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L’article 37 de la DNUDPA constitue une disposition unique dans le système international des droits humains. La volonté d’inscrire durablement l’obligation qu’ont les États de respecter et d’honorer les traités et autres accords ou arrangements constructifs conclus entre les peuples autochtones et les États dans le système de droit international contemporain n’est cependant pas nouvelle. On retrouve, en effet, cette idée dans la Declaration of Principles for the Defense of the Indigenous Nations and Peoples of the Western Hemisphere (1977) qui a précédé l’élaboration de la DNUDPA, celle-ci étant le reflet de perspectives longtemps défendues par les peuples et communautés autochtones. Ainsi, retrouvait-on dans la Déclaration de 1977 les énoncés suivants :

5. Traités et Accords
Les traités et autres accords conclus par les nations ou groupes autochtones avec d’autres États, qu’ils soient désignés comme des traités ou autrement, doivent être reconnus et mis en oeuvre de la même manière et conformément aux mêmes lois et principes du droit international que le sont les traités et accords conclus par les autres États.

6. Abrogation des traités et autres droits
Les traités et accords conclus avec les nations ou groupes autochtones ne doivent pas être sujets à l’abrogation unilatérale. En aucun cas, le droit interne d’un État ne peut servir à justifier les manquements des États à respecter ou à rendre effectif les termes des traités et des accords conclus avec les nations ou groupes autochtones. Aucun État ne doit refuser de reconnaître ou de respecter les traités ou autres accords en raison de changements de circonstances, lorsque ces changements ont été causés de manière significative par l’État qui les invoque.

American Indian Journal 1977 : 13[1]

Les organisations internationales avaient aussi, avant l’adoption de la DNUDPA, déjà pris la mesure de l’importance des traités et des manquements quant à leur respect et à leur exécution par les États, ce sujet ayant été débattu à l’échelle internationale depuis le début des années 1970’[2], voire depuis la création de la Société des Nations (Bélanger 2007), et ayant, depuis ce temps, fait l’objet d’études par les instances onusiennes (Martínez 1999; MEDPA 2022 : 2). Dans les travaux du rapporteur Martínez, par exemple, trois situations juridiques ont fait l’objet de recommandations, soit :

  1. l'existence confirmée de traités/accords entre les peuples autochtones et les États;

  2. l'absence d'instruments juridiques bilatéraux précis régissant les relations entre les peuples autochtones et les États et

  3. les situations relatives à la question des "autres arrangements constructifs (Martínez, 1999 : 10).

En outre, le rapporteur conclut dans son rapport que les traités ont conservé leur caractère international, que les traités sans échéances continuent d’engendrer des obligations pour les parties et qu’ils doivent donc être exécutés en toute bonne foi. En ce sens, les violations des traités et leur dénonciation unilatérale constituent, selon le rapporteur Martinez, des comportements inacceptables eu égard au droit international contemporain. Or, conclut-il également, les mécanismes de règlement des différends en place dans les systèmes nationaux sont – et demeurent selon les conclusions récentes du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones (ci-après MEDPA) – insuffisants.

Aujourd’hui, l’article 37 DNUDPA est complété, à l’échelle régionale, par l’article 24 de la Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones qui garantit :

« … le droit des peuples autochtones à la reconnaissance et à l’application des traités, en reprenant le texte de l’article 37 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et ajoute que cela doit se faire « conformément à leur esprit et à leur intention, et de bonne foi ». En outre, elle dispose que les États doivent prendre dûment en considération l’interprétation donnée par les peuples autochtones aux traités, accords et autres arrangements constructifs, et prévoit l’intervention d’organes compétents, notamment régionaux et internationaux, pour résoudre les différends. »

MEDPA 2022 : 3

L’article 37 a été intégré dans une série de dispositions portant sur la mise en oeuvre des droits. Il prévoit explicitement que l’obligation des États porte à la fois sur la reconnaissance des traités, sur leur respect et sur l’obligation d’assurer leur exécution. La DNUDPA ne peut, dans cet esprit, être utilisée de manière à diminuer la protection ou les droits prévus par les traités. La DNUDPA considère non seulement le traité et les autres accords comme des mécanismes générateurs de droits, mais aussi comme des moyens permettant d’assurer la mise en oeuvre des droits qu’elle prévoit par ailleurs.

