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Introduction

Les dernières décennies ont été l’occasion d’une profonde transformation des entreprises, tant en ce qui concerne leur organisation, leur management et leur stratégie. Comme l’explique l’Institut de l’entreprise dans son rapport annuel de 2010, « plusieurs phénomènes ont ainsi conduit à la reconfiguration du processus de création de valeur et des modèles économiques qui y sont associés : émergence du client au centre des organisations, éclatement géographique de la chaîne de valeur permise par la libéralisation des échanges commerciaux avec les pays du Sud, apparition du low cost, montée en puissance de l’économie numérique, etc. ». Face à ces nouveaux enjeux, la gestion des relations au sens large est une des problématiques managériales majeures que rencontrent les dirigeants d’entreprise ; ainsi, cette thématique est devenue au fil des années une thématique essentielle en gestion, notamment en marketing où la gestion de la relation clients est au coeur des réflexions stratégiques et des processus organisationnels depuis les années 1990.

Pour autant, si la relation est un concept central dans l’interaction de l’entreprise avec son environnement, il n’existe pas de théorie permettant d’appréhender et de qualifier de façon globale les relations que l’entreprise entretient avec ses partenaires. Bien évidemment, les échanges intra et inter-organisationnels ont fait l’objet de nombreuses attentions, notamment de la part des économistes au travers des théories des coûts de transaction, des contrats incomplets et de la dépendance ou de la théorie des conventions. Toutefois, ces approches ont souvent été jugées incomplètes, car elles ne permettent pas d’appréhender les dimensions irrationnelles et informelles des relations réelles. Un auteur a pourtant élaboré et proposé une théorie alternative, la théorie du contrat social, dont l’objet est justement d’apprécier les aspects économiques et sociaux d’une relation : ainsi, Ian Macneil publie en 1980 un ouvrage intitulé The new social contract : an inquiry into modern contractual relations.

Originellement développée en sciences juridiques, la théorie du contrat social remet globalement en cause l’idée selon laquelle une relation peut être totalement décrite, formalisée, anticipée, voire contractualisée ; l’auteur propose toutefois un cadre permettant de catégoriser et d’analyser les différentes dimensions et facettes d’une relation. Il identifie ainsi des normes dites « normes contractuelles » qui permettent d’apprécier une relation dans une perspective plutôt transactionnelle ou plutôt relationnelle (Macneil, 1980).

L’objet de cet article est d’étudier dans quelle mesure le cadre théorique proposé par Macneil peut constituer une clé de lecture pertinente dans l’analyse des relations et de leur gestion au sein des entreprises. Ainsi, nous pensons que la théorie du contrat social peut accroitre la compréhension des mécanismes particuliers de gestion des relations qu’entretient l’entreprise avec ses différents partenaires, tant dans une perspective intra que inter-organisationnelle. Si certaines recherches ont d’ores et déjà mis en exergue l’intérêt de cette théorie en gestion, et tout particulièrement en marketing pour appréhender les relations clients/fournisseurs (Young, Gilbert et McIntyre, 1996), il s’avère que le cadre proposé constitue une approche intégrative au-delà des clivages disciplinaires ou organisationnels. Il offre ainsi aux entreprises la possibilité de disposer d’un outil global d’analyse, mais aussi de mieux comprendre et gérer les relations qu’elles entretiennent avec leurs partenaires.

Compte tenu du rôle, crucial et sans cesse rappelé, des banques dans le financement des PME, cette recherche se focalise de façon spécifique sur les rapports qu’entretiennent celles-ci avec leurs banques et étudie dans quelle mesure le cadre de référence proposé par Macneil permet d’améliorer la gestion de ces relations. L’objectif est d’apprécier dans quelle mesure une gestion avertie et volontaire des relations d’une PME avec ses partenaires bancaires influence la dynamique de l’organisation ainsi que son efficience. En effet, plusieurs auteurs soutiennent qu’une meilleure compréhension des mécanismes particuliers de coopération participe aux mécanismes de création de valeur (Charreaux et Wirtz, 2006) ; la notion de la valeur est entendue dans une perspective partenariale, c’est-à-dire la valeur sécrétée par la firme dans ses transactions avec l’ensemble de ses partenaires (Charreaux et Desbrières, 1998), et plus spécifiquement ici, ses partenaires bancaires.

