Abstracts
Résumé
La posture transclasse, telle que définie par Chantal Jaquet, permet de porter un regard empreint de solidarité sur une culture populaire parfois cernée par la pauvreté. Dans la mesure où la reconfiguration des luttes politiques contemporaines suppose l’établissement de nouvelles identités politiques, suivant Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, le récit autobiographique de l’écrivain ou de l’écrivaine transclasse s’avère d’autant plus précieux qu’il suppose une capacité unique à naviguer entre les discours : ceux de leur classe d’origine comme de celle d’arrivée. C’est à cette faculté de passer d’un code à l’autre, d’un quartier à l’autre et de montrer, de par leur récit, l’ampleur du fossé des inégalités, que nous convoquent les récits Burgundy de Mélanie Michaud et Mélasse de fantaisie de Francis Ouellette.
Abstract
The transclass posture, as defined by Chantal Jaquet, allows for an empathetic look at a popular culture sometimes poverty-ridden. To the extent the reconfiguration of contemporary political struggles supposes the establishment of new political identities, in accordance with Ernesto Laclau and Chantal Mouffe, the autobiographical narrative of transclass writers proves all the more valuable in that it supposes a unique capacity to navigate between discourses: those of their background class and their class of arrival. This option to move from one code to another, from one neighbourhood to another, demonstrating the size of the inequality gap through narrative, is evident in the works Burgundy by Mélanie Michaud and Mélasse de fantaisie by Francis Ouellette.
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La pauvreté a toujours été l’autre de l’économie : ce qui, en tant que force de travail (rémunérée ou non), rend possible son expansion indéfinie, tout en étant exclu de ses bénéfices. Ou pour le dire avec une formule empruntée (et légèrement modifiée) de Slavoj Žižek pour décrire le Réel lacanien, l’économie est ce qui détermine les conditions socioéconomiques des pauvres, tout en demeurant inaccessible, voire invisible, puisque partout et nulle part à la fois[1]. C’est cette omniscience et cette toute-puissance qu’Éric Arlix et Jean-Charles Massera cherchaient à stigmatiser dans leur très ludique Guide du démocrate : « À défaut d’être une fin, le marché est tout. Le marché c’est le monde et c’est dans ce monde que nous vivons et devons nous épanouir[2]. » Si l’efficacité de cet aphorisme semble reposer sur l’impossibilité désespérée d’échapper à la logique néolibérale du marché, il n’en traduit pas moins une présence hégémonique du discours économique dans le discours social en général, présence ayant progressivement phagocyté l’espace délibératif au point où toute discussion sur un enjeu quelconque, de la crise climatique à des questions d’éducation, se voit ramenée à des questions économiques (capacité de payer de l’État ; effet des mesures fiscales sur l’inflation ; etc.). Si Thomas Piketty a bien montré l’accroissement des inégalités à partir de 1980, en particulier aux États-Unis, et plus spécifiquement « l’effondrement de la part des 50 % les plus pauvres dans le revenu total, qui est passée d’environ 20 % en 1980 à guère plus de 12 % en 2018[3] », il apparaît d’autant plus important de prendre en compte la voix des pauvres et de composer avec leur colère, plutôt que de la laisser en pâture aux populistes conservateurs, si habiles à la manipuler, et donc de plus en plus nombreux à régner, en Europe aussi bien qu’en Amérique du Nord. Ce que j’aimerais explorer dans ces pages concerne la représentation de ces inégalités dans deux textes récents de la littérature québécoise. Car la question qui se pose, c’est qui parle de pauvreté et à partir de quel point de vue ? Avec quelle légitimité ? Quelles revendications liées à ce statut socioéconomique ces textes portent-ils ? Et surtout, en quoi ces revendications articulent-elles un contre-discours propre à résister à l’hégémonie du marché ?
La représentation de la pauvreté dans la littérature québécoise a comme on le sait une histoire critique considérable. Or, la pauvreté dans cette histoire critique renvoie le plus souvent à une figure plutôt qu’à un discours, c’est-à-dire à un symbole d’aliénation ou à une figure porteuse d’un manque. Il y aurait par exemple beaucoup à dire sur la conception de la littérature rattachée à une pauvreté ontologique frayant avec l’absolu qu’Yvon Rivard, dans « L’héritage de la pauvreté[4] », a dégagée du « Mauvais pauvre » de Saint-Denys Garneau et de son lecteur le plus attentif, Jacques Brault. Mais cette conception, aussi riche soit-elle et malgré le fait qu’elle soit rattachée à la condition québécoise, coupée à la fois de la France et de l’Amérique de par son histoire, a évidemment pour effet d’évacuer, d’exclure du discours sur la pauvreté la dimension socioéconomique d’un état pourtant bien réel, toujours présent dans certains quartiers de Montréal, de Québec ou de Longueuil, par exemple, et que plusieurs récits contemporains cherchent à mettre au coeur de leur narration.
Depuis Le feu de mon père de Michael Delisle (2014) et Chemin Saint-Paul de Lise Tremblay (2015), deux récits autobiographiques où les auteur et autrice reviennent sur le milieu populaire dans lequel iels ont grandi, on ne compte plus les récits jouant du pacte autobiographique pour mettre en scène la pauvreté. Celle-ci acquiert ainsi un surcroît d’authenticité présumée qui permettrait d’éviter les pièges de l’appropriation, de la condescendance et de la facticité. C’est d’ailleurs ce qui a amené la philosophe Chantal Jaquet à s’intéresser de près à l’oeuvre d’Annie Ernaux (tout comme aux autobiographies de Richard Hoggart et de Didier Eribon) dans un ouvrage qui se penche spécifiquement sur ce passage d’une classe à l’autre, Les transclasses ou la non-reproduction[5]. C’est cette posture hybride du transclasse, entre la « culture première[6] » de l’enfance, pour le dire avec Fernand Dumont, et la « culture seconde » découlant d’un capital culturel nouvellement acquis qui me retiendra ici. Car ce statut hybride du transclasse, ayant un pied dans chaque monde, s’accompagne, il faut le souligner, d’une capacité peu commune de naviguer entre les codes discursifs les plus divers. Il s’agira d’évaluer le potentiel de négociation qu’une telle posture implique dans ce jeu entre des codes discursifs distincts.
Précisons d’emblée que ce dialogue explicite de Jaquet avec la notion de « reproduction sociale[7] » définie par Bourdieu et Passeron ne cherche pas tant à la révoquer qu’à mieux comprendre son régime d’exception. Pour Jaquet, une personne transclasse désigne « quiconque a quitté sa classe d’origine et a vu son capital économique, culturel et social changer, en tout ou partie » (TNR, p. 13), dans le sens d’une ascension comme d’une déchéance. Si Jaquet se penche sur les causes, chaque fois singulières, de la non-reproduction sociale, je m’attacherai plutôt à deux questions sous-jacentes à la mise en récit d’une telle migration sociale : quelle valeur heuristique faut-il attribuer à ce type d’exception, en particulier ici, où le passage des classes populaires aux classes moyennes s’est imposé comme une trajectoire normale dans un certain récit du Québec moderne ? Et surtout, qu’est-ce que la mise en scène d’une telle trajectoire permet de dévoiler sur le milieu d’origine – dans le cas qui nous intéresse ici la pauvreté et les effets d’une économie néolibérale dérégulée, au filet social aux mailles distendues par des baisses d’impôt répétées depuis 1998[8] ? La notion de transclasse s’avère donc un outil nous permettant de rassembler un corpus qui a pour caractéristique – nous verrons à quelles conditions – de nous offrir un accès pour ainsi dire direct à la culture première. Lorsque cette culture première se confond avec les classes populaires, et lorsque ce passage à une autre classe s’accompagne d’un regard rétrospectif qui joue sciemment avec les codes discursifs de cette culture première, cela ouvre un espace où voir à l’oeuvre de nouveaux agencements au sein desquels les demandes proprement sociales cohabitent avec celles, contemporaines, ayant trait à l’identité. C’est donc un espace des plus propices pour repérer de légers déplacements qui, additionnés à d’autres du même type, contribuent à déplacer la frontière politique entre les populismes du repli et ceux, au contraire, qui sont porteurs d’une demande d’égalité.
