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Introduction[2]

Les « sorties sèches », dont font l’objet certains enfants protégés et jeunes majeurs, sont au rang de nombreuses préoccupations. Notamment, au cours de l’année 2017, 45 700 enfants ou jeunes majeurs ont été accueillis en Maison d’enfants à caractère social (MECS), 31 800 d’entre eux ont connu une sortie de leur établissement[3] (Abassi, 2020). D’après P. Dietrich-Ragon (2020), 35 % des jeunes sont à leur sortie sans diplôme, 30 % ont un CAP, 31 % un bac et 5 % un diplôme du supérieur. Ils ont entre 18 et 22 ans et 19 % poursuivent leurs études après la sortie, dont 8 % en apprentissage (Dietrich-Ragon, 2020). Près de 16 % d’entre eux ne sont plus scolarisés dès l’âge de 16 ans (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques [DRESS], 2013 ; Ministère des Solidarités et de la Santé, 2019), tandis que la proportion des mineurs bénéficiant d’une mesure de protection judiciaire ne représente au fil des années en France que 2 à 3 % de la population générale (Frechon et Marspsat, 2016). En 2012, parmi les adultes utilisateurs de services d’aide et d’hébergement (dits « sans domicile fixe ») nés en France, 23 % ont été placés durant l’enfance (Institut national de la statistique et des études économiques [Insee], 2012 ; Fondation Abbé Pierre, 2019). Ce même phénomène avait déjà été constaté au Québec (Firdion, 2006). Sur 45 % des personnes sans domicile fixe, 28 % déclarent avoir vécu dans une famille d’accueil ou dans un centre d’accueil en tant que mineur. Plus récemment, une étude a mis en exergue le fait que 37 % des jeunes auditionnés et âgés de 17 ans avaient connu un épisode de décrochage scolaire (Goyette et Blanchet, 2018). Selon une première étude de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (injep), en 2014, 70 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans ont reçu une aide financière régulière de leurs parents, que ce soient des versements d’argent ou une participation aux dépenses (logement, alimentation, transport, communication, loisir ou santé). Ainsi, la transition vers la vie adulte repose majoritairement sur la solidarité familiale (Lacroix, 2020). Mais qu’en est-il des jeunes sortants qui ne peuvent compter sur celle-ci (Abassi, 2018) ? Ainsi, dans une perspective comparative entre la France et le Québec, il apparaît opportun de se pencher sur ce phénomène d’éloignement de leurs droits.

Définitions

Les enfants protégés sont des mineurs âgés de 0 à 18 ans et des jeunes majeurs en situation de vulnérabilité accrue (Paré et Bé, 2020), lesquels enfants ont fait l’objet d’un signalement de danger[4]. Ils ont été pris en charge dans des établissements ou des familles d’accueil jusqu’à leurs 18 ou 21 ans par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) en France et jusqu’à 18 ans par la DPJ au Québec[5].

La « participation » signifie au sens étymologique du mot, participatio en bas latin, « participation, partage », « action de prendre part à quelque chose » (Dictionnaire de l’Académie française). Le droit de participation est prévu à l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant, 1989. En matière de protection de l’enfance, le « discernement » de l’enfant, pouvant se définir comme la capacité de l’enfant à former ses propres opinions, indépendamment de celles des tiers (Mallevaey, 2018), est une condition sine qua non de la participation et « les recherches très récentes ont permis de constater que cet élément d’appréciation laissé à la discrétion du juge est définitivement devenu un “droit de l’enfant discernant” opposable au juge » (Siffrein-Blanc, 2021)[6].

Le concept de « résilience » serait apparu pour la première fois en 1982 dans le cadre de l’étude longitudinale à Hawaï d’Emmy Werner (Tomkiewicz, 2005) et qui a suivi pendant trente ans une cohorte de 700 enfants nés en 1955[7]. En France, c’est l’auteur et neuropsychiatre Boris Cyrulnik qui a théorisé et vulgarisé ce concept de résilience. Il le définit avec Claude Seron (2012) comme étant « la capacité d’une personne de s’adapter à la suite d’un traumatisme ». Boris Cyrulnik précise que la résilience requiert des interactions sociales et un réseau extérieur permettant de miser sur l’altérité relativement au traumatisme. Ainsi, la résilience se construit au fur et à mesure des parcours de vie. Elle se met en place en s’appuyant sur des facteurs de protection, acquis avant le traumatisme, et qui tiennent compte des facteurs de vulnérabilité (individuels, familiaux et environnementaux) propres à chaque individu. Les facteurs de résilience sont, dès lors, les mêmes que les facteurs de protection, seulement ces derniers ont été développés par l’individu après le traumatisme pour surmonter l’épreuve et celles à venir.

Le terme de « sorties sèches » est une expression qui indique la fin de la mesure de protection du jeune devenu majeur et pour lequel la sortie n’a pas été préparée, ni accompagnée, par les services de protection de l’enfance français ou québécois pendant sa mesure d’assistance éducative (Disdier, 2020). Autrement dit, à la fin de celle-ci, le jeune concerné est laissé sans solution et sans soutien logistique, éducatif et financier de la part de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ou la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ)[8]. S’agissant de jeunes majeurs ou mineurs sortants, les difficultés dans leur accès à l’autonomie[9] sont particulièrement notables, et ce, d’autant plus « qu’ils sont le plus souvent victimes d’une situation familiale délicate » (Taquet et Dubos, 2019).

