Abstracts
Résumé
Cet article propose un examen (en trois temps) des rapports complexes s’établissant entre les essais sur le théâtre, les chroniques dramatiques (1949-1970) et la dernière pièce de Claude Gauvreau — liens qui, sauf erreur, n’ont pas encore fait l’objet d’une étude approfondie. D’abord, on montrera que les références esthétiques et les prises de position de l’auteur à l’égard du monde théâtral, dans sa prose journalistique, traduisent à la fois un savoir critique et une (con)science poétique. Ensuite, on verra que cette science n’a d’égale que la (pre)science d’une pratique scénique à venir, et ce, tant pour le théâtre québécois que pour la dramaturgie gauvréenne. Enfin, il sera démontré que les conceptions théâtrales du chroniqueur se transposent dans Les oranges sont vertes par l’intermédiaire d’une représentation (incarnée) de la critique.
Abstract
This article provides a three-part analysis of the complex relationships between Claude Gauvreau’s essays on the theatre, his theatre columns (1949-1970) and his last plays—relationships which, unless we are mistaken, have not yet been studied in depth. First, it will be shown that the author’s aesthetic references and the positions he took in relation to the theatre world in his journalistic work reflected both critical knowledge and a poetic (con)science. Then, it will be seen that this science is equalled only by the (pre)science of a theatrical practice that was still to come, both in the world of Québec theatre and in Gauvreau’s plays. Finally, it will be shown that the columnist’s ideas about theatre are transposed in Les oranges sont vertes through an (embodied) representation of criticism.
Resumen
Este artículo propone un estudio (en tres tiempos) de las complejas relaciones que se establecen entre los ensayos sobre teatro, las crónicas dramáticas (1949-1970) y la última obra de Claude Gauvreau —lazos que, salvo error, aún no han sido objeto de un profundo estudio. En primer lugar, se demostrará que las referencias estéticas y los posicionamientos del autor con respecto al mundo teatral, en su prosa periodística, traducen a la vez un conocimiento crítico y una (con)ciencia poética. Luego, se verá que dicha ciencia sólo se puede comparar con la (pre)ciencia de una práctica escénica por venir, y ello, tanto para el teatro quebequense como para la dramaturgia de Gauvreau. Por último, se demostrará que las concepciones teatrales del cronista se trasponen en Les oranges sont vertes (Las naranjas son verdes) mediante una representación (encarnada) de la crítica.
Article body
Dans une lettre datée du 20 septembre 1956, Claude Gauvreau confiait à son maître à penser, le peintre Paul-Émile Borduas, qu’il éprouvait une « misère persistante à [s’]exprimer oralement [2] ». Sans doute peut-on voir, dans cette impuissance verbale, tant le moteur de sa verve littéraire que la genèse de son dire polymorphe. De fait, tout au long de sa courte existence, il a pris la parole par le biais de divers médias, dont le pictural, le théâtral et le littéraire (comme poète et dramaturge, mais aussi comme critique d’art).
L’auteur a entretenu des liens à la fois nombreux et complexes avec la critique. On sait qu’il a maintes fois défendu la comédienne Muriel Guilbault, envers laquelle certains journalistes se sont souvent montrés cinglants. Même s’il se désignait personnellement comme un « sobre citoyen-critique [3] », il lui arrivait aussi, lorsqu’il retrouvait momentanément sa « puissance oratoire » (LPE, 186), de s’exercer à verbaliser haut et fort — et vertement — les jugements esthétiques que lui inspiraient les productions théâtrales auxquelles il avait assisté. Cette audace lui a d’ailleurs valu quelques démêlés avec les forces de l’ordre — altercations dont il rend compte dans sa correspondance. Le 11 avril 1958, depuis la section Saint-Léon du sanatorium Bourget, il écrit ainsi : « J’ai été arrêté au Festival dramatique pour avoir manifesté en faveur de la liberté d’expression. » (LPE, 199) Dix jours plus tard, il ajoute : « Je suis emprisonné pour avoir sifflé un mauvais spectacle de théâtre, moi qui suis critique d’art. » (LPE, 202)
Il n’en demeure pas moins que Gauvreau a communiqué l’essentiel de ses appréciations de la pratique artistique ailleurs que sur la place publique. Plutôt que de réunir la somme de ses réflexions et de ses opinions dans un seul ouvrage qui aurait pu faire pendant à ce qu’il appelait fièrement son « volume gigantesque » (LPE, 286), l’écrivain les a dispersées dans une variété d’articles eux-mêmes disséminés dans divers journaux et revues. Certains de ces articles, où il se penche presque exclusivement sur la critique d’oeuvres d’arts plastiques, ont été réunis par Gilles Lapointe sous le titre Écrits sur l’art [4]. Cette publication fait cependant le choix éditorial d’écarter une large part de la critique gauvréenne — la critique théâtrale —, et qui n’est pas la moindre. En effet, celui qui « n’acceptait pas facilement qu’on le critique ou qu’on lui retourne s[es] texte[s] [5] », si l’on en croit le réalisateur radiophonique Guy Beaulne, a rédigé un nombre appréciable de comptes rendus consacrés au monde du théâtre — textes que, sauf erreur, les chercheurs ne semblent pas avoir étudiés de façon approfondie. Or, ces écrits laissés dans l’ombre permettent d’envisager sous un nouvel éclairage non seulement la production dramatique de cet auteur, mais également sa participation au développement de l’univers théâtral québécois.
Du savoir critique à la (con)science poétique
À ce stade de mes recherches, j’ai pu examiner une trentaine de ces articles ; certains d’entre eux, perdus ou mal référencés, demeurent introuvables. De longueur variable (allant d’une seule colonne à plusieurs pages), ils sont parus dans une huitaine de périodiques : La Barre du jour, Le Canada, Le Devoir, Le Guide du Mont-Royal, Le Haut-parleur, Jeu. Cahiers de théâtre, Le Petit Journal et La Presse. Bien qu’ils aient été écrits entre le 27 novembre 1949 et le 20 mai 1970, la plupart l’ont été au cours de l’année 1951. Deux textes très importants sont plus tardifs : les essais « Ma conception du théâtre [6] » (paru en 1965) et « Réflexions d’un dramaturge débutant [7] » (rédigé en 1970, quoique publié intégralement de manière posthume en 1978).