À cet égard, il semble particulièrement intéressant de se pencher sur de telles mises en récit rétrospectives de la pauvreté lorsque celles-ci sont directement corrélées à un quartier, c’est-à-dire associées au caractère systémique d’une totalité sociale avec ses infrastructures propres et, dans le cas qui nous occupe, particulièrement déficientes. Deux récits publiés très récemment, tous les deux à La Mèche – ce qui en dit long sur la cohérence éditoriale poursuivie par son directeur, Sébastien Dulude –, nous donnent à lire ces trajectoires : Burgundy, de Mélanie Michaud, relate l’enfance de l’autrice dans le quartier défavorisé de la Petite-Bourgogne, alors que Mélasse de fantaisie, de Francis Ouellette, met au coeur de son récit les traces du « Faubourg à m’lasse » – chez les êtres qui l’ont habité autant que chez leurs descendants – dans le quartier limitrophe de Centre-Sud ; deux récits où les écosystèmes et leurs effets socioéconomiques forment une toile aux fils aussi adhésifs que celle d’une araignée, englobante, piégeuse, à la fois tendre et cruelle.
Posture transclasse et populisme
En tant que régime d’exception, la posture transclasse n’est évidemment pas la panacée sur le plan politique. Chantal Jaquet évoque d’ailleurs en début d’ouvrage le fait brut que « la non-reproduction met en jeu la possibilité de l’invention d’une existence nouvelle au sein d’un ordre établi sans qu’un bouleversement social ou une révolution se soient produits » (TNR, p. 7). Autrement dit, « la question se pose de savoir comment, en l’absence de révolution ou d’un mouvement collectif profond de réforme, expliquer la non-reproduction sociale et concevoir la singularité des exceptions dans une histoire que tout semble vouer à la répétition du même » (TNR, p. 5). Pour nuancer ce constat somme toute déceptif attaché à une logique individuelle plutôt que collective, il faut toutefois rappeler le principe à la base de cette recherche des causes de la non-reproduction chez cette spinoziste de formation : offrir par cet outil heuristique une puissance de comprendre s’accompagnant d’une nouvelle « puissance d’agir » (TNR, p. 63[9]). En cela, elle rejoint un constat similaire d’Annie Ernaux, qui s’étonnait dans son éloge à Bourdieu que ce qui pour elle était « synonyme de libération et de “raisons d’agir” dans le monde, ait pu être perçu comme une soumission aux déterminismes sociaux », ajoutant que la mise au jour des « mécanismes cachés de la reproduction sociale, en objectivant les croyances et processus de domination intériorisés par les individus à leur insu, […] défatalise l’existence[10] ». Expositions de la reproduction et mise au jour des causes de son régime d’exception vont donc de pair et visent à offrir des outils, des trajectoires vectrices d’identification, puisque l’univers des livres, on le verra, forme l’un des traits communs aux parcours transclasses sur lesquels je m’arrêterai.
Une autre avenue me semble dessinée par la typologie dressée par Jaquet si on l’insère dans le cadre d’une analyse du discours propre à la critique s’intéressant aux parcours mis en récit par le texte littéraire, et qui a trait au déplacement des frontières politiques s’appuyant sur l’énonciation de revendications diverses. Dans ce qui est devenu un classique du post-marxisme et de la philosophie politique anglo-saxonne, Hégémonie et stratégie socialiste, Ernesto Laclau et Chantal Mouffe ont cherché à cerner les conséquences politiques et théoriques du désarrimage qui a émergé dans les années 1960 des identités politiques et de la « position que les agents sociaux occupent dans les rapports de production[11] », adéquation jusqu’alors perçue comme allant de soi et qu’ils ont dès lors qualifiée d’« essentialisme de classe[12] ». Il s’agissait, pour le dire vite, de composer avec de nouvelles demandes d’égalité qui n’étaient plus cantonnées dans une position spécifique – celle des classes ouvrières – ni même afférentes à la question de la classe, puisqu’elles concernent en définitive les multiples facettes de l’identité. Le travail théorique de Mouffe et Laclau a ainsi mobilisé une lecture généalogique du concept d’« hégémonie », de Rosa Luxembourg et Lénine jusqu’à Gramsci, afin de lui retirer toute trace de cet essentialisme de classe, les menant, à l’aide de tout un bagage poststructuraliste (Lacan, Lévi-Strauss, Derrida), à proposer la notion de « chaîne d’équivalence » :
Pour que la défense des intérêts des travailleurs ne se fasse pas aux dépens des droits de femme, des immigrés ou des consommateurs, il est nécessaire d’établir une équivalence entre ces différentes luttes […] [M]ais dans la mesure où les revendications des divers groupes sont différentes et en bien des cas incompatibles, cela ne conduit à aucune équivalence réelle entre les différentes revendications démocratiques […] Pour qu’il y ait « équivalence démocratique », quelque chose d’autre est nécessaire : la construction d’un nouveau « sens commun » qui change l’identité des différents groupes, de telle façon que les revendications de chaque groupe soient articulées de manière équivalentielle avec celles des autres groupes […] Autrement dit, l’équivalence est toujours hégémonique dans la mesure où elle n’établit pas seulement une « alliance » entre des intérêts donnés, mais modifie l’identité même des forces engagées dans cette alliance[13].
L’élément important d’une telle définition réside précisément dans la désignation – et l’élaboration – de ce « quelque chose d’autre », qui suppose ce que les auteur et autrice définissent ici comme une nouvelle identité, et sur laquelle Mouffe revient à de très nombreuses reprises dans ses ouvrages postérieurs sous des vocables variées – ce qui dit bien la difficulté – mais qui a toujours à voir avec « la construction de nouvelles formes de subjectivité[14] » ou d’un nouveau « sens commun ».
