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Introduction

L’expression de « crise de l’éducation » est tellement polysémique qu’elle est de peu de secours analytique. Pourtant, et depuis Hannah Arendt, elle connaît un destin si florissant qu’il faut au moins lui reconnaître la vertu de dire quelque chose de l’école – même si elle est également un miroir déformant de la réalité, globalisant et déshistoricisant ses problèmes. En fait — l’école socialise toujours, —, mais il est vrai sans que les adultes et les éducateurs soient toujours d’accord sur les normes à privilégier, et alors même que les adolescents doivent faire le lien entre les différentes sphères où ils circulent : école, famille, groupes de pairs eux-mêmes divers. Elle instruit également, et avec des enjeux de plus en plus lourds. Aucun adolescent aujourd’hui ne peut se désintéresser de la transformation de son travail scolaire en résultats et classements, même si ses réactions de défense face au « stigmate scolaire » peuvent faire parfois penser l’inverse. Mais éduque-t-elle encore ? La question est plus épineuse au vu de l’évolution du système scolaire français depuis la massification du collège et du lycée, effective depuis le milieu des années 70. En effet, l’absence d’un modèle éducatif global remplaçant l’ancien modèle de « formation des élites », pertinent à l’époque où seul un faible pourcentage d’une classe d’âge poursuivait les études, l’impossibilité de s’appuyer sur le modèle de l’enseignement primaire de la citoyenneté, qui a fonctionné dans un contexte historique bien différent, rendent la question pertinente. C’est à ce niveau-là que réside sans doute la véritable crise de l’école, dans une certaine déliaison – ou une déliaison certaine — des curricula et exercices scolaires et d’une vision globale de formation de l’individu.

Par ailleurs, depuis les années 1970 et encore plus nettement depuis le tournant numérique des années 1990, les adolescents investissent fortement diverses activités à l’extérieur de l’école. D’abord portées par l’affirmation d’une culture juvénile en lutte contre les générations précédentes, pendant la période des trente glorieuses et plus encore après mai 68, elles se lisent moins aujourd’hui sous l’angle du conflit générationnel que comme un espace d’autonomie légitime reconnu aux adolescents au nom de divers impératifs de réalisation ou d’épanouissement personnel. Certaines de ces activités sont formelles et encadrées par des adultes ou des institutions : pratiques culturelles, artistiques et sportives ; d’autres ne le sont pas comme l’écoute de musique, l’attention portée au « look » ou les navigations numériques. Certaines sont fortement articulées au groupe de pairs, mais d’autres s’en dégagent, en s’individualisant davantage par des supports techniques comme les ordinateurs ou les téléphones portables. De plus les groupes sont devenus pluriels en devenant aussi des réseaux : les adolescents naviguent de l’un à l’autre. Enfin, si quelques-unes de ces activités sont assez légitimes ou même encouragées par les adultes, comme la fréquentation d’un conservatoire musical, d’un club de danse ou de sport ; d’autres le sont nettement moins comme les soirées passées sur internet ou la recherche éperdue du tee-shirt à la mode. Du coup, les inquiétudes éducatives qui portent sur elles sont bien différentes, selon qu’elles sont vues comme participant à l’éducation ou comme au contraire des dangers potentiels, ou le support de véritables paniques morales qui se déplacent historiquement. Si la littérature romantique était considérée comme pervertissant les jeunes gens scolarisés au début du XXe siècle, c’est la télévision qui a été mise en cause dans les années 1970-80, laissant à son tour la place à l’ordinateur, et en particulier aux jeux vidéo. S’en suivent alors bien des caricatures : adolescents sur pile, dans le zapping permanent, ou la dépendance. À vrai dire, les représentations sont dualisées, tant l’on peut rencontrer aussi des éloges inverses d’une jeune génération experte es-modernité, et traçant la voie d’un futur hyper technologique, créatif et communicatif (Buckingham, 2004).

Conjuguée à la crise du projet éducatif, cette sphère d’activité que nous appellerons « électives », car le choix personnel des adolescents y joue un rôle déterminant, conduit à une évolution que d’aucuns peuvent déplorer, mais qui invite sans doute, de manière plus positive, à réinterroger l’éducation contemporaine. Il se joue, au travers de l’extrême implication de la plupart des adolescents dans ces activités une véritable éducation informelle, que personne ne maîtrise institutionnellement et qui pourtant forme leur caractère.

Comment un tel constat est-il possible ? Que peuvent en faire les professionnels de l’école ?

