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Le stress au travail, considéré comme un risque psychosocial majeur (OIT, 2016; INSEE, 2011), correspond à « une perturbation de l’individu pouvant être reliée à sa situation dans l’organisation ou à une modification de celle-ci, requérant l’adaptation de l’individu à des demandes nouvelles » (Aubert & Pagès, 1989, pp. 56-57). Cette situation de déséquilibre occasionne d’une part, des risques émotionnels, physiques et psychologiques pour l’individu (Aubert & Pagès, 1989; Schaufeli, Maslach & Marek, 1993), et d’autre part, des coûts conséquents pour les entreprises. Le stress est en effet associé à des taux élevés d’absentéisme et de rotation des salariés, à leur démotivation et à leur engagement dans des comportements contreproductifs (Bakker et al., 2003). Selon une étude de l’Organisation Internationale du Travail, le coût total du stress et de ses conséquences sur l’individu, l’entreprise et la société peut représenter de 1 à 3,5 % du PNB dans certains pays occidentaux (Hoel, Sparks & Cooper, 2001).

Il est aujourd’hui reconnu que tout contexte professionnel est potentiellement un foyer d’exposition au stress pour les salariés. Certains métiers sont d’ailleurs fortement exposés (les métiers d’aide et d’assistance, les métiers de nuit …). Ces dernières années, des alertes fréquentes sont formulées au sujet du stress des cadres (Bouffartigue, 2001; Lancry et al., 2005). L’Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail (2011) estime par exemple que 79 % des cadres-managers en Europe sont affectés par le stress. Les cadres correspondent à un groupe professionnel dont les frontières de métier sont de plus en plus floues du fait de l’élargissement des tâches qui leur incombent (Dubar et al., 2011; Boufartigue, 2001). Elles englobent tant des activités techniques que des aspects relationnels denses dans un contexte qui exige d’eux des niveaux de performance importants (Sassi & Ben Aissa, 2016).

Les études au sujet du stress au travail sont fécondes et différents courants théoriques s’opposent et/ou se complètent pour expliquer les différences de perception de ce risque psychosocial (pour une revue de littérature, voir Sassi, 2011). D’une part, nous trouvons les approches qui mettent en avant les traits de personnalité et la part de variance interindividuelle dans un vécu de stress (Perrewé & Zellars, 1999; Schaubroeck, Ganster & Kemmerer, 1994). D’autre part, certains travaux nous éclairent sur les facteurs liés au contexte de travail qui nuisent au bien-être des salariés lorsque ceux-ci n’ont pas ou plus les moyens de faire face à la situation de déséquilibre. Plusieurs travaux s’inscrivent dans cette perspective (Lazarus & Folkman, 1984; Lazarus, 1995; Maslach, Schaufeli & Leiter, 2001; Schaufeli, Maslach & Marek, 1993).

Ces deux approches du stress paraissent restrictives puisqu’elles présentent l’individu comme un élément « passif » face à son contexte de travail. Or, les salariés sont en interaction active avec les composantes du contexte de travail lorsqu’ils sont exposés à des facteurs stressants (Hobfoll, 2001). La finesse de l’analyse des situations de stress au travail impose donc une lecture davantage axée sur des processus dynamiques d’échanges et d’influences entre les salariés et leur contexte de travail. Une telle démarche de compréhension serait en mesure d’apporter plus d’acuité à l’analyse des perceptions des demandes émanant du travail et devrait permettre ainsi de distinguer les conditions de manifestation de niveaux de stress différents au sein d’une même catégorie professionnelle.

Le modèle du « Job/Demand/Resource » (J/D/R), développé par Bakker et ses collègues (Gorgievski, Halbesleben & Bakker, 2011; Demerouti, et al., 2002; Bakker, Demerouti & Euwema, 2005) semble adéquat pour répondre à cet objectif. Axé sur une vision dynamique des situations de stress au travail, ce modèle apporte un éclairage quant aux interactions entre les « demandes » du travail et les « ressources » mobilisées par l’individu pour contrebalancer la situation de déséquilibre et agir ainsi sur le stress ressenti. L’objectif de cet article est donc d’identifier des configurations d’interaction entre des demandes au travail et des ressources disponibles et mobilisables par les salariés pour expliquer les différences de niveaux de stress exprimés par des individus appartenant à la même catégorie professionnelle. L’enjeu, à ce niveau, est d’envisager une lecture plus fine de ce phénomène afin de sortir des postures pathogéniques qui dominent le champ des risques psychosociaux - et du stress au travail en particulier -, et d’identifier d’une part les facteurs les plus délétères pour le bien-être des salariés et leurs performances, et d’autre part les variables d’action qui peuvent atténuer ces effets négatifs en réduisant l’impact des demandes véhiculées par le contexte professionnel. Dans ce contexte, des combinaisons positives à reproduire dans différentes entreprises pourraient être envisagées.

Pour répondre à cet objectif nous commençons par présenter le modèle du J/D/R, ses fondements et ses spécificités. Nous nous attardons particulièrement sur les notions de « demandes » - principalement la charge de travail – et de « ressources » pour clarifier les paramètres de l’interaction délétère et/ou positive. Nous explicitons par la suite la méthodologie qualitative à laquelle nous avons eu recours. Enfin, nous présentons les résultats de cette étude qui nous permettent de distinguer quatre configurations de vécu de stress par les cadres dans un contexte professionnel.

