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Les avantages des joint ventures internationales sont multiples. Elles permettent de partager les coûts et les risques, d’échanger des informations et des connaissances, de réaliser de transferts de technologie, et de construire ainsi des avantages concurrentiels fondés sur les complémentarités entre les partenaires. Elles offrent également la possibilité d’entrer rapidement sur un marché, de profiter des connaissances d’un partenaire local et de s’adapter à certaines exigences réglementaires. Ainsi, la joint venture est une forme organisationnelle qui offre de nombreux intérêts et à laquelle les entreprises ont un recours fréquent, en particulier dans leur processus d’internationalisation, mais elle est également risquée, instable, et présente des taux de rupture élevés. Différentes études rapportent des taux d’insatisfaction ou d’échec allant de 30 % jusqu’à 70 % (Killing, 1983; Harrigan, 1988; Kogut, 1989; Park et Russo, 1996; Park et Ungson, 1997; Hennart, Kim et Zeng, 1998; Lowen et Pope, 2008). Face à ce paradoxe apparent, un large courant de recherche s’est attaché à comprendre les raisons de rupture des joint ventures. Dans ce cadre, les chercheurs ont en général eu tendance à les considérer comme des entités formées par deux partenaires (Gong, Shenkar, Luo et Nyaw, 2007). Pourtant, des études ont montré l’importance des joint ventures formées entre trois partenaires et plus : suivant les échantillons, elles peuvent représenter jusqu’à 37 % (Hennart et Zeng, 2002) voire 55 % (Makino et Beamish, 1998). Les analyses sur la survie des joint ventures tenant compte des situations de partenaires multiples demeurent assez rares (Park et Russo, 1996; Hennart et Zeng, 2002; Dhanaraj et Beamish, 2004; Delios et Beamish, 2004; Meschi et Riccio, 2008). Le fait le plus troublant n’est cependant pas la rareté des études sur le sujet, mais l’existence d’une contradiction dans les résultats. Suivant les recherches, l’effet d’un nombre de partenaires élevé apparaît négatif, positif, ou non significatif. Afin de résoudre ces contradictions, l’analyse de Valdès-Llaneza et Garcia-Canal (2006) a proposé des avancées déterminantes en démontrant que la prise en compte des effets d’interaction entre le nombre de partenaires et d’autres variables est fondamentale pour comprendre l’influence complexe sur la survie des joint ventures. Leur étude s’est focalisée sur l’existence d’une concurrence entre les partenaires.

Dans la présente recherche, nous proposons de prolonger cette analyse en étudiant les interactions entre le nombre de partenaires et l’âge de la joint venture. L’étude de l’influence du nombre de partenaires sur la survie des joint ventures mérite des approfondissements car elle soulève une opposition entre deux positionnements théoriques. D’un côté, selon une approche par les coûts de transaction, il semble qu’un nombre élevé de partenaires, parce qu’il contribue à augmenter la complexité des relations, devrait avoir une influence négative sur la survie. D’un autre côté, des analyses inscrites dans le cadre de l’approche relationnelle ont contribué à montrer que la multiplicité des partenaires dans les alliances présente de très nombreux avantages et cela devrait donc contribuer à augmenter la probabilité de survie. Dans le cadre de ce débat, notre étude propose des éclairages nouveaux en prenant en considération les effets d’interaction entre le nombre de partenaires et le temps. En effet, des recherches dans le prolongement de l’approche relationnelle ont mis en avant l’influence des processus d’évolution des alliances sur la dynamique partenariale. L’évolution de la joint venture est susceptible de permettre le développement de capacités conduisant à dépasser les inconvénients liés au nombre de partenaires pleinement supportés en début de coopération. Les partenaires pourraient alors profiter des avantages offerts par leur multiplicité. L’effet combiné du temps et du nombre de partenaires a donc une influence positive sur la survie. C’est ce que contribue à démontrer notre recherche en mettant en avant le fait que le nombre de partenaires a un effet négatif sur la survie dans les premières années d’existence de la joint venture, mais, lorsque l’âge de la joint venture augmente, l’influence du nombre de partenaires sur la survie devient positif.

Notre analyse repose sur une étude empirique menée sur un échantillon original dans le cadre des études de survie des joint ventures. Nous étudions le secteur du pétrole et du gaz en Russie. Ce secteur représente plus de 20 % de la valeur des échanges dans le commerce mondial et constitue donc un domaine particulièrement important pour le management international. La Russie est l’un des premiers producteurs mondiaux. Elle détient les plus grandes réserves de gaz au monde et la huitième plus grande réserve de pétrole brut. Suite à la chute de l’empire soviétique, la Russie est entrée dans une phase de privatisation de son industrie pétrolière et gazière. Les tentatives d’investissement direct des entreprises étrangères en Russie dans ce secteur ont en général été infructueuses. Ainsi, bien que tout type d’investissement étranger soit théoriquement possible, les entrées sur le marché se font presque systématiquement en partenariat avec une entreprise locale. De ce fait, le secteur du pétrole et gaz en Russie est particulièrement indiqué pour l’étude des joint ventures. La prise en compte du nombre de partenaires est prépondérante car les joint ventures formées entre plus de deux entreprises sont fréquentes dans le domaine pétrolier et gazier. En outre, il s’agit d’une situation idéale pour une analyse de survie car il est possible de définir une date de début d’étude précise : en effet, l’autorisation pour les entreprises étrangères de créer des joint ventures avec des partenaires locaux a été accordée par la Soviet Joint Venture Law, qui date de 1987.

La première partie de cet article présente le cadre théorique et les hypothèses. Dans la deuxième partie, nous exposons notre méthodologie et décrivons notre échantillon constitué de 86 joint ventures internationales formées en Russie dans le secteur pétrolier et gazier entre 1987 et 2007. Dans les troisième et quatrième parties, nous présentons et commentons les résultats de notre analyse de survie.