1. L’importance des activités électives : l’éducation par les épreuves

Pour comprendre comment fonctionne ce renouveau de l’éducation, il faut en partie faire retour sur une très vieille tradition éducative, qui a connu ses lettres de noblesse bien avant la généralisation de l’institution scolaire dans les sociétés industrielles, et la remettre en perspective dans le contexte contemporain. Dans la paideia grecque, par exemple, pour devenir un « héros », un soldat, il était indispensable que le jeune subisse une série d’épreuves. Ce n’est qu’en les affrontant qu’il parvenait à atteindre une forme d’excellence qu’il n’avait pas au départ, même si elle était réservée – ne l’oublions pas – à une élite. Par ailleurs, le passage à l’âge adulte a été longtemps pensé comme jalonné de seuils à franchir, tels que le service militaire pour les jeunes hommes ou la mise en couple, donnant parfois lieu à de véritables rites d’initiation (Galland, 2007). Dans la littérature, le Bildungsroman met en scène la jeunesse comme aventure formation, à la fois exploration du monde et de soi. Il est clairement établi aujourd’hui que ces seuils se sont brouillés, que ces rites sont moins fortement structurants, que l’aventure doit s’accommoder d’un monde fini, même si, dans certains dispositifs de formation proposés aux étudiants, par exemple les voyages à l’étranger ou les dispositifs Erasmus intégrés au cursus, on peut précisément retrouver trace de telles idées éducatives (Cicchielli, 2008).

Pourtant, qui pourrait contester que l’école d’aujourd’hui mette effectivement les adolescents à l’épreuve ? Avec l’allongement du temps de scolarité, et en devenant un élément décisif des trajectoires sociales, c’est le verdict scolaire, constitué au fil des évaluations, passages, orientations, qui devient l’épreuve centrale. L’école forme le caractère en confrontant les élèves à des jugements portés dans des contextes éducatifs inégaux et à l’exercice d’un métier d’élève qui ne se réduit pas à la stricte application des demandes institutionnelles, mais comprend aussi leur interprétation (Sirota, 1993). Il s’agit alors d’arriver à attribuer ou non du sens aux savoirs et aux études, et de devoir assumer en première personne une injonction à la réussite de plus en plus responsabilisante (Martuccelli, 2004). Il faut savoir encaisser, rebondir, réagir, expliquer, mais aussi mettre à distance et se définir malgré tout positivement malgré des échecs partiels ou massifs. La pression scolaire, particulièrement forte sur la formation initiale française, en comparaison d’autres pays européens (Van de Velde, 2008) est alors à l’origine de différentes figures de revanches, de confirmations, de déceptions ou de promesses tenues. Pourtant, cette épreuve, dont le but normatif est, l’excellence scolaire ne s’inscrit, plus dans un modèle de formation assumé. Certes, l’idée de méritocratie scolaire, ou de compétition juste, tente toujours de légitimer la course scolaire. Mais elle ne dit pas grand-chose aux vaincus, si ce n’est qu’ils le sont (Dubet, 2005). Certes, le discours de l’équivalent-travail, l’appel à l’effort et à la persévérance permettent de garder à la course scolaire une allure compatible avec certaines normes de justice. Mais le quotidien scolaire révèle des situations plus paradoxales ; certains élèves sérieux ou méritants ne sont pas récompensés (Barrère, 2003). L’école met désormais les élèves à l’épreuve, sans que ses contours ne correspondant à un idéal de société.

Bien sûr, les activités électives, elles non plus, n’ont guère d‘idéal unifié. Mais dans le contexte contemporain, l’effacement du projet éducatif scolaire, et sa désubstantialisation, invitent à mettre sur le même plan l’épreuve scolaire et d’autres épreuves, certes issues d’une sphère de « décompression globale », mais qui, vues de près, et sans tenir compte des inquiétudes adultes, n’en sont pas moins elles aussi déterminantes dans la formation du caractère. Si cette notion peut se comprendre de plusieurs manières différentes, nous caractériserons ici les épreuves avant tout par une dimension éducative, qui, dans ses connotations existentielles ou épiques, prend la suite des considérations classiques sur la formation de la jeunesse. À partir d’une enquête qualitative auprès d’une centaine de collégiens et de lycéens français, nous en distinguerons quatre[1] .

1.1 L’épreuve de la démesure

Face à des opportunités d’activités devenues à bien des égards aussi illimitées que les connexions qui les facilitent ou les organisent, et alors même que les contrôles des institutions scolaires et familiales sont à géométrie variable, sans qu’il n’y ait d’ailleurs aucune démission de leur part, les adolescents font face potentiellement à une suractivité potentielle permanente.

Pourtant, précisément, c’est le continent de la mesure adolescente, recouverte par notre regard d’adultes inquiets que l’enquête permet de découvrir : ils « gèrent », certes, pas de la manière dont le voudraient les adultes, sans doute en connaissant des phases d’engloutissement dans telle ou telle activités ou passion, mais au plus loin de la dépendance et d’un éloge monolithique de l’excès d’activités. Ils vivent diverses expériences de « décrochage », en vacances chez leur grand-mère, lorsqu’ils sont sursaturés, lorsque les ordinateurs tombent en panne, ou que leur père l’utilise 20 heures sur 24. Ils condamnent dans leur ensemble l’« ère du trop » à laquelle ils participent pourtant. Ils connaissent la norme, le discours, le vocabulaire de la dépendance. Le « no-life », adolescent rivé à son ordinateur nuit et jour est une figure éloignée, redoutée de tous, et parfois mise au ban des groupes juvéniles. Lorsque j’ai interrogé des adolescents consommateurs excessifs d’Internet, ils évoquent l’adolescent japonais comme figure d’altérité manifeste.

