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À la recherche de la voix des chroniqueuses francophones de l’Alberta

Au tournant du xxe siècle, le paysage du journalisme de langue française dans l’Ouest canadien, à l’image de celui du reste du Canada, est très largement masculin. Confinées le plus souvent aux quelques colonnes des pages féminines, des voix de femmes se font cependant entendre, parmi lesquelles celles de Cendrillon, de Crin-Crin, de Dan Lombre, de France Haize, de Gertrude, de Jacqueline des Érables, de Madrina, de Magali, de Mère-Grand et de Perrette. Écrivant sous le couvert de pseudonymes sur des sujets exclusivement féminins (la mode, la famille, la religion, etc.), ces chroniqueuses sont pour la plupart tombées dans l’oubli. Le destin de ces illustres inconnues contraste avec celui de journalistes, comme Paul-Émile Breton, Donatien Frémont et Henri d’Hellencourt avec qui elles ont collaboré[2] et qui sont, eux, passés à la postérité[3]. La présente étude s’inscrit dans le sillage des travaux de chercheuses, comme Simone Pilon (1999), Line Gosselin (1995) et Chantal Savoie (2002 ; 2004 ; 2006 ; 2009a ; 2009b), qui se sont efforcées de faire la lumière sur le parcours des journalistes québécoises de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle, tout en éclairant les modalités de leur contribution au champ des lettres canadiennes-françaises. Pour notre part, nous nous demanderons ce qu’il en est de leurs consoeurs francophones de l’Alberta, qui n’ont suscité à ce jour qu’un intérêt très limité[4].

Parmi les rares études s’intéressant à l’histoire des femmes journalistes dans l’Ouest canadien, il est possible de citer le mémoire de maîtrise inédit d’Anne Gagnon, intitulé « Un grand coeur dans une petite maison » : Franco-Albertan Women in the Pages of La Survivance, 1928-1938, soutenu à l’Université d’Ottawa en 1989 ainsi que l’article de Luc Côté, publié en 1998 dans les Cahiers franco-canadiens de l’Ouest, consacré aux chroniques féminines du journal franco-manitobain La Liberté. S’attardant peu sur le parcours individuel des chroniqueuses[5], encore moins sur leurs aspirations littéraires, Gagnon et Côté voient en elles les représentantes de l’idéologie clérico-nationaliste de leur temps. Selon la première, les journalistes féminines de La Survivance « enlisted women to protect the central institution of the home and offered them instructions and tactics based on the teachings of the Catholic church and French-Canadian traditions to cope with the problems of the times » (1989 : 3). Quant à Côté, il dépeint les premières chroniqueuses du journal La Liberté dans les termes suivants :

[…] il appert qu’il s’agit de femmes originaires du Québec et qui se considèrent comme des représentantes de l’élite socioculturelle de Saint-Boniface et du Manitoba français en général. Elles entretiennent aussi des liens étroits avec des organisations catholiques, notamment la Ligue des demoiselles catholiques de langue française, la Société Saint-Jean-Baptiste, les Semaines sociales, ainsi que divers organismes de charité et de bienfaisance. L’oeuvre journalistique ou littéraire de ces femmes est donc inséparable de leur propre engagement dans l’Église et de leur adhésion à l’idéologie clérico-nationaliste qui fait de la foi, de la langue et de la tradition les piliers de l’identité et de l’intégrité culturelle canadiennes-françaises

Côté, 1998 : 56

Si le constat que dressent les deux auteurs est difficilement récusable, il gagnerait cependant à être nuancé. Dans le présent article, nous nous pencherons sur le parcours largement méconnu de trois chroniqueuses qui se sont vu confier la page féminine de journaux francophones publiés en Alberta au tournant du xxe siècle, à savoir Dan Lombre (pseudonyme de Blanche Boulanger), Magali (pseudonyme de Marie-Louise Michelet) et Madrina (pseudonyme d’Emma Morrier). À ce titre, ces trois femmes font figure de pionnières. Bien qu’elles souscrivent à une vision clérico-nationaliste de la femme[6], ces trois chroniqueuses n’en possèdent pas moins une voix singulière qui n’est ni celle, impersonnelle, de l’élite que fustige Côté ni celle, ordinaire, de ces 253 Franco-Albertaines dont Gagnon reconstitue le parcours de vie (1997). Prenant la parole dans un espace traditionnellement réservé aux hommes, Blanche Boulanger, Marie-Louise Michelet et Emma Morrier doivent se conformer aux attentes sociolittéraires de leur temps. Aussi sont-elles conduites à adopter des postures énonciatives dont leur identité de classe ou de groupe seule ne saurait rendre compte. Ce sont ces personae que Savoie décrit comme des « condensés d’acceptabilité d’une parole publique dans la grande presse canadienne-française au tournant du xxe siècle » (2009a), que nous tenterons de caractériser. Pour ce faire, nous mettrons en regard la trajectoire biographique de chacune de ces femmes, le contexte sociohistorique dans lequel elles écrivent et le contenu de leurs chroniques en portant une attention particulière à certains thèmes clés, tels le féminisme et l’éducation des femmes. En outre, nous serons attentifs à des éléments comme le parrainage, le choix des pseudonymes, l’ambition littéraire et la participation à des réseaux de sociabilité qui pèsent sur les conditions d’acceptabilité de la parole des femmes journalistes (Savoie, 2002 ; 2004 ; 2006 ; 2009a ; 2009b). Nous serons ainsi en mesure de comparer les personae des trois chroniqueuses et de déterminer ce qui les distingue.

Dans l’ombre de Blanche Boulanger

Née à Coaticook au sud de Sherbrooke en 1878, Blanche Boulanger est la fille de Séraphine Lefebvre (1849-1929) et de Vincent Lévi-Ferrier Chartier (1853-1930). Comptable pour la Banque canadienne nationale, ce dernier occupe, au cours de sa vie, plusieurs responsabilités publiques. Il est, entre autres, maire de Mégantic (1889), préfet du comté de Compton et président de l’Union générale Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe (1896-1897) (Croteau, 2007 : 18). Fervent catholique, Vincent est fait chevalier de l’Ordre militaire de Pie IX en 1906 pour avoir servi comme zouave pontifical en Italie durant sa jeunesse. Son épouse, Séraphine, est l’une des dernières descendantes directes des seigneurs de la baie du Febvre. Parmi ses cousins, Blanche compte l’illustre chanoine et critique littéraire Émile Chartier (1876-1963), qui fut notamment le premier vice-recteur de l’Université de Montréal. Éduquée au couvent des religieuses de la Présentation (Daveluy, 1921 : 17), Blanche épouse le 23 juin 1913, le Dr Joseph Boulanger, diplômé en médecine de l’Université de Laval, qui exerce comme chirurgien à l’hôpital de la Miséricorde (Morcos et al., 1998 : 34). Le couple s’installe à Edmonton où le Dr Boulanger se montre particulièrement actif au sein de la francophonie locale. Fondateur du club libéral Grouard (1909), il préside la Société Saint-Jean-Baptiste d’Edmonton (1915-1918), en plus de s’investir dans de nombreuses causes, comme la lutte contre l’intempérance. En 1915, il fonde, sous l’égide de la Société Saint-Jean-Baptiste, le mensuel Le Canadien français, auquel Blanche contribue.