Cadre théorique

Dans cette première partie, nous soulignons l’apparente contradiction entre les explications du rôle du nombre de partenaires sur la survie des joint ventures fondées d’une part sur la théorie des coûts de transaction et d’autre part sur la perspective relationnelle. En nous basant sur une approche dynamique des alliances, nous montrons ensuite comment la prise en compte des effets du temps permet de réconcilier ces explications.

Relations entre les partenaires et survie des joint ventures

Les joint ventures ont souvent été définies comme une forme organisationnelle instable. La question de leur survie est au centre de nombreuses recherches. Cette question a été posée depuis longtemps (Franko, 1971), mais elle est aujourd’hui encore au centre des débats (Chung et Beamish, 2010). Les risques pesant sur la survie des joint ventures trouvent leurs sources à différents niveaux : l’environnement, la stratégie de chacun des partenaires, le climat organisationnel de la joint venture et la relation entre les partenaires. Face à la multiplicité et la complexité des facteurs influençant la survie, deux types d’études empiriques ont été développées. Certaines proposent d’intégrer un maximum de variables afin de proposer une perspective holistique (par exemple Makino, Chan, Isobe et Beamish, 2007 et Lowen et Pope, 2008). D’autres reposent sur la décision de focaliser l’analyse sur un ensemble réduit de facteurs d’influence afin d’obtenir une compréhension précise de leur rôle individuel (par exemple Blodgett, 1992, Barkema et Vermeulen, 1997 et Meschi, 2009). C’est le choix que nous avons fait dans la présente étude. Notre analyse se centre sur les variables liées à la relation entre les partenaires et notre objectif plus particulier est de comprendre l’effet de l’interaction entre le temps et le nombre de partenaires sur la survie.

Dans le cadre de l’analyse des variables liées à la relation entre les partenaires, des avancées importantes ont été proposées, mais les résultats semblent parfois contradictoires et il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver. En effet, la relation entre les variables étudiées et la survie ne peut être correctement interprétée que si l’on tient compte des modes de mesure des variables. En outre, la diversité des échantillons étudiés contribue à ajouter de la variété dans les résultats et démontre l’importance du contexte pour la compréhension des facteurs d’influence sur la survie des joint ventures. Dans le tableau 1, nous présentons un ensemble de recherches passées en précisant l’échantillon étudié. Etant donné le cadre de notre étude, nous avons sélectionné les recherches qui proposent une analyse d’un ensemble de variables liées à la relation entre les partenaires. Ensuite, nous présentons une synthèse dans le tableau 2, qui permet d’identifier les principales variables et qui met en avant la diversité des résultats des analyses portant sur l’influence de ces variables sur la survie des joint ventures.

Le tableau 1 fait apparaître des différences dans les résultats en termes de taux de rupture des joint ventures. Celles-ci peuvent s’expliquer par le choix de l’échantillon utilisé pour l’analyse. Cependant, le tableau 1 montre que, si l’on excepte quelques études, les analyses portent en général sur des échantillons de joint ventures conclues par des firmes américaines ou par des firmes japonaises (14 études sur les 20 présentées). Ceci illustre la difficulté d’obtention des données et de construction d’un échantillon dans ce domaine d’étude et démontre également l’importance de proposer des analyses sur de nouveaux échantillons afin de tester les résultats dans différents contextes.

Tableau 1

Etudes de survie portant sur la relation entre les partenaires

Etudes de survie portant sur la relation entre les partenaires

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Les informations présentées dans le tableau 2 illustrent les contradictions dans les résultats des recherches passées. Les études montrent qu’une répartition égale des parts détenues par les partenaires a en général une influence négative ou aucune influence sur la survie. Cependant, une étude identifie une influence positive (Dhanaraj et Beamish, 2004). Les résultats des analyses de l’effet de la distance culturelle et des différences entre partenaires en termes d’âge et de taille sont particulièrement contradictoires. En revanche, les études (mise à part celle de Valdès-Llaneza et Garcia-Canal, 2006) identifient en général un effet positif de l’existence de relations passées entre les partenaires. L’effet de l’existence d’une concurrence entre les partenaires (mesurée par la similarité des activités) est, dans la majeure partie des études, soit négatif ou soit non significatif. Il en va de même pour l’influence de la similarité des activités entre la joint venture et les parents. En ce qui concerne le nombre de partenaires, les résultats des recherches passées présentent un important contraste. Certaines études identifient un effet négatif du nombre de partenaires sur la survie (Makino et Beamish, 1998; Hennart et Zeng, 2002; Delios et Beamish, 2004), d’autres un effet positif (Park et Russo, 1996; Dhanaraj et Beamish, 2004), d’autres aucun effet significatif (Meschi et Riccio, 2008), d’autres encore un effet qui peut être soit négatif lorsque la variable est considérée seule, soit positif lorsqu’on tient compte d’interactions avec d’autres variables (Valdès-Llaneza, Garcia-Canal, 2006).

Tableau 2

Influence des variables liées à la relation entre les partenaires

Influence des variables liées à la relation entre les partenaires

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Les éléments présentés dans le tableau 2 montrent les contradictions dans les résultats des études passées. Ceci souligne l’intérêt de proposer des analyses sur des variables spécifiques en vue d’affiner la compréhension de leur influence sur la survie. Le tableau 1 montrait par ailleurs l’importance de proposer de nouveaux terrains d’étude empirique. Ces deux constats sont à l’origine de notre étude. Nous proposons d’analyser l’influence d’une variable spécifique (le nombre de partenaires) en prenant en compte les effets d’interaction avec une autre variable (l’âge de la joint venture), et en menant l’analyse empirique sur un échantillon original : les joint ventures conclues dans le secteur pétrolier et gazier en Russie.