1.2 L’épreuve de l’intensité

Face à une nouvelle normativité de l’engagement fort dans la vie, et dans l’activité, à l’ère des « passions ordinaires » (Bromberger, 1998) issues de l’extension d’un régime romantique de l’éloge de l’exploration émotionnelle, les jeunes éprouvent pourtant la routine et la répétitivité de vies en partie standardisées par le temps scolaire. Du coup, ils sont largement en quête d’une « bonne intensité » et vivent au milieu de contrastes entre différents régimes que l’enquête permet de décrire. « À fond d’dans », le régime d’intensité le plus prisé, permet un oubli de soi et du temps dans une activité qui enveloppe, l’implication y est aisée, l’intensité y est stable, on est complètement pris par l’activité, et confirmé

C’est le cas des jeux vidéo, bien sûr, mais aussi de bien d’autres activités, d’un match, d’un film, d’un livre qui captive.

Pourtant le maintien de l’intensité est à l’épreuve de la durée, des ambiances, elles-mêmes fortement débitrices des groupes ou des tentations d’aller vers des activités nouvelles. Certains adolescents arrivent à faire d’une activité promue en passion une source d’intensité stable, alors que d’autres restent en quête, dans une instabilité et une envie permanente de nouveauté et de changement. Mais là où beaucoup dénoncent un zapping permanent, dont seraient responsables des jeunes velléitaires et superficiels, il faut voir une épreuve sociétale, construite par des discours et représentations de la réussite existentielle.

1.3 L’épreuve de la singularité

Face à des injonctions à être ou à devenir soi, un individu « individualisé », c’est-à-dire original ou unique, mais dans une société où les vies ainsi que les consommations et les comportements sont soumis à divers processus de standardisation, la sphère des activités électives confronte à différents « exercices de singularité », plus ou moins réussis selon les ressources et les contextes sociaux, comme le dit Margot, 14 ans, élève de troisième en collège : « J’ai envie d’être unique, mais bon, elle rit — tout le monde fait pareil que moi ». On peut distinguer cinq exercices différents : la singularité par démarcation, visant à l’originalité et permettant de se dérober la classification permanente des cultures juvéniles, la singularité par authenticité où il s’agit d’être fidèle à ses goûts et ses opinions, fussent-ils ceux de tout le monde, la singularité par l’expressivité et la créativité, certes ancienne, mais particulièrement répandue par de nouvelles activités numériques et la force des pratiques amateurs dans cette tranche d’âge (Donnat, 2009) ; la singularité par la compétition, très présente dans le jeu vidéo et le sport, mais aussi les concurrences ludiques pour le nombre d’amis, de messages envoyés, ou de tous autres enjeux ; la singularité par imitation enfin, qui allège précisément le devoir d’être soi par le recours volontaire aux pratiques et aux comportements de l’autre ? La singularité par imitation ne peut être confondue avec le conformisme : d’une certaine manière la religion le sait, qui prône l’imitation de figures saintes ou exemplaires, comme le sociologue Georg Simmel le disait au tournant du XXe siècle (Frisby & Featherstone, 1997) cette injonction à être un individu totalement singulier est bien trop lourde pour ne pas essayer de l’alléger par un style collectif, une appartenance, divers emprunts maîtrisés.

1.4 L’épreuve du cheminement

Cette dernière épreuve vient de la confrontation des projets plus ou moins flous nés dans la sphère des activités électives, et illicites aux yeux du monde adulte, car ils ressemblent souvent à des rêves : être vedette, cinéaste, chanteur, joueur de football, ou… peut-être plus modestement, mais de manière aussi irréaliste à première vue, disc-jockey, styliste, game designer, ou catcheur… Les adolescents sont amenés à cheminer, entre obligations institutionnelles et aspirations personnelles. Que veut dire mûrir ? Faire le deuil de ses rêves, en constater l’impossibilité… ou les garder présents et s’en servir comme leviers pour ouvrir les possibles ? (Ferrara, 1998). Les adolescents inventent alors des trajectoires diverses, où un projet peut en cacher un autre, où une activité élective, mise en sourdine, redevient tout à coup une impérieuse vocation de soi (Négroni, 2008). L’indétermination statutaire elle-même, devient alors une épreuve de formation existentielle, lorsqu’il faut résister à ses parents, à ses enseignants parfois, pour persévérer dans une activité, y croire, parfois seul contre tous. Ce qui était associé à bien des trajectoires artistes se répand là encore de manière bien plus large, avec l’extension des espaces d’initiative adolescentes dans les loisirs.