Cadre Théorique : Le modèle du J/D/R du stress 

Le modèle du J/D/R (Bakker et al., 2003, 2005, 2007, 2013) s’inscrit dans une logique interactionniste du stress. Il trouve ses ancrages tant dans le modèle de Karasek (1979) que dans la théorie de Conservation des Ressources (COR) de Hobfoll (1989, 2001).

Selon le modèle de Karasek (1979), un niveau élevé de contrôle permet de réduire les effets négatifs des demandes du travail sur le bien-être. Il suppose qu’un niveau élevé de demandes associé à un niveau faible de contrôle conduisent à un niveau élevé de stress. La notion de demande couvre les différents aspects du travail, physiques, psychologiques, sociaux et organisationnels qui requièrent un effort physique et/ou psychologique pour y faire face, qui épuisent les ressources physiques et cognitives et qui causent des problèmes de santé (Shirom et al., 2006; Karasek & Theorell, 1990; Demerouti et al., 2002).

La théorie COR (« Conservation Of Resource ») du stress (Hobfoll, 1989, 2001) est une théorie motivationnelle qui admet qu’un individu s’efforce d’obtenir (acquisition), de protéger et d’entretenir les ressources (conservation) qui ont une valeur réelle ou symbolique pour lui. Selon Hobfoll (2001, p. 339), les ressources correspondent à « ces objets, caractéristiques personnelles, conditions ou énergies que l’individu valorise en soi ou qu’il valorise parce qu’elles sont le moyen par lequel il arrive à obtenir une autre ressource ou à protéger et conserver une ressource qu’il possède déjà ». Les ressources possédant ces caractéristiques ont une valeur intrinsèque (symbolique ou réelle) et sont jugées nécessaires pour le maintien du bien-être de l’individu face aux demandes (Gorgievski et al., 2011; Halbesleben et al., 2014).

L’état de stress advient lorsque les ressources sont menacées, perdues ou déstabilisées et lorsque les efforts de l’individu et/ou du groupe ne sont pas suffisants pour faire face à la menace manifeste ou latente. C’est une alternative aux théories du stress qui se fondent sur des processus d’évaluation puisqu’elle suggère, que le stress résulte d’un processus d’échange définissant les gains et les pertes de ressources (Schaufeli, Maslach & Marek, 1993; Halbesleben et al., 2014).

Le modèle du J/D/R puise dans ces deux approches dans la mesure où il appréhende le stress au travers d’une triple interaction entre le contexte du travail, ses demandes spécifiques et les ressources dont un salarié peut disposer (Bakker & Demerouti, 2007; Schaufeli et al., 2009; Bakker, et al., 2005). L’interaction entre l’intensité de la demande et la disponibilité et l’usage des ressources permet, selon ce modèle, de distinguer deux configurations de situations de stress : (1) une demande importante et un manque de ressources vont motiver un processus « énergivore » qui altère le bien-être du salarié; (2) une demande importante mais un niveau élevé de ressources va impliquer une spirale positive au travail qui nourrit la motivation et l’engagement des salariés (Bakker & Demerouti, 2007; Hu, Schaufeli & Taris, 2011).

Les demandes et les ressources mises en jeu dans le modèle du J/D/R peuvent être très nombreuses. Hobfoll a ainsi tenté de recenser les ressources et en a identifié soixante quatorze pertinentes pour expliquer une situation de stress (Hobfoll & Shirom, 1993; Truchot, 2004; Gorgievski & Hobfoll, 2008). Il  en est de même pour les demandes; De sources et de formes variées elles correspondent à toute contrainte perçue comme telle par les salariés (Halbesleben et Buckley, 2004; Demerouti et al., 2001). Analyser toutes ces variables dans une seule étude est donc un objectif trop ambitieux. En cohérence avec notre problématique et notre cible d’étude (les cadres) nous retenons la charge de travail (la demande) et les ressources organisationnelles (les ressources) pour analyser les dynamiques d’interaction permettant de distinguer les différentes configurations de situation de stress.

La charge de travail, élément central des demandes organisationnelles

Différentes études présentent la charge de travail comme une demande importante du contexte professionnel (Molinier, 2009; Fritz & Sonnentag, 2006; Bakker & Demerouti, 2007). L’exposition à une charge de travail importante n’est pas un phénomène nouveau puisque des conditions de travail difficiles ont existé de tout temps, mais elles relevaient principalement d’une astreinte physique. Actuellement, l’accentuation des contraintes psychiques au travail est également prise en compte pour définir ce stresseur organisationnel. La charge de travail couvre ainsi différents aspects qui relèvent des demandes physiques, psychologiques (émotionnelle) et mentales (cognitive) (Halbesleben & Buckley, 2004; Demerouti et al., 2002).