Dans une première partie, les fondamentaux de la théorie du contrat social sont présentés et les principales limites discutées. L’objectif est de préciser comment les normes contractuelles permettent de compléter et de prolonger les théories classiques de l’échange. Selon cette conception, l’ensemble des interactions est alors réellement appréhendé selon une approche relationnelle et holiste. Dans un second temps, la méthodologie retenue est présentée. En effet, afin d’appréhender sous différents angles d’analyse les relations PME-banques et in fine de mieux les comprendre, nous avons opté dans le cadre de cette recherche pour une analyse assortie de données. Une troisième partie montre comment la théorie du contrat social permet de comprendre la nature des relations que les PME entretiennent avec leurs partenaires bancaires et comment ces relations peuvent ainsi être gérées dans l’intérêt réciproque d’une plus grande création de valeur. La conclusion met en perspective les apports de la recherche menée ainsi que les limites et les voies de recherches futures.

1. La théorie du contrat social de Macneil

L’objectif principal de cette étude étant l’opérationnalisation de la théorie du contrat social pour aider les PME et les banques à mieux gérer leurs relations, nous allons dans un premier temps rappeler les fondements de cette théorie en précisant ses intérêts et limites pour les sciences de gestion. En effet, la théorie du contrat social se différencie des théories classiques et néoclassiques par son appréhension de la continuité temporelle des échanges, étudiant les échanges au-delà des transactions ponctuelles. Elle repose également sur l’idée que les échanges se construisent autour de normes[2] et sur la distinction des normes transactionnelles et relationnelles. Cependant, malgré sa richesse, cette théorie doit faire face à un certain nombre de limites présentées à la fin de cette section.

1.1. Les approches classiques de l’échange

La littérature sur les échanges propose classiquement deux grandes familles d’approches : les approches transactionnelles et relationnelles.

Les approches transactionnelles sont notamment représentées par les théories économiques classique et néoclassique. L’approche classique (microéconomique) met l’accent sur des opérations ponctuelles généralement prévues et décrites dans un contrat. L’échange est déconnecté de toute relation passée ou future. Les approches néoclassiques prolongent cette analyse en considérant des achats répétés, mais qui restent cependant indépendants les uns des autres (Williamson, 1985 ; Gomez, 1994). Dans ces types de contrat, la gouvernance de l’échange ne reconnaît pas d’interactions dynamiques des parties prenantes et la relation est considérée comme une externalité, interprétée d’un point de vue microéconomique et utilitariste. Les parties se mettent d’accord sur la forme d’échange économique la plus efficace et font la différence entre la gouvernance par les marchés (prix) et les hiérarchies (autorité légale).

Les approches relationnelles considèrent, quant à elles, des échanges répétés à caractère relationnel, c’est-à-dire des échanges ayant une orientation à long terme délibérée. Elles mettent en exergue le rôle des phénomènes d’interaction dans les échanges et s’intéressent à l’ensemble de la relation entre les partenaires et non pas seulement à un accord spécifique (Durif et Perrien, 2008). Dans ce cadre de référence, l’unité d’analyse n’est plus la transaction, mais la relation. La transaction s’inscrit dès lors dans le contexte historique d’une relation plus globale. Le contrat est relationnel dans le sens où les parties sont incapables de prédéterminer, de façon exhaustive, les termes importants du contrat en obligations complètes et bien définies (Macneil, 2000 ; Paulin et Ferguson, 2010). Selon cette approche, la notion de contrat est prise dans un sens très large comprenant un ensemble de règles informelles, normes et pratiques. Les approches relationnelles se différencient des approches transactionnelles également en abordant la relation et sa coordination comme un phénomène bilatéral où des adaptations et des ajustements ont lieu en permanence. Ces ajustements reposent sur des attentes et des normes de comportement partagées qui peuvent différer largement d’un contexte à un autre (Thibaut et Kelley, 1959). Ainsi, les approches relationnelles placent l’interaction entre les individus au coeur des mécanismes des échanges et font de la relation un élément vivant et difficilement prévisible, notamment du fait de contingences futures. La Figure 1 reprend les principales différences des deux approches.