Si ces épreuves sont communes à tous les adolescents, ils n’y sont pas tous confrontés de la même manière. Chaque épreuve connaît un verdict informel, qui précise si l’on en s’acquitte plus ou moins bien dans un temps donné. Cet outil analytique propose alors de contrer une vision trop pessimiste et caricaturale de l’adolescence. Si les consommations excessives, le « zapping permanent », le conformisme ou le manque de projets existent bel et bien pour certains adolescents, d’autres savent « décrochent » brusquement de tel ou tel excès ou bien mettre une passion au centre de leur vie et de leurs projets. Ils se construisent et se découvrent eux-mêmes dans les activités électives. Mais ces confrontations sont bien une forme d’éducation au sens large du terme ; leur issue, incertaine, participe largement aujourd’hui à la construction des trajectoires et des personnalités adolescentes.

2. L’éducation scolaire au défi

L’école développe un rapport pour le moins ambivalent vis-à-vis des activités électives. Elle adhère en partie à leur expansion, tant qu’elles restent sous son contrôle intellectuel et organisationnel, mais elle développe la plus grande réticence à ses aspects les plus informels, et lorsqu’elles deviennent autonomes et incontrôlables. Dans leur versant traditionnel, bien des activités – musicales et sportives par exemple – sont amplement compatibles avec elle, surtout sous leur forme structurée, et sont corrélées avec la réussite scolaire (Zaffran, 2000 ; octobre 2008). Même les jeux vidéo ne la freinent qu’en cas de consommation particulièrement envahissante et prolongée (Pasquier, 2006). Contre les représentations trop simples, on peut montrer par exemple que la culture de l’écran n’est pas non plus incompatible avec la pratique assidue de la lecture, et que l’on trouve autant de lecteurs que de non-lecteurs chez les adeptes de jeu vidéo (Jouet & Pasquier, 1999)[2] . Malgré tout, et vue des acteurs de l’école, la culture juvénile en général et ses aspects les plus nouveaux en particulier sont facilement considérés comme un empêchement à l’éducation, d’autant plus qu’effectivement on peut constater en analysant le quotidien scolaire, à quel point certaines de ses manifestations sont déstabilisantes pour les enseignants et les acteurs de l’école. On se propose ici de voir, en sens inverse, ce que ces épreuves vécues en dehors de l’école peuvent lui amener. D’abord, indéniablement, un certain nombre de remises en question, qui ne sont pas forcément d’ailleurs celles que l’on croit ? Mais aussi sans doute des pistes plus pragmatiques d‘action.

2.1 École et démesure

Tout d’abord, l’excès d’opportunités et d’activités, la multiplication des supports individualisés d’écoute et de musique, oblige à repenser la laïcité comme coupure du monde, à l’aune de nouveaux défis. Ce n’est plus face à un monde religieux saturé de croyances que doit se définir la culture scolaire, comme elle l’a fait en France de la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, mais face au monde de la culture de masse, un ennemi bien moins ouvertement hostile, mais bien plus indifférent, un monde polymorphe qui en digère même certaines de ses modalités[3]. Dans un des établissements de l’enquête, au collège Rostand, le principal mène la chasse aux sacs trop grands, aux mèches trop hérissées, aux bottes blanches, cette dernière indication plongeant les élèves dans une grande perplexité. Dans un lycée, les portables sont confisqués dans l’enceinte du collège. Mais cette coupure ne peut être totale et fait l’objet, comme la laïcité traditionnelle, d’un certain nombre de compromis. L’utilisation des portables est parfois tolérée, les jeans troués ne sont pas interdits partout, un collège où le principal adjoint arbore un piercing serait bien en peine de l’interdire, là où d‘autres établissements le font. En classe surtout, les enseignants sont profondément différents dans leur manière d’intégrer – ou non – les pratiques et goûts culturels en dehors de l’école. (Tupin, 2004). Certains enseignants redéfinissent leur métier comme celui d’un passeur entre différentes modalités d’expression culturelle (Zakhartchouk, 1999) et favorisent les métissages entre culture académique et industries culturelles. D’autres évitent formellement ces métissages ou ne voient pas comment en faire un usage pédagogique ou didactique même s’ils s’y confrontent de manière informelle, dans des relations et discussions. Mais dans l’ensemble, ces compromis sont plutôt individuels, relevant d’ailleurs de l’autonomie pédagogique, et ils ne sont guère discutés dans l’établissement, encore moins articulés à des justifications éducatives consensuelles. Car, après tout la coupure laïque n’avait de sens que par rapport à un projet politique ; elle était un retrait nécessaire à un engagement dans le monde, par le biais d’une citoyenneté politique, et de l’éveil d’une conscience nationale. Mais elle était aussi établie par rapport à un état des lieux précis d’une société, à un moment de son histoire. Et même si la vision durkheimienne de l’enfant apparaît aujourd’hui bien obsolète, c’était bien en le regardant vivre, dans son « conformisme », sa versatilité, son caractère influençable que se devaient se définir, pour elle, les principes éducatifs (Durkeim, 1992[1925]). De même aujourd’hui, il paraît impossible de réfléchir à ces problèmes en méconnaissant ce que sont les enfants et les adolescents d’aujourd’hui. Quel projet pourrait aujourd’hui légitimer une coupure fondatrice, à bien des égards incertaine, avec des formes culturelles, qui, comme le disait Edgar Morin, ne sont jamais antagonistes à la culture académique traditionnelle, mais les digère, les hybrides, voire peuvent les revivifier (Morin, 1986). L’école a du mal à le dire nettement.