Différents travaux ont permis d’étayer ces composantes et notamment pour les cadres. Par exemple, les demandes physiques sont associées aux sollicitations du corps à cause des rythmes de travail contraignants (Schaufeli & Enzmann, 1998; Demerouti et al., 2001). La charge psychologique de travail est elle associée aux tensions avec les partenaires professionnels, alors que la charge mentale résulte de la concentration nécessaire au traitement des dossiers de fonds (Salengro, 2005), du nombre et de l’urgence des dossiers à traiter et de la contrainte de rendements chiffrés (Spector et al., 1988; Molinier, 2009). Dans une synthèse intéressante, le rapport de l’INSEE (2011) (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques), qui s’intéresse aux causes des risques psychosociaux, révèle les aspects pertinents de la charge de travail tels que l’intensité et la complexité des tâches à exécuter, le temps de travail, les exigences émotionnelles et les rapports sociaux au travail.

Les ressources organisationnelles : disponibilité et usage

Selon le modèle du J/D/R les salariés ne sont pas démunis face aux demandes du travail. Ils sont en mesure de mobiliser des ressources pour préserver leur bien-être. Sommairement, les ressources sont des objets, des états, des conditions, des individus et tout autre élément qui a une valeur pour les salariées (Hobfoll, 1989). Très nombreuses, ces ressources sont soit propres à l’individu, soit à son contexte de travail (un des auteurs, 2011). En général, les ressources propres à l’individu sont relatives à ses traits de personnalité et à son contexte personnel et familial, sur lesquels l’entreprise n’a que peu d’impact. Les ressources associées au contexte de travail sont elles du ressort de l’entreprise qui pourra agir pour renforcer celles qui aident dans une situation de stress. Nous retenons spécifiquement ces ressources organisationnelles dans notre étude : (1) les ressources sociales et (2) les caractéristiques du poste occupé.

Les ressources sociales concernent l’aide et le soutien qui proviennent des partenaires de travail (Halbesleben, 2006). Le recours au soutien social fait partie des stratégies collectives d’adaptation puisque l’individu fait appel aux autres afin de trouver auprès d’eux une assistance émotionnelle et/ou informationnelle pour agir sur le stress (Pelfrene et al., 2002; Halbesleben, 2006; Karasek & Theorell, 1990). Deux catégories de partenaires professionnels peuvent fournir ces supports : le supérieur hiérarchique et les collègues (Halbesleben, 2006). C’est le moyen par lequel la personne se sent soutenue, comprise et appréciée. Cette ressource permet un renforcement positif de l’individu, de ses compétences et de ses réalisations.

Les caractéristiques du poste sont également des ressources pour le salarié. La nature du poste, l’autonomie et la zone de pouvoir dont il dispose sont autant de facteurs lui permettant d’avoir une maîtrise de son travail et donc une plus grande résistance face aux demandes (Bakker et al., 2003; Bakker, Demerouti & Euwema, 2005). Occuper un poste support ou opérationnel, être au sommet de la hiérarchie ou à des niveaux moins importants ne permet pas de disposer des mêmes ressources pour faire face aux demandes du travail. L’autonomie au travail et le pouvoir de décision vont également être déterminants dans le déploiement des ressources du salarié puisque ce sont des facteurs qui conditionnent l’existence d’opportunités et de latitudes d’action sur les demandes imposées par le travail (Shirom, Nirel & Vinokur, 2006; Eisenberger et al., 2001).

Méthodologie de la recherche

Démarche d’enquête

L’objectif de notre recherche étant d’identifier les configurations d’interactions entre demandes et ressources pour définir les niveaux de stress auprès d’une même catégorie professionnelle, nous avons opté pour une démarche d’enquête qualitative. La question du stress au travail est éminemment personnelle (Lazarus & Folkman, 1984; Aubert & Pagès, 1989). La perception des situations de travail stressantes n’est pas un objet visible pour le chercheur qui ne peut l’isoler avec précision qu’en passant par l’analyse des récits et des représentations personnelles des acteurs. Une approche qualitative permet de cerner ces perceptions et le sens attribué à des situations d’interaction complexes (Miles & Huberman, 2003).

Notre étude se base sur des entretiens semi-directifs menés auprès de 20 cadres travaillant dans de grandes entreprises. Nous avons adopté ce format car il permet de mieux analyser le contexte et les logiques d’argumentation des acteurs. Tous les entretiens ont été effectués conjointement par les deux chercheurs sur les lieux de travail des répondants. Les entretiens ont duré en moyenne une heure et quart. Ils ont été enregistrés, puis retranscrits ce qui a permis de constituer un corpus documentaire d’à peu près 370 pages. Il nous a semblé, au fur et à mesure de la conduite et de l’analyse des entretiens, que ce corpus nous permettait d’atteindre un niveau satisfaisant de saturation des informations (Miles & Huberman, 2003).

Le guide d’entretien utilisé a été construit sur la base de l’examen de la littérature traitant de la charge de travail et des ressources organisationnelles à mobiliser selon le modèle du J/D/R. Les principaux thèmes constituant la trame du guide d’entretien sont présentés dans le tableau 1. Les mêmes questions ont été posées à l’ensemble des répondants pour garantir l’homogénéité des aspects couverts.