Figure 1

Les différentes formes d’échange et leurs caractéristiques

Les différentes formes d’échange et leurs caractéristiques

* Le terme interaction est à prendre au sens de « rencontre entre des individus » et non pas au sens statistique du terme.

Typologie retenue d’après les travaux de Macneil (1980) et Williamson (1985).

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L’importance des échanges justifie et explique que les organisations cherchent à mieux les formaliser et les contrôler. Selon Macaulay (1963), les entreprises fonctionnent fréquemment avec des normes informelles et sur des pratiques « habituelles » au secteur d’activité dans lequel elles opèrent. Ainsi, il s’avère que les relations intra et inter-organisationnelles se caractérisent par de fortes relations interpersonnelles, une communication relativement intense et des éléments significatifs de satisfaction personnelle non économique. Face à ces constats, l’objet de la présente recherche est d’évaluer dans quelle mesure la théorie du contrat social s’adapte à l’approche managériale de l’entreprise et contribue ainsi à améliorer la compréhension des mécanismes d’échanges, de coopérations et de relations des entreprises. Par conséquent, la prochaine section développe les spécificités de la théorie proposée par Macneil.

1.2. La théorie du contrat social (Macneil, 1980)

1.2.1. Présentation générale du cadre de la théorie du contrat social

Un des intérêts fondamentaux du cadre d’analyse proposé par Macneil (1980), par rapport aux théories classique et néoclassique de l’échange, est la remise en cause de l’idée que les acteurs sont guidés uniquement par la maximisation du profit. Les parties à l’échange poursuivent un ensemble d’objectifs dont l’un d’eux seulement est la maximisation du profit (Whitford, 1985). Ces théories ne sont alors pas suffisantes pour expliquer la gouvernance des échanges dans nos sociétés complexes parce qu’elles ne permettent pas de prendre en compte la composante relationnelle présente dans tous les échanges à des degrés divers. Cette dernière recouvre l’élément temporel où les actions passées ont une influence sur les actions présentes qui, elles-mêmes, auront une influence sur les actions futures. La relation, dans ce contexte, est appréhendée dans sa continuité (Dwyer, Schurr et Oh, 1987 ; Perrien, Paradis et Bantig, 1995), ce qui s’explique par des coûts économiques à la sortie, mais aussi, par des coûts psychologiques plus particulièrement liés aux aspects informels de l’échange. Les acteurs sont des êtres socialisés dont l’identité est en partie constituée par leurs relations et donc leurs interactions (Heide et Wathne, 2006).

Pour caractériser les échanges, Macneil trace un continuum allant du contrat classique au contrat relationnel (Macneil, 1981 ; Paulin et Ferguson, 2010). Dans le contrat classique, la relation est totalement décrite, une chose à la fois est traitée, le consentement et l’efficacité sont mis en avant, le système juridique est le moyen de protection principal et la dimension monétaire est la seule mesure de l’échange. Dans le contrat relationnel, il n’y a pas forcément de lien entre la complétude des clauses contractuelles et la force de la relation. Le défaut de formalisme originel n’empêche pas le développement de normes (non contractuelles) qui finissent par constituer un cadre de référence parfois très complet, mais toujours très souple et évolutif. Ainsi, les relations entre les partenaires et leur coordination reposent sur une gouvernance bilatérale où des ajustements sont discutés et opérés quasi continuellement. Ce cadre est établi avec la volonté de durer, de maintenir la flexibilité et d’inciter à la renégociation. C’est dans la perspective de ce contrat plus informel, que Macneil met en exergue l’importance des « normes » qui le composent.