Dans les débats qui ont eu lieu dans le cours de l’élaboration de la DNUDPA, c’est sans doute le caractère international des traités qui a constitué l’élément le plus sensible des discussions. Trois amendements auraient ainsi été adoptés depuis la proposition initiale en vue d’en arriver à la version finale et actuelle, certaines de ces modifications ayant d’ailleurs été suggérées par le Canada. Comme l’expriment Willem van Genugten et Federico Lenzerini (2018) :

« Dans le premier projet de la DNUDPA, adoptée en 1994 par la (alors toujours existante) Sous-Commission des Nations Unies sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités, l’article 37 (alors l’article 36) était formulé comme suit : (p. 544)
Les peuples autochtones ont le droit d'exiger que les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus avec des États ou leurs successeurs soient reconnus, honorés, respectés et appliqués par les États conformément à leurespritet à leurbutoriginels. Lesdifférendsquinepeuvent être régléspard'autres moyens doivent être soumis à des instances internationales compétentes choisies d'un commun accord par toutes les parties concernées. » [Caractères gras ajoutés.]

Une première modification a ainsi été de retirer le passage concernant le principe d’interprétation originaliste. Compte tenu des différentes règles d’interprétation qui peuvent être retenues par les tribunaux, les États ou les peuples autochtones, cette modification, faite à la demande du Canada, ouvre ainsi les possibilités en matière d’interprétation des traités et permet également d’adopter une interprétation évolutive, plutôt qu’historiquement figée, des traités. On peut, a priori, saluer une approche évolutive qui s’appuie sur une interprétation large, généreuse et libérale des droits et responsabilités issus des traités et qui permet de donner une signification juste aux effets contemporains de ces instruments. Une telle approche peut toutefois faire craindre que des situations de dépossession causées par l’État et ses politiques servent à affaiblir la portée contemporaine des droits initialement reconnus par traités. Ainsi, la position favorable des représentants autochtones à l’égard des interprétations originalistes respectant l’échange de consentement initial et l’esprit original du traité prend tout son sens.

La deuxième modification à la version initiale de l’article 37 a été de retirer le passage concernant le mode de règlement des différends en matière d’interprétation des traités. Le retrait de ce passage est indicatif du débat sur la nature internationale ou domestique des traités. Les représentants autochtones faisaient valoir que ces accords ont une portée internationale du fait de leur statut de nations souveraines au sens du droit des nations, requérant ainsi un mode de règlement des différends conforme à ce statut, ce que n’ont pas accepté les États qui ne reconnaissent pas la personnalité juridique internationale aux peuples autochtones au sens où l’entend le droit international contemporain. En clair, l’article 37 et ses modifications mettent en exergue les tensions qui s’opèrent entre les processus d’internalisation et d’internationalisation des relations Autochtones/États et des rapports entre les formes de souverainetés étatiques et autochtones (sur cette question, voir Martínez 1999 : chap. 3)[3].

La dernière modification à l’article 37 a été d’ajouter un passage concernant l’interaction entre la DNUDPA et les traités.

Bien que l’idée du caractère international des traités entre les peuples autochtones et les États soit rejetée par ces derniers qui souhaitent, ce faisant, conserver le monopole de la souveraineté internationale, différents principes du droit international permettent, comme l’explique le rapporteur spécial Martínez dans son rapport de 1999, d’appuyer l’obligation qu’ont les États de respecter et d’honorer les traités et les accords. À l’échelle internationale, le droit reconnaît le caractère impératif (juscogens) du principe Pactasuntservanda (dorénavant codifié dans la Convention de vienne, 1969, article 26) auquel fait écho et sur lequel prend assise l’article 37 qui commande à la fois le respect des traités par les parties signataires et leur exécution. L’inclusion de ce principe dans le système international des droits humains renforce le caractère obligatoire de la norme et la rend explicitement applicable aux traités et autres accords constructifs conclus entre les États et les peuples autochtones. Au principe de l’article 26 s’ajoute, selon le rapporteur spécial, la règle impérative de l’article 27 qui prévoit qu’« une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non- exécution d'un traité… ». À l’échelle internationale, l’exécution des traités en vigueur doit se faire en toute bonne foi et le manquement aux obligations des traités engage la responsabilité des États. Ces conclusions du rapporteur spécial n’ont pas été contestées – du moins officiellement – par les États et elles ont été confirmées ultérieurement par les instances onusiennes (Van Genugten et Lenzerini 2018 : 550-555). En définitive, bien que l’article 37 de la DNUDPA demeure limité par les termes de l’article 46 de la DNUDPA, il réinscrit durablement le respect et l’exécution des traités dans la sphère de préoccupation de la communauté internationale.