Caractéristiques de l’échantillon

Cette étude s’intéresse à la population des cadres. La notion de « cadre » renvoie non seulement au statut du salarié (l’intitulé contractuel du poste qui situe le salarié par rapport à un certain nombre d’obligations et de droits spécifiques à cette catégorie professionnelle) mais également aux fonctions qu’occupe le salarié-cadre (encadrement, organisation des activités, définition des objectifs, conduite et suivi des dossiers…). C’est la fonction de cadre qui nous intéresse dans cette étude. Elle nous permet d’inclure dans notre échantillon tout salarié dont les fonctions :

  • le mettent en interaction avec des parties prenantes de son activité professionnelle,

  • qui a des obligations d’encadrement, d’évaluation et

  • qui est soumis à l’atteinte de ses propres objectifs.

Nous avons mobilisé nos réseaux personnels et professionnels pour contacter les participants à cette étude. Des cadres appartenant à l’entourage des auteurs ont ainsi été sollicités pour participer à cette étude et partager leurs expériences et perceptions. Un des auteurs a également sollicité des tuteurs professionnels partenaires de son université et particulièrement du programme en apprentissage afin de participer à notre étude. Le taux de participation est autour de 30 % par rapport aux demandes d’entretiens que nous avons envoyées. Notre échantillon est constitué de 73 % d’hommes, l’âge moyen est de 45 ans et l’ancienneté moyenne dans leurs fonctions est de 14 ans. Les cadres interrogés évoluent dans des secteurs d’activité et sur des fonctions et des niveaux hiérarchiques différents, ce qui nous permet d’avoir une certaine variance interindividuelle des données collectées. Ils sont tous issus d’entreprises internationales. Davantage de détails concernant les entreprises et les fonctions des personnes interrogées figurent au tableau 2.

Analyse des données

Les résultats de notre recherche permettent de distinguer des configurations où s’articulent des paramètres liés à la charge de travail et d’autres liés aux ressources dont disposent les personnes interrogées. En nous inspirant des travaux de Pichault et Nizet (2000), nous considérons que les configurations sont des « constellations de variables qui constituent des types théoriques » (p. 48) ou des « types idéaux d’organisations » (p. 129). Une configuration met l’accent sur la cohérence, sur les éléments d’association existant entre différentes variables. Ainsi quand des variables en interaction s’agencent bien comme dans un puzzle on parle de configuration.

Les deux variables centrales dans notre étude sont la charge de travail perçue par les cadres et les ressources organisationnelles disponibles qu’ils peuvent mobiliser. Pour analyser ces déterminants des configurations à caractériser, nous avons choisi l’analyse de contenu pour le traitement des données (Bardin, 2007). Les données qualitatives recueillies ont été soumises à une analyse thématique transversale qui nous a permis de repérer les thèmes ayant des unités de sens distinctes. Ce choix est porté par les thèmes développés dans les discours qui présentent la perception des personnes interrogées (Bardin, 2007). L’analyse qualitative nous a permis de distinguer les idées les plus (ou moins) importantes et de les justifier par les parties des discours qui les illustrent le mieux. Ainsi, nous avons dégagé des catégories ou thèmes et sous-thèmes regroupant les principales idées exprimées (voir figure 1 et 2). Nous avons donc procédé à un classement thématique des verbatims. Les thèmes retenus s’articulent autour des éléments les plus récurrents dans les différents entretiens. Une analyse de contenu classique, à grille d’analyse catégorielle qui privilégie la transversalité thématique, c’est-à-dire la répétition des thèmes dans les entretiens a été réalisée (Bardin, 2007).

Notre analyse a ainsi suivi une démarche en trois temps :

  1. Une première étape a consisté à analyser les niveaux de stress. Une lecture flottante des verbatims a révélé que les répondants exprimaient des niveaux de stress différents.

  2. Après avoir identifié des similitudes et des différences concernant les niveaux de stress exprimés, nous avons cherché des dimensions structurantes des configurations types. Une première dimension « la charge de travail » proposée par le cadre conceptuel a été utilisée. Elle a permis de caractériser la demande exercée au travail. Une deuxième dimension, « les ressources organisationnelles », a été mobilisée pour comprendre les leviers qui permettent de modérer les perceptions de surcharge de travail et donc d’orienter les niveaux de stress vécu par les cadres interrogés.

  3. Une dernière étape a consisté à faire émerger des configurations des situations plus ou moins stressantes. Il est en effet apparu que les cadres différaient quant au regard qu’ils portent à la charge de travail selon les ressources qu’ils sont en capacité de mobiliser. Cette phase d’analyse nous a permis d’étudier les interactions entre la demande et les ressources. Pour ce faire, nous avons traité chaque répondant comme un cas. Nous avons alors cherché les différences et les récurrences propres à ces cas afin d’en faire une typologie. Ce travail mobilise la typologie descriptive en s’interrogeant sur ce qui peut constituer des types dans le matériau analysé (Elman, 2005).