1.2.2. Les normes contractuelles, relationnelles et transactionnelles

Les normes sont définies comme des types de sentiments et comportements acceptables par les membres d’un système d’échanges, ayant la force d’une obligation ou d’une pression sociale (Macneil, 1978, 1980). Les normes ainsi définies représentent, selon l’auteur, l’ensemble des composantes des échanges, tout au moins l’ensemble des composantes endogènes à la relation.

Afin de formaliser l’aspect informel des relations, Macneil (1980, 1983) identifie dix normes[3], qualifiées de normes contractuelles communes, essentielles à l’occurrence de tout échange, quelle que soit sa forme (cf. Tableau 1).

Tableau 1

Composantes des normes contractuelles, d’après Macneil (1980, 1981, 1983)

Composantes des normes contractuelles, d’après Macneil (1980, 1981, 1983)

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Par souci de simplification, nous appelons ici normes transactionnelles l’ensemble des normes non définies par Macneil comme étant relationnelles. Les normes relationnelles permettent une meilleure caractérisation des échanges de nature relationnelle. Les normes transactionnelles sont essentielles à la réalisation de tous les contrats, mais contrairement aux normes relationnelles, elles ne jouent pas un rôle majeur dans des contextes relationnels (Fink, Hatten et James, 2010 ; Blois et Ivens 2007).

Ainsi, ces normes permettent de catégoriser, en sous-ensembles homogènes, les déterminants de l’interaction entre les individus. Leur développement repose sur des échanges d’informations, le système ne pouvant bien fonctionner que si le degré d’asymétrie entre les partenaires est tolérable et que la confiance se développe (Lamarque, 2007).

Par ailleurs, l’ensemble des normes de la relation identifiées par Macneil est polymorphe et évolue en fonction du contexte de l’échange. De ce fait, l’analyse du respect ou des déviations par rapport aux normes et l’étude de leur impact sur le mode de comportement des acteurs peut permettre de comprendre le passage de la relation d’une étape de son cycle de vie à l’autre (Perrien, Graf et Colombel, 2005). Chaque déviation représente une menace pour la cohésion et la qualité de la relation, et peut donc être vue comme un facteur potentiel de dégradation de cette relation ou de destruction de valeur (Prim-Allaz, 2000 ; Ambroise, Maque et Prim-Allaz, 2011). En effet, de façon plus générale, plusieurs auteurs soulignent le lien étroit entre la gestion des interactions et la création de valeur (Ford, 1990 ; Caby et Hirigoyen, 2001). Porter et Kramer (2011) mettent notamment en exergue la notion de valeur partagée comme concept fondamental du futur déploiement des organisations, un des leviers de développement de cette valeur étant le renforcement de groupements de partenaires autour de l’entreprise (local cluster development). Dans la lignée de ce précepte, il apparait alors nécessaire de disposer d’un cadre permettant de décrire, comprendre et gérer les relations entre partenaires afin de maximiser la création de valeur partagée.

En résumé et de façon très schématique, la théorie du contrat social permet donc d’appréhender plus spécifiquement l’échange relationnel ; ce dernier se différencie de l’échange transactionnel sur deux points :

  • L’échange relationnel a une dimension sociale forte qui s’ajoute à la dimension économique (Dwyer etal., 1987). Cette dimension sociale met l’interaction au coeur de la relation et traduit une « valeur relationnelle » de l’échange ;

  • L’échange relationnel a un horizon temporel élargi du fait de l’importance des échanges futurs (Dwyer etal., 1987) et des événements passés (Varadarajan et Rajaratnam, 1986).

Les limites du cadre d’analyse proposé par Macneil sont de différents ordres, conceptuels, mais également méthodologiques. Une première limite est liée au fait que Macneil a été particulièrement prolifique et que sa pensée n’a cessé d’évoluer au cours du temps, ce qui pose la question de la stabilité du cadre d’analyse proposé et explique certaines différences entre les auteurs dans la mise en oeuvre de ce cadre (Ivens et Blois, 2004)[4]. Macneil (1983) insiste également, à l’instar de nombreuses recherches utilisant ses normes, sur l’importance du contexte sectoriel, historique et culturel, et par conséquent sur la contingence dans la définition des normes. Celle-ci peut également expliquer les différences observées en matière d’opérationnalisation des normes.