Enfin, dans cet article, le terme « modernisation de la protection de l’enfance » est perçu dans une perspective interactionniste. En effet, nous considérons que les rapports publics et les recommandations portées sont le résultat de l’intervention de plusieurs groupes de travail[10] (Taquet et Dubos, 2019) qui, ensemble, revendiquent avec succès (ou non) des changements institutionnels et des réformes administratives en lien avec les institutions et modes de fonctionnement de la protection de la jeunesse[11].

Problématique et démarche de recherche

Cet article, en s’intéressant aux concepts de sorties sèches, de participation de l’enfant à sa propre protection et de résilience, entend traiter des deux questions suivantes : 1) En quoi les évolutions institutionnelles de la protection de l’enfance demandées dans les rapports publics tendent-elles à miser sur des approches intersectionnées, plus collaboratives et pouvant constituer une réponse tangible, non seulement pour accroître la participation des enfants sujets à des mesures de placement mais aussi pour enrayer le phénomène des sorties sèches, une fois la majorité atteinte ? 2) Quelles recommandations concrètes sont faites en ce sens dans les deux contextes pour favoriser la résilience, l’insertion et l’autonomie des jeunes majeurs pendant et à l’issue de la mesure de placement ?

L’article se fonde sur des données secondaires provenant des rapports publics et des recommandations gouvernementales[12]. Une recension des plus récents travaux sur la question de la participation et des sorties sèches ainsi que l’analyse des recommandations et rapports publics parus récemment, en France comme au Québec, ont donc guidé ce travail. La démarche comparatiste se focalise sur les changements et l’action publique en train de se faire en matière de protection de l’enfance. Enfin, sur le plan méthodologique, les auteurs se revendiquent tous deux comme chercheurs engagés, candidats au doctorat, professionnels de la protection de l’enfance et ex-enfants « protégés »[13]. La démarche de cet article repose ainsi sur une mobilisation du principe de triangulation du savoir académique, expérientiel et professionnel dans une perspective de recherche-action (Borkman, 1976 ; Kemmis et McTaggart, 2005).

Le cadre légal de la protection de l’enfance en France et au Québec

En France comme au Québec, la fin du xxe siècle a été marquée par une nouvelle vision de l’enfant protégé, passant de l’enfant objet de protection à l’enfant sujet de droits, et ce, notamment avec la proclamation de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) le 20 novembre 1989 qui garantit à tous les enfants la protection de leurs droits et de leurs libertés, et pour lesquels 196 États parties, dont la France et le Canada, se sont engagés à les faire respecter. Le xxie siècle est l’heure du bilan critique (Paré, Bruning, Moreau et Siffrein-Blanc, 2022) et de la poursuite des bonnes pratiques en matière de protection de l’enfance et d’accès à la justice des enfants (Association internationale des magistrats de la jeunesse et de la famille [AIMJF], 2022).

En France, le Code civil prévoit à l’article 388-1 le droit général de l’enfant d’être auditionné[14] (Siffrein-Blanc et Gouttenoire, 2022). La Loi du 2 mars 2002, à l’article L311-6 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), la Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et la Loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfance[15], ont permis d’aller dans le sens d’une plus grande effectivité de l’article 12 de la CIDE consacrant le droit à l’enfant qui est capable de discernement d’exprimer librement son opinion. Plus récemment, la Loi n° 2022-140 du 7 février 2022, relative à la protection de l’enfance, dite « Loi Taquet », vise à améliorer la situation des enfants protégés. L’un des principaux objectifs de ladite loi est la prise en compte de la parole de l’enfant au moyen de l’audition systématique, en tête à tête, devant le juge des enfants et la représentation ou la défense par un avocat et la désignation d’un administrateur ad hoc de l’enfant, de manière plus régulière[16]. Celle-ci vise également « à faire en sorte que plus aucun jeune ne sorte de l’Aide sociale à l’enfance sans solution, que plus aucun jeune ne risque de se retrouver à la rue parce que rien ne lui aura été proposé »[17]. Désormais, l’article 10 de cette loi prévoit l’accompagnement des enfants jusqu’à l’âge de 21 ans, mais également l’inscription du principe du « droit au retour » à l’ASE des jeunes majeurs de moins de 21 ans, et ce, même si ces derniers ont refusé de poursuivre leur accompagnement à 18 ans ou s’ils n’en remplissaient plus les conditions.