Tableau 1

Principaux thèmes abordés dans les entretiens

Principaux thèmes abordés dans les entretiens

*Cette question a été posée à la fin de chaque thème concernant les composantes de la charge de travail et les ressources organisationnelles

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Résultats et discussion

Nos résultats nous éclairent d’abord sur la demande véhiculée par la charge de travail qui couvre quatre aspects : le temps de travail; les exigences du poste; les relations avec les partenaires professionnels et les exigences de performance. Les trois premières composantes que nous identifions sont celles que l’on retrouve couramment dans la littérature traitant de la charge de travail. Pour notre échantillon, la quatrième composante (les exigences de performance) apparait comme une dimension à part entière de cette demande au travail.

Concernant la première composante de la charge, le rapport au temps, elle caractérise l’écart entre le temps disponible et celui nécessaire à l’exécution des tâches. Elle s’explique par le nombre important d’activités du cadre et par la variété des tâches qu’il réalise. L’inadéquation entre le temps disponible et celui nécessaire à l’exécution des tâches est à la source d’une perception de surcharge pour les cadres interrogés (Fournier et al., 2010; Molinier, 2009).

Tableau 2

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

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Pour notre échantillon, les exigences du poste se traduisent par cinq principaux facteurs : (1) le rapport quantité de travail/temps d’exécution; (2) l’urgence d’exécution des tâches; (3) la difficulté d’anticipation; (4) la difficulté à trouver des plages de concentration indispensables au travail; et (5) les interruptions fréquentes. Ces cinq facteurs constituent la demande pour un cadre dans la réalisation de ses différentes activités.

Le rapport aux partenaires professionnels peut être une source de difficulté et de demande pour un cadre qui est généralement en rapport avec des partenaires internes (collègues, collaborateurs, clients internes, supérieur hiérarchique, etc.) et des partenaires externes (clients, fournisseurs, administrations publiques, etc.). La charge de travail imputable aux parties prenantes de l’activité des cadres est une charge essentiellement psychologique (Bakker, et al., 2000; Halbesleben & Buckley, 2004). Des rapports tendus, des exigences contradictoires, et/ou une responsabilité par rapport aux résultats des activités des équipes de travail sont autant de facteurs alimentant cette facette de la charge de travail.

La quatrième composante de la charge de travail est associée aux pratiques d’évaluation et de développement des performances et correspond auprès de notre échantillon à la charge induite par : (1) les caractéristiques des objectifs (clarté, chiffrage, caractère réaliste…); (2) l’adéquation entre les exigences en termes de performance et la disponibilité des moyens; et (3) les pratiques d’évaluation des performances. La figure 1 synthétise cette composition de la charge de travail.

Concernant les ressources organisationnelles, nos résultats permettent de distinguer quatre composantes : l’autonomie; la nature du poste; le pouvoir de décision et les ressources sociales (le support des partenaires professionnels).

L’autonomie constitue une ressource qui, selon son degré, permet d’impacter la charge de travail. Assimilée à une caractéristique du travail actif (Karasek, 1979), l’autonomie est un « facilitateur » du travail. Pour notre échantillon l’autonomie se présente selon trois dimensions : la souplesse au niveau de la formalisation du travail; la flexibilité du lieu et du temps de travail et la possibilité d’expression de la créativité du cadre dans la réalisation de son travail.

Egalement, le pouvoir de décision du cadre est un atout pour la gestion de la charge de travail. Il se caractérise par un sentiment de puissance et un engagement fort de la part du cadre. Ainsi, à un niveau hiérarchique supérieur, il a plus d’emprise sur les décisions professionnelles et sur les ressources (Clot, 2008; Vaillant & Wollf, 2010). La nature du poste occupé est également une ressource pour notre échantillon. Elle traduit les noeuds de relations et la contribution du cadre dans l’expression du potentiel dont il est porteur. La quatrième dimension est celle des ressources sociales mobilisées. Elle se présente sous la forme du support apporté au cadre par les autres partenaires professionnels (Halbesleben, 2006; Eisenberger et al., 2001). Ce support est émotionnel et/ou informationnel et couvre les formes de reconnaissances accordées par les pairs dans les processus de renforcement positifs. La figure 2 synthétise la structure des ressources organisationnelles.

La charge de travail et les ressources organisationnelles étant caractérisées, nous avons opéré une analyse des interactions entre ces deux dimensions structurantes pour identifier, au final, quatre configurations types de stress. L’analyse du tableau de synthèse des interactions entre la charge de travail et les ressources organisationnelles ainsi que des configurations des situations de stress qui en découlent nous permet, de prime abord, d’affiner les propositions du modèle du J/D/R. En effet, Bakker et ses collègues (Bakker & Demerouti, 2007; Schaufeli, et al., 2009; Bakker, et al., 2005) présentent deux configurations de situations stressantes au travail : une première négative, où l’individu est face à une charge importante mais ne dispose pas des moyens/ressources pour y faire face; et une deuxième configuration positive, où, l’individu est en mesure de contrebalancer la demande à laquelle il est exposée par le biais des ressources qu’il est en mesure de mobiliser. Nos résultats permettent d’affiner cette lecture puisque nous identifions quatre configurations de situation de stress pour les cadres interrogés : (1) une configuration « stressante »; (2) une configuration « de retrait »; (3) une configuration « prenante » et (4) une configuration « positive ». Les deux premières sont, au sens de Bakker et ses collègues (Bakker & Demerouti, 2007; Schaufeli, et al., 2009; Bakker, et al., 2005), des configurations négatives ou pathogènes, alors que les deux secondes correspondent à des interactions positives entre demandes et ressources.