Épouse d’une personnalité en vue de la communauté franco-albertaine, Blanche évolue parmi les membres de l’élite de son temps. D’un naturel discret (1916e : 11), elle prend part à l’occasion à quelques événements publics, comme la réception donnée en l’honneur d’une des filles du politicien et homme d’affaires Joseph Hormidas Gariépy (Le Courrier de l’Ouest, 6 novembre 1913, p. 3). Plusieurs articles du Courrier de l’Ouest font également l’éloge de ses talents de soliste lors de messes. Toutefois, c’est surtout à « l’Oeuvre des bons livres » que son nom est associé. Créée par les Sulpiciens en 1844 à Montréal et instituée un an plus tard par Mgr Bourget, l’Oeuvre des bons livres était destinée à promouvoir des lectures conformes à la foi catholique et aux bonnes moeurs (Drolet, 1962). Sous l’égide de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Edmonton présidée par son mari, Blanche poursuit cette mission en créant, en 1917, une bibliothèque itinérante dans le but de « fournir à toutes les paroisses canadiennes environnantes l’aliment de l’esprit en même temps qu’un préservatif pour notre Langue par le Bon Livre français » (1917a : 12). Les livres sont envoyés aux bibliothèques paroissiales, où ils sont mis à la disposition du public pendant trois à quatre mois avant d’être renvoyés. Cette initiative vise notamment à contrecarrer la mise en place de bibliothèques publiques à Edmonton et à Strathcona en 1913, dont Blanche dénonce l’influence néfaste dans une chronique au titre évocateur, « Fleurs malfaisantes » :

[…] « La Bibliothèque Publique » est envahie par une foule d’affamées de lecture qui cherchent sous des titres plus ou moins mystérieux l’aliment dont l’esprit a besoin… Mais hélas !... combien de ces fleurs vivaces, (écloses dans le cerveau d’auteurs sans foi, ni moralité) cachent dans leurs corolles le poison violent qui tue l’âme et la rend impuissante à s’élever au-dessus de cette terre pour jouir de La Lumière et de la Vérité

Dan Lombre, 1916c : 12

D’abord itinérante, l’Oeuvre des bons livres finira par s’installer dans le presbytère de l’église de l’Immaculée-Conception à Edmonton. Soutenue par plusieurs bienfaiteurs de l’Alberta et d’ailleurs, dont l’archevêque d’Edmonton, Mgr Émile Legal, l’Oeuvre est financée grâce à divers événements de levée de fonds (concerts, tirages au sort, etc.) régulièrement annoncés dans Le Patriote de l’Ouest, mais aussi dans le quotidien anglophone, le Edmonton Bulletin. C’est d’ailleurs en prévision d’une de ces levées de fonds que Blanche compose sa seule et unique pièce de théâtre, intitulée « Le bon louis d’or » (Le Patriote de l’Ouest, 5 janvier 1921, p. 2). Pour sa part, Le Canadien français participe activement à la promotion de l’Oeuvre des bons livres. À l’origine gratuit, le journal se fait payant afin de reverser les 50 cents du prix de vente à l’Oeuvre des bons livres (La rédaction, 1917 : 13). Signe que l’Oeuvre lui tient à coeur, Dan Lombre compose, à peine six mois avant son décès prématuré le 21 juin 1920, une chronique faisant l’apologie des bonnes lectures (1920a : 7).

Frère cadet de Blanche, Eugène Chartier (1884-1944) occupe, à partir de novembre 1912, le poste de directeur-gérant du Progrès[7] fondé par l’avocat Wilfrid Gariépy dans le but de promouvoir sa candidature à la municipalité de Saint-Albert. Par la suite, Le Progrès, qui devient Le Progrès albertain, connaît divers propriétaires qui en élargiront le mandat (DeGrâce, 1983 : 2). Il n’est pas impossible que ce soit par l’intermédiaire de son frère que Blanche rejoigne les rangs du Progrès. Entre décembre 1913 et août 1915, Blanche contribue régulièrement[8] au « Coin des lectrices » du Progrès albertain sous les noms de plume de Dan Lombre et, occasionnellement, de Cendrillon. Plus de la moitié de ses chroniques relatent son voyage de noces en Italie et en Suisse. Portant l’intitulé « En marge de mon carnet », celles-ci se présentent sous la forme de brefs récits de voyage prenant pour objet des lieux d’intérêt (par exemple, Naples, Pompéi, le musée du Vatican, les Catacombes, etc.). En ce qui concerne les autres chroniques, elles sont relativement variées : elles comprennent des réflexions personnelles, de courts récits abordant divers thèmes (p. ex. Pâques, Noël, le mariage), des comptes rendus d’événements publics (p. ex. l’ouverture du Parlement au public, la troisième convention annuelle des Canadiens de langue française) ainsi que des contes. Toutes ces contributions font la promotion des valeurs canadiennes-françaises (langue, foi, patrie). Le 7 mai 1914, Le Progrès albertain inaugure sa propre section du courrier des lectrices, près de six ans après celle du Courrier de l’Ouest. C’est à Dan Lombre qu’est confiée la tâche de s’occuper de cette nouvelle rubrique (« Courrier de Dan Lombre »). La chroniqueuse en appelle au patriotisme de ses lectrices ainsi qu’à l’inspiration de leur plume afin de l’aider à connaître « un succès » qu’elle se sent « impuissante à obtenir » (1914b : 1) seule. Toutefois, durant son année et demie d’existence, cette rubrique, qui se compose de brèves réponses à des questions de lectrices portant sur la vie domestique et les bonnes moeurs, ne paraîtra que cinq fois… À peine quelques mois après la publication du dernier numéro du Progrès albertain le 19 août 1915, Dan Lombre devient responsable de la page féminine du Canadien français jusqu’à son décès prématuré en juin 1920. La page compte sur la contribution régulière d’une autre chroniqueuse qui porte le pseudonyme de France Haize[9] ainsi que sur celles, ponctuelles, de diverses correspondantes. Occasionnellement, certains textes de Dan Lombre paraissent dans le journal saskatchewanais Le Patriote de l’Ouest et l’hebdomadaire ottavien Le Droit, ce qui montre que sa notoriété ne se limite pas à l’Alberta.

Les sujets abordés par Dan Lombre dans Le Canadien français sont moins légers. Ses chroniques y sont à la fois moins biographiques et plus revendicatives. Ce changement peut être attribué à la ligne éditoriale du mensuel qui se présente comme l’organe officiel de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Edmonton[10]. Relayant des positions présentées lors de conférences ou bien dans des journaux « patriotiques » (comme Le Droit, L’Action catholique et Le Patriote de l’Ouest), Dan Lombre s’en prend tour à tour au « mauvais » féminisme (1916a : 6-8) en plein débat sur le droit de vote des femmes en Alberta, à l’association des Chevaliers de Colomb (1919 : 2-4) soupçonnée d’être une société secrète ainsi qu’aux « mauvaises lectures » que les bibliothèques publiques contribuent à propager (1916c : 12). Il convient de noter que cette dernière critique est annonciatrice de l’Oeuvre des bons livres à laquelle Dan Lombre consacre d’ailleurs plusieurs chroniques. À l’occasion, notre chroniqueuse touche à quelques thèmes d’actualité, dont la Grande Guerre (1916c : 19-20) qu’elle traite en empruntant le point de vue d’une mère endeuillée ainsi que la « Guerre des épingles » (1916d : 4), qui donne lieu à un vibrant hommage aux « soeurs » ontariennes qui se sont mobilisées pour défendre l’enseignement du français.