Au Québec, la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), en vigueur depuis 1979, précise les droits, les principes et le rôle de chaque instance ou intervenant du processus d’intervention prévu pour garantir la protection des enfants. Cette loi a subi des modifications importantes en 1984, 1994 et 2006, les dernières ayant notamment favorisé des approches volontaires plutôt que judiciaires (Paré et al., 2022) et insisté sur des conduites respectueuses des droits des jeunes protégés (Paré et al., 2022). En outre, la présence de l’avocat est systématique pour les enfants concernés par des décisions extrêmement importantes de leur vie et qui impliqueraient un placement, systématisation qui n’est pas présente en France (Gouttenoire, 2022). Autre différence, le consentement de l’enfant est textuellement (LPJ, art. 47.1 et 2) exigé quand le mineur est âgé de 14 ans et plus, dans le cadre d’une mesure de protection immédiate ou d’une mesure de prolongation. En France, le consentement du mineur n’est pas exigé par le juge mais doit être recherché chaque fois que possible afin qu’il participe à la prise de décision (Gouttenoire, 2006).

Les dispositifs de participation et d’accompagnement de l’enfance protégée

La CIDE prévoit que tout enfant doit bénéficier d’une protection spécifique en raison de sa vulnérabilité unique (objet de protection) ainsi que des droits subjectifs (sujet de droit), en qualité d’acteur de sa propre vie (Mallevaey, 2012 ; Plazy, 2007). L’enfant n’est plus qu’un sujet passif mais un enfant sujet de droit actif (Bonfils et Gouttenoire, 2014). La question du respect et de l’exercice du droit de participation des enfants et des jeunes majeurs à leur propre protection est donc fondamentale. En France, d’après le Rapport annuel d’activité du Défenseur des droits de 2019 relatif aux droits de l’enfant, « J’ai des droits, entends-moi ! La consultation nationale du Défenseur des droits auprès des moins de 18 ans », menée à l’occasion des 30 ans de la CIDE, sur les 2 200 enfants (de 4 à 18 ans) consultés, 7 enfants sur 10 ne connaissaient pas leurs droits, 25 % d’entre eux venaient de la protection de l’enfance, 15 % étaient plus spécifiquement des mineurs non accompagnés (MNA), 15 % venaient de squats ou d’hôtels sociaux et 8 % étaient des jeunes incarcérés. Les enfants qui ont ainsi pu s’exprimer ont expliqué que « les décisions qui étaient prises ne sont pas assez justes » (Avenard, 2020) et qu’ils se sentent particulièrement éloignés de leur droit de participation, en raison de leur situation de vulnérabilité, ce qui a été confirmé dans le Rapport annuel d’activité du Défenseur des droits de 2020 Prendre en compte la parole de l’enfant : un droit pour l’enfant, un devoir pour l’adulte. S’ajoute à ces constats un manque de considération à l’égard de l’enfance protégée et de son opinion. Le défenseur des droits a, dès lors, préconisé de tenir davantage compte de la parole de l’enfant et a déploré, qu’en matière de protection de l’enfance, un nombre important de professionnels soient réticents à faire participer les jeunes aux décisions qui les concernent. Il recommande aux pouvoirs publics de mieux prendre en compte la parole de l’enfant à chaque étape de sa prise en charge et au sein des établissements d’accueil, en vue d’une sortie de la période de protection dans des conditions optimales (Robin, 2014).

Au Québec, le rapport de la commission Laurent a mis en exergue le fait que certains enjeux se répètent depuis 40 ans, tandis que la notion de « l’intérêt de l’enfant » est apparue en 1984 et la notion de « participation de l’enfant et de ses parents » en 1994 (Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse [CSDEPJ], 2021, p. 38). Le rapport met l’enfant au centre de l’intervention et précise également que la participation de l’enfant doit être réelle et non accessoire (CSDEPJ, 2021, p. 74-75). À cet égard, le rapport laisse la parole à certains experts comme Jade Bourdages, professeure à l’École de travail social de l’Université de Québec à Montréal, qui indique que « bien que depuis toujours l’on dise que notre système fonctionne en ayant l’enfant et les intérêts de l’enfant en son centre, on peut très bien placer quelqu’un au centre, mais toujours être en train de parler de lui sans que lui ne puisse parler » (CSDEPJ, 2021, p. 132).

Enfin, en France comme au Québec, depuis l’adoption de la CIDE, les mesures de protection des jeunes sortants et la question de l’effectivité du droit de participation des enfants et des jeunes majeurs constituent désormais des problèmes publics de premier plan. Force est de reconnaître que le phénomène des sorties sèches est une faiblesse des politiques publiques françaises et québécoises et que les sorties sont indéniablement plus « sèches » pour les jeunes sortants au Québec que pour les jeunes sortant des dispositifs français, en raison de l’absence d’élaboration de contrats jeunes majeurs[18] qui puissent garantir un accompagnement au-delà des 18 ans. En effet, ce type de contrat, qui n’existe pas au Québec, comme c’est le cas en France, peut assurer tant l’indépendance de l’enfant protégé que sa protection immédiate (Robin, 2014). Nonobstant cela, le 14 avril 2022, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à la majorité des voix le projet de loi n°15 intitulé « Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres disposions législatives »[19]. Nous pouvons toutefois regretter l’imprécision du texte quant aux moyens mis à disposition pour en respecter les termes, en dépit du fait que cette loi vise à soutenir le passage à l’âge adulte des jeunes dont la situation est prise en charge par le directeur de la protection de la jeunesse en prévoyant notamment l’obligation pour ce dernier de convenir d’un plan de transition avec le jeune dans les deux années précédant ses 18 ans (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2022).