Par ailleurs, la principale limite de l’approche de Macneil demeure avant tout la présentation des normes très abstraites et le fait que l’auteur ne propose jamais d’indications en vue de leur opérationnalisation : il ne fait référence à aucun outil concret permettant de gérer les relations (Durif et Perrien, 2008 ; Blois et Ivens, 2006). Selon Whitford (1985), c’est ce qui explique la lenteur du transfert de cette approche vers d’autres champs de recherche que le droit. L’objet de ce travail est justement de relier concrètement les normes du cadre théorique aux pratiques de gestion adoptées dans les organisations, et de façon plus spécifique, d’étudier l’intérêt de la théorie du contrat social pour mieux comprendre les relations banques-PME afin d’en améliorer leur gestion du point de vue de l’entreprise sans se limiter à une seule catégorie de déterminants selon l’angle fonctionnel (par exemple, stratégie, finance ou marketing) par lequel on observerait l’entreprise.

2. Méthodologie : analyse assortie de deux études dans le domaine bancaire

L’approche méthodologique retenue dans le cadre de cette recherche résulte de la rencontre de deux chercheurs habitués à mobiliser, chacun dans son domaine de compétence, la théorie du contrat social pour analyser et expliquer les relations inter-organisationnelles. Les échanges ont abouti à une convergence de points de vue : la théorie du contrat social peut offrir un cadre d’analyse intégrateur à l’étude, la compréhension et la gestion des relations au sein des entreprises. Cette vision commune est ainsi devenue l’objet de la présente recherche. Pour ce faire, la réutilisation des données, collectées par ces chercheurs lors de précédentes recherches, et leur assortiment, se sont imposés comme une approche méthodologique pertinente pour ce nouvel objet de recherche.

En effet, comme le soulignent Chabaud et Germain (2006), dans l’optique de capitaliser les connaissances empiriques, la réutilisation de résultats et de données initialement collectées dans le cadre d’études conduites de façon indépendante peut être très pertinente et enrichissante. Cette démarche méthodologique est ainsi originale dans la mesure où elle repose sur la ré-exploitation des données collectées par les auteurs eux-mêmes, mais avec un objectif détourné des objectifs initiaux respectifs.

Les différentes disciplines de gestion appréhendent très souvent les relations de façon très parcellaire. La littérature en finance se concentre généralement sur un aspect pragmatique de la relation bancaire qui est le besoin de financement des entreprises. La littérature en marketing, quant à elle, étudie souvent les relations commerciales au sein des établissements bancaires. Le croisement des données collectées au cours des deux recherches a permis d’apprécier dans leur globalité les déterminants de la relation bancaire des PME (points communs) et de montrer que la théorie du contrat social offre un cadre d’étude complet. Les différences des données croisées (champs disciplinaires et méthodologies) n’ont fait que conforter la pertinence de l’objet de la recherche et des résultats obtenus.

L’analyse assortie des données vise ici à montrer que le cadre théorique des normes contractuelles est suffisamment global et transdisciplinairement robuste pour aider à une meilleure compréhension des relations entre les banques et les PME. La nouvelle analyse des données a reposé sur les points communs et différences des données rassemblées.

  1. Les deux recherches menées initialement portaient sur un même domaine d’application : l’analyse des relations entre les banques et les PME ;

  2. Elles ont également utilisé le même cadre théorique de référence, le contrat social proposé par Macneil, afin d’étudier, déjà, les relations banques-entreprises dans leur globalité ;

  3. Cependant, les études ont été réalisées dans deux champs disciplinaires différents, le marketing et la finance organisationnelle ;

  4. Enfin, les données collectées l’ont été selon deux méthodologies différentes (respectivement quantitative et qualitative - cf. Encadré 1 - Prim-Allaz, 2000 ; Maque, 2007).