L’influence du nombre de partenaires : perspectives transactionnelle et relationnelle

L’application de l’approche par les coûts de transaction à l’étude des joint ventures suggère que le nombre de partenaires tend à avoir un effet négatif sur la performance et la survie. Un nombre plus important de partenaires peut conduire à augmenter les coûts et les risques liés aux transactions (Hennart, 1988; Parkhe, 1993). Plus il y a de partenaires dans une joint venture, plus le risque de conflit et la probabilité de défection augmentent (Gulati et Singh, 1998). En effet, la probabilité de dysfonctionnement de la relation dyadique est plus importante car le nombre de relations deux à deux entre les parents est plus élevé lorsqu’il y a plusieurs parents (Garcia-Canal et al., 2003). Il est également plus difficile et plus coûteux de contrôler la performance, ce qui augmente les tentations de comportements opportunistes (Garcia-Canal et al., 2003) et réduit les motivations de chaque partenaire individuel à contribuer au fonctionnement de la joint venture (Gong et al., 2007). En outre, les systèmes de communication et de management risquent d’être moins efficaces, car il est plus complexe de coordonner les employés et d’uniformiser les règles et procédures provenant d’organisations multiples et diverses. Ainsi, suivant l’approche transactionnelle, les joint ventures formées par un nombre important de partenaires devraient avoir moins de chances de survie du fait de coûts de coordination plus élevés, d’une probabilité de conflit plus grande, d’un risque d’opportunisme plus important et d’une probabilité plus réduite que chaque partenaire réalise ses propres objectifs (Garcia-Canal et al., 2003; Hennart et Zeng, 2002).

Cependant, la perspective relationnelle suggère une conception différente de l’influence du nombre de partenaires. Elle repose sur la prise en compte du rôle central des alliances dans la création et le développement des compétences des entreprises. Dyer et Singh (1998) identifient quatre facteurs permettant de développer des avantages spécifiques à la relation qui permettront de dégager ce qu’ils nomment des rentes relationnelles : la mise en place d’actifs spécialisés spécifiques à la relation, le développement de processus de partage et d’échange d’informations qui permettent un apprentissage conjoint, l’existence d’effets de synergie liés à la complémentarité des ressources des partenaires, et la mise en place de mécanismes de gouvernance et de mécanismes informels de management adaptés à la relation. Lorsque sur un marché la réalisation des activités exige la mobilisation d’un vaste ensemble de compétences spécialisées, la source d’avantages concurrentiels se trouve dans les capacités à coordonner des compétences externes qui reposent sur le partage de ressources et la création de compétences en commun (Powell et al., 1996). Les coopérations inter-firmes sont en effet sources d’apprentissages multiples (Kanter, 1994; Powell, 1998; Kale et al., 2000). Pour augmenter les opportunités d’apprentissage, les entreprises ont intérêt à créer un nombre élevé de partenariats ou à participer à des coopérations ou des réseaux dans lesquels le nombre de partenaires présents est élevé (Powell et al., 1996; Lavie, 2006). Selon l’approche relationnelle, on peut ainsi considérer qu’une multiplicité de partenaires dans une joint venture conduit à une augmentation de la quantité de ressources qui peuvent être mises en commun. En outre, un nombre élevé de partenaires augmente les opportunités d’apprentissages. Les coûts et les risques sont partagés entre les partenaires et les opportunités de marché sont plus importantes (Lane et al., 2001). Ainsi, il est possible que le nombre de partenaires puisse avoir une influence positive sur la performance et la survie des joint ventures si les avantages issus de la présence de partenaires multiples dans la relation permettent de compenser les inconvénients liés aux coûts de transaction (Gong et al., 2007).

Analyse des effets du nombre de partenaires sur la survie : des résultats controversés

Dans leur étude sur un échantillon de 97 joint ventures japonaises basées aux Etats-Unis, Hennart et Zeng (2002), ont montré que les joint ventures formées entre plus de deux parents présentent une probabilité de liquidation plus importante. L’étude de Delios et Beamish (2004) portant sur des joint ventures établies par des entreprises japonaises a également identifié un taux de rupture supérieur pour les joint ventures formées par des partenaires multiples (40 %) comparées aux joint ventures formées entre deux parents (29 %). Cependant, l’étude de Meschi et Riccio (2008), menée sur un échantillon de 234 joint ventures internationales au Brésil, a montré une absence d’influence du nombre de partenaires sur la survie. Valdés-Llaneza et Garcia-Canal (2006), dans leur analyse de survie sur un échantillon de 82 joint ventures conclues par des firmes espagnoles, ont mis en avant que plus le nombre de partenaires augmente, plus la probabilité que le partenaire espagnol se retire de la joint venture est élevé. Cependant, cela est vrai uniquement lorsque les partenaires ne sont pas concurrents. A l’inverse, lorsque les partenaires sont en concurrence, plus le nombre de partenaires est élevé plus la probabilité de survie est élevée. Les résultats de ces études montrent qu’un nombre important de partenaires n’a pas automatiquement un effet négatif sur la survie des joint ventures. Ils ne valident donc que partiellement les propositions inscrites dans la perspective des coûts de transaction.

D’autres études ont proposé des résultats qui contredisent les prédictions fondées sur la théorie des coûts de transaction. Park et Russo (1996) ont montré que plus le nombre de partenaires est élevé, plus le risque de dissolution de la joint venture diminue. Ils expliquent ce résultat par un effet de l’expérience. Selon eux, l’existence de relations passées entre les partenaires joue un rôle positif plus important lorsque la joint venture est créée par des partenaires en nombre élevé. Dhanaraj et Beamish (2004), dans leur analyse portant sur des filiales japonaises, ont trouvé que les joint ventures formées entre plus de deux partenaires ont un risque de dissolution plus faible. Ils expliquent ceci par le fait que le rôle de chaque partenaire individuel est moins important et cela diminue donc le risque de conflit.

La prise en compte de l’effet du temps

Nous avons vu que les résultats des études passées ont été relativement contrastés concernant l’effet du nombre de partenaires sur la survie des joint ventures. Les explications théoriques semblent également contradictoires. Suivant la perspective des coûts de transaction, un nombre de partenaires élevé augmente la complexité, les coûts et les risques, et diminue ainsi la probabilité de survie. Cependant, les arguments fondés sur l’approche relationnelle suggèrent que le nombre de partenaires peut avoir des effets positifs sur la survie.