La configuration « stressante »

Nous retrouvons dans cette configuration les cadres qui décrivent une charge de travail importante et une faiblesse des ressources organisationnelles. Nous avons remarqué qu’il s’agissait des cadres qui produisent un discours critique concernant une charge de travail véhiculée par les comportements des supérieurs. Au-delà des émotions et des griefs personnels que certains peuvent nourrir à l’encontre d’un manager, c’est « l’empêchement du travail bien fait » (Clot, 2008) caractérisé par des difficultés d’anticipation et des objectifs quantitatifs et l’absence de ressources comme l’autonomie et la créativité, etc., qui explique l’état de stress selon cette configuration.

Les cadres dans cette configuration sont également critiques quant aux systèmes d’évaluation injustes qui menaceraient certains individus (Dejours, 2003; Gautier & Husser, 2013). C’est la pertinence même de ces pratiques imposées pour l’évaluation de leur performance qui est questionnée. Des pratiques qu’ils désapprouvent puisqu’ils prennent peu parti à la fixation des objectifs imposés par la hiérarchie. Les personnes correspondant à cette configuration expriment un fort état de stress qu’ils vivent au quotidien. Le support dont ils peuvent disposer de la part de leurs collègues ne suffit pas à modérer l’intensité de cet état de perturbation de leur bien-être.

La configuration « de retrait »

La deuxième configuration exprime une attitude de retrait vis-à-vis du travail. Nous retrouvons cette configuration auprès de deux types de cadre :

  1. chez les cadres des fonctions support qui disposent d’une autonomie dans l’exercice de leur métier. L’autonomie permet de mieux gérer le temps de travail, l’urgence, de disposer d’une marge de manoeuvre quant aux relations avec les partenaires professionnels et enfin d’avoir un droit de regard et de négociation sur les objectifs à atteindre.

  2. chez certains cadres qui, de part leur expérience, ont totalement intégré les routines de travail qu’ils ne questionnent que très peu voire pas du tout. Pour peu que leur engagement envers l’entreprise ou le métier soit calculé ou normatif et non basé sur un lien affectif fort, la distance créée alors avec le travail permet au cadre de cette catégorie de s’épargner et de maintenir le niveau de performance nécessaire (Tadic et al., 2015; Bakker et al., 2005, 2013).

Ce qui est singulier pour cette configuration de stress des cadres c’est l’impact de la nature du poste sur le niveau de stress ressenti. En effet, même s’ils ont une quantité de travail importante, et une marge d’autonomie manifeste, ils ont un statut d’expert dans l’entreprise qui est sollicité certes par diverses parties prenantes mais aussi pour des activités ou tâches le plus souvent similaires, voire répétitives. Le noeud de relation dans lequel ils s’inscrivent est dense mais peu complexe, ce qui réduit largement leur part de créativité. De plus, leur statut de fonction support les prive de la construction d’un lien social fort avec les parties prenantes de leur activité et donc des sources potentielles de reconnaissance et de valorisation de leurs apports.

La configuration « prenante »

Cette configuration correspond à une situation non pathogénique pour les cadres qui, face à une charge de travail importante, disposent d’un éventail de ressources organisationnelles important. Les cadres identifiés dans cette configuration expriment tous un sentiment d’engagement fort. Il s’agit surtout de cadres supérieurs et ceux qui sont impliqués dans des projets stratégiques à forte valeur ajoutée pour l’entreprise. Cette situation caractérise des acteurs avec un pouvoir de décision fort. Ainsi, à un niveau hiérarchique supérieur, ils ont plus d’emprise sur leurs décisions professionnelles et sur leurs ressources (Clot, 2008; Vaillant & Wollf, 2010). Le pouvoir de décision a un impact, dans ce cas, sur la gestion des urgences, sur l’anticipation et sur la gestion des interruptions. Les postes occupés par les cadres de cette configuration leur permettent aussi de définir eux-mêmes leurs objectifs.

FIGURE 1

Composition de la charge de travail

Composition de la charge de travail

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FIGURE 2

Composition des ressources organisationnelles

Composition des ressources organisationnelles

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Tableau 3

Synthèse des interactions charge/ressources et configurations des situations de stress

Synthèse des interactions charge/ressources et configurations des situations de stress

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La configuration prenante est sous-tendue par un paradoxe que soulignent certains répondants au sujet de l’ambivalence de la perception de la demande et des ressources. En effet, le challenge que représente l’atteinte de l’objectif ambitieux et/ou le niveau de responsabilité n’efface pas la demande inhérente à la charge de travail. Ces cadres sont tenus de gérer des demandes multiples, dans des délais serrés et prennent des décisions impactant la performance de l’entreprise. Cependant, ils disposent en contrepartie d’un gain en termes de ressources et notamment le renforcement positif que leur renvoient leurs performances appréciées par leur hiérarchie ainsi que toutes les formes de reconnaissances de leurs pairs. Ces cadres acceptent délibérément de se soumettre à de tels niveaux d’exigence qu’eux-mêmes ont, en partie, contribué à définir.