Il faut remarquer que nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation pour ainsi dire inverse à celle qui prévalait en 1985 et qui a mené Laclau et Mouffe à baliser la voie d’un post-marxisme. S’il s’agissait alors d’intégrer des revendications d’un type différent de celles d’un prolétariat censé mener à la transformation de la société, nous sommes aujourd’hui confrontés au problème opposé, puisqu’il s’agit de redonner voix – ou du moins d’entendre – les revendications paupéristes qui ont pu se perdre dans le concert de demandes de ce qu’il est désormais convenu d’appeler une « politique d’identités » ou identity politics. Or, Jaquet a raison d’insister sur ce point, c’est toujours d’identification qu’il s’agit, non d’identité, qui est la face calcifiée d’un tel procès[15]. C’est ici que la traversée particulière des discours propres à la littérature – et par conséquent la critique qui a pour objet de cerner de telles traversées – offre une contribution d’importance pour qui s’occupe d’analyse du discours. Et c’est aussi à ce point précis que la notion de transclasse peut intervenir avec à propos afin d’aider à comprendre ce qui est en jeu dans l’élaboration de telles subjectivités – ou à tout le moins dans le maillage d’une chaîne d’équivalence qui prendrait en charge aussi bien les demandes d’égalités afférentes aux questions de sexe, de genre ou de race que les demandes classiquement socioéconomiques. Car qu’est-ce donc qu’une personne transclasse ? C’est, on l’a vu plus haut, une personne passée d’une idéologie à l’autre, avec les codes discursifs que cela implique. Or, c’est ici qu’il convient de faire la distinction entre l’expression usuelle de « transfuge de classe » et la notion de « transclasse ». Relisant Le peuple de Michelet, Gérard Bras se demande : « Peut-on quitter le peuple sans le quitter[16] ? » C’est-à-dire « travailler pour le peuple sans le trahir, une fois qu’on l’a quitté[17] » ? Reprenant ce que Michelet appelait la figure du « bâtard », Bras établit que le transclasse « conserve quelque chose des deux bords, de la classe de départ, des “pauvres” et de la classe d’arrivée[18] », étant d’une certaine manière « de deux classes en même temps[19] », le distinguant de la figure du « transfuge de classe », qui renie sa classe d’origine et adopte les valeurs de celle d’arrivée. Réaliser cette hybridité ne va pas de soi, en ceci qu’elle implique une véritable performance discursive (on ne partage pas les mêmes codes d’Outremont à Ville Jacques-Cartier, par exemple). Jaquet ne dit pas autre chose, rappelant que « tout transclasse n’est pas par définition porteur d’émancipation[20] » :
Peut-on parler d’émancipation, lorsque le transclasse reprend à son compte sans le moindre recul critique le discours méritocratique pour justifier l’ordre social, en oubliant ceux qu’il a laissés derrière lui, ou en devenant un pilier de la classe dominante, d’autant plus efficace qu’il connaît le monde des dominés et sait le manipuler[21] ?
Il en va donc d’une question de solidarité, ce qui suppose un retour sur sa propre trajectoire et l’usage réfléchi d’un capital culturel nouvellement acquis qui permette un regard critique sur sa situation antérieure de dominé. Ce n’est qu’à ces conditions qu’il sera loisible pour la personne transclasse de naviguer à travers les discours sans pour autant se servir de ce plurilinguisme, au sens où Bakhtine utilise le terme, à l’encontre de son milieu d’origine. C’est cette capacité à passer d’un code discursif à l’autre qui permet à l’écrivain transclasse d’offrir un cadre formel d’identification, traduisant à travers la reconstitution de son histoire une expérience avec laquelle s’identifier depuis sa classe d’origine. En quoi cette remise en circulation des signifiants de l’enfance permet-elle, chez Michaud et Ouellette, de contribuer à l’élaboration d’un nouveau sens commun où les valeurs de leur culture première ne seraient pas simplement exclues ou rejetées en marge, mais reconnues et offertes à l’identification ? C’est cette lecture des affects ayant trait aussi bien à l’enfance qu’au parcours nécessaire pour s’en échapper qu’il s’agit maintenant d’entreprendre.
D’une école à l’autre : prémisses d’une migration
Cette solidarité, à première vue, ne va pas de soi dans Burgundy de Mélanie Michaud. Même que le roman s’ouvre et se clôt par des énoncés de reniement, qui font du quartier qui donne le titre au livre la cause des déterminismes qui auraient dû conduire à une reproduction sociale : « [J]’écris ici la vie que je veux effacer […] Je voudrais effacer la laideur de mon existence, mais c’est là, au centre de tout […] Je voudrais rayer Burgundy de la mappe. […] Un quartier qui sent la marde et où la marde est toujours pognée[22]. » Ce reniement, donc, se reproduit à peu de choses près en conclusion, mais en mettant l’accent sur la marginalité du quartier et en utilisant l’apostrophe, ce qui a pour effet de personnifier la Petite-Bourgogne, responsable de tous les maux de la narratrice : « Avec Griffintown qui t’encercle, tu n’es plus qu’un ghetto […] Le cancer que tu es va t’avoir dévorée de l’intérieur […] Burgundy, je t’haïs. Chez toi, j’ai scrapé ma vie » (B, p. 186). Or, l’existence même du livre témoigne d’une migration sociale, dont il s’applique, indice après indice, à retracer le cheminement. Sans chercher à expliquer cette migration par une cause ou une série de causes, tentons de repérer certains jalons et vecteurs d’identification, qui paradoxalement prennent la forme de l’exposition des ressorts de la reproduction.
Cela débute d’ailleurs dès le premier chapitre, intitulé avec à propos « Les bons mots et le bon manger », qui énumère les carences saturant l’univers familial de la narratrice, aussi bien alimentaires qu’affectives, la malbouffe en tout genre (« du shortening pis ben du sucre » ; B, p. 12) tentant de combler des manques d’un capital aussi pauvre sur les plans social et culturel qu’économique : « Aucun membre de ma famille n’a d’éducation ni de diplôme. Le plus haut niveau d’études de tout l’arbre généalogique était détenu par ma mère, avec son trois-quarts de sixième année. Elle était la seule à savoir lire et écrire, même qu’elle écrivait en lettres attachées » (B, p. 11). Cela n’est évidemment pas sans conséquence et nous permet d’avoir un échantillon d’effets très concrets – sur le plan de la socialisation par exemple, mais aussi des valeurs transmises – de cette carence éducationnelle de la famille de la narratrice, qu’elle a tendance à généraliser à l’échelle du quartier. Une généralisation qui s’exprime à contrario par les quelques exceptions qui suscitent l’étonnement de la narratrice, comme lorsqu’elle s’invite chez une nouvelle amie de deuxième année appartenant à la bourgeoisie, ce qui lui donne l’occasion de savourer les multiples légumes qu’on lui sert et de s’étonner que « tout le monde [puisse continuer] de s’aimer et de garder le contact » (B, p. 16) malgré une séparation[23].
L’école, dans Burgundy, se veut le reflet de l’univers social et familial ; un reflet d’autant plus efficace que le déménagement de la famille sur la Rive-Sud permettra de comparer l’expérience scolaire entre deux milieux. Le récit de Mélanie Michaud permet ainsi de remettre au jour le rôle de l’école dans la reproduction, tant au Québec qu’en France (voir les analyses de Bourdieu et Passeron), et ce malgré le mythe d’une réforme inclusive du système d’éducation lors de la Révolution tranquille découlant du rapport Parent. Une étude longitudinale de Pierre Canisius Kamanzi récemment publiée permet de confirmer les appréhensions de celles et ceux, de plus en plus nombreux, décriant ce qu’il est convenu de désigner un système à trois vitesses[24], Kamanzi remarquant par exemple que les élèves issu·es du réseau public ordinaire sont presque deux fois moins nombreux à poursuivre des études postsecondaires que celles et ceux issu·es de l’école privée ou des programmes enrichis du réseau public[25]. Pas étonnant, dans ces conditions, que les livres et l’acquisition de connaissances générales soient dans le récit de Mélanie Michaud jugés moins prioritaires que des effets domestiques[26].