Du coup, d’une certaine manière, elle peut sembler n’avoir pour projet que de chercher à garder son emprise temporelle dans la vie des adolescents par la lourdeur de la forme scolaire (25 à 30 heures par semaine), et par les incitations à la réussite. La conséquence en est que, pour bien des élèves, l’école elle-même participe à la démesure potentielle. Et c’est d’ailleurs sa pression constante qui légitime le temps passé dans les activités électives, dans une forme de « décompression » qui est censée l’équilibrer. En effet, le discours de la pression ne peut être interprété seulement par rapport à l’exigence ou à la difficulté scolaire, puisque le discours en est tenu par tous les élèves, par ceux qui paraissent insouciants et hors course, comme par ceux qui ont de bons résultats et n’évoquent pas de difficultés particulières. Dans les bonnes classes ou les établissements d’élite, l’école devient monopolistique dans la vie des adolescents, exigeant une polarisation complète, alors même que les activités électives concurrencent le travail scolaire. La course scolaire est alors le carburant d’un excès qu’elle ne peut réguler puisqu’elle le produit elle-même. Cette tension structurelle ne donne pas lieu à une remise en question de l’institution scolaire, même si elle reprend à certains égards des interrogations sur les rythmes scolaires qui pourtant, en France, n’ont jamais conduit à un réel allègement des journées. La question du monopole scolaire sur le temps éducatif se repose aujourd’hui, en raison de l’existence des activités électives, de manière particulièrement aiguë.

2.2 École et Intensité

À mon arrivée au collège Prévert, et s’étonnant de ce que je puisse interroger des élèves d’une troisième de faible niveau et des classes de Segpa, la principale commente les difficultés générales de l’équipe : les collégiens ne s’intéressent à rien, résume-t-elle, l’attribuant au contexte social défavorisé et à un manque d’opportunités culturelles. Pourtant, deux mois plus tard, ayant effectué une série d’entretiens dans le collège, je repartirai avec un matériel riche en témoignages d’activités variées, d’essais multiples, d’enthousiasmes et de déceptions. Comme les autres, les adolescents de Prévert s’investissent avec force dans les activités électives. Mais c’est bien à ce sujet que se pose un deuxième défi éducatif. L’école apparaît en effet non seulement en excès temporel, mais en déficit d’intensité par rapport à bien des activités extrascolaires.

Depuis la massification, le thème de l’ennui, de l’absence d’intérêt des savoirs académiques, pour une population qui n’y a pas été familiarisé dans l’espace familial – les « nouveaux publics » –, a été le lieu de bien des constats et recherches (Charlot, Bautier & Rochex, 1992). Les enseignants font face au manque de motivation des élèves : les élèves « n’accrochent pas » sont apathiques et ne s’engagent pas. Les diagnostics d’une telle situation en présentent divers aspects : certains soulignent la perte du sens des études (Dubet & Martuccelli, 1996), on peut aussi interroger les dénivelés de travail scolaire et les opacités du lien entre travail et réussite (Barrère, 1997). Mais on peut y voir aussi l’ombre portée des activités électives, de leurs expériences multiples de prise et déprises, d’essais et d’erreurs, à l’aune de la recherche de la bonne intensité.

Les enseignants sont du coup amenés, dans leur quotidien professionnel, à la nécessité d’entretenir l’intensité. Elle entraîne une nouvelle problématisation possible de la motivation scolaire. C’est parfois par la relation elle-même, très personnalisée, que les enseignants disent arriver à maintenir un niveau d’implication. L’enseignant diffuse ainsi, y compris, par ses circulations dans la classe, une énergie propice à l’investissement (Guénin, 2008). On peut penser que bien des pédagogies et des dispositifs de cours peuvent être considérés comme mettant en oeuvre cet effort : utilisations d’images, ou de nouvelles technologies, évaluations informelles, utilisation du groupe, compétition ludique. Beaucoup de collégiens parlent des « défis lecture » organisés par les enseignants de français, qui proposent de lire le plus de livres possible dans un temps réduit, ou encore du concours Kangourou, un concours de sciences organisé au niveau national.

