Dossier

« IL Y A EN MOI UNE FORCE ÉTRANGE »Contemporanéités d’Angéline de Montbrun et de Laure Conan[Record]

  • MYLÈNE BÉDARD,
  • VIRGINIE FOURNIER,
  • ARIANE GIBEAU and
  • ADRIEN RANNAUD

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  • MYLÈNE BÉDARD
    Université Laval/Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ)

  • VIRGINIE FOURNIER
    Université du Québec à Montréal/Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ)

  • ARIANE GIBEAU
    Université d’Ottawa

  • ADRIEN RANNAUD
    Université du Québec à Montréal/Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ)

Une production riche, exceptionnelle, mais peu commentée : bien des numéros de revue consacrés à un écrivain, à une écrivaine ou à une oeuvre en particulier débutent en ces termes. Le cas de Laure Conan (pseudonyme de Félicité Angers, 1845-1924) et de son roman phare, Angéline de Montbrun, résiste toutefois à ce constat paradoxal. En effet, on peut se pencher successivement sur la bibliographie établie par Nicole Bourbonnais dans l’édition critique du roman puis sur le collectif de textes d’analyse dirigé par Edward Dickinson Blodgett et Claudine Potvin pour prendre la mesure des multiples études menées sur Conan et sur ce qu’on considère comme « le premier roman psychologique au Québec ». De surcroît, plusieurs travaux (principalement en histoire littéraire des femmes) tendent, depuis quelques années, à préciser le rôle de Laure Conan dans le champ littéraire de son époque ; alors qu’on la croyait enfermée dans la solitude des pionnières, elle apparaît dorénavant au centre d’un riche réseau de pratiques et de sens. Difficile, donc, de tabler sur le silence de la réception critique, voire l’oubli d’une trajectoire et d’un roman qui suivent, pour le dire avec Nicole Bourbonnais, « le cheminement et le renouvellement des mentalités et des perspectives critiques depuis 1880 jusqu’à nos jours ». Pourtant, encore aujourd’hui, Angéline de Montbrun offre des pistes d’interprétation aussi nombreuses qu’inépuisables. C’est cet effort de relecture qui est au coeur du présent dossier. Contrairement à l’ouvrage d’E. D. Blodgett et de Claudine Potvin, qui offrait principalement une rétrospective des analyses marquantes du roman, ce premier numéro de la revue Voix et Images consacré à l’oeuvre de Laure Conan propose des réflexions entièrement inédites. Peu importe leur orientation méthodologique et leur angle d’analyse, les huit contributions réunies soulignent, par leur interrelation et l’originalité de leurs propositions, la contemporanéité du roman. De même, elles retracent en filigrane le parcours d’une écriture à la fois singulière et foncièrement ancrée dans son époque. Véritable « carrousel critique », pour reprendre une heureuse formule de Marie-Andrée Beaudet, Angéline de Montbrun appelle des approches critiques variées, où résonnent problématiques et sensibilités de la recherche actuelle en études littéraires et culturelles. C’est donc sous le signe de la rencontre entre plusieurs démarches et méthodes que se place ce dossier. L’ensemble des articles renouvellent un constat critique : en regard de l’histoire et de l’esthétique du roman au Québec, Angéline de Montbrun se situe à la croisée des chemins. Publié une première fois en feuilleton en 1881 et en 1882 dans la Revue canadienne, repris en volume en 1884 et réédité trois fois du vivant de l’écrivaine, le titre suit et reformule les tendances formelles et discursives qui façonnent l’art du roman, encore balbutiant, du xixe siècle. On y retrouve, pêle-mêle, les éléments propres à la littérature du terroir et à la peinture d’un espace agraire idéal, une rhétorique patriotique empruntée au roman historique, de même que les stratégies énonciatives de l’écriture intime et du livre de piété. La gravité et l’ultramontanisme de certaines des « feuilles détachées » d’Angéline servent de contrepoids au ton badin, salonnier, parfois mordant des lettres qui composent la première partie du roman. Or, s’il offre un condensé de nombreux codes esthétiques propres au xixe siècle, le texte de Laure Conan annonce résolument les grandes lignes de la poétique romanesque du xxe siècle. Pensons à la fragmentation de la narration, à cette « défiguration » de l’oeuvre, comme l’écrit Myriam Vien dans le présent dossier, et qui est typique du récit moderne, ou au principe du vrai et du vivant qui sera au coeur des préoccupations des romanciers …

Appendices