C’est donc dire que la majorité de ces réflexions et commentaires sont apparus dans un contexte bien particulier, à un moment charnière de la carrière de l’auteur, soit juste avant le suicide de sa muse, « la rousse de génie » (CT, 71) — époque à laquelle l’on associait Gauvreau surtout au groupe des Automatistes et au manifeste Refus global [8]. En outre, il était moins connu pour sa poésie (dramatique) personnelle [9] que pour ses collaborations journalistiques. Dès lors, on peut certainement affirmer que l’élaboration de sa pensée artistique et de sa conception esthétique a côtoyé — voire présidé à — sa pratique littéraire, tant poétique que dramatique — ce que confirme d’ailleurs un vaste pan de sa production épistolaire, soit sa correspondance avec Jean-Claude Dussault [10], alias Jean-Isidore Cleuffeu, produite entre le 18 décembre 1949 et le 10 mai 1950. En effet, Gauvreau y adopte d’entrée de jeu la posture du savant en regard de son interlocuteur, afin de lui transmettre — ou de lui montrer, c’est selon — son savoir et, par la même occasion, sa supériorité intellectuelle :
À présent, venons-en (quelque peu) à l’histoire de l’art. […]
Je n’ai pas la prétention, mon cher camarade, de vous faire ici un historique détaillé de la peinture et de la poésie et de la musique — cependant, je suis persuadé qu’une simple vue à vol plané suffira […].
Je m’appuierai d’abord sur l’évolution picturale (d’ailleurs strictement parallèle à l’évolution poétique et à l’évolution musicale) pour vous faire sentir comment le besoin de recherche est incessant. [N]ous pourrons voir que, d’un siècle à l’autre, les caractères généraux des productions picturales changent manifestement et que cette évolution est progressive [11].
Pour leur part, les critiques théâtrales gauvréennes datant des mêmes années révèlent également qu’une science (au sens de connaissance) y est à l’oeuvre. C’est-à-dire qu’en plus de permettre à l’écrivain de gagner sa vie, elles lui donnent non pas la chance d’énoncer les lois et les règles propres à une doctrine scientifique dévoilant une vérité incontestable — et cela, même s’il lui arrive de discuter de la « science vocale [12] » de certains comédiens —, mais bien de construire et de partager son savoir critique avec un lectorat (ou un public) qu’il semble, par moment, vouloir éduquer [13].
Or, ce premier savoir critique — premier en regard d’un savoir second, celui qu’il énoncera de 1965 à 1970, avant son suicide — repose d’abord et avant tout sur un apprivoisement du « déterminisme cosmique [14] », sur les impressions subjectives que les divers objets font naître dans son « esprit libertaire [15] », en plus de s’échafauder sur le principe sacral mais non religieux de la pure invention. Ainsi, sur le plan esthétique, Gauvreau se positionne-t-il généralement contre les conventions et le conformisme (contre ce qu’il appelle « la critique des “hommes de bon sens”, des “hommes de mesure” [16] ») pour se montrer en faveur d’une approche théâtrale « avant-gardiste » (J, 25). Pour lui comptent plus que tout l’art(iste) « novateur transfigurant » (HDS, 5) et ce « dépôt sacré [qu’est] le créatif [17] ». Toutefois, il reste ouvert aux propositions artistiques plus traditionnelles (comme certains spectacles mélodramatiques ou vaudevillesques), mais qui savent puiser dans l’« authenti[que] [18] » alliage de la « propreté [19] » et de la « sincérité de [l’]effort » (NM, 5) :
[J]e n’ai pas à faire le procès des moyens d’expression — mais, ayant devant les yeux un objet constitué, je n’ai qu’à me demander si, par son organisation interne, cet objet, quelle que soit sa facture, est garant d’un suffisant pouvoir d’émotion et d’agir, s’il est garant d’une suffisante bonne foi et sincérité, s’il est garant d’une suffisante nécessité d’expression et s’il n’a pas été engendré pour de tout autres mobiles que le besoin […].
Si condamnations il y a dans ma critique, elles ne s’adresseront pas au mélodrame, mais à l’objet.
HDS, 5
De plus, même si, dans une certaine mesure, elle ressemble à une doxographie, cette connaissance critique, chez Gauvreau, s’appuie sur quelques références esthétiques. À une exception près, celle d’Antonin Artaud et de sa théorie du théâtre de la cruauté [20], revenant dans plus d’une chronique (NM, 5 ; J, 27), les rares modèles avoués du poète ne participent pas d’un héritage théorique [21]. Croyant fermement « n’avo[ir] pas à canoniser des théories [ni à produire une] systématisation cristallisée [22] », Gauvreau prétend qu’« [i]l faut apprendre à juger, non pas d’après les lois abstraites, mais d’après les enseignements sensibles [23] ». Malgré tout, à l’approche de son décès, il désapprouve avec vigueur les résultats de quatre théories esthétiques précises. Il peste ainsi contre le « style […] revuiste » (J, 27) et le « dogmatisme partouzard » (J, 27) de la création collective : « Moi, j’ai la certitude inébranlable qu’un objet de création collective de l’espèce la plus forte possible est tout à fait incapable (en dehors de l’illusoire) de s’avérer véritablement concurrentiel par rapport à un objet de création personnelle de l’espèce la plus forte possible. » (J, 27) Après s’être attaqué au théâtre de boulevard — « il faut être piteusement sonné pour préférer le contact du dialogue éminemment codifié de [Pierre] Barillet et [de Jean-Pierre] Gredy [sic] à la connaissance, sans antécédent et sans succession, du palais du facteur Cheval » (J, 30) —, Gauvreau fulmine contre « le rebâchage [sic] incontinent de l’archiconnu, de l’archivécu » (J, 30) et les « oeuvrettes populaires » (J, 31) du théâtre réaliste :
Le réalisme est une discipline artistique révolutionnaire magnifique de la fin du dix-neuvième siècle [;] ceux qui, cent ans plus tard[, le pratiquent encore] sont des abrutisseurs publics, des sous-académiques en putréfaction, des crétins crétiniseurs, des freineurs abjects de la connaissance, des apôtres de la stagnation stérile.
J, 31-32
Enfin, il exprimera de la répugnance envers le théâtre d’agit-prop : « L’art de propagande implique le freinage délibéré de l’inspiration, le rétrécissement systématique de la liberté d’expression, afin de conformer l’objet fabriqué aux besoins de mots d’ordre extra-artistique facilement imaginables comme autoritaires. » (J, 35)
De 1951 à 1970, Gauvreau s’inspirera donc surtout de praticiens, qu’il nomme à peine (Léon Chancerel, Charles Dullin, Ludmilla Pitoëff), mais qui prônent, pour la plupart, un théâtre stylisé. Dans plusieurs de ses articles, cette quête du « concret [24] » scénique repose sur la conviction que le poète dramatique doit transposer sur les planches une version tangible de son univers imaginaire, c’est-à-dire qu’il doit réussir à créer des « [f]igure[s] du vivant [25] », en quelque sorte, en faisant incarner ses créatures par des comédiens en chair et en os, notamment. Cette incarnation, qu’il appelle ailleurs « l’humanité de chair » (PC, 4), ressortit au « principe organique [qui] vient faire frissonner une matière inerte » (LJ, 4). On reconnaît là, sans conteste, l’empreinte qu’a laissée sur sa pensée la lecture de Le Théâtre et son double et plus particulièrement de l’essai « Le théâtre et la cruauté [26] ».