Dans un court texte à caractère autoréflexif, intitulé « Mon amie peinte par elle-même. Fantaisie inachevée (Brouillon) », Dan Lombre livre des éléments de ce qui pourrait être sa posture énonciative. Ainsi, celle-ci se pose en « observatrice parfois un peu gênante » qui « scrute d’un oeil humide les belles âmes qu’elle rencontre, et un peu indiscrète dit ce qu’elle en pense » (1920b : 12). Les récits de voyage ainsi que plusieurs textes, comme « Une noce ruthène » (1917b : 6-7)[11], procèdent de cette même posture d’observation qui met au premier plan l’objet décrit tout en privilégiant la première personne du pluriel (« nous ») qui désigne généralement la narratrice et son époux, comme l’illustre l’exemple ci-dessous :

À la maison nuptiale où nous nous rendons sur les instances des mariés, nous sommes l’objet d’une chaleureuse réception et nous devons prendre part au banquet présidé par l’Évêque des Ruthènes accompagné de trois prêtres de la même nationalité

1917e : 7

Le récit descriptif est parfois ponctué de commentaires (ou de « pensées », pour reprendre le terme de Dan Lombre), qui rappellent la présence de la narratrice :

Un jeune Missionnaire Oblat, vicaire de cette paroisse polonaise vient, tête nue, attendre dehors l’arrivée de « ses enfants » ; il est Allemand, musicien, polyglotte, mais avant tout « prêtre au coeur international » travaillant toujours et uniquement pour la gloire de Dieu, dans la tâche parfois ingrate de l’évangélisation de nations dont la mentalité différente, la piété quelquefois superficielle et l’obstination schismatique qui souvent les empêche de reconnaître l’autorité religieuse et de s’y soumettre, rendent le ministère difficile et peu consolant pour un coeur d’apôtre zélé comme le sien

1914e : 2

Dans l’exemple précédent, le commentaire pourrait presque passer inaperçu dans la mesure où la narratrice fait usage du discours indirect libre. Les articles d’opinion publiés dans Le Canadien français participent de cette posture d’observation en ce sens qu’ils se contentent de rapporter les propos de tiers (journaux, autorités ecclésiales, conférenciers, etc.) tout en les cautionnant. Ainsi, la chronique que signe Dan Lombre sur le féminisme n’est qu’un « résumé » de la conférence que le révérend père Adam, de la Compagnie de Jésus, a prononcé lors de la séance du 20 février de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Edmonton. Dans ce cas, le collectif (« nous ») ne désigne plus l’unité conjugale, mais la société dont elle fait partie et dont elle diffuse les idées. À ce propos, on pourrait dire que le pseudonyme « Dan Lombre » (homophone de « dans l’ombre ») rend littéralement compte de la posture d’humilité (Savoie, 2009b) de Blanche Boulanger. Toutefois, il arrive également à notre journaliste de faire spontanément usage de la première personne du singulier pour laisser libre cours à son imagination, partager l’intimité de son quotidien ou évoquer son passé :

Blottie au fond d’une auto, entre un heureux couple qui, à mes yeux, personnifiait la Gloire et l’Amour – ces deux flambeaux qui illuminent et conduisent le monde – je gardais le silence dans la crainte de voir trop tôt se rompre le charme de la poésie qui se dégageait des choses et dont mon âme se grisait tandis que les papillons bleus du Rêve voltigeaient, dans mon esprit, nombreux comme les blanches étoiles qui descendaient du ciel

1914b : 2

Il convient de noter que l’image du papillon de même que celles de l’oiseau (1914c : 2) et de l’hirondelle (1914d : 2), auxquelles Dan Lombre recourt également, se retrouvent chez plusieurs chroniqueuses canadiennes-françaises où elles sont associées à des thèmes comme la liberté et le bonheur (Pilon, 1999 : 139).

Comme le laisse entendre son pseudonyme, Dan Lombre privilégie une posture d’humilité qui la conduit à solliciter l’« aide » des correspondantes du « Courrier de Dan Lombre » afin de pallier ses propres manques ; à retreindre l’utilisation de la première personne du singulier aux récits intimes ; à adopter une posture d’observatrice pour qui dire ce qu’elle pense relève de l’« indiscrétion » ; et à relayer le discours de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Edmonton dont Le Canadien français est l’organe officiel. Jouissant d’une notoriété qui dépasse les frontières de l’Alberta, Dan Lombre ne semble pas nourrir d’ambitions littéraires, à la différence de plusieurs de ses consoeurs (Savoie, 2004 : 70), dont Magali et Madrina. Son objectif en signant la pièce « Le bon louis d’or » est d’abord et avant tout de recueillir des fonds pour financer l’Oeuvre des bons livres, qui lui tient à coeur. Le Canadien français fait paraître à titre posthume des extraits de son journal intime dans son édition du 4 novembre 1920, sous le titre « Livre de ma vie ». Toutefois, rien n’indique que ce journal était destiné à être publié. Dans la nécrologie que signe l’historienne et écrivaine québécoise Marie-Claire Daveluy dans La Revue nationale, Blanche est présentée comme « une femme de lettres canadienne-française » qui a « […] désiré répandre dans la lointaine province de l’Alberta, la “bonne parole” catholique et française » (17).

Magali : le journalisme comme tremplin vers la littérature

À la différence de ses deux consoeurs, Marie-Louise Michelet (1883-1960) n’est pas née au Canada, mais en France. Elle est la fille de François Michelet, fils de cultivateur, originaire de Saône-et-Loire, et d’Hélène Nobon, pupille de la Nation (Rao, 2019). Fervents catholiques à la recherche d’une vie meilleure, le couple et ses trois enfants (Marie-Pauline-Claudine, Marie-Louise, Charles-Alexandre) s’embarquent pour l’ouest du Canada qui attire, au tournant du xxe siècle, un grand nombre de Français (Painchaud, 1987 ; Pénisson, 1986b). C’est dans une concession à proximité de la colonie francophone de Morinville que les Michelet s’installent en 1906. À son entrée au Canada, Marie-Louise déclare la profession de « travailleuse ménagère ». Plusieurs éléments permettent cependant de penser qu’elle possède un niveau d’éducation élevé. En particulier, dans une lettre datant de 1925 publiée dans la revue L’Action française, elle dit avoir obtenu la première partie de « son bachot » (Michelet, 1925b : 387).