La configuration « positive »

La seconde configuration non pathogénique des situations de stress des cadres est une configuration positive. Dans ce cas, les cadres s’épanouissent dans le travail en s’inscrivant dans une dynamique positive de la santé au travail. Ils se sentent reconnus dans leur travail non seulement par leurs supérieurs et leurs pairs, mais aussi par la société. Nous retrouvons dans cette catégorie des cadres qui sont dans une situation de surinvestissement par rapport à leurs missions. Ils sont engagés dans des projets stratégiques ou complexes, sont animés par un désir de dépassement de soi et se sentent valorisés par les contributions qu’ils apportent à l’entreprise.

La gestion des urgences, l’anticipation, la concentration et les interruptions sont ainsi fortement impactés par l’importance des ressources (autonomie, pouvoir et nature du poste occupé) dont disposent les cadres dans cette configuration. Cet état d’esprit face aux demandes du travail semble également et surtout en lien avec les diverses formes de reconnaissances dont le cadre peut bénéficier et dont la source est soit les collègues soit le supérieur hiérarchique. En identifiant l’individu et son travail puis en attestant de leurs valeurs respectives et associées, ainsi qu’en les gratifiant (Brun & Dugas, 2005; El Akremi et al., 2009), ces ressources sociales et organisationnelles fournissent les éléments nécessaires à un individu pour mieux gérer les demandes de son environnement et y faire face de façon positive puisque la dynamique d’investissement en ressources est en sa faveur (Halbesleben, 2006; Eisenberger et al., 2001). En effet, le sentiment de perte (face aux sollicitations du travail) perdra de son intensité car le gain en termes d’estime et de reconnaissance sera davantage valorisé.

Conclusion

Notre étude permet de préciser la dynamique d’interaction entre une demande au travail et les ressources organisationnelles que mobilisent les cadres pour y faire face. En cohérence avec le modèle du J/D/R sur lequel se fonde cette recherche, les cadres apparaissent comme des « acteurs » de leur travail et non comme des « victimes » d’une oppression véhiculée par le contexte de travail et ses diverses demandes (Tadic et al., 2015; Bakker et al., 2005, 2013). Ceci permet de sortir des logiques pathogéniques de plusieurs études sur le stress au travail.

Les précisions qu’apportent cette recherche nous permettent des contribuer significativement à la littérature et aux recherches qui mobilisent le modèle du J/D/R et ce grâce à deux apports majeurs : (1) la précision de demandes et de ressources spécifiques au métier de cadre, (2) l’affinement des deux configurations que distingue initialement le modèle du J/D/R (épuisement/engagement).

Les propos riches recueillis nous ont permis en un premier temps de préciser les deux composantes du modèle du J/D/R et d’en identifier la structure pour une population de cadre. Ainsi, la charge de travail couvre différentes dimensions qui tiennent compte des aspects psychologiques, physiques et mentaux reconnus dans divers travaux (Demerouti, et al., 2001; Halbesleben & Buckley, 2004). La demande qu’elle véhicule s’exprime via le rapport au temps en entreprise, les exigences du poste, la difficulté d’interaction avec les partenaires professionnels et l’astreinte ressentie face aux obligations de performance.

Les ressources organisationnelles saillantes pour une population de cadre émanent de l’autonomie traduite par une marge de liberté et de créativité dans la gestion des dossiers, ou encore du pouvoir de décision dont peut jouir certains cadres et qui s’associe aisément au sentiment d’engagement. Parmi les ressources organisationnelles identifiées par nos répondants nous trouvons également la nature du poste qui traduit la densité des noeuds d’interaction du cadre et l’importance de sa contribution à la performance globale de l’entreprise. S’adjoint à ces ressources, celles sociales qui se fondent non seulement sur le support informationnel et émotionnel que procurent les pairs (Pelfrene et al., 2002; Halbesleben, 2006; Halbesleben et al., 2014) mais également sur les formes de reconnaissances qui assurent le renforcement positif dont a besoin un cadre pour faire face aux demandes de son environnement de travail.

Le second apport théorique est associé à l’identification de quatre configurations définissant un continuum allant des situations d’interaction entre demandes et ressources les plus stressantes aux moins stressantes. La logique de gain et de perte que sous-tend l’approche par les ressources (Hobfoll, 2001) et sur laquelle se fonde le modèle du J/D/R prend ici tout son sens. L’étude révèle qu’en dépit d’une certaine hétérogénéité des niveaux de stress, certaines peuvent être identifiées à partir d’une exposition à une charge de travail (associée à une perte en termes d’énergie dépensée mais aussi à un gain au travers de l’atteinte des objectifs par exemple) et une mobilisation des ressources organisationnelles (où le cycle de perte et de gain est également engagé). Les configurations qui ressortent de nos analyses mettent en avant la dualité que suggèrent certains travaux (Bakker, et al., 2005, 2013) entre :

  • d’une part un processus d’échange entre demande et ressource qui va conduire à une détérioration du bien-être (processus énergivore/épuisement); configuration stressante et de retrait;

  • et d’autre part un processus d’échange qui au contraire va nourrir un cycle de gain; configuration prenante et positive (engagement).