Bien sûr, ce dédain pour l’école et la culture en général ne vient pas seul. Dans Burgundy, la narratrice s’attache à représenter comment il s’accompagne de toute une série de lieux communs – un fatras de « phrases toutes faites, fabriquées pour ne rien dire [et] apprises comme des mantras » – incorporés par les classes défavorisées comme pour mieux justifier des échecs sur les plans scolaire et professionnel :
« On fait pas toujours ce qu’on veut dans ’vie. »
« Trouve-toi une vraie job. »
« On est né pour un p’tit pain »
« C’est ben beau rêver, mais ’un moment donné, faut c’qui faut, crisse. »
« T’es bonne à rien ! Tu f’ras jamais rien d’bon dans ’vie ! »
B, p. 10
Nous avons là un parfait condensé de ce que Bourdieu appelait « violence symbolique », c’est-à-dire toute « forme de violence qui s’exerce sur un agent social avec sa complicité[27] », qui s’exprime ici par l’intériorisation d’une hiérarchie où « chaque sujet social [est tenu] de rester à la place qui lui incombe par nature […][28] ».
Comment échapper à un tel discours prescriptif ? Comment éviter le mimétisme d’une violence qui est d’abord subie, avant de devenir une marque d’appartenance dans un milieu qui la valorise ? Deux issues sont esquissées par le récit. La première se présente sous la forme d’un rapport au livre et à l’écriture, et ce dès le primaire. « J’écrivais les histoires que j’aurais aimé me faire raconter. Mon crayon à mine me bordait » (B, p. 27), décrit avec justesse la narratrice, dont le mot « border » renvoie aussi bien à un besoin affectif qu’à celui d’être protégée par des limites claires (une « bordure » que lui apporte ici le symbolique) de la violence de son milieu. Cela la conduira à gagner le concours provincial de production écrite, puis, par nécessité, comme elle le souligne, à voler des livres de la bibliothèque municipale où elle se réfugiait : « Au fil des années, le vol de livres était devenu ma spécialité. Rendue au secondaire, j’avais des tablettes bien garnies » (B, p. 54). Elle lira À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, qui lui apprend « que le monde ordinaire pouvait être dans un livre » (B, p. 56), traçant ainsi la voie de son devenir-écrivain rendu possible par un processus d’identification avec un auteur issu des classes populaires. Ce rapport au livre et à l’écriture provoque donc une mise à distance de son milieu social, mais dans la continuité, il faut le souligner, d’un rapport familialdélinquant face aux institutions (ici, par le vol).
L’autre issue se présente pour ainsi dire d’elle-même, à la faveur du déménagement de la famille dans la banlieue de Sainte-Catherine, de l’autre côté du pont Mercier, suite à l’ascension – toute relative – du père dans la criminalité (qui passe de bénéficiaire de l’aide sociale à videur dans un bar de danseuses, puis à homme de main et motard criminalisé). Un déracinement d’autant plus intéressant qu’il provoque une première série de conflits de codes propres au transfert de classe pour la narratrice adolescente, préfiguration d’un passage définitif d’une classe à l’autre à l’âge adulte. La Petite-Bourgogne et les us et coutumes de sa famille dysfonctionnelle et empreinte de violence deviennent dès lors un objet de honte, affect qui se transformera progressivement en outil de mise à distance, en particulier à l’égard de la violence, malgré une ambivalence de la narratrice à son égard. Car si celle-ci éprouve de la solidarité envers sa mère et sa grand-mère, victimes de violence conjugale, elle n’en reproduit pas moins dans un premier temps le modèle dans la cour d’école, où règne, du moins à la Petite-Bourgogne, « la loi du plus fort » – titre d’un autre chapitre du roman. C’est précisément la transposition de ce comportement dans sa nouvelle école de Sainte-Catherine qui fera l’objet d’un conflit de codes et générera un moment de honte révélateur dans la trajectoire de la narratrice. Voici comment elle décrit sa première journée d’école hors de la Petite Bourgogne :
En arrivant sur le terrain de l’école, j’ai crissé une volée à tous ceux qui me regardaient croche ! […] Personne ne trouvait ça cool. Tout le monde trouvait ça cave. Je ne comprenais pas très bien. Moi, j’avais appris à me battre pour récolter du respect et des amis. C’était à coups de poing que l’on se taillait une place dans la cour de récré. Pas à Sainte-Catherine, ç’a l’air. Fallait être gentil, normal et beau ; pas comme dans Degrassi, plutôt comme dans Beverly Hills 90210. Fuck. J’étais passée de fille assez cool en ville à grosse niaiseuse en banlieue.
B, p. 40-41
La déconvenue de la narratrice est ici instructive à plusieurs égards. Car l’inadéquation à son nouveau milieu, si elle lui renvoie le reflet d’une sorte d’indignité, devient ce faisant le véhicule d’une prise de conscience de la différence de classe. Cela génère un premier sentiment de honte, qui rapidement s’étend à tout ce qui la constitue : « [Je n’étais pas des leurs, et tout me trahissait : mon langage, mon linge, mes habitudes, mon comportement, ma délinquance, ma famille ; ces tas de hontes que je trainais dans mon sac à dos tous les matins. Sur mes frêles épaules, mon passé était lourd à porter. Je marchais le dos courbé et la tête baissée » (B, p. 42). Le regard stigmatisant de ses camarades de classe est ainsi intériorisé, amenant la narratrice à se constituer en déchet social. Ce passage obligé, qui se veut, comme le précise l’un des titres de chapitre, une véritable « rééducation », n’en est pas moins présenté comme une planche de salut : « Je n’ai aucun ami d’enfance. Ils sont en prison, en probation ou en prostitution. Je n’ai rien manqué. Je ne sais pas ce qu’aurait été ma vie si j’étais restée dans ce bled perdu » (B, p. 182). Le changement de milieu, et la honte qu’il engendre, amorce donc un processus de métamorphose. Mais ce processus, à moins de simplement adopter les valeurs et le discours de la petite-bourgeoisie, ne sera achevé que s’il y a retour, ou maintien de coordonnées discursives propres à la Petite-Bourgogne, ce que laisse entendre l’existence même du livre et la langue, vernaculaire à souhait, de sa narration. C’est donc au moyen de l’écriture que s’opérera ce que Jaquet appelle, à la suite d’Erving Goffman, « l’inversion du stigmate[29] » où la honte devient progressivement « honte de la honte » (TNR, p. 194). Une solidarité par l’écriture, conçue, comme c’était le cas chez Dumont, comme une forme de rachat pour avoir trahi. Une solidarité mise en scène par la conclusion de Burgundy, où la narratrice relate avoir été arrêtée, au tournant de l’an 2000, lors d’un rave pour vente de « pilules ». C’est pendant ses quatre mois de réclusion qu’elle apprend que son père purge au même moment le début d’une peine de six ans. Au-delà de l’humour que la continuité atavique engendre dans le récit (« La racine du mal. Câlisse. Je suis mon père » ; B, p. 190), cette scène finale est l’occasion d’un retournement significatif, puisqu’elle donnera lieu à un rare moment d’amour filial empreint de gêne – indiquant à la fois une prise de distance (scène narrée) et une solidarité finalement acquise (scène d’énonciation). Amour filial qui renvoie du même coup le lecteur, la lectrice vers la description initiale de l’écosystème de la Petite-Bourgogne afin d’interroger les présupposés à l’origine d’une infériorité socio-économique génératrice de la violence subie. Parler la langue de Burgundy, c’est non seulement faire preuve de solidarité et d’empathie, mais esquisser les conditions d’un nouveau « sens commun » autour du rejet de ces présupposés, notamment l’inégalité produite par le maintien des réseaux public et privé d’éducation.