Un an à peine après leur arrivée en Alberta, Marie-Louise et son frère cadet, Charles-Alexandre (dit Alex) Michelet vont se joindre au Courrier de l’Ouest créé l’année précédente et dont le mandat est de défendre les intérêts des Canadiens français, de soutenir le Parti libéral et de promouvoir la colonisation de langue française (DeGrâce, 1980 : 108). Charles-Alexandre Michelet occupe le poste d’éditeur de l’hebdomadaire francophone jusqu’en 1913. Quant à sa soeur, elle prend, en 1906, la barre de la page féminine, « Le coin féminin », sous le nom de plume de Magali et la conservera pendant une décennie. En outre, il n’est pas impossible qu’elle ait également collaboré à d’autres rubriques du journal.

Des trois chroniqueuses, Magali est celle dont la production journalistique est la plus abondante et la plus diversifiée. Celle-ci compte plus de 400 chroniques rédigées à un rythme hebdomadaire sur une période d’une décennie, qui se clôt en 1916 à la suite de la fermeture du Courrier de l’Ouest. La chronique inaugurale du 4 janvier 1906 précise les termes du pacte de lecture :

Puissiez-vous l’accueillir, ce modeste Coin, comme un ami discret et fidèle qui chassera l’heure morose et auquel vous songerez à recourir en quelque circonstance que ce soit. Son programme ? Le voici : établir entre vous et lui les liens de l’amitié, une noble émulation au bien, un généreux désintéressement, une discrétion absolue ; et vous aider dans l’art, bien féminin, de plaire à votre entourage

1906a : 3

À première vue, le programme du « Coin féminin » est plutôt classique : il met au premier plan des valeurs traditionnellement féminines, comme la « modestie », la « discrétion », la « fidélité » et l’« art de plaire ». Le ton adopté est léger ; il est celui de la confidence. Remarquons qu’il n’y est question ni de religion ni de défense des valeurs canadiennes-françaises. Si ces thématiques ne sont pas absentes du « Coin féminin », elles y occupent une place moins centrale que dans les chroniques de Dan Lombre et celles de Madrina, comme nous le verrons. Il faut dire que Magali, qui est fraîchement arrivée de France, mesure encore mal le poids du nationalisme canadien-français et qu’au moment où elle compose ses chroniques, les francophones jouissent d’une situation plutôt enviable en Alberta (Hart, 1980 : 81). Enfin, Le Courrier de l’Ouest – qui est une entreprise privée dont les actionnaires comptent notamment des hommes d’affaires et des avocats anglais, comme Frank Oliver et Charles W. Cross – est moins inféodé au clergé catholique que ne l’est Le Canadien français, qui est l’organe officiel de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Edmonton. Pour toutes ces raisons, Magali dispose d’une certaine liberté de ton, qu’elle mettra à profit dans ses chroniques.

Ainsi, la position qu’adopte Magali concernant le droit de vote des femmes est moins dogmatique et plus nuancée que celle de Dan Lombre, qui se contente de relayer la thèse catholique du « bon » et du « mauvais » féminisme selon laquelle le domaine politique serait la seule prérogative de l’homme[12]. Même si Magali se dit en principe contre le droit de vote des femmes et se réclame, comme sa consoeur, du « bon féminisme » tel qu’il est mis en oeuvre par la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste dont elle loue l’action sur le terrain (1909b : 3), elle envisage ce droit comme une nécessité qui s’impose à la femme par défaut :

Les femmes doivent-elles voter ?

En principe : non. L’homme étant le soutien naturel de la femme, celle-ci doit lui laisser la responsabilité de l’édifice social, établi sur des lois honnêtes respectant les droits de sa conscience et de celle de ses enfants. En fait : oui. Si l’homme, méprisant la loi divine, méconnaît ses devoirs, sombre dans la mollesse ou l’égoïsme. Si la morale est attaquée, la liberté de conscience violée, la femme a le droit d’arrêter la décadence de sa race par tous les moyens en son pouvoir – y compris le bulletin de vote, répugnant cependant à sa nature

1908c : 3

Autrement dit, c’est en raison de l’échec des hommes que les femmes se retrouvent dans l’obligation de voter. À ses yeux, la politique n’est pas différente des autres sphères et, à ce titre, elle pourrait bénéficier du jugement éclairé des femmes, en particulier lorsqu’il est question d’enjeux de nature sociale, comme la protection de l’intégrité du foyer familial et la défense des droits des travailleuses contre l’exploitation (1915a : 3). N’hésitant pas à mettre l’histoire de son côté, elle rappelle le rôle d’autorité dont plusieurs grandes civilisations ont investi les femmes (1915d : 2). D’une manière générale, la position de Magali sur le féminisme, le droit de vote des femmes ainsi que leur accès à l’éducation s’aligne sur celles de militantes qui, comme Marie Gérin-Lajoie (Lavigne, Pinard et Stoddart, 1975 : 362) et surtout Françoise (pseudonyme de Robertine Barry) (Beaudoin, 2011 ; Boivin et Landry, 1978-1979), privilégient un engagement social qui ne cède pas le pas au dogmatisme[13]. Admiratrice de l’oeuvre tant sociale que littéraire de Françoise, Magali lui consacre plusieurs chroniques laudatives, dont un vibrant hommage à la suite de son décès le 7 janvier 1910 (1910a : 3). Le sentiment d’appréciation est mutuel puisque, lors de son séjour dans l’Ouest à l’occasion de la rencontre du Canadian Women’s Press Club en juin 1906 (Kay, 2012 : 133 et sq.), Françoise prend le temps de s’arrêter à Edmonton afin de rencontrer Magali, dont elle « lit régulièrement les chroniques » (1906 : 114). Sensible comme sa « bonne amie » Françoise aux injustices que subissent les femmes, Magali prend position en faveur d’une pétition visant à faire reconnaître la contribution du travail féminin dans la constitution du patrimoine domestique[14] (1909c : 3). Dans plusieurs chroniques, elle ne manque pas de louer l’héroïsme des pionnières qui doivent faire face aux rigueurs de l’Ouest canadien ainsi que celui des femmes (mères, épouses, infirmières) confrontées à la tragédie de la Première Guerre mondiale (Rao, 2017 ; 2019). Enfin, Magali s’attache non sans humour à déconstruire les stéréotypes masculins qui circulent sur les femmes (1911 : 3), tout en proposant des portraits de femmes d’exception à l’image de Marie Curie (1908c : 3). À la différence du « bon » féminisme de Dan Lombre, le féminisme de Magali pourrait être qualifié de « social » en ce sens qu’il est moins subordonné aux dogmes du catholicisme et fait l’apologie des réalisations des femmes au-delà des domaines qui leur sont traditionnellement réservés.

