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Le père, le dictateur et l’écrivain[Record]

  • Stéphane Inkel

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  • Stéphane Inkel
    Université Queen’s

Victor-Lévy Beaulieu a servi d’éditeur à Jacques Ferron ; d’abord à titre de directeur littéraire des Éditions du Jour, à partir de 1970, puis aux éditions VLB, où il a réédité Le ciel de Québec en 1979, et publié Rosaire, suivi de L’exécution de Maski, en 1981. Les deux écrivains ont également entretenu une correspondance, publiée en 2005 aux Éditions Trois-Pistoles. Surtout, Ferron a servi de « père littéraire » à Beaulieu, en toute connaissance de cause, et avec les démêlés symboliques qu’une telle relation implique. C’est à ce titre que Beaulieu n’a cessé de rendre hommage à Ferron, magnifiant son oeuvre et ne pouvant accepter que celui-ci, pour des raisons souvent mal comprises, qualifie cette oeuvre de « mineure ». Il était donc urgent qu’une étude d’envergure soit consacrée aux rapports complexes, parfois difficiles, qui unissent deux des écrivains les plus importants de l’histoire littéraire québécoise. L’ouvrage de François Ouellet, Grandeurs et misères de l’écrivain national, s’acquitte plus qu’honorablement de cette tâche loin d’être évidente. En effet, sans parler de la difficulté inhérente à l’oeuvre ferronienne, il fallait ici compter sur le caractère gigantesquissime d’une oeuvre, celle de Beaulieu, comptant plus de soixante-dix livres — dont quelques-uns dépassent le millier de pages —, qui plus est habituée à des retournements qui ne manquent pas de désorienter le lecteur le plus aguerri. Non seulement François Ouellet parvient-il à maîtriser les tenants et aboutissants d’une oeuvre narrative complexe et tortueuse, il parvient de surcroît à lui trouver une cohérence qui n’est pas toujours donnée d’emblée. Il faut dire que François Ouellet est un lecteur tenace, voire systématique. En greffant à cette poursuite du motif du père les notions d’écriture et de pays, suivant en cela les coordonnées de l’oeuvre beaulieusienne au sein de laquelle l’écriture a pour fonction de cerner l’histoire et, si celle-ci fait défaut, de la « faire apparaître », cette recherche de cohérence se transforme toutefois par moments en rigidité, et conduit l’essayiste à des conclusions que nous aurons avantage à discuter. François Ouellet situe d’emblée Grandeurs et misères de l’écrivain national dans la continuité de Passer au rang de Père, ce qui n’étonne nullement, considérant le statut confié à cette question du père au sein des deux oeuvres étudiées, en particulier chez Beaulieu, dont les « essais-fictions » ont la particularité d’associer la figure du Père Beauchemin à celles des pères littéraires auxquels ils sont consacrés, de Melville ou Joyce jusqu’à Ferron lui-même. Pour des raisons qui tiennent à la fois de l’inégalité du corpus des deux auteurs étudiés et du poids relatif accordé à la figure du père, l’oeuvre de Beaulieu fait l’objet d’un commentaire beaucoup plus étendu, et déterminant à l’échelle de l’essai. Il faut dire que les textes de Ferron résistent à cette recherche herméneutique du père, même si cette « figure de la plus haute autorité », pour reprendre le titre d’un projet sur le père demeuré inachevé — et que Beaulieu, ici relayé par Ouellet, reprend de manière obsessionnelle —, tend à revenir hanter les derniers textes de l’écrivain. En effet, les écrits de Ferron, contes ou romans, se sont surtout attardés à cerner les bouleversements affectant la transmission faisant suite à l’avènement québécois de la modernité, et ce que cet avènement signifiait pour les fils et les filles surgissant ainsi à court du contenu de la tradition. Ouellet consacre d’ailleurs de belles pages à la réécriture des Grands soleils, notamment à la promesse du père qui s’y fait entendre à travers la filiation malaisée de Chénier. Cette difficulté à assumer la paternité fait ensuite l’objet d’un …

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