Du reste, l’obligation de respect et d’exécution des traités et autres accords, à l’article 37, ne règle pas un certain nombre d’enjeux. On peut penser ici à la validité du consentement initial des parties et à la nullité d’un traité pour vice de consentement, aux questions concrètes et enracinées de leur interprétation, de leur contenu et de leur mise en oeuvre (Henderson 2007; Craft 2013), de leur place dans l’ordre constitutionnel ou international comme piliers de relations organiques (Henderson 2007; Ladner 2022 : 39-44), de leur rôle dans la mise en oeuvre de l’autodétermination (Lightfoot et MacDonald 2017) ou encore de leurs interactions avec d’autres droits collectifs reconnus par les instances étatiques ou en voie de l’être par négociations (voir par exemple Conseil de la Nation Huronne-Wendat c. Ministère du Conseil exécutif, 2021 QCCAI 2 (CanLII); Nation Huron-Wendat de Wendake c. Canada, 2014 CF 1154 (CanLII) [2015] 3 CNLR 53).

Par ailleurs, l’expression « traités, accords ou autres arrangements constructifs » correspond, selon le rapporteur spécial, « à tous les textes législatifs et autres documents témoignant de l’établissement, par consensus, de liens juridiques ou quasi juridiques entre toutes les parties » (Martínez 1999 : 23). Ce sont, dès lors, des arrangements qui ont pour vocation à améliorer les conditions de vie des Autochtones suivant leur pleine participation politique. Le concept de consentement préalable, libre et éclairé peut ici certainement nourrir la réflexion sur la validité de tels accords ou sur leur caractère « constructif » (Martínez 1999 : 45) de même que sur les processus de négociation :

Le principe du consentement préalable, libre et éclairé, qui fournit aux États les orientations nécessaires pour s’engager dans le dialogue et la négociation, ne suffit pas, à lui seul, à légitimer un projet. Dans le cadre des droits de l’homme, ce principe ne conçoit pas le consentement comme le simple fait d’approuver une décision prédéterminée. Le consentement préalable, libre et éclairé doit être considéré comme une norme minimale dans toutes les phases du processus d’élaboration de traités ou d’accords, y compris dans la conception des cadres, la négociation, l’établissement et l’application des accords, et la mise en place et le fonctionnement des mécanismes de résolution des conflits. Il doit également être appliqué comme principe dans le cadre des plaintes et des réparations.

MEDPA 2022 : 5

À ce sujet, le MEDPA a récemment adopté la position suivant laquelle les efforts des États pour réduire les iniquités de pouvoir dans les processus de négociation contribuent à établir des accords constructifs et à respecter les principes de la DNUDPA :

Pour assurer un équilibre des pouvoirs dans les négociations, il faut commencer par définir le processus lui- même, ses objectifs et ses étapes, les ressources nécessaires ainsi que le moment, le lieu et les modalités du dialogue. L’absence de ces éléments empêche les peuples autochtones d’exprimer leurs positions et les oblige à inscrire leurs revendications et leurs demandes dans les limites d’une structure prédéterminée qui n’a pas été établie de manière consensuelle.

MEDPA 2022 : 10

De plus, les droits à la terre, au territoire et aux ressources ainsi qu’à la culture — également garantis par la DNUDPA — cherchent à protéger le maintien des liens avec le territoire en opposition aux politiques d’extinction ou de renonciation aux droits fondamentaux, lesquelles sont déjà connues pour être contraires aux normes internationales (Motard 2020). Le droit à l’autodétermination, aussi au coeur de la DNUDPA, favorise le développement de relations inter-nations suivant les modes diplomatiques autochtones (Lightfoot et MacDonald 2017) et confirme le droit des peuples ou communautés autochtones de décider de conclure ou non des accords. Enfin, le droit au renforcement des systèmes juridiques autochtones (parfois dits coutumiers), norme que l’on trouve de manière transversale dans la DNUDPA, garantit, quant à elle, la capacité des nations de renouveler le sens des traités conformément à leurs règles juridiques et non pas uniquement en fonction des règles du droit étatique ou international (voir notamment Simpson 2008; Craft 2013; Borrows et Coyle 2017; Stark 2017; Morales 2017; Picard 2022).

On peut ici ajouter que l’obligation d’exécuter les traités requiert de l’État qu’il soutienne leur mise en oeuvre par l’attribution de moyens suffisants :

La mise en oeuvre des accords peut entraîner des changements structurels, législatifs et administratifs, tels que la création d’institutions spécifiques ou le renforcement d’institutions préexistantes. Elle nécessite également l’allocation d’un budget suffisant pour appliquer les changements nécessaires et financer les institutions chargées de la mise en oeuvre des accords et du suivi de celle-ci. Ces institutions doivent être dotées des moyens leur permettant d’accomplir leurs tâches, d’un mandat solide et de pouvoirs appropriés, et bénéficier de l’indépendance et des capacités techniques nécessaires. Le non-respect de ces conditions peut compromettre le résultat du processus et affaiblir la crédibilité des institutions concernées.