À l’instar de Françoise, Magali nourrit un véritable projet littéraire, qui se manifeste aussi bien dans sa posture énonciative que dans la forme et le contenu du « Coin féminin ». En premier lieu, Magali expérimente une variété de genres qui vont de la nouvelle au conte en passant par le billet d’humeur, le portrait, la saynète, le compte rendu et la chronique. Certains textes de fiction, comme « Le cheveu blanc » et « Les injouguées » publiés dans « Le Coin féminin », paraîtront d’abord dans le prestigieux Journal de Françoise fondé par Robertine Barry, ce qui témoigne de leurs qualités littéraires. En second lieu, plusieurs chroniques prennent pour objet l’écriture ou la lecture. C’est le cas, par exemple, d’une chronique intitulée « La correspondance », dans laquelle Magali prodigue à ses lectrices des conseils en matière d’écriture épistolaire :

Si d’instinct les femmes connaissent l’art d’écrire une lettre, il leur arrive, cependant, de rester parfois la plume en l’air devant une page toute blanche, c’est que, dans une lettre, comme dans les actes les moindres de notre vie de civilisés, les questions sur les usages et convenances se glissent, épineuses, et souvent délicates

1906b : 3

À cet égard, la posture d’autorité de Magali, qui dispense également des conseils de lecture (1908b : 3), n’est pas sans rappeler celle de mentor et de critique qu’adoptent d’autres chroniqueuses, dont Françoise, Madeleine (pseudonyme d’Anne-Marie Gleason) et Gaétane de Montreuil (pseudonyme de Georgina Bélanger) (Savoie, 2008 ; 2009a). Comme pour marquer son autorité (et son territoire littéraire), Magali fait comprendre sans détour à ceux et celles qui souhaitent publier dans « Le Coin féminin » :

Il n’y a pas d’opposition systématique contre la publication d’articles de correspondants, mais je vous préviens que les petits récits sentimentaux et stupides vont tout droit au panier […] Le P.C. [Petit courrier] est ouvert à tous nos lecteurs. Je me réserve seulement le droit d’en fermer la porte à qui ne me plairait pas

Magali, 1910a

En plus de prodiguer des conseils littéraires, Magali fait également part à plusieurs reprises de son amour passionnel pour la lecture et les livres :

Fermés en leur virginité mystérieuse, les livres sont des floraisons printanières au coeur serré, où se pressent et fermentent mille couleurs et mille parfums. Ouverts et comme effeuillés, ils bourdonnent intensément, avec des irradiations d’efforts sincères vers la logique et vers la beauté. Sous la main qui les effeuille, ne semblent-ils pas murmurer : « Je l’aime… un peu… beaucoup… à la folie… ? Et ils chantent si doucement parfois la chanson jolie de la jeunesse que l’aïeule, un instant assoupie, ses bésicles tombées en travers des pages, se réveille à l’appel insistant de leur parfum et de leur secret

1912 : 3

En troisième lieu, les chroniques de Magali sont truffées de références à la littérature classique et contemporaine (Andromaque, Antigone, Athalie, Barrès, etc.) que viennent au fil du temps enrichir des noms appartenant au corpus littéraire canadien-français, par exemple Laure Conan, Albert Lozeau et Louis Maigue. En plus de publier assez régulièrement des comptes rendus de lecture (1906c : 3), « Le Coin féminin » se dotera à partir du 15 février 1906 d’une rubrique éphémère intitulée « Notes littéraires », qui brosse le portrait d’écrivains célèbres au nombre desquels figurent José-Maria de Heredia et Rosemonde Rostand. En dernier lieu, « Le Coin féminin » fait office de véritable « salon littéraire » (Savoie, 2002 ; 2006) permettant à Magali d’échanger à distance avec ses consoeurs de l’Est. Cet espace de socialité est d’autant plus vital que la chroniqueuse se trouve isolée, à la fois géographiquement et symboliquement, du centre littéraire qu’est le Québec. En l’espèce, les marques de reconnaissance que reçoivent les journalistes de l’Est revêtent différentes formes : Magali salue leurs réalisations[15], promeut leurs ouvrages[16], publie leurs chroniques[17], leur dédicace des textes[18], correspond avec elles (Rao, 2013 : 145) et relaie leurs idées parfois subversives à l’image du féminisme social de Françoise. Il ne fait aucun doute qu’en prenant part à ce réseau, Magali a pu elle-même acquérir en retour une certaine reconnaissance symbolique. Faute de témoignages, il est difficile de dire dans quelle mesure les ambitions (et exigences) littéraires qu’affiche Magali dans « Le Coin féminin » s’accordent avec les attentes réelles de son lectorat albertain…

C’est à l’Est que notre chroniqueuse va chercher la consécration littéraire en proposant ses textes au Journal de Françoise (qu’elle « plébiscite » dans sa chronique du 3 décembre 1908) et en participant au concours de l’Alliance artistique de Montréal, qu’elle remporte avec sa pièce « Jean Audrain » en 1918. Trois ans plus tard, elle est lauréate du concours lancé par la revue L’Action française sur le thème de l’anglomanie. Sa pièce, Contre le flot, est publiée aux éditions de la Bibliothèque de l’Action française. Alors qu’elle a quitté l’Alberta pour Washington, Magali signe, en 1922, une comédie en un acte intitulée Marraine de guerre et soumet, un an plus tard, une pièce au concours d’art dramatique, qui ne connaît pas le succès escompté. En 1925 paraît son roman épistolaire Comme jadis. Lettres échangées d’une rive de l’océan à l’autre. À l’instar de ses oeuvres précédentes, ce dernier est directement inspiré de ses chroniques, en particulier « Roman d’aïeule » (1909b : 2) et « Au pays de la chevalerie » (1915b : 3).

Madrina et le théâtre de la francophonie albertaine

Originaire de la région d’Ottawa, Marie-Joséphine-Emma Morrier (1872-1951) est la fille de Louis Gravel (1845-1925) et de Marie-Louise-Emma Pruneau (1851-1881). Selon les quelques informations que nous avons pu trouver, le couple est d’origine plutôt modeste. Louis déclare la profession de « journalier » dans le recensement de 1871, puis celle de boucher[19] dans le recensement de 1901. Après le décès prématuré de Marie-Louise en 1881, Louis épouse en secondes noces Julia Catherine O’Neil, de 25 ans sa cadette, avec qui il fondera un nouveau foyer. Après des études au couvent Notre-Dame-du-Sacré-Coeur (mieux connu sous le nom de « couvent de la rue Rideau ») réputé pour l’enseignement des arts, Emma Gravel épouse, en premières noces, le peintre et enlumineur Arthur Arcand, le 4 février 1889. Natif de Montréal, Arcand réalise en 1884 le « grand tableau historique » à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire de la Société Saint-Jean-Baptiste (Karel, 1990 : 15), ce qui lui vaudra une certaine notoriété. Il décède le 28 avril 1905, Emma est alors âgée de 33 ans. Trois ans plus tard, elle épouse Joseph-Eldège Morrier (1874-1940), arpenteur de profession, qui prendra une part active au développement de la francophonie de l’Ouest. Président à deux reprises de l’Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan (1914-1915 et 1923-1925), Joseph-Eldège est un fervent promoteur de la presse écrite en français. Il sera administrateur du Patriotede l’Ouest jusqu’en 1928, puis de La Survivance jusqu’à son décès en 1940.