Ainsi, tous les jeunes sortant des dispositifs de protection de l’enfance se heurtent globalement à un cumul de difficultés sociales et familiales à l’entrée à l’âge adulte et sont bien souvent contraints d’adopter un mode de survie en termes de logement, de ressources, et d’accès au droit d’emploi et/ou d’études, de couverture santé et d’accès aux soins, et de cadre familial stable, une fois livrés à eux-mêmes (Goyette et Frechon, 2013).

Du Projet pour l’enfant (PPE) au contrat jeune majeur en France

En France, la Loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance souligne l’importance de la notion de « parcours de l’enfant » et invite à veiller à la « sécurisation » des parcours. Cela se traduit par une continuité de l’accompagnement ainsi que par la réalisation d’un entretien individualisé un an avant la majorité des enfants protégés pour faire le bilan de leur parcours et s’assurer de leur projet et de leur capacité d’autonomie à l’issue du placement (Observatoire national de la protection de l’enfance [ONPE], 2021). Le Projet pour l’enfant (PPE) est un instrument pédagogique essentiel qui fixe les objectifs et les moyens de l’accompagnement (Capelier, 2012). Il doit être distingué, d’une part, du contrat de séjour[20] signé avec l’établissement ou le service d’accueil et, d’autre part, du « contrat d’accueil » signé avec le service de l’ASE pour l’accueil en famille[21]. Il y a également lieu de le différencier du « contrat jeune majeur » qui se définit comme un contrat qui permet au jeune confié aux services de l’ASE de prolonger les aides dont il bénéficie pendant sa minorité, et qui à terme doit permettre au jeune majeur de vivre de façon autonome (Capelier, 2012). Plus précisément, le contrat jeune majeur est un dispositif de droit commun destiné aux jeunes de 18-21 ans qui rencontrent des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ou qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale, faute de ressources ou d’un soutien familial suffisant[22]. Ce dispositif permet d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique renouvelable jusqu’à trois ans. Il s’agit le plus souvent d’une participation financière sous la forme d’une allocation (Assemblée nationale, 2018).

La nouvelle Loi du 7 février 2022 entend améliorer cette situation des jeunes sortant de l’ASE en interdisant notamment les placements des mineurs et des jeunes majeurs à l’hôtel et en garantissant un accompagnement pour les 18-21 ans par les départements et l’État dans le cadre d’un contrat jeune majeur. Depuis le 8 février 2022, les jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance ont effectivement la possibilité de désigner une personne de confiance et l’ASE a l’obligation de réaliser un entretien avec le jeune six mois après sa sortie[23]. L’Assemblée des départements de France (ADF) et le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, ont travaillé de concert à la mise en oeuvre de ladite loi en permettant le déploiement du Projet pour l’autonomie (PPA) qui vise un accompagnement renforcé des jeunes majeurs (suivi éducatif, hébergement, soutien financier, insertion professionnelle, etc.). Concrètement, il est prévu que les services de l’État coordonnent leurs actions avec les départements au sein des commissions départementales d’accès à l’autonomie pour déployer systématiquement une solution d’accompagnement (Secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles en France, 2022).

Du Projet de vie de l’enfant au Projet de qualification des jeunes au Québec

En 2006, la Loi sur la protection de la jeunesse a été révisée et a introduit des durées maximales d’hébergement, en fonction de l’âge des enfants, obligeant les intervenants sociaux et judiciaires à garantir plus rapidement la continuité des soins, la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées aux besoins et à l’âge de l’enfant (Goyette, Blanchet, Tardif-Samson et Gauthier-Davies, 2022). Le Projet de vie est un outil permettant à l’enfant de bénéficier d’un parcours d’accompagnement individualisé dans le cadre de sa mesure de protection. Autrement dit, d’avoir la possibilité de vivre dans un milieu stable auprès d’une personne significative qui aura pour mission de répondre à ses besoins. À la différence de la relation professionnel/enfant, observée en France, l’intervenant au Québec a la liberté de développer un attachement permanent auprès de lui. Ainsi, tout enfant qui est pris en charge par le Directeur de la protection de la jeunesse reçoit un projet de vie personnalisé. Au Québec, les projets de vie sont classés par ordre de priorité, avec, d’une part, les projets de vie privilégiés (1° le maintien de l’enfant dans son milieu familial ; 2° le retour de l’enfant dans son milieu familial) et d’autre part, les projets de vie dits alternatifs (1° le placement de l’enfant jusqu’à sa majorité auprès d’une personne significative ; 2° l’adoption de l’enfant ; 3° la tutelle à l’enfant en vertu de la LPJ ; 4° le placement de l’enfant jusqu’à sa majorité dans une ressource offrant des services spécifiques ; 5° le projet de vie axé sur l’autonomie du jeune ; 6° le placement de l’enfant jusqu’à sa majorité dans une famille d’accueil). Tous ces projets poursuivent un objectif fondamental qui est l’intérêt de l’enfant, avant, pendant et après la mesure de protection. Des moyens pour accompagner l’enfant dans son projet de vie sont déployés et ces ressources peuvent également profiter aux parents pour les soutenir. Dans ce cadre, la participation active des enfants comme des parents aux décisions qui les concernent est recherchée au Québec. De surcroît, ils bénéficient les uns comme les autres, de droits qui leur sont consacrés tels que le droit d’être entendus, informés et accompagnés (LPJ, 2006). Il s’agit, par conséquent, d’un partenariat assumé qui vise non pas une coparentalité entre les parents et le professionnel à travers le Projet de vie de l’enfant, mais plutôt la possibilité d’envisager qu’un même professionnel soit un soutien temporaire ou, sinon, sur le long terme pour ceux qui en éprouvent le besoin. Le Projet de vie de l’enfant se trouve au coeur du plan d’intervention.

