir comment l’attention au rituel d’un repas partagé permet de comprendre la construction et la déconstruction de la masculinité de Jésus et d’Hérode. Si Jésus réussit le défi présenté par ses disciples de nourrir la foule, Hérode échoue au défi de la danse de sa belle-fille. Jésus est celui qui organise le repas, alors qu’Hérode se fait organiser par sa femme. Jésus préside un repas marqué par l’abondance de pain, alors qu’Hérode sert la tête de Jean un peu contre son gré. Finalement, Jésus a nourri une foule et les disciples ont suivi ses ordres alors que c’est Hérodias qui donne les ordres aux gens d’Hérode. Cette étude montre comment la juxtaposition de deux récits en Mc 6 présente Jésus comme leader masculin crédible en le comparant à Hérode qui perd toute crédibilité comme dirigeant masculin. La masculinité « hégémonique » d’Hérode se révèle déclassée par la masculinité « marginale » de Jésus : « In other words, the texts advocate a marginal, potentially queer – given Jesus’s marginal, later crucified masculinity – form of masculinity as being a truer masculinity than hegemonic, imperial masculinity. » (p. 65)

Le livre se termine par un regard vers l’avenir. Après plusieurs études sur les grands hommes bibliques, Jésus et Dieu, l’auteur suggère de se tourner vers les masculinités bibliques plus marginales ainsi que l’étude de la masculinité des personnages féminins. Au lieu de viser à définir les caractéristiques de masculinités hégémoniques, il suggère de mener des comparaisons entre deux types de masculinité. Un autre développement proposé est de mener des comparaisons entre masculinités de la Bible hébraïque et du Nouveau Testament. Un exemple de ce type d’étude se trouve dans un article que j’ai récemment publié sur les masculinités de Jésus et Joseph en regard de celle de quatre autres hommes dans la généalogie en Mt 1[3].

La bibliographie qui termine l’ouvrage s’avère très utile puisqu’elle indique pratiquement toutes les études bibliques des masculinités jusqu’en 2017. Dans les deux ans qui séparent la publication de Masculinity and the Bible et cette recension, quelques travaux doivent être mentionnés pour compléter cette bibliographie et montrer la fécondité de ce champ de recherche. Deux livres majeurs ont été publiés, l’un sur les masculinités dans le livre de Daniel par B. C. DiPalma[4] et un autre sur les masculinités idéales dans les synoptiques par S. Asikainen[5]. Des articles ont aussi été publiés au sujet du corps d’Élisée[6], de la masculinité d’Abimelech[7], de la restauration du prépuce en 1 Maccabées[8], du service et du martyr en Mc 10,42-45[9] ainsi que de la sexualité en Ap 17-18[10].

Comme la plupart des livres de la collection Brill Research Perspectives in Biblical Interpretation, ce livre s’avère une excellente ressource pour comprendre une approche novatrice en interprétation biblique. Dans ce cas, la genèse des études de masculinités, l’histoire de leur usage en interprétation biblique, l’exemple de l’étude des masculinités en Mc 6, les voies d’avenir ainsi que l’abondante bibliographie permettent de saisir rapidement cette approche interprétative prometteuse.