Une relation n’est pas un élément statique et elle est par nature conduite à évoluer. Ainsi, plusieurs auteurs ont proposé une approche dynamique des alliances démontrant que le temps a un effet sur la nature des relations entre les partenaires. Ariño et de la Torre (1998) et Koza et Lewin (1998) ont proposé d’étudier les alliances en fonction des stratégies d’adaptation des partenaires. Ring et Van de Ven (1994) ont mis en avant les processus formels et informels consistant en étapes de négociation, engagement et implémentation, qui permettent aux partenaires de s’adapter et d’apprendre à sortir de situations conflictuelles. Doz (1996) a décrit les processus d’apprentissage qui aident les partenaires à mieux comprendre l’environnement de l’alliance, mieux travailler en commun, se répartir les tâches et partager les résultats. Ainsi, le temps influence la dynamique relationnelle. La durée de la relation est susceptible d’entrainer un meilleur équilibre relationnel car elle favorise l’émergence d’apprentissages en commun à plusieurs niveaux. Le temps permet tout d’abord de développer un apprentissage lié aux activités de l’alliance. Ceci conduit à une amélioration de la gestion quotidienne de la coopération : les tâches sont mieux réalisées au fur et à mesure que les partenaires acquièrent une expérience dans leur collaboration (Doz, 1996). Cet apprentissage entraine en outre un développement de la connaissance mutuelle entre les partenaires, qui améliore la coopération (Parkhe, 1993; Powell, 1998; Inkpen, 1998). Le temps aide également à apprendre à coopérer, c’est-à-dire à manager le processus d’évolution de l’alliance : les partenaires savent mieux gérer la relation en termes de renégociation et de mise en oeuvre de mécanismes de coordination et de contrôle (Kanter, 1994; Doz, 1996). Cela conduit à l’émergence d’avantages coopératifs (Kanter, 1994) (définis comme la capacité à créer et maintenir une coopération efficace), voire au développement de ce que Lorenzoni et Lipparini (1999) nomment la capacité relationnelle et qu’ils définissent comme la capacité à développer, intégrer et transférer la connaissance entre les différents acteurs dans une coopération. Le temps est par ailleurs un facteur important pour faciliter la mise en place d’une collaboration efficace en favorisant la création d’un climat de confiance, en permettant la mise en place de routines et en réduisant les distances culturelles et organisationnelles entre les partenaires du fait de la répétition des échanges (Gong et al., 2007). La durée de la relation peut ainsi minimiser les effets négatifs liés aux coûts de transaction et favoriser par conséquent l’émergence des effets positifs liés au nombre de partenaires.

Il découle plusieurs constats des analyses présentées ci-dessus. Tout d’abord, la théorie des coûts de transaction conduit à supposer une influence négative du nombre de partenaires sur la survie. Ceci est validé par certaines études empiriques. Cependant, d’autres études prouvent le contraire. Et les arguments de l’approche relationnelle suggèrent une influence positive du nombre de partenaires sur la survie. Il est donc nécessaire d’approfondir l’analyse pour mieux comprendre la complexité de cette relation. En nous appuyant sur la perspective dynamique des alliances, nous proposons de tester l’effet d’interaction entre le temps et le nombre de partenaires. Ceci nous conduit à formuler deux hypothèses. En accord avec les prédictions de la théorie des coûts de transaction, nous émettons l’hypothèse que le nombre de partenaires a en général un effet négatif sur la survie. Suivant les principes de l’approche relationnelle et de la perspective dynamique des alliances, nous proposons l’hypothèse qu’avec le temps, l’effet du nombre de partenaires sur la survie devient positif.

H1. Plus le nombre de partenaires est élevé, plus la probabilité de survie est faible.

H2. Lorsque l’âge de la joint venture augmente, plus le nombre de partenaires est élevé, plus la probabilité de survie est élevée.

Méthodologie et collecte des données

Cette partie présente notre échantillon, les modes de mesure des variables et les principales statistiques descriptives.

Echantillon

Notre échantillon est constitué de joint ventures formées en Russie par des entreprises des Etats-Unis, du Canada et d’Europe de l’Ouest avec des entreprises locales dans le secteur pétrolier et gazier entre 1987 et 2007. Les informations ont été collectées par nos soins dans différentes bases de données et dans la presse économique (essentiellement : Financial Times, The Wall Street Journal, Economic Intelligence Unit, Global Insight Analysis et LexisNexis) ainsi que dans la presse spécialisée sur la Russie et dans l’industrie pétrolière (essentiellement : Upstream, Russia & CIS Energy Newswire, Platt’s, Oil & Gas Journal). Les mots clés utilisés ont été « Joint Venture » ou « JV » et « Soviet Union » ou « Russia » et « petroleum » ou « oil and gas ». Les données ainsi collectées ont été complétées par des vérifications sur les sites internet des entreprises. Dans un premier temps, nous avons recueilli les informations relatives aux caractéristiques des partenaires et de la joint venture. Nous avons alors réuni des données sur 122 entreprises.

Dans une seconde étape, nous avons collecté des données sur la survie. Pour cela, nous avons étudié tout d’abord les bases de données et journaux utilisés dans la première étape. La recherche a été effectuée en Anglais et en Russe pour augmenter les chances de trouver les informations. Toutefois, la quantité de données collectées a été faible. Nous avons ensuite eu accès à une base de données spécialisée (Wood MacKenzie Energy database). Dans la plupart des cas, les informations ainsi recueillies ont dû être complétées par une lecture des sites Internet des entreprises et des rapports annuels de plusieurs années. Il s’est parfois révélé nécessaire de joindre des entreprises au téléphone. Nous avons ainsi obtenu des informations sur la disparition, la date de fin, et les modes de sortie. Ces données sont particulièrement difficiles à obtenir. Notre échantillon a alors été réduit à 86 entreprises.