Le Projet de qualification des jeunes qui concerne les jeunes âgés de 16 ans à 19 ans est « un projet d’intervention intensive en vue de préparer le passage à la vie autonome et d’assurer la qualification des jeunes des centres jeunesse » (Goyette, Chénier, Royer et Noël, 2007). L’intervention vise tant l’accompagnement à l’autonomie du jeune protégé que sa qualification. Celle-ci poursuit un objectif de prévention consistant à lutter contre les formes de marginalisation de ces jeunes vulnérables, particulièrement quand ils atteignent leur majorité et qu’ils se retrouvent sans ressource. En somme, le Projet de qualification poursuit deux intentions : d’une part, le développement personnel et social des jeunes et d’autre part, les changements de milieu de vie des jeunes, de manière à favoriser leur insertion socioprofessionnelle et leur autonomie.

La prise en compte des facteurs de vulnérabilité : quelles convergences des rapports publics en France et au Québec ?

Le phénomène des sorties sèches est peu documenté sur le plan académique et encore moins dans une perspective comparative. Toutefois, en France, les xves Assises nationales de la protection de l’enfance se sont tenues le 17 janvier 2022 sur le sujet (ONPE, 2022). Les sorties sèches tendent de plus en plus à être intégrées aux programmes des politiques publiques en matière de protection de l’enfance depuis un certain nombre d’années (Lacroix, Vargas Diaz, Leclair Mallette, Goyette et Frechon, 2020). En s’appuyant sur le rapport de la commission Laurent et sur le rapport de la mission « La parole aux enfants », nous soutenons dans les prochaines lignes qu’une plus grande participation de l’enfant aux mesures de placement, que l’accompagnement des jeunes au-delà des 18 ans et que la refonte des ressources en matière de protection pour certains groupes d’enfants particulièrement vulnérables sont trois enjeux se recoupant en parallèle dans les rapports publics et les préconisations en termes de politiques publiques, tant en France qu’au Québec.

Au Québec, une participation indirecte et une absence de dispositif « post-placement »

La Commission spéciale sur le droit des enfants et la protection de la jeunesse a été constituée le 30 mai 2019 dans le but de mener une réflexion sur les évolutions qui ont eu lieu lors des quarante dernières années. Le rapport de la commission Laurent, déposé le 30 avril 2021, fait état d’un certain nombre de recommandations, particulièrement en ce qui a trait à l’amélioration de la représentation de la parole de l’enfant et de l’accompagnement de celui-ci au-delà de la mesure de placement. Tandis que le chapitre 6 consacre la recommandation d’une intervention judiciaire plus collaborative, participative et adaptée, le chapitre 8 du rapport préconise l’institutionnalisation d’un dispositif d’accompagnement des jeunes dans leur transition à la vie adulte.

Dans ledit chapitre 6 du rapport est posée la question d’une association plus étroite des enfants aux mesures de placement les concernant. Bien que l’intervention sociale soit privilégiée depuis 1979 sur la judiciarisation des dossiers, celle-ci ne cesse d’augmenter à raison de 6 000 nouveaux dossiers par an (Directeurs de la protection de la jeunesse, 2020). Aussi, du fait que « de plus en plus d’enfants voient leur situation judiciarisée » (CSDEPJ, 2021, p. 221), la question du retardement de l’intervention est posée comme une difficulté majeure par la Commission. À ce constat à la défaveur des enfants, le rapport souligne le « caractère inadapté des “lieux et des pratiques” qui ne conviennent pas à la réalité des enfants » (type d’intervention, processus de jugement contradictoire, infrastructures et locaux peu chaleureux). Bien que dans la LPJ la participation des enfants soit prévue, il y a un certain nombre d’obstacles institutionnels que la Commission ne manque pas de relever et qu’il conviendrait de pouvoir lever afin « de faciliter le témoignage de l’enfant », notamment la disposition des locaux « qui ne sont pas adaptés aux enfants » (CSDEPJ, 2021, p. 230 ; Paré et al., 2022). Le système judiciaire, forgé sur le principe de la confrontation, est décrié comme frein évident à la participation de l’enfant aux prises de décision qui le concernent. Cela nuirait à la perception de l’enfant à l’égard de la relation d’aide et de confiance avec les services de la DPJ, outre le poids symbolique et le stress provoqué par la culture judiciaire (Drapeau et al., 2014)[24].