De façon concrète, les auteurs ont effectué une lecture croisée des résultats et des données initiales avec comme clé d’analyse les thèmes de la gestion des relations et de la création de valeur. Le fait que les auteurs aient un accès privilégié aux données a facilité le travail d’appropriation ; de plus, la vision et l’analyse croisées des données ont renforcé et enrichi les tâches de ré-analyse et de réinterprétation ainsi que la pertinence et la robustesse des résultats (rappelons que les données sont issues de deux champs disciplinaires différents et qu’elles sont collectées selon deux méthodologies différentes). Les principaux enseignements tirés de ce travail sont à présent déclinés.

3. Résultats

3.1. La théorie du contrat relationnel, un cadre de compréhension des mécanismes de gouvernance des échanges bancaires

Les données utilisées soulignent l’importance de l’ensemble des normes contractuelles dans la gouvernance des échanges bancaires. En effet, il s’avère que les échanges ne sont pas simplement régulés par des mécanismes de marché, et que des caractéristiques de nature « sociale » jouent également un rôle dans la progression de la relation et dans la détermination de son devenir. Les résultats présentés dans les paragraphes suivants mettent en évidence des schémas d’influence différents selon la nature des normes considérées (transactionnelles/relationnelles) et une force variable de cette influence selon les normes.

3.1.1. Les chemins d’influence des normes

L’analyse des données montre que le dirigeant de PME va souvent valoriser de façon très importante le fait que le conseiller clientèle de sa banque fasse réellement l’effort de comprendre son domaine d’activité (cf. norme Intégrité du rôle), qu’il puisse adapter les règles de gestion des comptes en fonction du contexte - ex. problème de trésorerie - (cf. norme Flexibilité), qu’il puisse le soutenir dans des projets capitaux (cf. norme Solidarité). Tous ces comportements du chargé de relation clientèle vont directement impacter la volonté du dirigeant de poursuivre la relation et accroître son propre comportement solidaire vis-à-vis de la banque.

De façon différente, si le dirigeant considère que les contrats ou services proposés par la banque sont pertinents et d’un intérêt mutuel (cf. norme de Réciprocité), que la banque a toujours respecté ses engagements (cf. norme de Réalisation de la promesse) et dans les délais prévus (cf. norme de Mise en oeuvre du planning), alors il va globalement considérer qu’il entretient une « bonne relation » avec son établissement bancaire et, de ce fait, va trouver opportun de poursuivre sa relation.

3.1.2. La hiérarchisation de l’influence des normes

Les données montrent également le rôle différencié de chacune des normes contractuelles dans la gouvernance des échanges bancaires.

Ainsi, les données quantitatives permettent de hiérarchiser l’influence de chacune des normes contractuelles (cf. Figure 2) : la norme qui impacte le plus la volonté de maintenir la relation est celle d’Intégrité du rôle. Ainsi, l’antériorité des échanges a un effet positif sur le désir de poursuivre la relation ; ceci s’explique notamment par une connaissance réciproque des modes de fonctionnement, par des implications dans des projets passés communs qui ont permis de développer la maturité et la satisfaction de la relation. Ces résultats convergent avec ceux issus des études de cas tant pour l’intégrité du rôle du dirigeant que pour l’intégrité du rôle du chargé d’affaires. Ces résultats sont également convergents avec ceux de Durif (2007) qui met en lumière l’importance de la norme Intégrité du rôle dans les relations inter-entreprises, notamment dans le secteur des services financiers.

Figure 2

Force de la relation entre les normes de la relation et la décision de rupture – Étude quantitative en marketing inter-organisationnel[5]

Force de la relation entre les normes de la relation et la décision de rupture – Étude quantitative en marketing inter-organisationnel5

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Par ailleurs, les données collectées dans le cadre de l’étude quantitative montrent que certaines normes transactionnelles ont autant d’importance pour la continuité de la relation que les normes relationnelles. Ainsi, sur les huit normes évaluées, quatre ont une influence prépondérante : l’Intégrité du rôle et la Solidarité (normes relationnelles) ainsi que la Réciprocité et le Pouvoir (normes transactionnelles).