En outre, Gauvreau reprend l’idée de Louis Jouvet selon laquelle « la mise en scène n’a le droit d’être que la modeste traductrice de l’auteur » (LJ, 4). Il est primordial, pour le critique, qu’un metteur en scène sache « aborder une pièce de théâtre sans avoir à la main une paire de ciseaux [27] » : en d’autres mots, il vilipende le « gossage du texte [28] ». De plus, le « théâtre à texte » (CT, 72), qui se rapproche de son idéal dramatique, et qu’il oppose farouchement aux catégories du théâtre de collège et du « théâtre d’improvisation [29] » (CT, 71), doit, à ses yeux, « matérialiser une existence véritablement physique » (PC, 4), c’est-à-dire connaître une actualisation scénique. Cela sous la direction unique, quasi divine, de l’auteur dramatique, qui troque son savoir pour une (omni)science créatrice dont la condition sine qua non procède de « la pensée moniste-athée [et d’une] foi inéluctable en l’humanité » (CT, 71) :
[L]’interprète doit être mis par l’auteur en face d’un objet vraisemblablement impulvérisable ; l’auteur sachant que l’interprète sera sceptique et même agressif à un moment ou un autre, ledit auteur doit user de patience et attendre que la sensibilité de l’interprète soit dégagée de ses enduits académiques par la magie de l’objet ; l’interprète ayant été restitué à la disponibilité, l’auteur peut accroître sa force d’expression de façon illimitée.
CT, 73 ; je souligne
On le voit aisément, tributaire moins d’une « intelligence raisonneuse [30] », pour citer Proust, que d’une affectivité ingénieuse, la critique gauvréenne convoque une connaissance sensible — parfois exaltée, diront certains —, qui n’est proprement savante qu’en regard de la science, magique, du poème.
De fait, Gauvreau revendique son titre d’auteur de poésie [31] au coeur même de sa prose journalistique : « Si j’étais poète — et je le suis —, je dirais que les tintements de sa limpide voix [celle de l’actrice Dominique Blanchar] évoquent des chatoiements de moire d’une pureté cristalline. » (LJ, 4) Cela montre que le lyrisme et la recherche langagière ne sont pas exempts de ses articles. En sont garants quelques exemples. Ici, Gauvreau use de tropes poétiques pour analyser une représentation : « En cette innocence bout tout l’avenir. Quelle imprévisibilité précieuse pétillera hors de l’éclatement futur [32] ? » Là, il affirme croire que « la nature [du théâtre littéraire doit être d’une] extrême délicatesse et [d’un] extrême exorbitant [qui] sautent aux lèvres comme des ouvertures exaltantes » (CT, 72), avant de clore sa démonstration par un passage en exploréen : « Zagritovv à flancs de maison à treu de tollène tugussac. chasuble à mercquemecure aux aubles sturcgnable. toile de pipauzon. zduble stokki de strucke codex deux. » (CT, 73)
Poétique, la critique gauvréenne l’est également, surtout si l’on accepte le postulat selon lequel la poésie est un cri. Effectivement, dans sa chronique hebdomadaire « Masques & bergamasques », Gauvreau s’époumone en répudiant les « naïfs pourléchages [et l]es périphrases atermoyantes [33] ». D’ailleurs, il lancera : « Il est temps que l’on se mette à hurler férocement […] [34] ! » Afin d’illustrer cet état de fait, on peut citer son appréciation de la pièce Sincèrement de Michel Duran au Théâtre du Rideau Vert, qui est formulée en termes on ne peut plus directs : « C’est de la démence ! […] Nous sommes en plein délire ! » (SD, 2) Ainsi, le Gauvreau de 1951 proteste, invective et tempête. Il traite les artistes qu’il juge incompétents d’« ânes » (SD, 4) et de « parfaite incarnation de l’insipidité » (SD, 2) ; il qualifie les productions qu’il estime décevantes de « pouding aux mille sauces [35] », de spectacle « [s]incèrement dégueulasse » (SD, 4) ou « dégoûtant [36] ». Cependant, l’inverse est aussi vrai. Il sait féliciter et applaudir chaleureusement les pièces qui l’enchantent ou l’émeuvent : « Bravo ! » (PC, 5) ; « Quelle belle mise en scène magistrale […] [37] ! » Bref, prenant l’allure parfois de la diatribe, parfois du dithyrambe, ses cri-tiques ne sont jamais mièvres ou neutres. Cela tient à son modus operandi, qui est totalement dépouillé des oripeaux de la complaisance : « Quand je me suis mis à la tâche d’écrire des critiques dramatiques, ma ligne de conduite m’apparut toute tracée : exprimer tout ce que je verrais, et voir le plus impartialement possible. Je n’ai point dérogé à cette proposition, et n’en dérogerai point. Tant pis pour les cabotins à tête enflée [38] ! » En résultent des chroniques qui, à des lieues de la chaste retenue et des murmures feutrés, s’apparentent moins à des exposés scientifiques qu’à des déclamations théâtrales. En 1970, Gauvreau qualifiera d’ailleurs lui-même ses envolées emphatiques de « tirades dénonciatrices et probes » (J, 32 ; je souligne). Mais, quoi qu’il en soit, sa critique lui permet de se faire (enfin) entendre — car on le réduisait souvent au silence — et d’assurer une certaine visibilité à son oeuvre dramatique en gestation [39]. À cet égard, on peut avancer que ses critiques théâtrales s’offrent comme une préfiguration de l’actualisation de ses poèmes textuels et scéniques — et que, partant, sur les plans spécifiquement scripturaire et stylistique, sa (con)science de poète aurait eu préséance sur sa science de critique.
La (pre)science d’une nouvelle pratique scénique
Cela dit, ce qui se donne à lire entre les lignes de cette prose journalistique ne se résume ni à une louange de l’(omni)science de l’auteur démiurgique ni à un rejet des calculs scientifiques au profit d’une connaissance stratégique des manoeuvres à accomplir afin de s’assurer un lectorat et un public éventuels. On peut aussi y observer une prise de (con)science de la matérialité et des besoins inhérents à la scène québécoise en général.
Fait singulier pour un poète stratège : fort peu de ses critiques dans les périodiques abordent les problèmes qu’il a rencontrés dans l’actualisation de sa propre oeuvre dramatique. Au nombre de ces textes rares, l’on compte quelques collaborations particulièrement saisissantes. Dans Le Petit Journal [40], il a vivement participé à la polémique entourant le fait que le compositeur Pierre Mercure ait abandonné le projet de monter, avec lui, l’opéra Le vampire et la nymphomane [41]. De même, dans le Guide du Mont-Royal, il a dénoncé sans ambages le comportement « lâch[e] » (GMR, 4) des acteurs jouant La charge de l’orignal épormyable [42] qui ont « interrompu [le spectacle] à la fin du deuxième acte, le 6 mai [1970] » (GMR, 4) :
Quatre comédiens ne consentaient plus à se maintenir associés à un engagement aussi exigeant et aussi périlleux. [Parmi ces derniers,] Mlle Francine Noël […] se débina […] avec une délectation évidente, une insouciance complaisante, une impudence manifestement méprisante. […]
À l’avenir, on verra à s’assurer le concours de collaborateurs d’une authenticité plus indiscutablement et uniformément consistante [43].