Mesure des variables

Dans les études portant sur la durée des joint ventures, les modes de mesure les plus fréquemment utilisés sont la longévité et la survie. La longévité représente la durée d’existence de la joint venture de sa création à sa disparition (Leung, 1997; Hennart et al., 1998; Hennart et Zeng, 2002; Valdés-Llaneza et Garcia-Canal, 2006). La survie indique si la joint venture est toujours en opération à une date donnée (Franko, 1971; Makino et Beamish, 1998; Steensma et Lyles, 2000; Dhanaraj et Beamish, 2004; Xu et Lu, 2007; Duan et Juma, 2007; Meschi et Riccio, 2008; Lowen et Pope, 2008). On distingue la survie et la longévité de l’instabilité qui représente un changement dans la répartition des parts (Gomes-Casseres, 1987; Kogut, 1989; Blodgett, 1992). Dans notre analyse, nous étudions la survie. Afin de construire la mesure, nous avons établi dans notre modèle une censure à droite, c’est-à-dire que nous avons décidé d’une date de fin d’étude (2007). Nous avons utilisé les informations de nos bases de données jusqu’en 2010. Nous avons alors considéré comme survivantes toutes les joint ventures dont il était encore fait mention dans la presse ou les rapports annuels des entreprises sur cette période de trois années après 2007. Pour les autres, nous avons recherché la dernière date à laquelle la joint venture a été mentionnée et nous avons collecté les informations permettant d’établir sa disparition (seuls les cas pour lesquels la disparition a été officiellement établie ont été retenus). La disparition équivaut dans notre étude aux modes de sortie suivants : dissolution, acquisition de la structure par l’un des partenaires, cession de la structure à un tiers (Hennart et Zeng, 2002; Valdes-Llaneza et Garcia-Canal, 2006; Meschi et Riccio, 2008). Dans les deux derniers cas, la structure (la joint venture) existe toujours, mais la coopération entre l’ensemble des partenaires présents initialement est terminée.

Notre étude est centrée sur une variable explicative principale : nombre de partenaires. Pour la mesurer, nous avons utilisé une variable continue indiquant le nombre de partenaires à la date de création de la joint venture. Cette mesure présente une limite car elle ne permet pas de prendre en compte l’évolution du nombre de partenaires au cours de l’existence de la joint venture. Toutefois, cette limite se retrouve dans toutes les études passées car celles-ci se basent systématiquement sur un recueil des données à la date de création. La seule différence de mesure du nombre de partenaires dans ces précédentes études réside dans le fait d’utiliser soit une variable binaire prenant la valeur 1 lorsqu’il y a plus de deux partenaires (Makino et Beamish, 1998; Hennart et Zeng, 2002; Delios et Beamish, 2004; Dhanaraj et Beamish, 2004), soit une variable continue (Park et Russo, 1996; Valdès-Llaneza et Garcia-Canal, 2006; Meschi et Riccio, 2008). Nous avons utilisé cette seconde mesure car elle permet une analyse plus précise. Afin de tenir compte des effets du temps, nous avons estimé le modèle en incluant la variable d’interaction « Log age x nombre de partenaires ». L’âge de la joint venture est mesuré par le calcul suivant : « date de disparition - date de création ».

Nous avons utilisé comme variables de contrôle dans notre modèle la plupart des variables prises en compte dans les recherches passées portant sur les liens entre survie de la joint venture et relation entre les partenaires, que nous avons présentées dans le tableau 2 (répartition des parts, distance culturelle, taille, expériences passées, similarité des activités entre les deux parents et entre chaque parent et la joint venture, présence de l’Etat dans le capital du parent étranger). Nous n’avons cependant pas pu prendre en compte les variables relatives à la différence d’âge et de taille entre les partenaires car les données concernant le partenaire russe étaient soit indisponibles soit non pertinentes (en particulier pour les entreprises ou institutions détenues par l’Etat). Nous avons par ailleurs ajouté certaines variables qui permettent de contrôler des effets spécifiques au secteur étudié. Dans le tableau 3, nous précisons les mesures utilisées pour chacune des variables de contrôle en indiquant les recherches passées ayant proposé la même mesure. Pour les variables liées à l’activité, nous avons créé une mesure particulière à notre étude car nous avons distingué quatre types d’activités dans le secteur analysé (exploration, exploitation, raffinage, distribution). Nous avons ainsi pu calculer un indice de similitude entre les activités des entreprises étudiées. Notre mesure est donc différente de celles utilisées dans les recherches passées (Park et Russo, 1996; Hennart et al., 1998; Lu et Xu, 2006; Duan et Juma, 2007). Pour l’expérience pays et l’expérience internationale, les données disponibles n’étaient pas suffisamment précises pour construire des mesures identiques à celles proposées dans les recherches passées qui comptent soit le nombre de filiales (Barkema et Vermeulen, 1997; Dhanaraj et Beamish, 2004; Makino et al., 2007), soit le nombre d’années d’investissement dans le pays (Delios et Beamish, 2001; Lu et Hébert, 2005; Lowen et Pope, 2008; Meschi, 2009). Cependant, nous avons pu collecter assez d’informations pour utiliser des variables binaires afin de mesurer l’expérience pays au niveau des partenaires étrangers (1 = au moins l’un des partenaires étrangers a une autre joint venture dans le secteur pétrolier en Russie) et l’expérience internationale au niveau des partenaires russes (1 = au moins l’un des partenaires russes a une autre joint venture dans le secteur pétrolier en Russie avec un partenaire étranger).

Tableau 3

Mesure des variables

Mesure des variables

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Statistiques descriptives

Le tableau 4 présente les statistiques descriptives sur les variables étudiées. Environ 35 % des joint ventures de notre échantillon sont formées entre plus de deux partenaires (une proportion que l’on retrouve dans l’étude de Hennart et Zeng (2002) sur un échantillon de joint ventures japonaises aux Etats-Unis, et dans la recherche de Valdès-Llaneza et Garcia-Canal (2006) portant sur des entreprises espagnoles). On peut remarquer que les partenaires ont dans près de 42 % des cas une expérience de coopération préalable, ce qui tient au nombre relativement réduit d’acteurs dans le secteur. En général, le partenaire étranger a une autre expérience de coopération en Russie, et le partenaire russe une expérience de coopération avec des étrangers (respectivement 71 % et 72 %).

