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Les outils d’écriture numériques au primaire

Le recours aux technologies numériques à des fins d’enseignement et d’apprentissage constitue un objet d’étude privilégié, en particulier au cours des dernières années (Gaudreau et Lemieux, 2020; Grégoire, 2021; Lassault et Ziegler, 2018; Romero et al., 2017). En outre, les outils numériques occupent une place grandissante dans les salles de classe québécoises, et ce, dès le plus jeune âge. Au primaire, puisque l’apprentissage de l’écriture fait directement partie des objectifs prioritaires de l’école (Simard et al., 2019), une part non négligeable du temps en classe est consacrée à des activités de ce type, dont certaines sont susceptibles de mobiliser des outils d’écriture numériques.

Du technophobe au technophile, il semble exister tout un spectre d’enseignants qui désirent miser sur les potentialités du numérique, mais qui identifient aussi certaines limites (Aparicio et al., 2019). Il importe en effet de nuancer l’opinion selon laquelle le numérique représente forcément une plus-value, car un outil mal conçu, numérique ou non, n’aura pas les effets escomptés. Les enseignants se doivent alors d’être critiques quant aux outils qu’ils mobilisent. Cette chronique s’inscrit dans cette lignée et présente quelques enjeux à considérer lors de la sélection d’un outil d’écriture numérique au primaire auprès de scripteurs débutants. Notre propos s’articule autour des capacités cognitives, attentionnelles et motrices de ceux-ci ainsi que la nécessité de miser sur un contexte écologique de production.

Les enjeux cognitifs, attentionnels et moteurs relatifs aux scripteurs débutants

Chez l’adulte ou tout autre scripteur compétent, la transcription, un sous-processus de l’écriture qui réfère entre autres aux composantes graphomotrices et orthographiques, est généralement une tâche automatisée et inconsciente (Willingham, 1998). Dans un tel cas, peu de ressources cognitives et attentionnelles sont nécessaires. Cela est néanmoins plus difficile pour les scripteurs débutants, car cette tâche n’est pas automatisée : cela leur demande alors une attention soutenue et consciente (Graham et al., 2008; Just et al., 1996). Ces limites s’expliquent en partie par l’âge des scripteurs, car la maturation du cerveau dépend de l’âge, de la cognition et de l’attention qui sont fortement liés (Barrouillet, 1996). Cela étant dit, l’outil d’écriture numérique mobilisé doit être simple d’utilisation, puisqu’il ne doit pas constituer une contrainte supplémentaire pour le scripteur et accaparer davantage de ressources cognitives et attentionnelles, qui elles, sont limitées.

Il importe alors de départager de façon sommaire les outils d’écriture numériques afin d’identifier ceux qui correspondent le mieux aux caractéristiques et aux besoins de ce type de scripteur. Déjà, certains outils misent sur des modalités d’écriture différentes, entre autres l’écriture dactylographique ainsi que l’écriture manuscrite, et mobilisent une variété de supports et d’outils de transcription (Alamargot et Morin, 2015). D’une part, plusieurs chercheurs se sont intéressés à l’écriture dactylographique et à l’utilisation du clavier auprès de scripteurs débutants. Les conclusions de ces derniers suggèrent que la gestion de cet outil de transcription et le va-et-vient entre celui-ci et l’écran lors de l’écriture mobilisent une importante part de l’énergie mentale disponible et de l’attention (Neumann, 2018) . Cela s’explique en partie par une maitrise lacunaire du clavier, en l’occurrence la localisation spatiale des touches préformées, qui est plus marquée chez les apprenants en bas âge. Peake, Diaz et Artiles (2017) soulignent également que ce faible niveau de maitrise du clavier est susceptible d’entrainer une diminution de la vitesse d’exécution et une augmentation des erreurs orthographiques commises, tant cette activité est exigeante. Ainsi, le recours à cette modalité d’écriture et à ce type d’outil de transcription semble peu adapté pour un scripteur débutant.

D’autre part, plusieurs recherches se sont intéressées à l’écriture manuscrite et suggèrent que la mémorisation serait facilitée dans ce contexte de production, notamment par la réalisation du geste moteur impliqué lors du tracé (Longcamp et al., 2005). Cette modalité permettrait aussi aux scripteurs débutants d’écrire plus rapidement, selon les conclusions de Connelly, Gee et Walsh (2007). Cela dit, les outils numériques d’écriture manuscrite comportent certains enjeux, entre autres liés aux supports mobilisés. L’utilisation d’un outil scripteur tel qu’un stylet à pointe plastique sur une surface de verre (p. ex., tablettes) entraine, dans la plupart des cas, un sentiment de glissement lors de l’écriture (Jolly et Gentaz, 2013). Puisque l’écriture manuscrite repose en partie sur la capacité de l’apprenant à contrôler la dynamique de l’outil scripteur, cet effet de glissement importe (Wann et Nimmo-Smith, 1991). Les apprenants en bas âge, dont le sous-processus de transcription n’est pas encore automatisé pour la plupart, seraient d’autant plus susceptibles de rencontrer ce type de difficultés, car cela affecte la gestion de leurs mouvements. Les adultes, qui sont identifiés comme des scripteurs compétents et dont le sous-processus de transcription est automatisé, seraient capables de s’adapter à une surface plus glissante et de compenser les effets de celle-ci.

Le contexte écologique de production, un aspect primordial

Jusqu’ici articulés autour des modalités, des supports d’écriture et des outils de transcription, nos propos tendent vers un même constat, en l’occurrence l’importance de miser sur un contexte écologique de production. Lorsque les conditions naturelles d’écriture manuscrite sont préservées au mieux, notamment en ayant recours à un outil scripteur pour produire le geste moteur de façon automne sur une surface plane et peu glissante, cela semble optimal pour l’apprentissage. Certains outils numériques existants destinés à l’écriture s’éloignent d’un contexte écologique de production, par exemple Télémaque qui mise sur l’utilisation d’un bras robotisé (Hennion et al., 2005) et My Scrivener qui mobilise un assistant robot (Palsbo et Hood-Szivek, 2012).

En conclusion

L’écriture est un apprentissage ardu et complexe qui nécessite la coordination de bon nombre de compétences, entre autres cognitives, attentionnelles et motrices (Jolly et Gentaz, 2013). Afin de parvenir à développer ces dernières, le recours à certains outils d’écriture numérique peut s’avérer probant, si ceux-ci misent sur la modalité, le support d’écriture et l’outil de transcription le plus adéquat, selon les caractéristiques du scripteur ciblé. À la lumière du virage massif vers le numérique en sciences de l’éducation, notamment avec la mise en place du Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2018), il nous apparait essentiel que les enseignants déterminent les enjeux d’apprentissage de leurs apprenants afin de sélectionner, le cas échéant, l’outil qui convient le mieux.