GMR, 4
Ses interventions dans la presse ont plutôt pour but de passer au peigne fin le travail des autres : celui des auteurs dramatiques (tels Michel Achard, Michel Duran et Paul Toupin) ; celui des écoles et des salles de théâtre (comme l’Ermitage et le Gesù) ; celui de metteurs en scène (par exemple, Fernand Doré, Robert Gadouas et Georges Groulx) ; celui des « techniciens [et des] technocrates » (CT, 73), réunissant souffleurs, régisseurs de plateau, costumiers, musiciens, décorateurs, éclairagistes, machinistes, etc. ; mais aussi des directeurs de théâtre (Émile Legault à la tête des Compagnons et Yvette Brind’Amour à la barre du Théâtre du Rideau Vert). Cela ne l’empêche pas de traiter de la distribution des rôles [44] et des conditions financières des théâtres. Il aborde aussi, quoique plus rarement, en note ou en post-scriptum, le travail des autres critiques de théâtre (comme Roland Côté et Thierry Maulnier) [45].
Ce qu’il importe de retenir, c’est que Gauvreau y évalue le plus souvent le « rendement des interprètes » (HDS, 5) (appartenant surtout aux troupes suivantes : la Compagnie du Demi-Siècle, la Compagnie du Masque, les Compagnons, le National, le Théâtre du Nouveau Monde et le Théâtre du Rideau Vert), tout en pointant les problèmes techniques rencontrés lors des représentations. L’accent est donc davantage placé sur la quête d’une pratique théâtrale que sur les partitions textuelles existantes. En somme, dans les articles critiques rédigés au début des années 1950, Gauvreau communique ce qu’on pourrait appeler sa (pre)science [46] d’une nouvelle pratique scénique. Dans le Québec d’alors, le seul théâtre viable coïncidait avec la pratique radiophonique, plus accessible pour les auditeurs que la guerre avait habitués à rester dans leurs foyers. Dans ce contexte, il semblait urgent, pour Gauvreau, que la métropole se dote d’une « salle indépendante [47] », car il déplorait qu’« il n’existe à Montréal […] aucune scène libre [48] ». Du reste, le fait d’avoir eu la chance de côtoyer et de travailler avec des praticiens — telle Janine Sutto à Radio-Canada (LPE, 184) — semble avoir sensibilisé Gauvreau à la puissance et à la portée de la rencontre directe des comédiens avec les spectateurs. L’impression paraît avoir été assez forte pour insuffler chez lui la volonté de convaincre le public de la nécessité de développer l’activité théâtrale, d’où l’usage d’une rhétorique persuasive en trois temps, dans sa prose journalistique.
D’abord, il vend l’idée d’une esthétique du « contact immédiat » (PC, 1) rendant impérative la fréquentation des salles de spectacle par le public. En plus de signaler le besoin impérieux de construire des infrastructures spécifiquement conçues pour les représentations théâtrales et pouvant accueillir des spectateurs, il relate minutieusement la vive impression que lui a laissée la conférence de presse de Louis Jouvet — vu en personne — au club Saint-Denis, avec sa troupe de l’Athénée, en mars 1951 :
Quiconque n’a jamais vu et entendu un écran de cinéma lui répondre a perdu une belle émotion. […] En vérité, lorsque Louis Jouvet, face à moi, répondit à ma question… j’eus l’impression épouvantable que l’écran, pour une fois, s’apercevait de moi — et il s’en fallut de peu que je ne partisse en fuite devant ce prodige de la nature.
LJ, 4
Ensuite, Gauvreau s’adresse à ses lecteurs de manière à transformer les mentalités et à modifier graduellement la nature de l’auditoire des radiothéâtres. Regrettant d’entendre sur scène des stratégies vocaliques propres à la radiodiffusion des années 1940, qui atténuent, suivant ses dires, l’authenticité de l’interprétation tout en déréglant défavorablement le débit des acteurs [49], il souhaite faire des membres de l’assistance des regardants plutôt que des écoutants. Pour y arriver, il recourt souvent aux métaphores picturales. Par exemple, lorsqu’il décide de décrire le jeu contrasté de deux comédiens, plutôt que d’utiliser des adjectifs vagues, il emploie une analogie mettant à profit le visuel : « Pour recourir à une comparaison tirée du domaine de la peinture : [Jean] Gascon est autant cubiste que [Jean-Louis] Roux peut être impressionniste./ Roux est attiré par le diffus ; Gascon, par le linéaire. » (NM, 5)
Enfin, il met l’accent sur la dimension pratique de l’art dramatique en général. Il traite ainsi de la formation des acteurs en décrivant le contenu et la forme que prennent les enseignements offerts par les professeurs de théâtre :
Jean-Louis Roux a pour tâche de débarrasser les élèves de leurs inquiétudes de pure érudition. Roux enseigne l’Histoire du Théâtre. Partant de l’animisme de l’âge des cavernes, le professeur finira par expliquer comment se sont formées les complexes conventions d’aujourd’hui. Ainsi libérés de leurs ignorances possibles en ce domaine, les élèves pourront s’adonner avec une conscience plus sereine à leur travail scénique. […]
La tâche de Mme Lucie de Vienne Blanc est, en quelque sorte, médicale. Avec elle le travail strictement scénique ne commence pas encore. Sa mission est d’abolir les inconvénients neuromusculaires. Les petites infirmités la concernent. […]
Le cours principal est celui d’interprétation[, donné par Jean] Dalmain[.] La véritable fonction d[e ce] cours […] est de développer l’intelligence de textes d’envergure. Ici, l’on ne s’arrête pas au sentiment brut : l’activité est conditionnée par le besoin d’incarner la pensée autonome d’un écrivain [50].
C’est dans ces trois types de commentaires que réside, sans doute, sa (pre)science de la pratique théâtrale à venir. De cette façon, la contribution gauvréenne au théâtre de son époque n’aura pas été que littéraire. Par l’intermédiaire de ses critiques textuelles et de ses incitations scéniques de toutes sortes, il aura certainement participé au débat entourant la réforme de l’art dramatique du milieu du xxe siècle, et à ce que l’on pourrait appeler, pour paraphraser Hervé Guay, non pas « l’éveil culturel [51] », mais bien le réveil scénique québécois.
