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Avec raison, tout ce qui touche les Premières Nations a bonne presse ; il était temps. Il ne faut donc pas se surprendre quand un député libéral, à la Chambre des communes, débute ses interventions dans la langue des Mohawks ou qu’on donne des noms amérindiens à des rues ou à des places publiques. Dans ce contexte de reconnaissance et de réconciliation, la publication d’un livre traitant de façon exhaustive de l’histoire des relations entre Autochtones et non‑Autochtones, du début du XVIIe siècle à nos jours, ne peut que tomber à point. Et on ne s’étonnera pas que les deux auteurs affichent sans détour un préjugé favorable à l’endroit de ceux qui font ici l’objet d’une recherche conduite de façon on ne peut plus minutieuse. Détenteur d’un doctorat en histoire obtenu à la Sorbonne, Camil Girard – auteur de plusieurs publications, professeur au Centre interuniversitaire d’études et de recherche sur les Autochtones de l’Université Laval –, fait ici oeuvre commune avec Carl Brisson, un géographe diplômé de la maîtrise en études régionales et associé au Groupe de recherche sur l’histoire de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Dans leur introduction, les auteurs formulent l’hypothèse que le législateur, par la création des réserves au milieu du XIXe siècle, avait la ferme intention d’imposer un modèle de « civilisation ». « La négation des peuples autochtones et de leurs territoires est un discours inventé et entretenu soigneusement par les colonisateurs pour affirmer leur pouvoir » (p. 5). Comme ils le signalent dans le deuxième chapitre, deux modes de représentation ont contribué à exclure les Autochtones dans ce qui deviendra l’Amérique du Nord. D’abord, l’Autochtone se voit représenté comme un « barbare » dépourvu des attributs de la civilisation chrétienne. Il devra donc croire au dieu européen. Ensuite, au XIXe siècle, à la faveur de la création d’États‑nations qui comprendront le Canada‑Uni ( 1840-1867 ), on voudra « intégrer l’autre à la culture dominante » (p. 117). Tout sera fait pour l’assimiler. Le sordide rapt des enfants en vue de l’assimilation à travers la scolarisation, qui durera de nombreuses décennies, se trouve ici occulté, car ne faisant pas partie de ce qui constitue l’essentiel de l’ouvrage.

Le chapitre I, « La politique de la France: des alliances avec les peuples qui habitent le territoire », plonge le lecteur à l’intérieur des stratégies mises de l’avant par Champlain. Ce dernier instaure un régime qui prend appui sur une politique d’alliances avec les peuples rencontrés. À ce propos, les auteurs soulignent que, pour les Autochtones, accueillir ne correspond nullement à la cession de leur territoire, et pas davantage à la négation de leur culture. C’est pourquoi, à leurs yeux, tout le territoire de la Nouvelle‑France est un « territoire indien », peu leur importe si, sur ce très vaste territoire aux dimensions continentales, de grandes étendues ne sont pratiquement occupées, entre autres, que par les bisons et divers cervidés.

Avec le deuxième chapitre, « Le régime anglais jusqu’à loi des Indiens (1876) », les auteurs insistent à nouveau sur le caractère jamais cédé des territoires indiens. Le gouverneur de la province de Québec, James Murray, l’aurait confirmé en 1767. Toutefois, avec l’Acte de Québec, on aurait un premier jalon dans la disparition des territoires indiens comme entités spatiales reconnues, ce qui aurait eu comme conséquence l’amorce « d’un discours voulant que les droits des Autochtones sur leurs terres traditionnelles soient éteints » (p. 77). Le territoire indien devenant limité à celui des réserves, les Autochtones, de guerriers alliés qu’ils avaient toujours été, se voient dorénavant placés dans un contexte de tutelle avec, en vue, leur éventuelle assimilation. Ainsi, l’image de « l’Indien courageux » en qui on pouvait placer toute sa confiance devient un obstacle au progrès. Il importe impérativement de la modifier par « une transformation assimilatrice » (p. 90).

Le chapitre suivant se veut à l’image de son contenu ; aussi longuet et austère : « Comment retisser les alliances : de l’exclusion systémique à la difficile renaissance des droits fondamentaux des peuples autochtones (1876‑2000) ». Si je fais partie de ceux qu’agace l’allusion au racisme systémique et aux droits fondamentaux utilisés jusqu’à plus soif par ceux dont les chartes constituent leur catéchisme, ici on l’admettra, il n’y a pas d’abus dans le titre du chapitre. Un chapitre, avouons‑le, qui ne se lit pas tel un roman. Tout un chacun en convient : il faut abolir l’inique loi de 1876. Les auteurs évoquent la publication du Livre blanc de 1969 attribuable à Jean Chrétien, alors ministre des Affaires indiennes, bien résolu à faire disparaître les réserves. « Plus facile à dire qu’à faire », signalent les auteurs avec pertinence (p. 153). Et on en arrive à la création de la Convention de la Baie‑James et du Nord québécois, qui offrira aux Cris, aux Inuit et aux Naskapis l’accès à un gouvernement autochtone reconnaissant enfin leur territoire et les droits qui en découlent dans un rapport de respect mutuel entre les paliers fédéral, provincial et les nations concernées. Le 9 février 1983, le gouvernement du Québec énonce 15 principes à la base de la reconnaissance des nations autochtones du Québec. Quelques mois plus tard, l’Assemblée nationale adoptera une entente avec l’Alliance autochtone du Québec (AAQ) en vue du développement socioéconomique et culturel.

Le tout se termine par un chapitre au titre à la mesure des précédents : « L’AAQ, une présence et une influence importantes dans la destinée de la culture autochtone au Québec ». Le lecteur y trouvera un portait géographique de l’AAQ et de la corporation Waskahegen, suivi d’une analyse détaillée de la présence des communautés de l’AAQ à travers le Québec. L’ouvrage se termine par un constat sans équivoque : « On en est là au Canada avec le gâchis de notre Loi des Indiens… » (p. 237).

Pas moins de 38 cartes, dont 35 en magnifiques couleurs, agrémentent le texte. Certaines – montrant que plus de 90 % du territoire québécois serait un territoire autochtone  –, plairaient à Denis Coderre, cet ex‑maire de Montréal qui voyait dans l’île de Montréal un territoire non cédé.