Tableau 4

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

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Le tableau 5 présente la matrice de corrélation des variables étudiées. En général, les variables ne sont pas corrélées entre elles. Nous pouvons cependant remarquer que l’expérience des alliances internationales par le partenaire russe est corrélée avec l’expérience préalable construite entre les partenaires. Ceci est logique car l’existence de joint ventures entre les partenaires apporte au partenaire russe une expérience des alliances internationales. En outre, il existe une corrélation entre l’indice de similarité des activités des partenaires et l’indice de similarité des activités entre le partenaire russe et la joint venture. Afin de vérifier que ces corrélations n’ont pas d’impact sur le modèle étudié, nous avons réalisé des tests VIF (variance inflation factor) sur les variables. Ce test permet de vérifier qu’il n’y a pas d’influence croisée entre les variables du modèle. Cette absence d’influence conditionne la possibilité d’application du modèle de survie. Dans notre cas, les valeurs obtenues sont très faibles, les scores sont compris entre 1,19 et 1,72 (la valeur maximale acceptable étant de 10).

Tableau 5

Matrice des corrélations

Matrice des corrélations

* : p < 0,05; ** : p < 0,01; *** : p < 0,001

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Modèle statistique utilisé

Nous avons utilisé, sous StataSE, un modèle de Cox pour tester nos hypothèses. Le modèle de Cox (dit modèle des risques proportionnels) est une analyse multivariée qui permet de mesurer l’impact relatif des variables explicatives sur la probabilité d’occurrence d’un événement (ici, la disparition de la joint venture). C’est la méthode généralement utilisée dans les études de survie des joint ventures (voir par exemple Kogut, 1989; Hennart et al., 1998; Dhanaraj et Beamish, 2004; Lu et Hébert, 2005; Valdes Llaneza et Garcia Canal, 2006; Xu et Lu, 2007, Lowen et Pope, 2008; Meschi, 2009). Dans le modèle de Cox, on compare les joint ventures entre elles en calculant le risque qu’un événement (la disparition) se produise au cours des périodes couvertes par l’étude. Dans le cadre de notre analyse, ce risque est exprimé par la probabilité pour une joint venture existant à une date donnée de disparaître dans la période qui suit. Il est calculé systématiquement pour toutes les périodes. Nous utilisons des périodes mensuelles. Le modèle calcule ainsi la probabilité de disparition d’un mois sur l’autre par accumulation du risque (représenté par le coefficient). Le coefficient calculé permet donc de tester l’influence de chaque variable sur la probabilité de disparition. Le modèle de Cox repose sur le principe de proportionnalité des risques, ceci permet de comparer des joint ventures d’un âge différent ou apparaissant à des périodes différentes. Les résultats de notre étude sont présentés dans le tableau 6. Un coefficient positif indique que la variable augmente le risque de rupture.

Tableau 6

Résultats de l’analyse de survie

Résultats de l’analyse de survie

* : p < 0,5; ** : p < 0,01; *** : p < 0,001

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Résultats et discussion

Nous avons analysé deux modèles. Nous avons mesuré la précision des coefficients (représentée par le p.) et la qualité globale du modèle (représentée par le loglikehood et la précision du prob>chi2).

Le modèle 1 concerne l’analyse du taux de risque des joint ventures en fonction du nombre de partenaires. Les résultats valident notre hypothèse 1. Plus le nombre de partenaires est élevé, plus la probabilité de survie est faible. Ceci est conforme aux propositions de la théorie des coûts de transaction qui propose un ensemble d’explications. Un nombre de partenaires élevé implique des rivalités et risques de conflits plus importants du fait de la multiplicité des relations dyadiques (Gulati et Singh, 1998; Garcia-Canal et al., 2003). Cela entraîne également une complexité plus grande dans le management des relations. Les procédures sont difficiles à harmoniser et les systèmes de communication, de management et de prise de décision peuvent être moins efficaces. Les risques de comportements opportunistes sont plus importants car il est difficile de contrôler la contribution de chacun. Le management et la mesure de la performance sont plus difficiles et plus coûteux (Gong et al., 2007). Ces différents coûts et risques liés aux relations entre les partenaires affectent la probabilité de survie de la joint venture.

Le modèle 2 permet d’étudier l’effet d’interaction entre le nombre de partenaires et l’âge de la joint venture. Les résultats valident notre hypothèse 2. Lorsque l’âge de la joint venture augmente, plus le nombre de partenaires est important, plus la probabilité de survie de la joint venture est élevée. Ce résultat permet de prolonger la recherche de Valdez-Llaneza et Garcia-Canal (2006) qui ont démontré l’importance des effets d’interaction entre le nombre de partenaires et un ensemble de variables. La prise en compte de l’effet du temps est originale et les résultats sont intéressants en ce sens qu’ils démontrent que l’âge a un effet modérateur sur la relation entre le nombre de partenaires et la survie. Lorsque la variable nombre de partenaires est mise en interaction avec l’âge, son effet sur la survie devient positif. Ceci permet de proposer une complémentarité entre les explications fondées sur l’approche par les coûts de transaction et celles soutenues par l’approche relationnelle en utilisant une conception dynamique des alliances. Dans les premières années de la joint venture, les partenaires n’ont pas d’expérience de coopération. Les difficultés liées à la coopération telles qu’elles ont été soulignées par l’approche fondée sur les coûts de transaction sont exacerbées par le fait que les partenaires sont nombreux (Parkhe, 1993; Hennart et Zeng, 2002; Garcia-Canal et al., 2003; Gong et al., 2007). Nos résultats montrent effectivement que, dans les premières années de la joint venture, un nombre plus important de partenaires entraîne une probabilité de disparition supérieure. En revanche, nos résultats indiquent que lorsque l’âge de la joint venture augmente, un nombre de partenaires élevé entraîne une probabilité de survie supérieure. Cette probabilité de survie supérieure s’explique par les arguments apportés par l’approche relationnelle. Un nombre important de partenaires augmente les opportunités d’apprentissage, accroît la quantité et la diversité des ressources qui peuvent être mises en commun et distribue plus largement les risques et les coûts (Powell et al., 1996; Lane et al., 2001; Lavie, 2006; Gong et al., 2007). L’effet du temps peut être expliqué par une approche dynamique des alliances. Le temps permet de développer un apprentissage lié aux activités de l’alliance, d’améliorer la connaissance mutuelle, d’apprendre à coopérer et ainsi à mieux manager la relation. Le temps contribue également à créer un climat de confiance et à faire émerger des routines minimisant les distances organisationnelles et culturelles entre les partenaires (Parkhe, 1993; Doz, 1996; Powell, 1998; Inkpen, 1998; Gong et al., 2007).