Pour une « connaissance neuve » ou la représentation (théâtrale) de la critique
Il convient ici de formuler d’autres considérations importantes. L’analyse de la trentaine d’articles constitutifs du corpus autorise à poser une autre hypothèse, soit que, sous cette (pre)science d’une pratique théâtrale en germe et sous ce réveil scénique souhaité, se cache un rêve dramaturgique proprement gauvréen. En effet, ces articles paraissent porter la promesse de la perpétuation de son entreprise dramatique personnelle. Au point de vue psychanalytique, cette (pre)science d’une nouvelle pratique théâtrale au Québec apparaît comme un horizon (esthétique, culturel) dans lequel se projette la future présence des pièces gauvréennes — un peu comme l’auteur se projettera sur la scène de L’asile de la pureté, en 1953, dans la figure dramatisée de Claude Gauvreau « sortant précipitamment des coulisses [52] » à la fin du cinquième acte.
Cette hypothèse se vérifie sur plus d’un plan, dont celui de la réflexivité des discours, qui n’est autre que le corollaire de la projection. De fait, dans nombre de ses écrits fictionnels, l’auteur intervertit les rôles de la critique et du théâtre. Autrement dit, après avoir apprécié et jaugé plusieurs représentations théâtrales dans ses collaborations périodiques, il s’est employé à représenter — à projeter — la critique dans ses pièces en général, et plus spécifiquement dans Les oranges sont vertes [53]. De surcroît, il est absolument fascinant de constater à quel point la représentation de la pratique journalistique y est emblématique de sa conception incarnée du jeu interprétatif. En témoigne assurément la façon dont Gauvreau prête à la critique différents corps pouvant être groupés en trois catégories : les corps audibles, les corps ostensibles et les corps humanisés.
D’une part, le poète confère une densité acoustique à la critique en faisant verbaliser des propos métathéâtraux par les acolytes du personnage central, qui commentent brièvement, çà et là, des aspects du monde dramatique :
DROUVOUAL : À propos, Yvirnig, sais-tu que les représentations de la pièce de Poumergent ont été interrompues ? Sous prétexte d’obscénité.
OV, 1380
OV, 1400-1401IVULKA : Moi, j’obtiendrai probablement le décor de la prochaine pièce de la compagnie Pulchritude. […]
COCHEBENNE : Oui, oui, et puis on dit aussi que la compagnie Pulchritude affiche un répertoire arriéré de trente ans…
Au surplus, Yvirnig propose une réflexion métacritique sur le métier de journaliste : « Yvirnig (nullement doctoral) : Il faut aborder tout sans préjugé, mais sans complaisance également. » (OV, 1378)
D’autre part, Gauvreau donne une matérialité visuelle à la prose journalistique dans Les oranges sont vertes, puisque, comme certaines didascalies l’indiquent, « du papier » (OV, 1473) et des feuillets critiques (« une publication d’allure plutôt luxueuse » [OV, 1418] ; un « article » [OV, 1419]) font partie des objets scéniques devant être présents sur scène. Pensons à ces textes que Cochebenne et Drouvoual tiennent entre leurs mains, et qui, signés par un certain Moufagrave, ont été publiés dans la revue ecclésiastique L’Épée de Jésus : « Le Don Quichotte de la dégénérescence » (OV, 1418) et « Les impudeurs de la morbidité » (OV, 1445).
Par ailleurs, la pratique journalistique acquiert une corporéité indiscutablement palpable et anthropomorphique dans l’attribution du rôle principal [54] à un critique d’art, Yvirnig, qui écrit ses propres comptes rendus pendant la pièce. Celui-ci devient, du même coup, un double de l’auteur (c’est-à-dire du journaliste critique), ce que corroborent certains propos tenus par le chroniqueur lui-même : « Celui qui est en scène — et cela constamment, et il est impossible de ne pas y songer une seconde —, c’est l’auteur. » (PC, 1) Par conséquent, Gauvreau réussit un tour de force : en plus de ménager une place à la transposition dramaturgique de son discours critique dans les répliques des personnages et dans les éléments du décor, il opère un renversement spéculaire entre le critique qu’il est dans la réalité et la créature imaginée qui le représente sur le plan fictionnel — le corps symbolique de la figure du critique s’inscrivant dans la corporéité du texte dramatique [55]. Il s’agit là, sans nul doute, d’un procédé de personnification graduelle du discours critique, qui n’a d’égale qu’une personnalisation du débat. À preuve, le représentant clérical du personnel dramatique des Oranges sont vertes, l’abbé Émile Baribeau, ne renvoie-t-il pas, à plus d’un titre, à la personne réelle du père Émile Legault (directeur des Compagnons), dont les réalisations artistiques furent condamnées par Gauvreau en maints endroits :
[L]’esthétisme d’Émile Legault m’a inculqué […] un scepticisme persistant [56] ;
Émile Legault aplatit les acteurs, il les nivelle [57] ;
Quand arrivèrent « Les fourberies de Scapin » [présentées par Les Compagnons], l’indigne dépravation démagogique du spectacle m’écoeura tellement […] que je restai certainement une couple d’années avant de retourner au théâtre [58] ?
En somme, grâce à l’« humanisa[tion] » (LJ, 4) dramatisée de son activité journalistique, ou à la faveur de l’incarnation — pourrait-on dire (trans)figurante — de son discours critique, Gauvreau parvient à outrepasser la classification savante de la dualité générique critique/théâtre. La fusion (moniste) de ses chroniques et de son théâtre ainsi réalisée ne débouche cependant pas sur une science. En contrepartie, « l’unicité la plus précieuse » (J, 27) que Gauvreau glorifie et atteint à la fois rend loisible, au terme de son « élan individuel » (J, 27), l’éclosion d’un « objet […] plus riche en connaissance neuve » (J, 33 ; je souligne).
Appendices
Annexe
Bibliographie des critiques théâtrales de Claude Gauvreau consultées
-
« Étrange attitude : Gauvreau se fâche », Le Petit Journal, vol. XXIV, no 5, 27 novembre 1949, p. 56.
-
« Encore l’automatisme. “La défection de Mercure est triste” dit Gauvreau », Le Petit Journal, vol. XXIV, no 8, 18 décembre 1949, p. 56, 65.
-
« La Compagnie du Demi-Siècle. “Poil de carotte”, deuxième version », Le Haut-parleur, vol. II, no 5, 3 février 1951, p. 4.
-
« Première canadienne. Le théâtre chicané de Paul Toupin », Le Haut-parleur, vol. II, no 7, 17 février 1951, p. 1, 4-5.
-
« À l’affiche : “Ondine”. Le masque vert de Giraudoux », Le Haut-parleur, vol. II, no 8, 24 février 1951, p. 4-6.
-
« Une autre première. Limpide mise en scène de “Rose Latulipe” », Le Haut-parleur, vol. II, no 9, 3 mars 1951, p. 4-5.
-
« “Notre petite ville”. La fantaisie sans burlesque convient aux Compagnons », Le Haut-parleur, vol. II, no 10, 10 mars 1951, p. 4-5.
-
« Louis Jouvet et le théâtre de Molière », Le Haut-parleur, vol. II, no 11, 17 mars 1951, p. 4.