Dans cette confrontation de l’intensité des activités électives à la motivation scolaire, il ne faut sans doute pas se tromper de défis. « Adapter » la culture scolaire ou y inclure une dose de nouvelles technologies, ou de références juvéniles n’est sans doute pas toujours la solution, ne serait-ce que par ce que la course à l’impact émotionnel rentre en tension avec bien des démarches scolaires, et parce qu’elle risque d’être systématiquement perdue par l’école[4] . L’épreuve de l’intensité problématise aussi la durée, la temporalité des activités. Le fait de se maintenir dans une activité longue et cumulative est plus que jamais un trait distinctif de la culture scolaire, comme l’ont compris bien des enseignants qui développent des projets ambitieux, par exemple, la création de pièces de théâtre, dans le sillage d’auteurs du 17e siècle (Ladjali, 2007) ou l’interprétation de grands classiques (D’Humières, 2009). Mais ce n’est plus un allant de soi. La temporalité des exercices, du temps passé à étudier tel ou tel sujet, tel ou tel projet est devenu un objet pédagogique à part entière, confronté à des évolutions sociétales qui multiplient les activités dans un temps donné et accélèrent considérablement leur rythme. Le temps lent de l’école, sa demande de « monoactivité » n’aura d’avenir que si elle se redonne une légitimité éducative face à ces évolutions et si elle sait aussi faire et dire quelque chose de la polyactivité et du rapport au temps vécu par les adolescents.

2.3 Une éducation à la singularité ?

L’école française se caractérise par un modèle opposant fortement individu et collectif, dans le sillage durkheimien, où il s’agit de construire l’être social contre les particularismes : c’est la figure classique de la citoyenneté, qui reste aujourd’hui revendiquée par l’école, même si elle n’a plus grand-chose à voir avec son modèle historique (Barrère, Martuccelli, 1998). Comment l’épreuve de la singularité vécue par les adolescents interroge-t-elle aujourd’hui l’école ?

Si le projet de l’institution scolaire se définit toujours dans les termes d’une adhésion raisonnée à des valeurs collectives, on peut néanmoins argumenter l’idée qu’elle privilégie de facto une forme dominante de singularité : la singularité compétitive. Tous les travaux récents de sociologie de l’éducation soulignent le poids des enjeux scolaires dans la vie des adolescents d’aujourd’hui, leur responsabilisation en première personne des résultats scolaires, même s’ils essaient de s’en protéger par des attitudes superficielles d’indifférence ou de désinvolture. La centralité des notes, des jugements, des orientations, va dans le sens du primat d’un modèle d’affirmation individuelle par l’excellence et la compétition. Le processus de classement scolaire est alors vécu comme une confirmation ou comme une mise en question de soi ; et de même les comportements déviants peuvent être aussi interprétés comme des jeux de surenchère, visant aussi à être reconnus. Comme le dénonçaient des élèves moyens lors d’une enquête précédente, les enseignants ne prêtent attention qu’aux très bons élèves et aux élèves indisciplinés (Barrère, 2003). Les autres sont alors peu singularisés dans une dénonciation classique de l’anonymat des grandes organisations. Certains « bons élèves », malgré leur reconnaissance par l’institution, sont malgré tout fragilisés par une dépendance anxieuse face aux performances scolaires, alors que des élèves plus insouciants et moins travailleurs concilient des investissements juvéniles et une réussite scolaire a minima. C’est donc aussi dans une plus ou moins grande distance à la compétition scolaire que se fabriquent les adolescents à l’école, même si tous en ressentent la « pression » sociale. On peut avoir l’impression malgré tout, à partir de l’enquête, que ce modèle, parce qu’il n’est au fond pas légitime, ne fait l’objet d’aucun discours unifié ni éducatif au sens large et qu’un entraîneur de club de foot en dit plus aujourd’hui sur le rapport à l’échec qu’un enseignant du secondaire : « L’entraîneur, il nous dit souvent quand on perd ou quoi, à des moments, qu’on arrivera jamais à tout dans la vie, il nous l’explique, il met le foot et la vie ensemble. On est jeunes et ça peut nous aider » (Alban, troisième).

Par ailleurs si la prise en compte de « l’élève global » présente dans la loi de 1989 a infléchi l’idée de la citoyenneté comme prise en compte d’un individu abstrait, et si la citoyenneté scolaire a été aussi transformée par de nouvelles instances participatives depuis les années 1990[5] , ces évolutions prennent peu en charge les rapports complexes entre appartenance collective et individu, tel qu’ils s’incarnent de manière privilégiée dans la sociabilité juvénile. En effet, le fait de se construire individuellement par un arrachement émancipateur du groupe reste un horizon normatif pour certains adolescents, qui parlent alors de « courage » ou, plus souvent d’ailleurs, de « manque de courage » pour résister aux autres, mais elle est une expérience minoritaire, décrite comme héroïque. Margot, 14 ans, par exemple arrive se séparer d’un groupe de quatre filles, avec lesquelles elle était amie de la sixième à la troisième. Elle subit depuis ce temps-là des remarques permanentes, sur son look, une hostilité permanente qui lui crée beaucoup de tensions, et lui fait désirer que la période du collège se termine… même si les boules au ventre et noeuds à la gorge se dissipent en faisant du jogging solitaire, en voyant son copain, en faisant des chorégraphies avec ses amies.