Effets systémiques de l’économie et iniquité
Mélasse de fantaisie, paru à l’automne 2022, offre un exemple peut-être encore plus saisissant des contrastes qu’une écriture transclasse peut générer. En effet, le récit de Francis Ouellette nous donne à lire une structure romanesque sophistiquée sous la forme, infiniment littéraire, d’une vocation d’écrivain retardée jusqu’aux dernières pages du livre, mais alliée à un matériau autobiographique on ne peut plus chargé (enfance entachée par l’abus, le viol, la pauvreté endémique, etc.). Si le récit de Mélanie Michaud nous permettait d’appréhender les différences de classe à travers le filtre de l’école (en distinguant notamment l’école de la Petite-Bourgogne de celle de Sainte-Catherine), le livre de Francis Ouellette nous plonge dans l’écosystème du quartier Centre-Sud, représenté comme une totalité (hanté par sa moitié effacée, le Faubourg à m’lasse), à travers l’institution de la famille, soulignant de manière encore plus nette l’enfermement et le repli. En effet, le narrateur raconte comment il ne pouvait, enfant, sortir de son HLM sans croiser un membre de sa famille :
Toute ma famille habite le même quadrilatère, entre les rues Poupart, Maisonneuve, Dufresne et Ontario. Notre HLM est direct au centre. Ici, il y a mon grand-père et ses deux frères […] Quatre générations de ma famille habiteront entre ces quatre coins du monde. Peu importe la direction que je prends, je vais tomber sur l’un d’eux, à toutes les fois[30].
Or, loin de représenter une présence rassurante, la famille offre plutôt un catalogue des tares servant à illustrer les enjeux propres au quartier et leurs effets mortifères sur l’enfant qu’était le narrateur : alcoolisme et toxicomanie, irresponsabilité, obésité, problèmes de santé mentale allant parfois jusqu’au suicide. La famille est ainsi une présence à la fois lâche (la mère alcoolique est par exemple trop heureuse de fermer les yeux sur les signes d’abus que le narrateur âgé de sept ans subit aux mains d’un voisin adulte avec lequel elle le laisse traîner des jours durant) et étouffante. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le narrateur cherche par tous les moyens à y échapper. Mais s’échapper où et de quoi ? Il faut souligner à quel point la géographie du livre reproduit habilement les impasses à la fois psychiques et sociales propres à la reproduction. Car le narrateur n’aura de cesse de jouer de la porosité d’une frontière imaginaire entre le Faubourg à m’lasse, qui donne son titre au récit mais qui n’existe plus comme écosystème social et urbain, et le quartier Centre-Sud qui en est comme la continuité géographique, sociale, historique et imaginaire ; et ce dès la première page du récit qui décrit depuis les berges d’Hochelaga-Maisonneuve « la plaie encore ouverte de ce qui avait été le Faubourg à m’lasse » (MF, p. 9). À cet égard, cette continuité s’incarne parfaitement à travers la figure de Frigo, le « robineux » connu de tout le Centre-Sud, à la fois mascotte et « idiot du village », qu’« on apercevait errer dans le Faubourg, précise le narrateur, des décennies avant ma naissance » (MF, p. 17). C’est lui, au moyen d’un monologue confus pourtant reçu comme une évidence par le narrateur, et dûment reconstruit dans une longue note infrapaginale, qui se charge de résumer la version historique et légendaire du Faubourg, depuis la démographie ouvrière du quartier jusqu’aux origines supputées de son nom, énumérant également les facteurs ayant conduit à sa disparition et esquissant sa filiation avec celui, limitrophe, de Centre-Sud :
[L]a construction du pont Jacques-Cartier, l’élargissement de la rue Dorchester pour la transformer en grand boulevard et, surtout, l’érection du grand membre radio-canadien dans son épicentre, avec ses amples espaces de stationnement en périphérie. […] Les gens du quartier, pauvres mais, comme on le disait, fiers, ont été déportés. Plusieurs se sont installés dans le Centre-Sud. D’autres ont tout simplement été condamnés à y vivoter ou, pire, à y errer. Ils ont traîné le fantôme du Faubourg avec eux. Ainsi le nom n’est jamais disparu.
MF, p. 24-25
Ce rappel synthétique de la disparition du quartier décrit par le fait même l’écosystème socioéconomique du Faubourg et les effets de sa destruction sur ses habitants, qui n’ont eu aucune voix au chapitre à cet égard. Un passage du récit laisse même entendre que le quartier aurait été rasé pour des raisons de sécurité liées à des risques d’incendie et pour « nettoyer le quartier » (MF, p. 71). Le narrateur, en ce sens, ne multiplie pas par hasard les métaphores empruntées au registre de l’abjection, décrivant les « trains [qui] entraient dans le Faubourg comme les vers dans une charogne » (MF, p. 11).
C’est cette continuité atavique du Faubourg dans le Centre-Sud qui ajoute une dimension pour ainsi dire tragique à la misère, poussant le narrateur alors enfant à vouloir fuir ce qui a toutes les caractéristiques d’un véritable ghetto, dans un épisode qui constitue précisément le coup d’envoi du récit :
Il devenait impératif que je sacre mon camp au plus crisse du Centre-Sud. Je ne pouvais plus vivre ici, même pas y survivre. Ce coin du monde allait me tuer. Je n’avais pas encore ma première décennie dans le corps et j’en avais déjà trop vu, trop fait, trop vécu […] Je voulais vivre comme ça, loin de ma mère, de ma famille, de la violence et de la pauvreté des lieux. Ailleurs, ça ne pouvait pas être pire. Impossible.
MF, p. 11
De ce point de vue, ce désir de fuite, qui ouvre et traverse Mélasse de fantaisie de bout en bout, et qui se veut un effet des nombreux abus, extrêmement graves, dont est victime le narrateur, constitue le symptôme d’un milieu social toxique, puisque ces abus ont été facilités par une négligence généralisée qui est elle-même le symptôme de conditions de vie précaires et insuffisantes. Ce besoin de quitter le quartier et ce qui le conditionne met aussi l’accent sur une limite, une menace qui plane sur le quartier dans son ensemble, comme on le dirait d’un écosystème naturel rendu à un point de non-retour. À ce titre, Chantal Jaquet a raison de soutenir qu’on « choisit moins de partir qu’on est choisi pour partir » (par une situation sociale ou familiale, mais aussi politique) : « Quand un individu souffre à en partir, c’est aussi tout le corps familial et social qui est malade et qui cherche une issue de secours à travers lui » (TNR, p. 83[31]). En ce sens, Francis Ouellette met en évidence une véritable pathologie, celle de ce « corps social malade » pourtant déjà amputé, et néanmoins « infecté par la gangrène du Faubourg » (MF, p. 108), avec ses dépendances, ses chicanes épiques et la violence, sous-jacente et comme tapie dans l’ombre, risquant de surgir du moindre visage familier. Un environnement dont il est d’autant plus difficile de s’abstraire qu’il est saturé de sons et de discours, tenant lieu de conscience : « La télé, la radio tournent en permanence et la rue parle tout le temps. […] Trop d’images, trop de sons. Impossible de m’extirper du torrent » (MF, p. 42).
