Comptes rendus

Jonathan Goldman (dir.), La création musicale au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal 2014, 414 p. ISBN 987-2-7606-3238-7[Record]

  • Ariane Couture

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  • Ariane Couture
    Docteure en musicologie, conseillère en développement de la recherche au Vice-rectorat à la recherche, à la création et à l’innovation de l’Université Laval

Lorsqu’il est question de composition de musique savante dans le Québec du second xxe siècle, il est ardu d’embrasser toute la production musicale d’un même regard, puisque certaines pièces présentent des formes et des sonorités nouvelles qui dépassent les conventions occidentales, alors que d’autres jouent sur la mémoire de ces mêmes conventions. En effet, une grande variété de courants relève de la musique dite contemporaine : le sérialisme, le minimalisme, la musique mixte, la musique spectrale, la monodie, l’indéterminisme, le postmodernisme, le rétrofuturisme, etc. Sous la direction de Jonathan Goldman, La création musicale au Québec propose de « comprendre la spécificité du modernisme musical québécois par le truchement de quelques oeuvres marquantes qui ont ponctué cette histoire » (p. 11). En retenant les caractéristiques générales communes des compositions, le concept de modernisme propose une avenue pertinente pour l’étude de la production musicale depuis 1950, caractérisée par « l’acte récurrent de fragmentation d’unités, […] l’utilisation de paradigmes mythiques, le refus des normes de la beauté, la volonté d’entreprendre des expériences linguistiques radicales, inspirées fréquemment par l’aspiration (selon la formule d’Eliot) de secouer et de déranger le public ». Le concept de modernisme met en évidence les questions de construction des idées nouvelles, par la réflexion et l’expérimentation, et des changements d’influences et de réponses du public. C’est par le biais de diverses méthodes d’analyse musicale (harmonique, dodécaphonique, paradigmatique, schenkérienne, spectrale, réalisationnelle, etc.) que treize auteurs, compositeurs ou musicologues, contribuent à l’avancement des études sur le modernisme musical au Québec. De fait, cet ouvrage collectif permet de redécouvrir des analyses de 21 oeuvres de musique contemporaine du Québec composées entre 1954 et 2010, dont treize déjà publiées dans le « Cahier d’analyse » de la revue Circuit, musiques contemporaines entre 2007 et 2014. On peut certes se questionner sur les motivations intrinsèques du directeur de la publication ou sur l’intérêt pour les Presses de l’Université de Montréal de rééditer ces articles, dont plusieurs sont disponibles gratuitement en ligne. Il résulte néanmoins de cette collection une intéressante mise en série qui facilite la perception d’une certaine unité de pensée chez plusieurs des compositeurs discutés ici qui, même s’ils appartiennent à des générations et à des institutions différentes, se réclament de certains des maîtres européens du début du xxe siècle, principalement Pierre Boulez, Olivier Messiaen, Karlheinz Stockhausen, Edgar Varèse, Anton Webern, Iannis Xenakis, etc. Il est d’ailleurs fascinant d’observer, tout au long de l’ouvrage, l’insertion dans un continuum temporel tant des oeuvres que des compositeurs, car l’on mise sur l’aura des prédécesseurs pour justifier la production musicale et l’engager dans une voie d’avenir. Situer les personnes et leurs oeuvres historiquement en traçant une ligne téléologique est une idée typique de l’esprit moderniste que l’on retrouvait déjà dans la somme de Célestin Deliège, Cinquante ans de modernité musicale, de Darmstadt à l’Ircam. S’intéressant à l’esthétique et à l’histoire des productions musicales entre 1945 et 2000, Deliège cherche à expliquer la création musicale dans une perspective chronologique : depuis le postwebernisme, en passant par l’École de New York, la musique électroacoustique, l’écologisme, le théâtre instrumental, l’improvisation, la stochastique, le spectralisme (tel que proposé, par exemple, par le collectif l’Itinéraire), jusqu’à la composition assistée par ordinateur. L’auteur présente ainsi une historiographie des divers courants comme une suite logique où les avancées et les dissidences découlent des courants précédents. Seules les pratiques compositionnelles postmodernes ne trouvent pas grâce à ses yeux, car, d’après sa conception de la modernité, « [l]a citation pratiquée comme norme compositionnelle, tendance déjà “postmoderne”, est ressentie comme un signe de précarité au même titre que les autres formes du “retour à…” …

Appendices