Les adolescents disent bien davantage se construire par un jeu permanent de convergences et d’écarts, d’ouvertures et de fermetures contextualisées et en évolution permanente avec les autres. On peut distinguer ici une première figure, plutôt rencontrée au collège, qui consiste à vivre dans une sorte de glose critique permanente, à partir de classements stylistiques, à la fois répétitifs et toujours légèrement différents. Cette critique construit une autocritique réflexive, mais aussi une obligation de singularité au vu, non pas de l’existence, mais au contraire de l’impossibilité du conformisme de groupe. Les normes et les classements changent trop vite : porter trop tard des chaussures de marque « Converse » peut-être pire que de ne pas en porter du tout et ce qui donne l’impression de marcher pour les autres, ne marche pas justement pas pour soi : « Quand t’as une chemise à carreaux, tout le monde l’a, mais quand je la mets : “on dirait un bûcheron” » (Sandra, terminale). D’ailleurs, dans cette figure, le vécu est souvent lourd et sombre. Un certain nombre de « classeurs classés » vivent une stigmatisation qui les fait parfois souffrir, et réactive aussi des relations tendues entre les garçons et les filles, toujours soupçonnées de « s’habiller comme des putes » (Clair, 2006). Les sociabilités juvéniles apparaissent parfois extrêmement conflictuelles, et tourmentées, dans tous les contextes et milieux sociaux.

Une deuxième figure fait du groupe le creuset de différences sans que chacun ne soit obligé de céder ou ne se sente exclu et stigmatisé. C’est « le groupe ouvert », fait d’individus différents et singuliers, décrit massivement par certains lycéens, comme une évolution positive à partir du vécu du collège et ses « groupes fermés ». Le groupe ouvert privilégie l’inclusion et la connexion à l’exclusion. Il tolère les différences et s’en nourrit, sans y être jamais indifférent. La singularité, dans ce cas de figure, n’est pas alors contrainte de s’assumer contre le groupe, qui opère comme un véritable sas, une membrane protectrice pour l’expérimentation de soi.

Certaines inflexions curriculaires actuelles – exposés oraux, travaux nécessitant une recherche, ou s’accompagnant d’auto-évaluation – vont certes de pair avec la promotion de certaines valeurs éducatives nouvelles autour de l’expression de soi ou de la créativité, qui s’appuient potentiellement sur une forme de singularité. Cette matrice expressive/créative, repérée en son temps par Éric Plaisance à partir de l’évolution de la maternelle, est extrêmement forte (Plaisance, 1986). Un numéro récent des Cahiers pédagogiques (2011) fait état de nombreuses pratiques pédagogiques centrées sur l’expression et la création, principalement dans les matières littéraires. Alain Kerlan, dans un livre extrêmement stimulant, propose de redéfinir l’ensemble du curriculum sous le signe des matières artistiques, indiquant par là une direction possible d’un nouveau projet éducatif (Kerlan, 2004). Mais faute de redéfinition globale, ces inflexions apparaissent soit des moments exceptionnels de la forme scolaire, permettant de la contenir, soit, lorsque l’expressivité est intégrée aux exercices et aux évaluations, le lieu de malentendus, lorsque l’on confronte les définitions juvéniles de l’expressivité – synonyme d’authenticité et d’affirmation personnelles et les acceptions adultes – où l’expressivité n’est légitime qu’argumentée. Ces malentendus peuvent d’ailleurs se traduire par de très mauvaises notes, d’autant plus démotivantes que les élèves ont « mis d’eux-mêmes » dans les copies (Barrère, 1997 ; Rayou, 2002).

Bref, si la quête de singularité adolescente est évidemment bien perceptible à l’école et prise elle aussi diversement en charge par les enseignants, en fonction de leurs choix pédagogiques et relationnels, elle ne l’est pas par contre par la mise en relation avec un modèle d’individu. Les appels à l’individualisation pédagogique peuvent référer aussi bien à un essai de remettre quelqu’un dans la course scolaire qu’à des modalités plus expressives, mais ils sont vécus la plupart du temps aujourd’hui sous le signe exclusif de la singularité compétitive.

3. Un autre modèle d’orientation ?

Enfin, l’épreuve du cheminement se construit d’emblée, encore plus facilement que les autres, comme un envers de ce qui se vit dans le système scolaire, ici en matière d’orientation.