-
« “Le Misanthrope”. Alceste respecté par Norbert », Le Haut-parleur, vol. II, no 12, 24 mars 1951, p. 5.
-
« Henry Deyglun versus le snobisme », Le Haut-parleur, vol. II, no 14, 7 avril 1951, p. 5.
-
« Sincèrement dégueulasse », Le Haut-parleur, vol. II, no 15, 14 avril 1951, p. 2, 4.
-
« Face au gâtisme intégral. Robert Gadouas a le courage de tenir tête aux censeurs », Le Haut-parleur, vol. II, no 16, 21 avril 1951, p. 2, 4.
-
« Ostracisme jésuitique. Les coupures invraisemblables commandées par le Gesù », Le Haut-parleur, vol. II, no 17, 28 avril 1951, p. 4.
-
« “Bal des fleurs” ? Tout le monde avait mal lu l’affiche », Le Haut-parleur, vol. II, no 18, 5 mai 1951, p. 5.
-
« Le plateau des Jeunes. 1 — Chez François Roset [sic] », Le Haut-parleur, vol. II, no 19, 12 mai 1951, p. 5.
-
« Six paragraphes (sur le théâtre et la peinture) », Le Haut-parleur, vol. II, no 21, 26 mai 1951, p. 5, 7.
-
« Au National. Le pouding aux mille sauces de l’hétérogénéité consommée », Le Haut-parleur, vol. II, no 27, 7 juillet 1951, p. 2, 5.
-
« Le Théâtre du Nouveau Monde. En causant avec Jean Gascon », Le Haut-parleur, vol. II, no 31, 4 août 1951, p. 4-5.
-
« Complet triomphe de “L’Avare” » et « Les Compagnons jouent une oeuvre de Pirandello », Le Haut-parleur, vol. II, no 42, 20 octobre 1951, p. 5.
-
« Pirandello “cocu” », Le Haut-parleur, vol. II, no 43, 27 octobre 1951, p. 5.
-
« Groulx-Dupuis chez Les Compagnons », Le Haut-parleur, vol. II, no 47, 24 novembre 1951, p. 5.
-
« Au “Nouveau Monde”. “Un Inspecteur nous demande” », Le Haut-parleur, vol. II, no 48, 1er décembre 1951, p. 2, 5.
-
« Le théâtre dans le concret (I). L’enseignement à souhaiter », Le Canada, no 51, 4 juin 1952, p. 4.
-
« Le théâtre dans le concret (II). Les professeurs », Le Canada, no 54, 7 juin 1952, p. 4.
-
« Le théâtre dans le concret (III). Les élèves », Le Canada, no 56, 10 juin 1952, p. 4.
-
« Ma conception du théâtre », La Barre du jour, vol. I, nos 3-4-5, juillet-décembre 1965, p. 71-73.
-
« Réflexions d’un dramaturge débutant », Jeu. Cahiers de théâtre, no 7, hiver 1978 [avril 1970], p. 20-37.
-
« Opinion. Ce n’était qu’une première charge de l’orignal… », Le Devoir, 13 mai 1970, p. 7, 10.
-
« La mort de “L’orignal épormyable” », La Presse, 16 mai 1970, p. 49.
-
« À propos de comédiens lâcheurs », Le Guide du Mont-Royal, vol. XXXI, no 20, 20 mai 1970, p. 4.
Note biographique
NOËLE RACINE est docteure en lettres françaises de l’Université d’Ottawa, où elle enseigne également à titre de professeure à temps partiel. Les recherches postdoctorales qu’elle mène à l’Université du Québec à Trois-Rivières — et qui portent sur « Claude Gauvreau et la critique » — se situent dans le prolongement de sa thèse de doctorat. Intitulée Les poètes au théâtre, cette dernière étudie le passage de la poésie au théâtre à partir de trois parcours créateurs majeurs appartenant aux littératures française et québécoise des trois premiers quarts du xxe siècle, soit ceux d’Antonin Artaud, de Paul Claudel et de Claude Gauvreau. En plus d’avoir collaboré au Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec et aux revues @nalyses, Canadian Literature, Dire, Globe, Liaison, Spirale et University of Toronto Quarterly, Noële Racine a publié des articles portant sur les oeuvres de Naïm Kattan et de Villiers de l’Isle-Adam.
Notes
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[1]
Cet article s’inscrit dans le cadre de mes recherches postdoctorales au Département de lettres et communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), sous la supervision d’Hervé Guay. Une version antérieure de ce texte (« La critique gauvréenne ou La (pre)science d’une nouvelle pratique théâtrale ») a fait l’objet d’une communication présentée lors de la journée d’étude postdoctorale « Création littéraire et discours savants : une impossible conciliation ? », organisée par Cyril Francès, et qui a eu lieu à l’UQTR le 19 avril 2013.
-
[2]
Claude Gauvreau, Lettres à Paul-Émile Borduas, édition critique établie par Gilles Lapointe, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Bibliothèque du Nouveau Monde », 2002, p. 182. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle LPE suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[3]
Claude Gauvreau, « Louis Jouvet et le théâtre de Molière », Le Haut-parleur, vol. II, no 11, 17 mars 1951, p. 4. Désormais, les références à cet article seront indiquées par le sigle LJ suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[4]
Claude Gauvreau, Écrits sur l’art, texte établi et présenté par Gilles Lapointe avec la collaboration de Philippe Brosseau, Montréal, l’Hexagone, coll. « Oeuvres de Claude Gauvreau », 1996, 410 p.
-
[5]
Guy Beaulne, « La radio au service du théâtre », L’Annuaire théâtral, no 9, printemps 1991, p. 132.
-
[6]
Claude Gauvreau, « Ma conception du théâtre », La Barre du jour, vol. I, nos 3-4-5, juillet-décembre 1965, p. 71-73. Désormais, les références à cet article seront indiquées par le sigle CT suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[7]
Claude Gauvreau, « Réflexions d’un dramaturge débutant », Jeu. Cahiers de théâtre, no 7, hiver 1978 [avril 1970], p. 20-37. Désormais, les références à cet article seront indiquées par le sigle J suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[8]
Paul-Émile Borduas, Refus global, Montréal, Mithra-Mythe, 1948, [n. p.].
-
[9]
Son premier radiothéâtre connu, Le coureur de marathon, cosigné par Muriel Guilbault, est diffusé sur les ondes de Radio-Canada pour la première fois le 18 février 1951. Quant à sa première publication poétique indépendante de la production des Automatistes (Sur fil métamorphose, dessins de Jean-Paul Mousseau, Montréal, Erta, coll. « De la tête armée », 1956, 55 p.), elle ne paraît que cinq ans plus tard.
-
[10]
Claude Gauvreau et Jean-Claude Dussault, Correspondance 1949-1950, présentation de Jean-Claude Dussault, notes d’André-G. Bourassa, Montréal, l’Hexagone, coll. « Oeuvres de Claude Gauvreau », 1993, 458 p.