Le Faubourg s’avère donc une véritable machine à produire des affects : attendrissement pour les figures les plus improbables, comme pour Frigo le robineux ou la grand-mère Raymonde, atteinte de déficience intellectuelle et aux « gaskets un peu lousses, entre autres ceuses-là du langage, de l’hygiène et de la libido » (MF, p. 191), de même que pour Ti-Crisse, la conjointe de sa mère aux gros bras qu’il appelle son « père » (MF, p. 74) ; peur face au grand-père ; anxiété face à la mère, souvent inconsciente et que le narrateur enfant craint de trouver morte les lendemains de beuverie ; angoisse en entrant dans le logement sentant « la pauvreté et la tristesse » (MF, p. 157) de son cousin décédé. Le retour dans le quartier du narrateur adulte dans ce dernier exemple devient l’occasion d’une ultime série d’affects, pétrie d’ambivalence puisque s’y exprime la colère devant les comportements d’indigence des centre-sudiens. Voyant les voisins de son cousin s’échiner sur un fauteuil trop gros pour passer d’un appartement à l’autre, le narrateur y va d’un jugement sans appel :
Je regarde les gens forcer comme des agrès sur le fauteuil gratis. Un frisson de colère doublé d’un haut-le-coeur escalade ma charpente […] J’observe la farce à travers les rideaux de ma révulsion. Les gens d’ici ont tous la même crisse de face. Des faces de vieillesse arrivée trop vite, de famille fondée trop tôt. […] Tabarnac de quartier de crisse figé dans le temps, impossible à vraiment gentrifier, à aimer, à détester, à quitter. Combien de fois encore la vie va-t-elle me ramener dans c’te câlisse de dompe ?
MF, p. 161-162
Le constat, pour brutal qu’il soit, s’accompagne pourtant de la conviction qu’il lui sera toujours impossible de détester le Faubourg, trop conscient, sans doute, des barrières systémiques qui y sont à l’oeuvre. Des barrières qui en appellent à de la solidarité, non à une quelconque forme de fatalisme.
L’écriture amphibie : politique des intercesseurs
La question des affects est bien sûr centrale dans tout processus de déplacement (symbolique, social, identitaire). La distance propre à l’écriture qui a permis au narrateur de Mélasse de fantaisie de s’extraire d’une toile étouffante, a supposé en amont un lent processus d’identification encore une fois médiatisé par le livre. On se souvient que la narratrice de Burgundy se targuait d’avoir rempli ses étagères de livres volés dans le réseau des bibliothèques municipales. Cette pratique de « braconnage », pour le dire avec de Certeau[32], l’a ainsi menée vers l’acquisition progressive d’un capital culturel qui lui était à priori dénié. Ouellette raconte un cheminement similaire, qui passe par deux relais qu’il qualifie avec justesse d’« espace intermédiaire » (MF, p. 182). Tout est encore une fois question de frontières. Le premier relai est le Colisée du livre, « limite transitoire » entre le Centre-Sud et un cégep et une université, où le narrateur raconte avoir passé des « milliers d’heures » à lire sur place « en transe, au son du grondement des skateboards » du Palladium juste au-dessus (MF, p. 182). Il évoque lui-aussi la quantité de livres qu’il y a volée, prélude à l’acquisition d’une distance avec son milieu d’origine. Le deuxième relai est une autre bouquinerie qui occupe une position d’autant plus importante qu’elle s’ancre dans chaque monde, la culture première de l’enfance et celle, savante, de l’univers du livre. En effet, la librairie Le chercheur de trésor, ayant pignon sur rue en plein coeur du Centre-Sud, a longtemps joui d’un statut quasi mythique dans le milieu du livre de par son rôle de passeur de la contre-culture. Mélasse de fantaisie se clôt sur la visite de l’échoppe habité par ses deux « géants » : le propriétaire Richard Gingras et Denis Vanier, qui y avait ses habitudes. Les côtoyer, pour le narrateur, chercher timidement à leur parler, c’est du même coup s’autoriser à faire comme eux, à travers un processus d’identification qui permet de faire le pont entre les traumas de l’enfance et l’oeuvre à en tirer :
Moi aussi, j’ai lu plein de livres et vécu plein d’affaires rough. J’en ai une vraie, moi, de mère lesbienne d’acid. Je suis un authentique bum de l’Est, avec pas de père. Un jour, je vais écrire un livre là-dessus et il va trôner au centre de la vitrine de l’apothicaire. Le lancement va se passer ici et je vais boire avec le Vanier pendant que le Gingras me refilera du Steak haché.
MF, p. 199
C’est sous le patronage d’un autre écrivain aux racines populaires que le narrateur envisage l’écriture de son livre, dans une filiation qui l’amène au surplus à mettre son héritage queer au coeur de son entreprise. On le retrouve donc après l’anamnèse de cette visite rituelle dans l’antre des géants « prêt à écrire » malgré la peur de « l’imposture » (MF, p. 201), dans un geste proustien qui nous ramène immanquablement à l’ouverture du livre. C’est ainsi qu’on relit la première « Frigolinade », ces visites impromptues du quartier qui ponctuent le livre, où le « robineux » Frigo guide le narrateur, tel un Virgile des pauvres, dans les Enfers du Faubourg. Or, cet impromptu débute par une précision lexicologique qui est aussi une première intervention interdiscursive, un geste d’intercesseur qui vise à amener le lecteur lettré vers la langue du Faubourg pour en traduire la verdeur et du même coup présenter, voire problématiser, l’usage de termes offensants qui y avaient cours. Non pour les légitimiser, mais pour faire voir l’intériorisation d’une certaine violence symbolique qu’il s’agirait de déconstruire (plutôt que de stigmatiser ses locuteurs) : « Je ne peux pas me prononcer pour Montréal au complet mais dans le Faubourg à m’lasse, il était convenu de dire “robineux”. Comme on disait “nèye”, “tapette” et “plotte”, d’ailleurs, sans y penser, sans haïr. C’était juste de même » (MF, p. 17-18). Nul effet de toge ici ni cri d’orfraie. Un simple constat des limites d’une culture discursive donnée, avant de plonger d’un même geste au coeur des soirées arrosées de la taverne Chez Ti-Père Norman, chef-lieu des travesties du Village.