Le chapitre 8 met en évidence pour sa part les défaillances des mesures de protection concernant l’accompagnement des enfants au-delà de leur majorité pour favoriser leur pleine insertion dans la vie active. En citant les travaux de Martin Goyette et Alexandre M. Blanchet (2018), le rapport rappelle le problème de la déperdition des enfants protégés qui se retrouvent littéralement « livrés à eux-mêmes » à leurs 18 ans, et sont susceptibles de devenir des proies pour des personnes ou associations de personnes malveillantes (réseaux de prostitution, stupéfiants, délinquance, etc.). Le rapport précise par ailleurs que certaines provinces au Canada prévoient des dispositifs d’accompagnement allant jusqu’à 25 ans. Aussi, et selon les recommandations de la Commission, il y a urgence pour que le Québec se dote d’une politique publique en matière d’accompagnement des enfants qui sortent des centres jeunesse ou des familles d’accueil à leurs 18 ans et qu’elle puisse intégrer une composante logement, formation (outre un accompagnement professionnel), ainsi qu’une composante sociale, psychologique et communautaire, afin de favoriser la résilience des jeunes adultes.

En France, une participation à deux vitesses et des contrats jeunes majeurs non systématiques

En France, la Loi du 7 février 2022 est venue améliorer la situation des enfants protégés par l’ASE, notamment pour enrayer le phénomène des sorties sèches mais aussi pour mieux tenir compte de la parole des enfants en prévoyant, entre autres, que les enfants puissent être représentés par des avocats, une approche qui jusque-là n’était pas en place, a contrario du fonctionnement de la judiciarisation des mesures de placement au Québec qui systématise le rôle de l’avocat de l’enfant. Cette loi donne suite au rapport de la mission ministérielle « La parole aux enfants » remis au secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance Adrien Taquet, le 20 novembre 2021, et visant à recueillir la parole des enfants confiés à l’ASE. De même que le rapport de la commission Laurent, il met en avant la nécessité d’avancer doublement, sur la participation des enfants aux mesures de placement et sur le renforcement des parcours d’accompagnement post-placement[25]. Le rapport de la mission ministérielle interroge ensuite la question de la systématisation éventuelle de la représentation de l’enfant par un avocat ou un administrateur ad hoc, en plus de l’accès direct de l’enfant au juge. Bien que la plupart des témoignages ne semblaient abonder dans ce sens, la mission précise qu’il « y a lieu de s’interroger sur une éventuelle autre réponse des enfants s’ils connaissaient l’entièreté du rôle de l’avocat et, notamment, de son rôle de contrôle du respect des droits lors de l’audience, compte tenu de son intérêt supérieur dont le juge des enfants est garant » (Mission « La parole aux enfants », 2021, p. 18). Aussi, le rapport recommande de mieux informer les enfants sur le statut et le rôle de l’avocat pour rendre cette possibilité d’accompagnement à la portée de tous les enfants.

Sur la question des sorties sèches des enfants protégés, le rapport précise qu’il est « impératif de mettre fin à ces situations » et de faire en sorte que les enfants soient mieux préparés à la vie « en dehors » de l’ASE. Des variations importantes sur les offres et les règles régissant les contrats jeunes majeurs existent entre les départements, à tel point que nous pouvons ici réellement interroger le principe de l’égalité des chances, non seulement des jeunes sortant de l’ASE avec le reste des jeunes, mais de façon plus préoccupante, entre les enfants protégés eux-mêmes, d’un département à un autre. Et ce, bien qu’un entretien à 16 ans pour préparer le projet de vie du jeune protégé ait été rendu obligatoire par le législateur en 2016, notamment pour évoquer la perspective du contrat jeune majeur. Le rapport formule la recommandation de l’obligation pour « tout jeune majeur de pouvoir bénéficier d’un contrat jeune majeur, à tout moment, jusqu’à ses 21 ans, sans que lui soit opposé un refus parce qu’il a voulu rompre avec l’Aide sociale à l’enfance à sa majorité » (Mission « La parole aux enfants », 2021, p. 60).

En France, renforcer la protection et l’accompagnement des mineurs non accompagnés

La Mission ministérielle précitée a tenu à prendre en compte la parole des mineurs non accompagnés (MNA)[26]. Le statut particulier des MNA au regard du droit de séjour, une fois arrivés à la majorité, n’est pas sans présenter des enjeux délicats, notamment quant à la question de pouvoir être éligibles à des contrats jeunes majeurs[27]. La rupture administrative, dont les MNA font l’objet et qui ne disposent pas tous automatiquement d’une carte de séjour à leurs 18 ans, est montrée du doigt comme une défaillance majeure du système de protection de l’enfance. Le Sénat recommande qu’avant l’issue de leur prise en charge par l’ASE à 18 ans, les MNA soient davantage préparés dans leur projet de vie et puissent aussi être visés par la systématisation des contrats jeunes majeurs qui en la matière, selon les départements, ne garantissent pas les mêmes conditions pour l’ensemble des MNA, certains départements privilégiant des contrats très courts et renouvelables là où d’autres fixent systématiquement le contrat jusqu’aux 21 ans. Les rapporteurs du Sénat requièrent que le statut des MNA soit ainsi stabilisé.