MEDPA 2022 : 13

[…]

La mise en oeuvre est également liée à la nécessité d’un cadre culturel qui favorise une compréhension approfondie des droits des peuples autochtones et de l’importance de l’engagement pris en concluant un accord. Cela suppose la création d’un environnement partagé et stable dans lequel les droits et les points de vue autochtones sont largement compris pour pouvoir être pleinement et systématiquement mis en oeuvre.

MEDPA 2022 : 15

Ainsi, selon le MEDPA, un processus de règlement des conflits indépendant prenant appui sur une connaissance généralisée des droits internationaux des peuples autochtones et sur les modes de résolution des différends propres aux nations autochtones pourra contribuer à dénouer les impasses dans les négociations quand elles surviennent ou à soutenir la mise en oeuvre des traités.

De manière prospective, il semble que l’article 37 ait pour objectif fondamental d’atteindre les buts généraux poursuivis par la DNUDPA et de contribuer au respect des standards minimums qu’elle pose. Ainsi, selon le MEDPA, des accords constructifs, basés sur le droit au consentement préalable, libre et éclairé, favorisent le respect des principes de justice, de démocratie, de respect des droits de l’homme, d’égalité, de non-discrimination, de bonne gouvernance et de bonne foi et le renouvellement de relations plus égalitaires entre les États et les peuples autochtones (MEDPA 2022 : 5).

Sur l’ensemble de ces sujets, il semble bien que les actions, politiques et lois québécoises qui sous-tendent les négociations nécessitent d’être mises à jour, conformément à la motion du 8 octobre 2019 qui a d’ailleurs été adoptée en ce sens. À la lecture des principes qui gouvernent les négociations (voir par exemple la décision du conseil des ministres du 9 février 1983 et la motion adoptée par l’Assemblée nationale le 20 mars 1985[4]), il semble que le Québec n’ait pas pris la mesure de ses obligations internationales au regard de l’article 37 de la DNUDPA. À l’échelle fédérale ainsi qu’à l’échelle du Québec, le fait que les politiques formelles de négociation ne soient pas fondées sur une approche d’affirmation des droits et de respect des ordres juridiques autochtones (Ladner 2008), l’absence de mécanisme de résolution des conflits indépendant de l’État, la présence de délais déraisonnables ainsi que les réticences dans la mise en oeuvre des droits issus de traités (« historiques » ou « accords de règlement des revendications territoriales globales ») sont des exemples de ces manquements (voir à ce sujet les nombreux litiges découlant de l’application de la Convention de la Baie- JamesetduNordquébécois et de la ConventionduNord-Estquébécois; voir aussi Motard 2020). Les tribunaux canadiens, dont la Cour Suprême du Canada, forcent parfois le gouvernement à honorer ses engagements. Depuis la refonte de la LoisurlesIndiens de 1951, de nombreux litiges se sont transportés devant les tribunaux afin de faire respecter ces engagements, et parfois même de réinterpréter certains traités historiques dont le langage vieillot ne s’appliquait plus tellement aux réalités contemporaines. Certains de ces litiges ont fait l’objet de règlements à l’amiable, lesquels sont, dans les termes de la DNUDPA, des « arrangements constructifs » qui engagent les États. Ainsi, en octobre 2022, la Couronne et les Kanyen'kehà:ka de la baie de Quinte (Ontario) ont signé une entente qui mettait fin à des décennies de dispute entre les parties. En 1783, une partie de territoire avait été transférée à la communauté Kanyen'kehà:ka, territoire qui avait été au préalable acheté aux Mississauguas (Pasternak, Collis et Dafnos 2013). Or, la Couronne a procédé, au fil des ans, à la vente des parcelles de ce territoire à des particuliers, près de la ville actuelle de Deseronto (Ontario). C’est une portion de ces territoires qui vient d’être restituée à la communauté de la baie de Quinte[5] (CBC 2022).

Parallèlement, l’État peine à inclure dans ses curriculums éducatifs un enseignement permettant de construire une culture générale en matière de droits humains des peuples autochtones, notamment chez les juristes, ingrédient pourtant essentiel au respect de l’article 37 et des autres droits de la DNUDPA. En revanche, la non- interférence de l’État dans la mise en oeuvre des codes de pratiques autochtones, tel que celui de Mashteuiatsh permettant de réguler les prélèvements fauniques au sein de la communauté (Pekuakamiulnuatsh Takuhikan 2008), ou de la LoidelaNationhuronne-wendatconcernantl’aménagementdesitesetdeconstructions à des fins d’activités coutumières sur le Nionwentsïo, adoptée par le Conseil de cette nation en vue de mettre en oeuvre ses droits issus de traités (R. c. Sioui, [1990] 1 RCS 1025) est un exemple de la capacité de l’État à respecter le principe de l’article 37 de la DNUDPA (voir à ce sujet Picard 2022 : 243).