*
On aura compris que la question qui m’intéresse ici ne concerne ni la frontière générique entre récit autobiographique et autofiction, ni la teneur factuelle ou le degré de véracité de ce que ces récits racontent. Mais en se présentant comme des récits autobiographiques, et surtout en s’énonçant depuis la langue (joualisante) propre à leur culture première, les récits de Mélanie Michaud et Francis Ouellette mettent en oeuvre une posture d’intercesseur, c’est-à‑dire de truchement entre le discours des classes populaires, y compris celui de ses franges les plus marginalisées, et celui du monde des livres et du champ littéraire. Cette posture n’est pas donnée d’emblée dès qu’il y a migration sociale, mais accompagne le fait de conserver un pied dans chaque monde, et d’ainsi servir de passerelle pour les discours et ce qu’ils charrient d’une classe à l’autre, d’un écosystème à l’autre, permettant par le fait même de traduire des frustrations parfois mal contenues, de relayer des revendications trop souvent passées sous silence faute de véhicule discursif et de relai, précisément, dans la sphère médiatique. Ce véhicule, Francis Ouellette le nomme avec précision dans une métaphore qui définit avec justesse sa posture d’écrivain transclasse. Le passage se trouve dans un chapitre consacré à la renaissance de sa mère consécutive à sa découverte des graves abus dont son fils a été la victime. Elle troque alors l’alcool pour l’entraide, mais avec les mêmes excès et le même manque d’empathie à l’égard de ce fils, le narrateur alors âgé de dix ans. Il raconte comment la honte de ce qu’elle avait fait – ou plutôt de ce qu’elle n’avait pas fait pour le protéger – fit l’objet d’un déni intense qui amena le narrateur dans un cul-de-sac. Si, dans les années qui ont suivi, la lecture avait servi de refuge, c’est la décision d’écrire – et d’ainsi assumer son histoire – qui le tira de l’impasse, ce qui dans un premier temps ne va pas sans tiraillement :
Du jour au lendemain, je ne savais plus à quel monde j’appartenais. Trop éduqué pour le Faubourg, trop crotté pour les faux-culs. Un étranger partout. […] Partir le plus loin possible, c’était la grande promesse de l’écriture. La seule manière d’être ici et ailleurs en même temps. De fuir ma mère tout en restant près d’elle. J’allais écrire mon histoire, la retrouver, me la redonner, raviver mes traumatismes pour mieux en guérir. Et, qui sait, je deviendrais peut-être la voix des lieux ? Un poète à la fois sensible et rugueux. Vulnérable et dangereux. Un auteur amphibien, capable de parler, de se déplacer et de respirer au sein de deux mondes vastement différents : celui des ouvriers, des bums et des écorchés et l’autre, celui des gens habités par le Verbe et l’Idée.
MF, p. 180-181
N’est-ce pas aussi ce qu’offre à lire Mélanie Michaud à travers Burgundy ? Les affects d’un monde « écorché », problématisés et mis en situation à travers les enjeux on ne peut plus actualisés qui touchent le système d’éducation au Québec et les inégalités qu’il continue de produire. Voilà donc la posture propre au transclasse qui écrit : un auteur ou une autrice amphibien·ne, en mesure de naviguer entre les discours populaires et savants, les lames de fond vernaculaires ou les terrains arides, parfois asséchés, des idées. Iel en ramène les mots, parfois une tonalité, assurément les affects, et ce faisant contribue, dans les limites de sa parole, à gauchir un tant soit peu les discours de l’hégémonie.
Appendices
Note biographique
Professeur au Département d’études françaises de l’Université Queen’s, Stéphane Inkel s’intéresse à diverses modalités politiques de l’écriture au Québec (populisme, messianisme, transclassement), plus particulièrement pendant la Révolution tranquille (Victor-Lévy Beaulieu) et dans la littérature contemporaine. Il est l’auteur d’un livre sur Hervé Bouchard, Le paradoxe de l’écrivain (Éditions La Peuplade, 2008).
Notes
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[1]
« [L]a “réalité” désigne la réalité sociale dans laquelle des gens réels interagissent dans le cadre du processus productif matériel ; le Réel, lui, désigne l’inexorable logique, spectrale et “abstraite”, qui détermine la scène de la réalité sociale. » Slavoj Žižek, Fragile absolu, traduit de l’anglais par François Théron, Paris, Flammarion, 2008, p. 28.
-
[2]
Éric Arlix et Jean-Charles Massera, Le guide du démocrate, Paris, Éditions Lignes, 2010, p. 29.
-
[3]
Thomas Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019, p. 52.
-
[4]
Yvon Rivard, « L’héritage de la pauvreté », Personne n’est une île, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 2006, p. 130-141.
-
[5]
Chantal Jaquet, Les transclasses ou la non-reproduction, Paris, Presses universitaires de France, 2014. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle TNR, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
-
[6]
Voir Fernand Dumont, Le lieu de l’homme. La culture comme distance et mémoire [1968], Montréal, Bibliothèque québécoise, 1994, p. 62. Voir également la mise en récit de ces notions centrales dans les Mémoires du sociologue : « [J’]entrevoyais comment il me faudrait assumer […] le déchirement qui avai[t] accompagné mon difficile passage de la culture populaire à la culture savante. Prendre la culture comme problème, n’était-ce pas penser l’exil ? […] Au lieu de liquider le malaise qui m’avait tourmenté jusqu’alors, j’en ferais le problème central de ma recherche » (Fernand Dumont, Récit d’une émigration. Mémoires, Montréal, Boréal, 1997, p. 62-63). Sur le rôle structurant des métaphores d’exil, de migration, de déchirement et de blessure dans le travail du sociologue de Montmorency, voir Stéphane Inkel, « Soi comme métaphore. Récit d’une émigration de Fernand Dumont », dans Sylvain David, Janusz Przychodzen et François-Emmanuël Boucher (dir.), Que peut la métaphore ? Histoire, savoir et poétique, Paris, L’Harmattan, coll. « Épistémologie et philosophie des sciences », 2009, p. 211-222.
-
[7]
Voir Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers, Paris, Minuit, 1964 et La reproduction, Paris, Minuit, 1970.
-
[8]
Selon un graphique du ministère des Finances du Québec, le taux effectif d’imposition payée au Québec entre 1999 et 2019 est passé de 11,2 % à 9,6 %, ce qui représente 5,4 milliards de dollars de manque à gagner à chaque année, somme à laquelle il faut ajouter la baisse de près de 2 milliards de dollars (toujours récurrente) annoncée dans le budget de mars 2023, sans parler de l’uniformisation de la taxe scolaire de 2018, équivalant à un manque à gagner de 1,8 milliards pour l’État, qui n’a bien sûr profité qu’aux seuls propriétaires. Voir Guillaume Hébert et Pierre-Antoine Harvey, « Baisses d’impôts : quels effets sur les ménages et les finances publiques », Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), 15 mars 2023, consulté le 24 mai 2023, URL : https://iris-recherche.qc.ca/publications/baisses-impot-qc-2023/. L’impôt progressif sur le revenu étant le seul outil de l’État pour chercher à réduire les inégalités – en particulier au Canada qui se refuse de taxer le patrimoine au moyen d’un impôt sur les successions, contrairement aux États-Unis – on comprend mieux l’accroissement constant de ces inégalités.
-
[9]
Jaquet se réfère ici au célèbre principe spinoziste énoncé dans son Traité de l’autorité politique (Spinoza, Oeuvres complètes, texte traduit, présenté et annoté par Roland Caillois, Madeleine Francès et Robert Misrahi, Paris Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1954, p. 920, chap. 1, § 4) : non ridere, non lugere neque detestari, sed intelligere (« ne pas tourner en dérision les actions humaines, ne pas les déplorer ni les maudire, mais […] les comprendre »).
-
[10]
Annie Ernaux, « Bourdieu : le chagrin », tribune publiée dans Le Monde le 5 février 2002, reprise dans le Cahier de L’Herne. Ernaux, Paris, Éditions de L’Herne, 2022, p. 254.
-
[11]
Voir Chantal Mouffe, Pour un populisme de gauche (trad. de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria, Paris, Albin Michel, 2018, p. 12), où elle revient sur la conjoncture particulière à l’origine d’Hégémonie et stratégie socialiste.
-
[12]
Chantal Mouffe, Pour un populisme de gauche, ouvr. cité, p. 12.
-
[13]
Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une politique démocratique radicale [1985], préface d’Étienne Balibar, trad. de l’anglais par Julien Abriel, Paris, Les Solitaires intempestifs, coll. « Expériences philosophiques », 2009, p. 314-315. Voir également Ernesto Laclau (La raison populiste, trad. de l’anglais par Jean-Pierre Ricard, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2008), qui est plus spécifique quant aux conditions d’établissement d’une telle chaîne d’équivalence ; notamment p. 93, p. 164-165 et, surtout, p. 191-192, sur le rôle de ce que Laclau désigne par l’expression « signifiant vide » dans la constitution d’une telle totalité.