Diplômée du Conservatoire de Chicago et formée à la peinture à Paris (Le Patriote de l’Ouest, 14 novembre 1928, p. 1), Emma met ses talents artistiques au service de ses communautés francophones d’adoption. Alors qu’elle réside encore à Prince Albert, Emma est à la tête d’un groupe d’artistes amateurs rattachés à la paroisse francophone Sacré-Coeur (Lavigne, 1991 : 63). Elle prend également la direction de la chorale de la cathédrale du Sacré-Coeur (Le Patriote de l’Ouest, 14 novembre 1928, p. 1), qui remporte, sous sa direction, le trophée provincial du festival de musique le 27 mai 1925. Plusieurs articles du Patriote de l’Ouest font l’éloge de ses prestations musicales lors de divers événements publics et religieux. Après un séjour de quatre années à Montréal, les Morrier s’installent à Edmonton en 1932. C’est à la suite d’un défi que lui lance le père d’une de ses élèves de chant qu’Emma compose la pièce Bon sang ne ment pas (Cyrille, 1935 : 6), qui la fera connaître. Contre toute attente, la pièce, écrite en moins d’une semaine, remporte le prix remis à l’occasion du huitième festival dramatique de la province, qui se tient à Calgary le 8 février 1935. Le journal La Survivance lance même une campagne auprès de ses lecteurs pour financer le déplacement des acteurs du Cercle dramatique de Saint-Joachim qui interprètent la pièce. Sélectionnée la même année pour la troisième édition du Dominion Festival, la pièce fait l’objet d’une large couverture médiatique. Le gouvernement de l’Alberta accepte même d’allouer des fonds pour couvrir les frais de déplacement de la troupe (Godbout et al., 2012 : 57). Même si Bon sang ne ment pas n’est pas victorieuse, la pièce rend compte, selon Albert Constantineau, l’un des membres du jury du festival, de l’incroyable vitalité culturelle des communautés francophones en contexte minoritaire (Le Droit, 24 avril 1935, p. 5). Parallèlement à ses activités théâtrales, Emma enseigne le chant, en plus d’offrir des prestations musicales et d’exposer ses toiles (La Survivance, 11 avril 1934, p. 8). Elle poursuivra sa passion pour la peinture à Montréal où elle habite pendant les dernières années de sa vie. Elle y fera l’acquisition d’un studio et participera à plusieurs expositions, gagnant ainsi une certaine notoriété dans la communauté artistique montréalaise (Bélair, 1948 : 28).

Alors qu’Emma réside encore à Prince Albert en Saskatchewan, elle contribue, sous le nom de plume de Madrina, à la page féminine du Patriote de l’Ouest (« En famille ») entre août 1918 et septembre 1925. C’est également sous ce pseudonyme qu’elle signe ses chroniques dans la page féminine de l’hebdomadaire albertain La Survivance (« Le Royaume de l’Intérieur ») entre mai 1934 et mai 1938, prenant la suite de Germaine (pseudonyme de Germaine Sauriol), épouse du directeur de La Survivance (1928-1930), Raymond Laplante. S’étalant sur une période de près de 13 ans, les écrits journalistiques d’Emma comprennent 19 chroniques publiées dans Le Patriote de l’Ouest entre le 28 août 1918 et le 16 septembre 1925 et 215 autres qui paraissent à un rythme hebdomadaire dans La Survivance entre le 16 mai 1934 et le 4 mai 1938. Ardente promotrice des valeurs canadiennes-françaises à l’image de sa consoeur Dan Lombre, Madrina adopte cependant une personae différente dans un contexte marqué par le déclin généralisé de la francophonie albertaine. En effet, selon l’historien Edward J. Hart, les années 1918 à 1935 se caractérisent par la disparition progressive[20] de l’élite et du clergé dont l’action avait contribué à consolider la communauté francophone sur le plan institutionnel (1980 : 97). À cela s’ajoutent des bouleversements socioéconomiques majeurs (travail des femmes, accélération de l’urbanisation, etc.) qui favorisent l’émergence d’une société de consommation dont les valeurs (recherche du profit, individualisme, hédonisme, etc.) ne sont guère compatibles avec celles des Canadiens français (109).

Dans ce contexte, Madrina préfère aux récits descriptifs et aux textes d’opinion, des saynètes et des dialogues qu’elle ancre dans le quotidien des Canadiens français. Se déroulant généralement au sein de la cellule familiale et mettant en scène une variété de personnages, en particulier féminins (mères, filles, soeurs, tantes, infirmières, etc.), ces textes dialogués offrent la particularité de prendre acte des changements sociétaux (travail des femmes, mariages exogames, célibat, américanisation de la culture, accélération du rythme de la vie, etc.) plutôt que de les condamner a priori. En fine observatrice, Madrina est consciente que les valeurs véhiculées par la modernité ont pénétré les foyers de ses compatriotes, qui doivent désormais composer avec elles. Ainsi, les chroniques de Madrina mettent souvent en opposition deux camps (par exemple, une mère et sa fille) dont l’un incarne les « bonnes » valeurs (le patriotisme, la maternité, la famille, etc.) et l’autre celles, pernicieuses, de la société de consommation (l’assimilation, le salariat féminin, l’individualisme, etc.). Au fil du dialogue, le camp représentant le changement est amené à réviser son point de vue. La chronique se termine en général par une maxime morale ou une injonction à l’action qui prend à partie la lectrice, sommée de sortir de sa position de lectrice/observatrice et d’agir comme il se doit :

Oh ! Vous, mères prévoyantes qui avez consacré votre vie à cultiver ces fleurs filiales avec soin, en les orientant vers la lumière, en les nourrissant de bons exemples, vous leur conservez la fraîcheur en laissant couler de vos lèvres maternelles les conseils dont elles ont besoin quotidiennement : soyez bénies de l’effort que vous faites, pour donner à notre race des femmes dignes d’être des Canadiennes françaises. Leur foyer se modèlera sur le vôtre et se peuplera d’hommes de caractère bien formé. Comme les anciennes, jeunes filles, soyez féminines ; de là découleront l’intense bonheur, et les joies dont votre avenir s’encadrera

1935a : 2

Bien plus que des legs du passé, les valeurs traditionnelles peuvent constituer, aux yeux de Madrina, des remèdes aux maux de la modernité que sont l’accélération du temps (1936 : 2) et la consommation à outrance (1935b : 2). Par là même, celles-ci acquièrent une nouvelle actualité et un regain de légitimité. À mi-chemin entre le dialogue didactique et la saynète[21], les chroniques de Madrina ont une visée pratique et caractère édifiant qui les rend facilement accessibles.