Parmi les variables de contrôle, seule l’existence d’un transfert de technologie prévu au contrat a une influence sur la survie. Cette influence est négative. Ceci contribue à souligner la nature particulière des joint ventures. Certains projets sont inscrits dans le temps et leur réalisation signifie l’atteinte des objectifs assignés à la joint venture. Mais ceci implique également une disparition de la justification de l’existence de cette joint venture. Ainsi, la disparition est programmée et elle est le signe d’une atteinte des objectifs. Elle signifie donc un succès et non un échec (Gomes-Casseres, 1987; Makino et al., 2007).

D’un point de vue théorique, nos résultats apportent deux contributions principales. D’une part, ils permettent de développer l’analyse de l’effet du nombre de partenaires sur la survie des joint ventures. Les études passées ont apporté des résultats contradictoires. Nos résultats démontrent l’importance de considérer les effets d’interactions entre le nombre de partenaires et le temps pour dépasser ces contradictions. D’autre part, la prise en compte de l’influence du temps permet de proposer une mise en relation des explications du rôle du nombre de partenaire dans le management des alliances fondées, d’un côté, sur l’approche par les coûts de transaction et, de l’autre, sur la perspective relationnelle. D’un point de vue managérial, nos résultats permettent d’apporter de nouvelles justifications à l’attitude de fair-play dans les joint ventures (Prévot et Meschi, 2006). L’explication de l’intérêt de cette attitude repose sur l’idée que, même si les conditions initiales semblent défavorables, jouer le jeu de la coopération en bon partenaire peut se révéler utile car des opportunités inattendues peuvent apparaître avec le temps. Cette attitude semble trouver une justification particulière dans le cadre des coopérations à partenaires multiples. Les conditions initiales sont en général difficiles du fait de la présence de nombreux partenaires. Pourtant, tenir compte de l’effet positif du temps et prolonger le partenariat peut permettre de profiter des avantages liés à cette multiplicité des partenaires.

Il convient de nuancer les résultats de notre analyse en tenant compte de la nature particulière du secteur étudié. Le secteur pétrolier est une industrie spécifique, car plus de 50 % des sites d’extraction et 60 % des pipelines sont construits grâce à des joint ventures. Les travaux de Kent (1991) sur l’industrie pétrolière aux Etats-Unis montrent que l’objectif est plus la recherche d’un effet de taille et de mise en commun de capacités qu’une recherche de synergies entre les ressources. L’influence du nombre de partenaires mise en avant dans nos résultats peut donc être liée à l’effet de taille. Dans notre échantillon, les joint ventures à partenaires multiples sont nombreuses (35 % des joint ventures de notre échantillon ont été conclues entre 3 partenaires ou plus, et, plus particulièrement, les joint ventures avec plus de 4 partenaires représentent 13 % de l’échantillon) mais nous constatons que les partenaires n’ont aucune activité en commun uniquement dans 12 % des cas : ceci confirme que les joint ventures sont orientées vers des objectifs de mise en commun des capacités, et non vers une recherche de complémentarités. Cela tend à diminuer l’explication relative à une combinaison des ressources et à une augmentation des opportunités d’apprentissage fondée sur l’approche relationnelle. L’effet de multiplicité des partenaires semble plus limité à une recherche d’augmentation de la taille et des niveaux d’investissement. Cet effet de taille peut s’expliquer dans le contexte russe en particulier par la dimension du territoire à couvrir et par les risques liés à l’improductivité des champs pétroliers. Une autre explication de l’importance de la taille tient à la nécessité d’avoir un fort pouvoir de négociation pour obtenir l’accès au réseau de pipeline (géré par Transneft). En outre, la taille permet de faciliter les relations avec les autorités. Ainsi, les joint ventures de petite taille ont en général un succès limité (Katsioloudes et Isichenko, 2007). L’influence positive du nombre de partenaires sur la survie des joint ventures dans le secteur pétrolier russe pourrait donc être essentiellement liée à un effet de taille. Ceci limite la portée de l’explication par l’approche relationnelle.

L’industrie du pétrole confère au partenaire russe un avantage spécifique lié à la présence de ressources naturelles. La firme étrangère, quant à elle, contractualise une coopération sur les bases de ses avantages spécifiques (compétences en extraction ou technologie de recherche). Pour des raisons réglementaires, la firme étrangère doit investir par joint-venture. Ainsi, suivant le modèle proposé par Hennart (2009), les ressources potentielles possédées par le partenaire russe peuvent être considérées comme des actifs complémentaires, et le marché russe du pétrole, compte tenu de sa complexité, n’est pas un marché efficient pour les firmes étrangères (en particulier du fait de la dépendance vis-à-vis du partenaire russe pour l’accès aux ressources, du rôle de l’Etat et des barrières règlementaires). Ces particularités influencent donc la survie des joint ventures. Les travaux de Hennart (2009) viennent aussi nourrir l’idée qu’un transfert de technologie (et donc de l’avantage spécifique de la firme étrangère) peut mener à la fin de la joint-venture (par acquisition des parts du partenaire étranger).