Notre recherche présente également un apport méthodologique important. En effet, la plus grande partie des études utilisant le modèle J/D/R se basent sur des méthodologies quantitatives (Xanthopoulou, et al., 2009; Bakker, et al., 2000; Lewig, et al., 2007) pour investiguer les effets indépendants d’une variété de demandes au travail sur la santé, et/ou l’interaction entre une demande spécifique et certaines ressources.

Les études quantitatives menées au sujet du stress ont l’avantage de rendre compte d’interactions causales pertinentes. Or, ces méthodes n’opèrent que si les phénomènes sont isolés et traités de manières interdépendantes. Pour l’analyse du niveau de stress, la complexité du phénomène pousse les approches quantitatives à figer les réalités observées et d’appauvrir ainsi l’analyse des éléments perceptuels et des vécus des participants (Gautier & Husser, 2013; Bellinghausen & Vaillant, 2010; Vaillant & Wolff, 2010). La perception du vécu de niveau de stress n’est pas un objet visible pour le chercheur qui peut l’isoler mais il doit passer par les représentations mentales personnelles des acteurs interrogés ainsi que celles des chercheurs. Le recours à une méthodologie qualitative permet donc de pallier cette limite et d’explorer avec acuité les configurations menant au stress et celles menant au bien-être.

Outre les apports théoriques et méthodologiques, cette recherche présente également des apports managériaux intéressants. En effet, nos résultats permettent aux directions RH et aux cadres managers une meilleure connaissance des variables organisationnelles en interaction qui peuvent perturber le bien-être au travail. En effet, l’identification des composantes de la charge de travail et des ressources organisationnelles pertinentes pour la population de cadre permet des actions ciblées sur les causes du stress et sur les facteurs modérateurs de celui-ci. Ceci permettrait aux praticiens de répondre plus efficacement à leur impératif de prévention et de gestion du stress au travail auquel les entreprises françaises sont soumises[1]. Ainsi, le détail que nous fournissons au sujet des composantes de la charge de travail et des ressources organisationnelles qui interagissent pour définir les niveaux de stress des cadres pourrait être utilisé dans la réalisation du document unique pour les entreprises françaises[2].

De plus, les quatre configurations de stress identifiées, dont deux positives, permettent de relativiser les positions extrêmes qui envisagent le contexte de travail comme un lieu de « souffrance », pour intégrer des dimensions de « plaisir » sur lesquelles les managers peuvent capitaliser pour drainer des énergies positives de travail même si les contextes d’entreprises peuvent, compte tenu des conjonctures actuelles, être difficiles. La formation des cadres managers à la gestion du stress au travail pourrait tout à fait s’inspirer des résultats obtenus dans cette étude puisqu’elle les renseigne sur des modérateurs de la demande perçue, à savoir les ressources organisationnelles sur lesquelles ils peuvent aisément agir.

Riche de ces enseignements sur les dynamiques d’échange entre charge de travail et ressources organisationnelles, cette étude comporte néanmoins certaines limites qui tiennent principalement à la nature même de la recherche. En effet, ne portant que sur un échantillon de 20 cadres, les résultats sont donc spécifiques à notre échantillon, même si la fécondité des propos nous a permis d’établir une caractérisation des composantes de la charge de travail et des ressources organisationnelles et des interactions entre ces deux variables pour définir quatre configurations de cadres « stressés » au travail. Il nous semble cependant intéressant d’envisager la conduite d’autres entretiens avec un nombre plus important de cadres appartenant à une même entreprise pour que l’on puisse contrôler la stabilité des configurations identifiées dans notre étude et qui viennent affiner les propositions du J/D/R. En stabilisant le contexte économique par le recours à un cas d’entreprise unique, la recherche à mener permettrait de couvrir dans son analyse, différents niveaux ou catégories de cadres concernés par la problématique de gestion de la charge de travail. Envisager une comparaison entre deux entreprises dont la santé économique est opposée ou de taille ou de secteur d’activité différents nous semble également une piste intéressante pour des recherches futures. Entreprendre des recherches interculturelles à ce sujet nous semble également intéressant puisque le statut ou les fonctions du « cadre » sont différents, l’organisation du travail également et les obligations légales au sujet de la prévention et gestion des risques psychosociaux. La prise en compte de certaines ressources « individuelles » pourrait également venir étayer cette dynamique. Nous pensons particulièrement au sentiment d’auto-efficacité et de confiance en soi qui apparaissent dans la littérature comme des variables modératrices des situations de stress au travail (Hobfoll, 2001; Hobfoll & Shirom, 1993)

Envisager la conduite d’une étude quantitative et/ou longitudinale pour tester les liens d’interaction entre, d’une part, les quatre dimensions de la charge de travail perçue par les cadres, et d’autre part, les composantes des ressources organisationnelles, peut être tout à fait pertinent pour identifier les points d’inflexion critiques qui font basculer l’effet positif d’interaction entre les gains et les pertes vers une spirale négative et pathogénique (Bakker & Demerouti, 2013).