Enracinées dans le quotidien et mettant en scène des personnages ordinaires, les mises en situation de Madrina touchent à un éventail de thèmes bien plus variés que ceux de Dan Lombre, allant de l’insécurité linguistique à l’importance de la préservation des liens familiaux en passant par les dangers de l’urbanisation et la défense de la langue française. Certains thèmes occupent une place prépondérante. C’est notamment le cas de la maternité, qui constitue pour Madrina le mode de transmission par excellence de l’identité canadienne-française. Un autre de ses thèmes de prédilection est l’égoïsme de celles qui préfèrent se consacrer à leurs propres désirs au nom de leur droit à la liberté, et ce, au mépris de leurs responsabilités, en particulier, familiales. Même si elle demeure fortement attachée aux valeurs catholiques françaises, Madrina ne fait pas moins preuve d’une certaine ouverture d’esprit. En effet, elle n’hésite pas à condamner moralement l’anglophobie, en particulier lorsque celle-ci s’exerce au nom du patriotisme canadien-français (1934b : 2). De même, elle encourage les jeunes femmes à étudier afin de ne pas se contenter d’être de simples « poupées » (1935c : 2). Cependant, elle les dissuade de trouver une profession hors du foyer, à moins qu’il ne s’agisse de celle, très chrétienne, d’infirmière. Aux yeux de Madrina, c’est en réalisant leur devoir de mère que les femmes ont la possibilité de s’accomplir pleinement : « La mère, en professionnelle, touche à tous les problèmes d’une main sûre et habile. Elle conseille avec le jugement d’un bon avocat ; elle soigne les blessures et les douleurs en véritable médecin du corps et de l’âme. » (1938 : 5)

Enfin, il convient de préciser que les chroniques de Madrina ne se limitent pas à la seule sphère du quotidien. À l’occasion, la journaliste mentionne des événements internationaux, comme le couronnement de George VI (1937 : 6) et la répression contre les catholiques en Allemagne, en Espagne et en Russie (1934a : 6), moins pour en faire une lecture politique que comme trame de fond de ses chroniques. Madrina s’intéresse également à ce qui se passe à l’échelle provinciale, en particulier lorsque cela touche de près la communauté francophone. Ainsi, elle met en garde ses lectrices contre la promesse du parti Crédit social d’accorder à chaque adulte de la province la somme de 25 dollars (1935d : 2). Comme le rappelle Hart, ce parti a connu un certain succès auprès de la communauté francophone au point de menacer d’en diviser le vote traditionnellement libéral (1980 : 122). De même, elle encourage régulièrement ses lectrices à prendre part aux activités des organismes francophones, à commencer par celles de l’Association canadienne-française de l’Alberta (propriétaire de La Survivance), et à valoriser les produits culturels français (théâtre, musique, journaux, etc.).

Madrina fait partie de ces quelques journalistes qui se sont aventurées avec succès dans le domaine des lettres. En effet, celle-ci se tourne, par un heureux concours de circonstances, vers le théâtre dont la forme n’est pas sans rappeler celle de ses chroniques. Sa pièce Bon sang ne ment pas est publiée le 24 juin 1934, avec le concours du journal La Survivance qui en assure la promotion. Celle-ci figure également dans un recueil, intitulé Quatre essais de théâtre national, publié deux ans plus tard, avec trois autres pièces, à savoir « Le rêve du poète » (dont le titre original était « L’inspiration »), « Va ton chemin » et « La trahison ». La préfacière précise qu’il s’agit du « premier livre écrit par une Canadienne française en Alberta ». En ce qui concerne les thèmes et les situations traités dans les pièces, ils s’apparentent à ceux abordés dans les chroniques : l’attachement à la terre et aux valeurs qu’elle incarne (le travail, le respect, la tradition, etc.) que l’on oppose aux mirages de l’urbanité ; le sacrifice des parents qui se heurtent à l’ingratitude de leurs enfants ; les risques que représente l’exogamie pour la préservation de l’identité francophone et l’importance de cultiver les liens intergénérationnels.

À la fin de sa vie, Emma signe un roman-feuilleton intitulé « La Squaw blanche », qui paraît d’abord dans la page féminine du quotidien Le Droit entre le 28 janvier et 8 avril 1950, puis dans La Survivance entre le 17 mai et 15 novembre 1950[22]. Une note éditoriale précédant la version publiée dans Le Droit précise que le feuilleton « sera publié sous la forme d’un volume plus tard » (3), ce qui, à notre connaissance, ne s’est jamais réalisé. S’inscrivant dans la veine autobiographique du récit de voyage féminin, à l’instar des romans Les trois courageuses québécoises : une aventure vers l’Ouest canadien en 1920 (1926), de Marie B. Froment, et de Mush ! un hiver en pays cree (1933), d’Anne de Mishaegen, « La Squaw blanche » narre le périple d’Emma (qui reprend, pour l’occasion, son pseudonyme de Madrina) en Saskatchewan aux côtés de son mari, en mission d’arpentage. Au premier abord, le roman apparaît doublement transgressif : il éloigne la femme de son rôle domestique et se présente sous la forme d’un roman-feuilleton, genre populaire traditionnellement associé au divertissement. Toutefois, à y regarder de plus près, « La Squaw blanche » met en oeuvre ce que Anne-Marie Carle et Pierre Rajotte (2014) nomment une « écriture de la retenue », qui ne fait que conforter l’image conventionnelle de la Canadienne française. En effet, la protagoniste – qui est certes conduite, au fil de son aventure, à se dépouiller des marques superficielles de sa féminité – joue avant tout le rôle d’accompagnatrice. Quant à son parcours, aussi édifiant soit-il, il ne fait que révéler ses qualités « naturelles » de femme (instinct maternel, dévotion conjugale, etc.)[23]. En fin de compte, Madrina demeure dans l’ensemble fidèle à elle-même. C’est le journaliste et homme de lettres, Donatien Frémont, lui-même proche des Morrier[24], qui préface le roman-feuilleton. Il loue notamment l’humilité de l’auteure, qui « sachant fort bien que le moi est haïssable […] a préféré conduire son récit comme s’il s’agissait d’une aventure à première vue plus ou moins romancée, dans laquelle figureraient des acteurs passant pour plus ou moins fictifs » (1950 : 3). Frémont met la rédaction de cette oeuvre « sans prétention » sur le compte du désir d’Emma de « laisser à ses petits un témoignage vivant de leurs grands-parents » (Ibid.). Le ton condescendant de la critique n’est pas sans rappeler celui d’autres préfaces allographes de textes composés par des femmes (Goulet, 2001). En définitive, la préface de Frémont situe d’emblée « La Squaw blanche » dans un espace d’acceptabilité typiquement féminin structuré autour de valeurs tant esthétiques que morales, telles que l’humilité, la modestie et la transmission.