Au Québec, répondre aux besoins particuliers des enfants autochtones

La commission Laurent a dans son mandat tenu compte de la réalité de plusieurs groupes d’enfants particulièrement vulnérables, dont les enfants autochtones, les enfants issus de communautés ethnoculturelles et les enfants d’expression de langue anglaise. S’agissant de la prise en compte des besoins particuliers des enfants autochtones relevant de mesures de placement, le rapport de la commission Laurent a recueilli 60 témoignages et 43 mémoires. Il précise que depuis 1979, les mesures en matière de protection de la jeunesse ont été appliquées de manière uniforme partout au Québec « avec peu d’égards aux différences culturelles » (Rapport de la commission Laurent, 2021, p. 279) et aux problématiques inhérentes à la situation socioéconomique des personnes autochtones au Québec. La commission Viens (2019) a ainsi mis en évidence le fait que « la qualité des services offerts aux peuples autochtones n’a jamais vraiment été priorisée » (p. 280), tandis que les enfants autochtones sont surreprésentés dans les centres jeunesse. Bien que les causes de cette surreprésentation soient multiples, le rapport estime que la priorité est d’abord et avant tout de pouvoir réorienter les dispositifs de protection de la jeunesse vers les valeurs et la culture des peuples autochtones pour recréer la confiance et favoriser le bien-être, le développement et la résilience des enfants, adultes en devenir. La nécessité d’interroger la place du territoire et de la langue, et de favoriser l’intervention d’intervenants comprenant les réalités autochtones sont des pistes qui sont mises de l’avant dans le rapport[28].

Discussion et poursuite des réflexions

Dans les deux contextes, l’enjeu se pose d’une meilleure prise en considération de la parole et de la participation de l’enfant aux mesures de placement qui le concernent, que l’accompagnement soit médiatisé par les services sociaux ou judiciarisé par les tribunaux. À cet égard, les deux rapports publics discutés plus haut proposent des pistes de solution visant à transformer la perception de l’enfant à l’endroit des acteurs de la protection de l’enfance, que ce soit l’intervenant social, l’avocat ou encore le juge. Tous deux en appellent à une vision non seulement plus collaborative, mais aussi plus réflexive et plus adaptée aux besoins des enfants, en ce qui a trait aux modalités de la participation pour que la parole ne soit pas empêchée en raison du contexte judiciaire. Dans le chapitre 2 de la constitution de la société, Anthony Giddens s’interroge sur les conditions du contrôle réflexif des agents en situation de co-présence. Pour réussir à coopérer, l’enfant doit pouvoir être mis dans une position de « sécurité ontologique » (Giddens, 1987, p. 99) : « Les recherches sur le développement de l’enfant laissent supposer fortement que le développement de la capacité d’agir de façon autonome est étroitement lié à la reconnaissance progressive des autres en tant qu’agents » (Giddens, 1987, p. 106). Giddens dans son modèle de la structuration de l’identité du soi, s’inspire largement de la sociologie interactionniste d’Erikson et de Goffman. Pour exercer une réflexivité sur la situation sociale vécue, l’agent (ici l’enfant) doit pouvoir maîtriser la situation d’interaction. Il doit avoir ce qu’il lui faut pour bien agir, c’est-à-dire la capacité de mobiliser le bon savoir afin de lire la situation et identifier les structures constitutives du contexte, de manière à mobiliser, adéquatement et au bon moment dans l’action, les bonnes structures.

Cette maîtrise et ce contrôle de soi en situation de coprésence dépendent donc du « moyen d’accès à la connaissance des structures, du mode d’articulation de cette connaissance, d’un environnement qui puisse favoriser l’expression de cette connaissance de l’agent et enfin, de facteurs permettant la diffusion de cette connaissance de l’enfant auprès des autres agents » (Giddens, 1987, p. 142). En d’autres termes, le contrôle réflexif de l’enfant dépend de sa maîtrise du contexte interactionnel ; tandis que selon Giddens (1987), chaque agent a une compétence limitée, c’est-à-dire une connaissance partielle des structures, et il en résulte que ses actions auront plus ou moins la portée souhaitée.

Cette première grille théorique peut d’abord s’avérer pertinente pour mieux saisir les enjeux de la participation de l’enfance en amont et pendant la mesure de placement, en misant sur une meilleure compréhension des schèmes d’interaction entre l’enfant et les différents acteurs de la protection de la jeunesse. Ensuite, cette approche du contrôle réflexif permet de soutenir la nécessité d’approches sociales misant sur la médiation plutôt que sur des approches judiciaires fondées sur le principe de confrontation. Cette première approche vient ainsi, dans le contexte de la participation comme du phénomène des sorties sèches, poser les questions suivantes : comment favoriser la participation des jeunes ? Comment amener l’enfant à maîtriser le contexte interactionnel et enfin, cette théorie du contrôle réflexif est-elle valable et/ou soutenable pour tous les âges ?