-
[11]
Claude Gauvreau et Jean-Claude Dussault, Correspondance 1949-1950, p. 148-149.
-
[12]
Claude Gauvreau, « La Compagnie du Demi-Siècle. “Poil de carotte”, deuxième version », Le Haut-parleur, vol. II, no 5, 3 février 1951, p. 4. Je souligne.
-
[13]
Gauvreau comparera lui-même son rôle à celui d’un enseignant : « Le critique et le professeur ont en commun qu’ils jugent tous deux a posteriori. Cependant, là où le critique a le devoir d’estimer seulement la justesse de ce qu’on lui montre et n’a pas à se préoccuper de ce qui devrait être, le professeur, au contraire, ne peut pas se borner à signaler une trouvaille adéquate ou une fausse note et il lui faut sans cesse avoir en tête une vision suffisante de ce qui pourrait être. » Claude Gauvreau, « Le théâtre dans le concret (II). Les professeurs », Le Canada, no 54, 7 juin 1952, p. 4. Il faut préciser que Gauvreau consacre aussi une large part de ses critiques négatives à enseigner le sens des pièces jouées afin de montrer que les mauvaises mises en scène et les piètres interprétations découlent très souvent d’une incompréhension du texte dramatique.
-
[14]
Claude Gauvreau et Jean-Claude Dussault, Correspondance 1949-1950, p. 140.
-
[15]
Claude Gauvreau, « Le Théâtre du Nouveau Monde. En causant avec Jean Gascon », Le Haut-parleur, vol. II, no 31, 4 août 1951, p. 5.
-
[16]
Claude Gauvreau, « Henry Deyglun versus le snobisme », Le Haut-parleur, vol. II, no 14, 7 avril 1951, p. 5. Désormais, les références à cet article seront indiquées par le sigle HDS suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[17]
Claude Gauvreau, « Le plateau des Jeunes. 1 — Chez François Roset [sic] », Le Haut-parleur, vol. II, no 19, 12 mai 1951, p. 5.
-
[18]
Claude Gauvreau, « À propos de comédiens lâcheurs », Le Guide du Mont-Royal, vol. XXXI, no 20, 20 mai 1970, p. 4. Désormais, les références à cet article seront indiquées par le sigle GMR suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[19]
Claude Gauvreau, « Complet triomphe de “L’Avare” », Le Haut-parleur, vol. II, no 42, 20 octobre 1951, p. 5. Le terme « propre » est également utilisé dans Claude Gauvreau, « Au “Nouveau-Monde”. “Un Inspecteur nous demande” », Le Haut-parleur, vol. II, no 48, 1er décembre 1951, p. 5. Désormais, les références à cet article seront indiquées par le sigle NM suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[20]
Théorie développée dans Antonin Artaud, « Le théâtre et son double », Oeuvres, édition établie, présentée et annotée par Évelyne Grossman, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2004 [1938], p. 505-593.
-
[21]
Gauvreau nomme aussi « [Heinrich von] Kleist » (J, 27) dans l’un de ses essais, sans toutefois faire allusion au célèbre texte théorique Sur le théâtre des marionnettes, traduit de l’allemand et présenté par Roger Munier, accompagné d’un « Hommage aux Nus bleus de Matisse » de Jiří Kolář, Paris, Traversière, 1981 [1810], 66 p.
-
[22]
Claude Gauvreau, « “Le Misanthrope”. Alceste respecté par Norbert », Le Haut-parleur, vol. II, no 12, 24 mars 1951, p. 5. Un peu comme Marcel Proust, Gauvreau nourrira une méfiance pour la théorie faite oeuvre, et ce, toute son existence durant. Un an avant sa disparition, il se distancie ainsi de ce qui peut « se prédéfinir doctoralement avec une précision relationnelle impeccable[, dont découlent] l’académisme [et] l’historique [— tous deux contraires au processus] créateur » (J, 32). En revanche, il déclare avoir « foi en la force créatrice des hommes de science [qui, en développant la] cybernétique[, peuvent] dégager l’homme [du] travail-corvée [au profit du] travail-passion » (J, 36 ; je souligne).
-
[23]
Claude Gauvreau, « Première canadienne. Le théâtre chicané de Paul Toupin », Le Haut-parleur, vol. II, no 7, 17 février 1951, p. 1. Désormais, les références à cet article seront indiquées par le sigle PC suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[24]
Claude Gauvreau, « Le théâtre dans le concret (II). Les professeurs », p. 4.
-
[25]
Claude Gauvreau, « Figure du vivant », Le Sainte-Marie, vol. II, no 2, 30 octobre 1945, p. 2.
-
[26]
Antonin Artaud, « Le théâtre et la cruauté », Oeuvres, p. 555-557.
-
[27]
Claude Gauvreau, « Sincèrement dégueulasse », Le Haut-parleur, vol. II, no 15, 14 avril 1951, p. 4. Désormais, les références à cet article seront indiquées par le sigle SD suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[28]
Claude Gauvreau, « À l’affiche : “Ondine”. Le masque vert de Giraudoux », Le Haut-parleur, vol. II, no 8, 24 février 1951, p. 4.
-
[29]
Que l’on peut associer aux créations collectives, mais aussi à certaines émissions radiophoniques et aux pratiques scéniques commerciales du « burlesque cosmopolite ». Voir Claude Gauvreau, « Au National. Le pouding aux mille sauces de l’hétérogénéité consommée », Le Haut-parleur, vol. II, no 27, 7 juillet 1951, p. 5.
-
[30]
Marcel Proust, Le temps retrouvé, À la recherche du temps perdu, t. IV, édition publiée sous la direction de Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989 [1927], p. 472. On le sait, la raison a été rejetée par les Automatistes de Refus global.
-
[31]
Dans une analyse perspicace, Lucie Robert démontre que l’« [auto]portrait de l’auteur dramatique [en] poète [peut aussi] renvo[yer] à [une] postur[e] de l’artiste devant le travail créateur » (« Le chantre et le poète », Théâtre/Public, no 188, mars 2008, p. 12).
-
[32]
Claude Gauvreau, « Le plateau des Jeunes. 1 — Chez François Roset [sic] », p. 5.
-
[33]
Claude Gauvreau, « À l’affiche : “Ondine”. Le masque vert de Giraudoux », p. 4.
-
[34]
Claude Gauvreau, « Face au gâtisme intégral. Robert Gadouas a le courage de tenir tête aux censeurs », Le Haut-parleur, vol. II, no 16, 21 avril 1951, p. 2.
-
[35]
Claude Gauvreau, « Au National. Le pouding aux mille sauces de l’hétérogénéité consommée », p. 5.