Par ailleurs, étant donné la spécificité de notre secteur d’étude, l’absence de prise en compte des effets de période constitue une limite à notre analyse. Les investissements dans le secteur pétrolier russe peuvent être divisés en trois vagues (Heinrich, Kusznir et Pleines, 2002) : 1984-1994; 1994-1998 et 1998-2002. Même si aujourd’hui les joint ventures restent un mode d’investissement privilégié, leur nombre n’a cessé de décroître depuis 1998 (date qui correspond à la remontée de la production de pétrole en Russie). Plusieurs raisons sont avancées : évolutions de l’environnement légal, émergence d’une nouvelle forme d’accord basée sur des contrats de production conjointe, baisse du prix du pétrole à partir de 1998, et volonté des partenaires russes de prendre le contrôle total des joint ventures afin d’en maximiser la rentabilité (Heinrich et al., 2002). En outre, une autre limite de notre analyse tient à l’absence de prise en compte de la dynamique concurrentielle. En effet, Kent (1991) considère l’industrie pétrolière comme un oligopole de type II (indice de concentration moyenne, produit simple et global, clientèle complexe). Pour lui, les joint ventures représentent une volonté de limiter l’intensité concurrentielle. Cependant, dans cette dernière décennie, le marché russe s’est fortement concentré pour ne laisser que quelques acteurs mondialement puissants et verticalement intégrés comme Lukoil, Gazprom ou Surgutneftegaz. Cette concentration peut être une raison du faible taux de survie des joint ventures sur le marché russe et peut expliquer que les joint ventures à partenaires multiples ont plus de chance de survivre. Enfin, pour mieux tenir compte des spécificités du secteur, il serait possible, dans le cadre de recherches futures, de prolonger l’analyse au-delà de 2007 et d’ajouter aux trois périodes identifiées par Heinrich et al. (2002) une quatrième période à partir de 2005. En effet, la logique concurrentielle expliquée ci-avant, ainsi que l’arrivée d’une nouvelle réglementation à partir de 2005 (empêchant les joint ventures non détenues majoritairement par une entreprise russe d’exercer des droits d’exploitation), ont entraîné une profonde modification de la dynamique des joint ventures sur le sol russe.

Conclusion

Cet article s’inscrit à double titre dans une réflexion sur les défis du management international à l’aube du XXIème siècle. Les alliances constituent en effet un des modes d’internationalisation principaux. Mieux comprendre la dynamique partenariale est ainsi un objectif majeur de la recherche en management international. Par ailleurs, il est nécessaire que les études dans ce domaine intègrent les spécificités des pays émergents. Ceci nous conduira sans doute à reconsidérer certaines théories développées et testées dans le cadre des économies dites développées. Les résultats de notre analyse empirique portant sur la Russie apportent ainsi un éclairage particulier sur la question du management des alliances internationales.

L’objectif de cet article était d’étudier l’influence du nombre de partenaires sur la survie des joint ventures. Nous avons proposé de tenir compte de l’effet d’interaction entre le nombre de partenaires et l’âge de la joint venture. Nos résultats montrent qu’un nombre élevé de partenaires a un effet négatif sur la probabilité de survie. Ceci confirme les explications théoriques fondées sur une approche par les coûts de transaction. En revanche, nos résultats montrent par ailleurs que lorsque l’âge de la joint venture augmente, un nombre élevé de partenaires a alors un effet positif sur la probabilité de survie. Ceci contribue à justifier les explications proposées par l’approche relationnelle. La prise en compte de l’effet du temps, qui repose sur une conception dynamique des alliances, contribue ainsi à concilier les explications théoriques fondées sur l’approche par les coûts de transaction et celles soutenues par la perspective relationnelle.

Les limites inhérentes à la recherche présentée dans le présent article permettent d’identifier des pistes de recherche pour des études futures. Notre analyse tient compte d’un ensemble de variables liées à la relation et inclut l’âge de la joint venture pour mesurer l’effet du temps. En revanche, elle ne permet pas de proposer une réelle analyse longitudinale et processuelle qui reposerait sur une étude de l’évolution de l’alliance. Elle ne permet pas non plus de comprendre quels sont les types d’apprentissages en commun réalisés par les partenaires. Il manque ainsi des informations sur la conduite des processus d’évolution des joint ventures. Ceci peut être proposé dans le cadre d’une analyse longitudinale de cas de joint ventures créées entre partenaires multiples. Dans le cadre d’une étude quantitative sur base de données, certaines données pourraient être ajoutées afin de mieux prendre en compte les complémentarités des partenaires (type de ressources apportées et existence de synergies entre ces ressources). Une étude menée sur la base de questionnaires auprès des partenaires pourrait permettre de vérifier l’existence d’un apprentissage en commun en intégrant des variables telles que le développement d’une confiance mutuelle, la codification des procédures ou l’atteinte des objectifs individuels de chaque partenaire. Afin de mieux comprendre la dynamique de l’alliance, il conviendrait par ailleurs de mieux prendre en compte les parties prenantes et leur influence sur l’évolution de la joint venture. Ceci est tout particulièrement important dans le type de secteur étudié dans la présente recherche. La focalisation sur un secteur particulier constitue en outre une limite qui réduit la possibilité de généralisation des résultats. Ainsi, la recherche présentée pourrait être développée en proposant des analyses similaires menées sur d’autres secteurs afin de vérifier dans quelle mesure les résultats sont liés aux spécificités de l’échantillon. Enfin, une amélioration de certaines variables pourrait apporter plus de précision dans les résultats. En premier lieu, il serait intéressant de tenir compte de l’évolution du nombre de partenaires au cours de la joint venture. Il serait également envisageable d’étudier non pas la survie mais l’instabilité de la joint venture (en tenant compte des variations dans la répartition des parts). En outre, un apport dans la précision des résultats pourrait provenir d’une étude qui distinguerait les différents modes de sortie et s’inscrirait ainsi dans le courant de recherche récent qui montre que la fin d’une joint venture n’est pas nécessairement associée à un échec.