Les paragraphes précédents ont permis de mettre en exergue l’existence des normes dans les relations bancaires. À présent, il semble important d’envisager de façon concrète leur rôle et leur valeur dans la performance de l’entreprise.

3.2. Le rôle de la gestion relationnelle dans la création de valeur

Charreaux et Wirtz (2006, p. 265) soulignent la nécessité « d’intégrer la dimension cognitive pour apprécier l’impact de la gouvernance sur la création de valeur des entreprises ». Ces auteurs encouragent le développement de grilles de lecture permettant d’apprécier le processus de création dans une perspective cognitive de la gouvernance, susceptible de compléter l’approche disciplinaire traditionnelle. Ainsi, le contrat social proposé par Macneil peut être utilisé, et a été utilisé, comme une grille de lecture spécifique, focalisée sur la création de valeur provenant de la gestion des relations de l’entreprise.

La gouvernance et la création de valeur associée mettent en exergue deux éléments essentiels : l’importance d’une gestion relationnelle comme mécanisme de gouvernance des échanges bancaires et élément central dans le processus de création de valeur (Charreaux, 1997, 1998 ; Wirtz, 2008) et l’accroissement de la valeur partenariale (Dubost, 1996) et également la création de valeur partagée (Porter et Kramer, 2011).

Ces deux éléments concourent à l’amélioration de la performance des entreprises au travers de la gestion relationnelle des échanges.

3.2.1. Une gestion relationnelle comme mécanisme de gouvernance des échanges bancaires 

Dans la lignée de cette position, les résultats des deux études présentées (en finance organisationnelle et en marketing inter-organisationnel) dévoilent que les mécanismes de gouvernance des échanges bancaires s’inscrivent très souvent dans une perspective de gestion intentionnellement relationnelle résultant de la capacité d’action des dirigeants.

Les données collectées dans les deux recherches mettent également en lumière le choix volontaire d’une organisation et d’un fonctionnement relationnels des échanges bancaires de la part des dirigeants de PME.

Ainsi, les données collectées avec un regard « finance organisationnelle » montrent que la proximité relationnelle que les dirigeants entretiennent avec leurs banques n’est pas considérée comme un mode de régulation indépendant, mais comme un mécanisme de gouvernance complémentaire du mécanisme traditionnel de marché. Le rôle des dirigeants est alors essentiel : ils choisissent, initient, impulsent et développent les échanges relationnels en référence aux normes de Solidarité, d’Intégrité de rôle ou de Flexibilité. À titre d’exemple, au regard de la norme de Solidarité, le prix n’est pas le critère essentiel de l’attribution des flux et des crédits.

Le tableau 2 ci-aprés montre, à titre d’exemple, les schémas décisionnels des dirigeants au regard de la norme de Solidarité.

3.2.2. L’accroissement de la valeur partenariale au regard des normes contractuelles

Un très grand nombre de recherches montre l’intérêt pour une entreprise d’établir de véritables partenariats inter-organisationnels. En effet, cette démarche permet généralement d’améliorer les performances et de réaliser des progrès profitant aux deux parties. Comme le rappelle Richomme-Huet (2001), une stratégie relationnelle se fonde sur des relations privilégiées plutôt que sur la concurrence qui devient un facteur de gestion de la relation secondaire par rapport à un « accord scellé de gré à gré et échappant aux règles du marché » (Stratégor, 1991 ; Richomme-Huet, 2001). Ces partenariats permettent à l’entreprise de se procurer des ressources et des compétences sur des marchés, rendus ainsi captifs, reposant sur des accords préférentiels et sur la solidarité. Par exemple, Fenneteau (1990) démontre l’intérêt de mener une coopération durable avec ses fournisseurs plutôt que de continuellement les mettre en concurrence. Cette orientation stratégique permet de limiter le comportement opportuniste des fournisseurs et de stimuler leurs efforts d’innovation et d’investissements.