-
[14]
Chantal Mouffe, Pour un populisme de gauche, ouvr. cité, p. 111. Voir aussi Chantal Mouffe et Íñigo Errejón, Construire un peuple. Pour une radicalisation de la démocratie, préface de Gaël Brustier, trad. de l’espagnol par François Delprat, Paris, Éditions du Cerf, 2017, p. 226-227 et Chantal Mouffe, Agonistique. Penser politiquement le monde, trad. de l’anglais par Denyse Beaulieu, Paris, Beaux-Arts de Paris éditions, coll. « D’art en questions », 2014, p. 153. Mouffe, dans ce dernier ouvrage, reconnaît explicitement l’importance des « pratiques artistiques » dans la construction d’un tel « sujet politique ».
-
[15]
Sur la différence entre le singulier et le pluriel, voir le beau commentaire de Marie Cosnay dans un entretien à propos de sa traduction des Métamorphoses d’Ovide : « La question de l’identité, à dire au pluriel. Chez Ovide, les identités sont feuilletées et feuilletables, fonctions, genre, origines, quoi encore. Elles varient sur la ligne du temps qui est le nôtre, un temps limité – ou qui semble l’être. […] Parfois on en met une de côté, on désire en conquérir de nouvelles […] on peut se contredire, on peut se déplacer sur l’escalier mobile de nos identités et on peut aussi déplacer nos identités. On peut les ignorer. Croire en être vierge. […] C’est parfois difficile, un écartèlement, un inconfort. Si une identité nous fige, pour reprendre un verbe qu’on trouve souvent chez Ovide, c’est un malheur » (Marie de Quatrebarbes, « Marie Cosnay/“Chez Ovide, les identités sont feuilletées et feuilletables” », Remue.net [En ligne], octobre 2017, consulté le 29 mai 2023, URL : https://remue.net/Marie-Cosnay-Chez-Ovide-les-identites-sont-feuilletees-et-feuilletables.
-
[16]
Gérard Bras, « Monter et rester peuple. Les leçons de Michelet », dans Chantal Jaquet et Gérard Bras (dir.), La fabrique des transclasses, Paris, Presses universitaires de France, 2018, p. 41.
-
[17]
Gérard Bras, « Monter et rester peuple », art., cité, p. 36.
-
[18]
Gérard Bras, « Monter et rester peuple », art., cité, p. 37.
-
[19]
Gérard Bras, « Monter et rester peuple », art., cité, p. 42.
-
[20]
Chantal Jaquet et Jean-Marie Durand, Juste en passant, Paris, Presses universitaires de France, coll. « 100 ans », 2021, p. 116.
-
[21]
Chantal Jaquet et Jean-Marie Durand, Juste en passant, ouvr. cité, p. 116.
-
[22]
Mélanie Michaud, Burgundy, Montréal, La Mèche, 2020, p. 9. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle B, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
-
[23]
La narratrice s’étonne aussi du fait que le père, auquel son amie parle au téléphone, « était de toute évidence un gentil monsieur » et que sa mère soit partie par désir de liberté, « et non pas parce qu’elle se faisait battre », ce qui est pour elle « le monde à l’envers » (B, p. 16), et contraste effectivement avec la « violence » qui traverse son milieu familial et donne le titre à pas moins de trois chapitres du récit.
-
[24]
Voir Pierre Casinius Kamanzi, « Marché scolaire et reproduction des inégalités sociales au Québec », Revue des sciences de l’éducation, vol. 45, no 3, 2019, p. 140-165.
-
[25]
Pierre Casinius Kamanzi, « Marché scolaire et reproduction des inégalités sociales au Québec », art. cité, tableau 2, p. 150. Voir aussi le tableau 5, p. 155, qui établit les taux de fréquentation de trois types de programme (public ordinaire, public enrichi et privé) en fonction du niveau de scolarité des parents. Une pluralité (46 %) de parents ayant un diplôme d’études secondaires ou moins envoie leurs enfants au public ordinaire, alors que ce taux chute à 14 % chez les détenteurs d’un diplôme universitaire. L’étude s’appuie sur un échantillon de 2 677 personnes, issues d’une cohorte d’élèves nés en 1984 et observés jusqu’à l’âge de 22 ans.
-
[26]
Le chapitre 10 relate le désir de la narratrice que sa mère se procure les encyclopédies d’un vendeur itinérant, ce qu’elle refusera, succombant plutôt, la semaine suivante, à l’attrait de « couteaux mal affutés » d’un autre vendeur itinérant. Voir B, p. 51-52.
-
[27]
Pierre Bourdieu et Loïc J. D. Wacquant, Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris, Seuil, coll. « Libre examen », 1992, p. 142.
-
[28]
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction, ouvr. cité, p. 252-253 ; les auteurs soulignent.
-
[29]
Erving Goffman, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit, 1975, cité par Jaquet, TNR, p. 195.
-
[30]
Francis Ouellette, Mélasse de fantaisie, Montréal, La Mèche, 2022, p. 42. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle MF, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
-
[31]
Voir aussi la page suivante : « Plus ou moins à son insu, l’enfant est la voix (e) des désirs frustrés de ses parents et tend à satisfaire leur volonté de revanche sur la misère, la honte et la stigmatisation dont ils ont fait l’objet. Il se fait le justicier de cette souffrance d’être des moins que rien » (TNR, p. 84). Ce passage, comme de nombreux autres dans le livre de Jaquet, s’appuie sur l’exemple d’Annie Ernaux, qui dans ses carnets contemporains de l’écriture de son premier roman, refusé et resté inédit, notait : « Je vengerai ma race » ; phrase qu’Ernaux situe elle-même dans le sillage du « je suis de race inférieure de toute éternité » de Rimbaud. Voir Annie Ernaux, « Vocation ? », Cahier de L’Herne. Ernaux, ouvr. cité, p. 23.
-
[32]
Michel de Certeau, L’invention du quotidien 1. Arts de faire [1980], Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1991, p. XXXVI : « Le quotidien s’invente avec mille manières de braconner. » Voir aussi Simon Harel, Braconnages identitaires : un Québec palimpseste, Montréal, VLB éditeur, 2006.
Bibliographie
- ARLIX, Éric et Jean-Charles MASSERA, Le guide du démocrate, Paris, Éditions Lignes, 2010.
- BOURDIEU, Pierre et Loïc J. D. WACQUANT, Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris, Seuil, coll. « Libre examen », 1992.
- BOURDIEU, Pierre et Jean-Claude PASSERON, La reproduction, Paris, Minuit, 1970.
- BOURDIEU, Pierre et Jean-Claude PASSERON, Les héritiers, Paris, Minuit, 1964.
- CERTEAU, Michel de, L’invention du quotidien 1. Arts de faire [1980], Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1991.
- DUMONT, Fernand, Récit d’une émigration. Mémoires, Montréal, Boréal, 1997.
- DUMONT, Fernand, Le lieu de l’homme. La culture comme distance et mémoire [1968], Montréal, Bibliothèque québécoise, 1994.
- ERNAUX, Annie, Cahier de L’Herne. Ernaux, Paris, Éditions de L’Herne, 2022.
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