Puis nous avons vu qu’à cette première convergence émanant des rapports publics, s’ajoutait la recommandation d’amener chaque enfant protégé à un accompagnement systématiquement offert au-delà des 18 ans pour favoriser son insertion réussie dans la vie active et pour remédier à la problématique des sorties sèches. Bien qu’existant en France, contrairement au Québec, les programmes post-placement, en renforçant la relation privilégiée avec l’intervenant et en mettant le jeune adulte en relation avec d’autres réseaux et acteurs professionnels et/ou communautaires, peuvent favoriser la résilience des enfants protégés en plus de leur insertion. Dans les deux cas, la systématisation d’un tel dispositif est soulignée dans les rapports publics. Il va sans dire que les sorties sèches peuvent venir ajouter au traumatisme des enfants protégés qui, arrivés à 18 ans, pourraient se retrouver soudainement mis en dehors de tout réseau et de toute perspective d’accompagnement et de soutien dans le passage à la vie adulte. La systématisation des dispositifs post-placement, en plus de consister en une réponse institutionnelle forte au phénomène des sorties sèches, concourt pleinement à la résilience des enfants protégés en les accompagnant matériellement et moralement sur le chemin de l’autonomie.

Le concept de résilience permet ainsi de s’interroger sur les conditions et mesures qui, dans le contexte du passage de l’enfance à l’âge adulte, vont réellement présenter une différence significative dans le développement positif et le bien-être du jeune adulte, celui-ci parvenant progressivement à s’émanciper de l’emprise des différents traumatismes vécus au moment de l’enfance et à se construire. Cette seconde théorie soulève ainsi certaines questions d’ordre pratique : quels sont les différents besoins devant être intégrés aux ressources offertes dans le cadre des dispositifs post-placement ? Les différents volets des ressources offertes (communautaire et médico-social, scolaire ou professionnel, financier et matériel) devraient-ils être communs ou, à l’inverse, adaptés selon les besoins réels et les souhaits des jeunes adultes ? Comment assurer le suivi du contrat tout en garantissant l’autonomie des décisions et des modalités d’interaction des jeunes adultes avec les intervenants ?

La troisième forme de convergence semblant ressortir des rapports publics implique la prise en compte du caractère potentiellement cumulatif des facteurs de vulnérabilités et des besoins précis dont certains groupes de mineurs font l’objet. « L’intersectionnalité a été pour la première fois envisagée par la juriste Kimberlé Crenshaw en 1991 pour appréhender les législations américaines qu’elle estimait inefficientes face aux besoins exprimés par les femmes “racisées”, victimes de violence conjugale » (Corbeil et Marchand, 2006, p. 5). L’intersectionnalité est porteuse d’un intérêt croissant de la communauté des chercheurs pour la question du cumul des formes de discrimination et d’exclusion de groupes marginalisés. Aussi, on note dans les deux contextes abordés, une volonté de recourir à une lecture moins uniforme et plus intersectionnée compte tenu de l’inégalité des chances et d’accès aux ressources de certains groupes d’enfants par rapport à d’autres, que ce soient les MNA par rapport au reste des mineurs pris en charge par l’ASE ou les enfants autochtones concernés par rapport aux autres enfants protégés par la DPJ.

Cette troisième considération d’ordre théorique permet ainsi de voir la protection de l’enfance non dans une perspective uniforme mais dans une perspective spectrale, justifiant la nécessité de dispositifs de protection adaptés aux besoins des groupes d’enfants en présence. Elle permet ainsi de s’interroger sur les éléments suivants : quels sont les perceptions et les rapports culturels d’un groupe X vis-à-vis des institutions de la protection de l’enfance et, par conséquent, vis-à-vis de l’État ? Comment assurer et concilier la protection de l’enfance avec le respect et la valorisation de l’histoire, de la culture, de la langue et des traditions de groupes d’enfants particulièrement vulnérables ? Enfin, et de manière plus transversale, comment garantir la confiance entre les enfants pris en charge par les services de la protection de l’enfance et les intervenants ?

Conclusion

En définitive, les réalités, les profils et les besoins des enfants pris en charge par les services de protection de la jeunesse ont considérablement évolué depuis 40 ans, en France comme au Québec. Il n’est plus possible aujourd’hui de penser la protection de l’enfance sans tenir compte de ces trois facteurs déterminants et qui concourent ensemble à remédier à un contexte disruptif où seule l’amélioration significative de la confiance des enfants protégés à l’égard des institutions pourra attester de l’efficacité de leur modernisation. Comme l’écrivait il y a déjà 160 ans Victor Hugo dans sa lettre à l’attention des membres du Congrès international pour l’avancement des sciences sociales : « l’enfant […] c’est l’avenir. Ce sillon est généreux ; il donne plus que l’épi pour le grain de blé. Déposez-y une étincelle, il vous rendra une gerbe de lumière » (Victor Hugo, 1862).