Conclusion : Trois postures singulières

L’analyse du parcours biographique de Blanche Boulanger, de Marie-Louise Michelet et d’Emma Morrier révèle que celles-ci sont issues de milieux socioéconomiques relativement différents. Ce constat rejoint celui que dresse Line Gosselin concernant les journalistes québécoises francophones (1995 : 39). Toutefois, elles ont en commun de ne pas être originaires de l’Alberta, mais d’y avoir suivi leurs proches (parents et maris). La diversité de leurs origines reflète celle de la population franco-albertaine dans son ensemble qui, en 1931[25], compte une majorité de Québécoises (19,6 %), d’Américaines (12 %), d’Ontariennes (5 %) et de Françaises (4 %) (Bureau fédéral de la statistique, 1934a : 74). Possédant un niveau d’instruction élevé, les trois chroniqueuses ont fréquenté le couvent et sont de toute évidence attachées à la religion catholique. Dans le cas de Marie-Louise, c’est en grande partie le climat anticatholique ayant entouré l’adoption de la Loi de séparation entre l’Église et l’État en 1905 qui a précipité son départ et celui de sa famille vers le Canada (Rao et Lacroix, 2012). Leur parcours éducatif les rapproche des femmes de « race » française vivant en milieu urbain[26]. Des trois chroniqueuses, seule Emma Morrier a eu un enfant, ce qui les distingue de leurs consoeurs de « race » française dont le taux moyen de fécondité de cinq enfants est parmi les plus élevés en Alberta[27] (Bureau fédéral de la statistique, 1934c : 299). Dan Lombre, Madrina et Magali ont pu bénéficier d’un accès privilégié aux journaux par le truchement de leurs proches (époux et frère dans le cas de la première, frère dans celui de Magali et époux dans celui de Madrina[28]) à une époque où les métiers de la presse sont dominés par les hommes, en particulier chez les francophones de l’Alberta. Ainsi, le recensement de 1931 indique que 27 femmes occupent la profession d’« auteures, éditrices ou journalistes », dont 26 sont de « race » britannique et aucune de « race » française (1934b : 952). En fait, plus des trois quarts des Albertaines francophones (soit 76,4 %) travaillent dans le domaine des services, qui inclut des professions telles que religieuses, infirmières diplômées, domestiques et gouvernantes. Blanche Boulanger et Emma Morrier entament leur carrière de chroniqueuse tardivement alors qu’elles sont âgées de plus de 35 ans. En revanche, Marie-Louise Michelet n’a que 23 ans lorsqu’elle prend la barre du « Coin féminin ». À ce moment, elle est célibataire et le restera toute sa vie. Mariées à des personnalités influentes dans la francophonie albertaine, Blanche Boulanger et Emma Morrier côtoient l’élite politico-religieuse de leurs communautés d’adoption dans lesquelles elles sont actives, en particulier sur le plan artistique. En ce qui concerne Marie-Louise Michelet, elle est parvenue, en dépit de son isolement, à se constituer un réseau de correspondantes, en plus de pouvoir compter sur le soutien des proches de son frère[29]. Il est difficile de savoir si les trois chroniqueuses sont rémunérées pour leur travail ou si elles songent même à poursuivre une carrière dans la presse, comme c’est le cas d’un nombre croissant de femmes au Québec (en particulier, du côté francophone) au tournant du xxe siècle (Gosselin, 1995 : 65). Une chose est sûre, elles bénéficient d’un contexte moins favorable que leurs consoeurs anglophones de l’Alberta, dont certaines, à l’instar de Gertrude Balmer Watt, dirigent leur propre journal (The Mirror) et se regroupent dans des associations professionnelles, comme le Calgary Women’s Press Club et le Edmonton Women’s Press Club.

L’examen du contenu des chroniques et des postures littéraires, ou personae fait apparaître des différences notables entre les trois chroniqueuses. Dan Lombre passe d’une posture d’observatrice relativement passive dans Le Progrès, où elle publie principalement des récits de voyage descriptifs à la première personne du pluriel, à celle de porte-parole de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Edmonton dans Le Canadien français. Sa position sur le droit de vote des femmes et le féminisme en général est beaucoup plus dogmatique que celle de Magali qui, elle, se rapproche de la ligne sociale adoptée par Marie Gérin-Lajoie et, surtout, par Robertine Barry. De son vivant, Dan Lombre ne s’aventure pas dans le domaine de la littérature. Même si elle jouit d’une certaine notoriété en dehors de l’Alberta, elle consacre ses efforts à la promotion de l’Oeuvre des bons livres. C’est d’ailleurs dans le but de recueillir des fonds pour cette oeuvre qu’elle compose sa seule et unique pièce de théâtre, « Le bon louis d’or ». Son journal intime sera publié à titre posthume en 1920 dans la dernière édition du Canadien français. Élevée à la dignité de « femme de lettres canadienne-française » par l’historienne Marie-Claire Daveluy, Dan Lombre ne laisse que ses chroniques à la postérité, à la différence de ses deux consoeurs dont les noms se retrouvent dans plusieurs anthologies[30].

Contrairement à Dan Lombre, Magali jouit d’une certaine liberté de ton qui lui permet d’expérimenter une variété de genres tout en faisant montre, avec la modestie qu’on impose à son sexe, de l’étendue de sa culture historique et de ses qualités de rhétoricienne, en particulier lorsqu’il s’agit de défendre la cause des femmes. « Le Coin féminin » propose ainsi une vision humaniste de la femme, qui bouscule les dogmes du clérico-nationalisme. En outre, Magali accorde dans ses chroniques une large place à l’est du Canada et à sa France natale (Rao, 2014), que ce soit dans les thèmes abordés ou les références culturelles aux journaux. En ce sens, « Le Coin féminin » reflète davantage les origines diverses de son lectorat féminin. Cependant, c’est par son orientation résolument littéraire que la page féminine du Courrier de l’Ouest se démarque. En effet, « Le Coin féminin » permet à Magali de briser son isolement géographique en prenant part à un réseau qui sert ses ambitions littéraires, peut-être aux dépens des attentes plus terre à terre de ses lectrices. Espace d’expérimentation et de socialité, la page féminine de Magali prépare le terrain à son oeuvre à venir. Probablement dans le but de profiter de sa notoriété acquise comme journaliste (Pilon, 1999 : 220), Marie-Louise utilise son pseudonyme (qu’elle fera suivre de son nom de famille) pour signer ses pièces ainsi que son roman épistolaire.

Quant à Madrina, elle accorde une importance centrale à la préservation du legs canadien-français dans un contexte où celui-ci se trouve menacé par l’avènement d’un nouveau mode de vie. Toutefois, plutôt que d’adopter une posture prescriptive comme le fait Dan Lombre, Madrina privilégie une démarche pédagogique qui place ses lectrices dans des situations ordinaires où elles sont amenées à se questionner sur leurs valeurs. À bien des égards, ces saynètes dynamiques préfigurent, tant par leur forme que par leur contenu, l’oeuvre dramaturgique de Madrina, dont la pièce Bon sang ne ment pas, qui représente l’Alberta au festival de théâtre du Dominion en 1935. Pour autant, dans ses chroniques, Madrina se présente moins comme une autorité littéraire que comme une conseillère morale, une « marraine », comme le laisse entendre son pseudonyme.

Blanche Boulanger, Marie-Louise Michelet et Emma Morrier comptent parmi les rares femmes journalistes ayant eu accès aux organes de presse francophones au tournant du xxe siècle en Alberta. Si elles souscrivent toutes à l’idéologie clérico-nationaliste de leur époque, leur personae est loin d’être identique, comme nous l’avons montré. Tandis que Dan Lombre se situe clairement du côté de la doxa, Magali s’aventure, quant à elle, sur le terrain de « l’ambivalence » (Goulet, 2001). Quant à Madrina, elle trouve sa place quelque part entre les deux. Dépréciée en raison de son caractère éphémère, leur prise de parole ou « poétique journalistique », pour reprendre la formule de Marie-Ève Thérenty (2007), se prolonge, dans le cas de Magali et de Madrina, en une véritable oeuvre littéraire, qui fait résonner pour la première fois la voix francophone de l’Alberta dans le champ des lettres canadiennes-françaises.