Tableau 2

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La littérature en finance et marketing bancaire ainsi que les études réalisées par des banques montrent également l’intérêt des échanges relationnels pour accroître l’efficacité des interactions tant du point de vue de la banque que de celui de ses clients. Les deux recherches, présentées dans cet article, explicitent ainsi comment la gestion relationnelle des échanges bancaires est créatrice de valeur partenariale pour l’entreprise. Le développement des normes équivaut à la mise en place d’un code de « bonne conduite » bilatéral qui accroît l’efficacité des échanges (cf. Tableau 3).

Tableau 3

Apports de la gestion relationnelle d’après les normes relationnelles

Apports de la gestion relationnelle d’après les normes relationnelles

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Tableau 4

Les recommandations relatives aux normes relationnelles

Les recommandations relatives aux normes relationnelles

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3.2.3. Vers un ensemble de recommandations

Ainsi, l’analyse des relations bancaires au travers de la grille des normes contractuelles permet de formuler des recommandations précises pour une meilleure gestion des interactions entre le chargé d’affaires et le dirigeant de PME. Le tableau 4, en donne une illustration à partir des normes relationnelles.

Les deux études montrent comment les normes relationnelles peuvent permettre d’identifier, de structurer et de définir le comportement relationnel des clients. Les normes jouent ainsi un rôle clé dans la mise en oeuvre de pratiques de gestion au quotidien plus personnalisées.

Conclusion : les principaux enseignements et prolongements possibles

La réflexion menée dans cet article montre que le cadre d’analyse proposé par Macneil offre une grille de lecture pertinente de la compréhension des mécanismes (particuliers) de coopération et de gouvernance. L’analyse assortie proposée en reposant sur des travaux issus de champs disciplinaires différents (marketing et finance) montre la relative universalité de ce cadre d’analyse au sein des sciences de gestion. En effet, quelle que soit la discipline d’entrée de l’étude, il ressort que l’analyse des relations interpersonnelles peut être réalisée de façon pertinente au travers de cette grille de lecture. Cette analyse est par ailleurs enrichie par la complémentarité des approches qualitatives et quantitatives au sein de l’analyse assortie proposée permettant de mieux définir et développer les normes et outils de mesure des normes contractuelles de Macneil.

L’analyse des différentes catégories de normes montre des différences notables : si les normes transactionnelles reposent généralement sur des objets plutôt formalisés (contrat, bilan, procédures, etc.), les normes relationnelles quant à elles renvoient plus à des modes de communication, des règles ou des pratiques plus informelles (culture, valeurs, qualité des échanges, complémentarité, etc.).

Enfin, la présente recherche montre que l’orientation relationnelle d’une entreprise est peu réfléchie et formalisée. Ainsi, si les dirigeants ne parlent généralement pas explicitement d’une gestion relationnelle, les récits des entreprises étudiées montrent en revanche une mise en oeuvre opérationnelle de cette gestion relationnelle. De ce fait, même s’il n’y a pas de volonté délibérée de gérer globalement les relations, force est de constater que les organisations intègrent quand même cette préoccupation dans leur gouvernance. Les normes contribuent ainsi de fait à la bonne gouvernance des relations qu’elles soient formalisées ou seulement des positions de principe.

Subséquemment, le cadre de Macneil est porteur de valeur pour les entreprises à plusieurs titres : il permet aux entreprises (1) de réfléchir sur les moyens mobilisés dans l’organisation, (2) de les formaliser et (3), de travailler à leur combinaison. En effet, le contrat social fait référence à un dispositif de gestion relationnelle reposant sur l’utilisation conjointe d’une définition et d’une combinaison de normes propres à chaque organisation (mécanismes spécifiques) et à l’environnement dans lequel elle évolue (mécanismes non spécifiques[6]). Au-delà de son utilité pour réaliser un bilan de la gestion des relations de l’entreprise, les normes contractuelles peuvent également servir de cadre prescriptif.

Dans cette perspective, il serait intéressant de mener une réflexion plus large et novatrice sur la pertinence du cadre de Macneil pour l’analyse de l’ensemble des relations de l’entreprise, et pas seulement des relations inter-organisationnelles classiques. Il ouvre notamment d’intéressantes perspectives dans les champs de la gestion des ressources humaines, de la stratégie et de la gouvernance.