-
[36]
Claude Gauvreau, « “Bal des fleurs” ? Tout le monde avait mal lu l’affiche », Le Haut-parleur, vol. II, no 18, 5 mai 1951, p. 5. Ce ton caustique ira en augmentant pour atteindre des sommets vitrioliques dans son essai de 1970 : « [J]e n’ai aucun respect pour les paltoquets arrogants, stupides, ignares, impertinents dans la sottise la plus ocre, étrons bipèdes sans s’en rendre compte, provinciaux comme s’ils vivaient dans un presbytère de la Vendée sous Louis XVIII, bornés, nauséabonds de préjugés moyenâgeux, goujats […]. [C]ertains nostalgiques du jus de chique, affligés incurablement de la phobie de la lumière, en gardent un souvenir tellement horrifié que le phénomène terminé leur semble toujours présent et qu’ils ne parviennent pas à en chasser le souvenir épouvantable et haï même par des piétinements hystériques permanents de son image hallucinatoire. » (J, 23-24)
-
[37]
Claude Gauvreau, « Complet triomphe de “L’Avare” », p. 5.
-
[38]
Claude Gauvreau, « Groulx-Dupuis chez Les Compagnons », Le Haut-parleur, vol. II, no 47, 24 novembre 1951, p. 5.
-
[39]
Je rejoins ici la thèse de Jacques Marchand, qui voit dans l’idolâtrie que Gauvreau vouait à Muriel Guilbault une tactique de mythification visant la reconnaissance de son oeuvre. Voir Claude Gauvreau. Poète et mythocrate, Montréal, VLB éditeur, 1979, 443 p.
-
[40]
Claude Gauvreau, « Étrange attitude : Gauvreau se fâche », Le Petit Journal, vol. XXIV, no 5, 27 novembre 1949, p. 56 ; Claude Gauvreau, « Encore l’automatisme. “La défection de Mercure est triste” dit Gauvreau », Le Petit Journal, vol. XXIV, no 8, 18 décembre 1949, p. 56, 65.
-
[41]
Claude Gauvreau, « Le vampire et la nymphomane », Oeuvres créatrices complètes, édition établie par l’auteur, « Avertissement » de Gérald Godin, Montréal, Parti pris, coll. « Chien d’or », 1977, p. 175-209.
-
[42]
Claude Gauvreau, « La charge de l’orignal épormyable », Oeuvres créatrices complètes, p. 637-753.
-
[43]
Échec qu’il relate également dans des entrefilets de deux quotidiens montréalais : Claude Gauvreau, « Opinion. Ce n’était qu’une première charge de l’orignal… », Le Devoir, 13 mai 1970, p. 7, 10 ; Claude Gauvreau, « La mort de “L’orignal épormyable” », La Presse, 16 mai 1970, p. 49.
-
[44]
Par exemple, en avril 1951, il vitupère une production du Théâtre du Rideau Vert : « Avis à la direction : Mlle Picard est faite pour jouer les maîtresses d’école, et non les garces. » (SD, 2)
-
[45]
Vingt ans plus tard, il sera plus bavard et plus féroce pour parler des contributions critiques de Claude-Henri Grignon : « [Je ne suis pas] soucieu[x] d’épargner le fameux guerluron [sic] matamoresque Valdombre (ombre de l’autre), ce critique d’art […] qui fait penser mélodramatiquement à Oedipe roi juste avant le baisser du rideau final, ce vociférant homme de lettres monarchiste et ultramontain sans savoir pourquoi, sinon par infantile imitation minable, cet usurier d’Arthur Buies[,] ce pamphlétaire redouté qui avec ses titubantes applications de plagiaire sans discernement repérable n’épargna pas de ses vomissures imbéciles et péniblement vandales un seul poète défendable […] ; oui, j’ai désigné sans conteste l’inoubliable (mais il ne se doutera jamais dans quel sens) Léon Bloy du riche. » (J, 32)
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[46]
D’aucuns pourront trouver excessif le terme de « prescience », mais qu’ils soient rassurés : certaines affirmations du poète-dieu qu’est Gauvreau autorisent à y recourir, dont l’une où il prétend à la fois être « le plus grand poète du Canada et peut-être de l’Amérique du Nord, et pouvoir devenir le plus grand poète du vingtième siècle et ensuite le plus grand poète de tous les temps. » Voir Claude Gauvreau, « Réponse au questionnaire de Marcel Proust », Victor-Lévy Beaulieu (présenté par), Quand les écrivains québécois jouent le jeu : 43 réponses au questionnaire de Marcel Proust, Montréal, Éditions du Jour, 1970, p. 117. Il a aussi prononcé cette phrase lors de la « Nuit de la poésie » en 1970.
-
[47]
Claude Gauvreau, « Le Théâtre du Nouveau Monde. En causant avec Jean Gascon », p. 5.
-
[48]
Claude Gauvreau, « Face au gâtisme intégral. Robert Gadouas a le courage de tenir tête aux censeurs », p. 4.
-
[49]
Comme on peut le constater dans les exemples suivants : « Huguette Oligny […] sait parfaitement son rôle[, m]ais la valeur de ses sentiments est manifestement superficielle. S’agit-il là de déformation microphonique? » (NM, 5) ; « Le débit (surtout chez Antoinette Giroux et un peu chez Mimi d’Estée) suit une tradition : ce que l’on pourrait appeler “le naturel du mélodrame” — c’était le ton radiophonique courant, il y a une douzaine d’années. Le classicisme de l’Odéon n’est peut-être pas étranger à cette espèce d’énonciation solennelle entrecoupée d’envolées aiguës. » (HDS, 5)
-
[50]
Claude Gauvreau, « Le théâtre dans le concret (II). Les professeurs », p. 4.
-
[51]
Hervé Guay, L’éveil culturel. Théâtre et presse à Montréal, 1898-1914, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Nouvelles études québécoises », 2010, 350 p.
-
[52]
Claude Gauvreau, « L’asile de la pureté », Oeuvres créatrices complètes, p. 601.
-
[53]
Claude Gauvreau, « Les oranges sont vertes », Oeuvres créatrices complètes, p. 1363-1487. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle OV suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
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[54]
Dans la dramaturgie gauvréenne, il existe également des personnages secondaires qui rédigent des critiques, tout comme des personnages importants qui font des critiques en marge de l’action principale. Pensons à Lontil-Déparey et à Letasse-Cromagnon de La charge de l’orignal épormyable ; puis à Paprikouce des Oranges sont vertes.
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[55]
Il faut probablement aussi voir là une façon tout artaudienne, pour Gauvreau, de substituer à sa propre enveloppe charnelle (qui lui pesait et dont il avait honte) un autre véhicule pour son âme « irréparablement déchiré[e] » (LPE, 17).
-
[56]
Claude Gauvreau, « “Notre petite ville”. La fantaisie sans burlesque convient aux Compagnons », Le Haut-parleur, vol. II, no 10, 10 mars 1951, p. 5.
-
[57]
Claude Gauvreau, « “Bal des fleurs” ? Tout le monde avait mal lu l’affiche », p. 5.
-
[58]
Claude Gauvreau, « Groulx-Dupuis chez Les Compagnons », p. 5.