Face à l’obligation de projet formulée par l’école, et alors même que leurs « vrais » projets sont en fait considéré comme des rêves par les adultes, les élèves vivent avec le souci quasi permanent de ce qu’ils seront et feront plus tard, d’autant plus qu’ils évoluent dans un univers scolaire qui a fait de l’orientation une pièce maîtresse du système éducatif, parfois le lieu d’un véritable piège scolaire. (Berthelot, 1993). Ce sont paradoxalement les élèves les plus faibles scolairement qui sont souvent sommés le plus fortement d’avoir des projets, lorsqu’ils doivent se réorienter, en particulier en filière professionnelle, alors que la fréquentation des filières généralistes, et en particulier de la filière scientifique, autorise à un différemment du projet jusqu’à l’université, parfois prolongée encore par bien des incertitudes.

Pour les adolescents, l’orientation scolaire est sans nul doute une épreuve majeure où se joue une partie de la confiance en soi, confirmée ou infirmée par le verdict institutionnel (Martuccelli, 2006). Si des efforts d’éducation à l’orientation existent désormais, sous forme d’heures ou de modules, son manque d’autonomie structurelle face aux résultats scolaires la rabat en quelque sorte sur les épreuves de l’évaluation scolaire.

Pourtant pour bien des adolescents, et de manière totalement inconnue de l’institution, il se joue dans les activités électives, une sorte d’orientation alternative qui ne dit pas son nom, et qui fonctionne sur de toutes autres bases. Elle promet d’autres réussites, y compris, mais pas toujours — dans un mécanisme de compensation avec l’univers scolaire et elle renvoie à des images globales et désirables de projection dans le futur. Connectées de manière plus ou moins floue avec l’insertion, ces images ne sont pas toujours compatibles avec des projets d’activités rémunérées, mais elles le sont aussi parfois, envers et contre tout, et parfois contre tous. Il faut alors accepter de « cheminer », plus que de s’orienter, dans des temporalités qui s’articulent parfois avec des destinations scolaires ou universitaires, mais rentrent aussi en conflit avec elles. L’éducation du caractère n’est plus de faire face à un verdict scolaire incontournable, mais à un espace flou de possibles et d’incertitudes, qui peuvent, sous certaines conditions, préparer aussi leur avenir. Comment repenser l’orientation à partir de cette donne ? Sans aucun doute d’abord en opérant une meilleure reconnaissance d’activités en grande partie illégitimes ou irréalistes. Qui dira à un conseiller d’orientation qu’il veut être vedette de rock, ou même partie designer ? Ensuite, peut-être en opérant une diversification des excellences qui ont bien des difficultés à émerger en France, et où le dégagement des talents sportifs ou artistiques se fait de manière largement parallèle à l’école. Enfin, sans doute en tenant un autre discours que celui de l’ajustement étroit des possibles scolaires et de projets professionnels qui d’ailleurs – crise économique et problèmes d’insertion obligent — ne sont pas toujours plus réalistes que les rêves adolescents.

Conclusion

L’éducation selon Durkheim, on le sait, devait avoir un but idéal très large, dépassant toutes formes strictement utilitaires : il s’agissait « de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui la société politique dans son ensemble » (Durkheim, 1922), ce qui se concevait d’ailleurs clairement en excluant la portée éducative du groupe de pairs, et toute idée de culture juvénile propre dans une école qui était, rappelons-le, structurellement dualisée et inégalitaire, mais le dépassement nécessaire de Durkheim doit se faire sans oblitérer pour autant la question posée. Dans les faits, on sait aujourd’hui que « les états physiques, intellectuels et moraux » construits par la culture juvénile dérangent aujourd’hui davantage la culture scolaire qu’elle ne la réorganise, mettant en tension à la fois le sens des savoirs par d’autres apports culturels plus ou moins possibles à articuler avec les contenus scolaires, et l’ordre scolaire – le groupe juvénile étant aussi un tiers encombrant de la relation éducative.

Or, l’institution scolaire peine à redéfinir un modèle de formation de l’individu propre, susceptible d’orienter les curricula scolaires, mais aussi de recréer du lien entre exercices scolaires et attentes politiques et sociales. N’était-ce pas le cas lorsque lire était avant tout lire les livres sacrés ou lorsque faire participer les élèves avait pour but de construire une conscience critique capable de mener au vote citoyen (Chartier, 2007) ?

Mais pendant ce temps, l’éducation continue… y compris une autoéducation qui confronte tour à tour les adolescents à l’excès et au vide, à la passion et à la déception, à des rêves auxquels il faut parfois avoir la force de croire, à des définitions constantes et évolutives d’eux-mêmes, luttant avec l’emprise d’influences diverses, et se cherchent une voie dans une polyphonie, voire cacophonie, d’options contradictoires.

De même qu’Illich avait dessiné les contours d’une société sans école (Illich, 1971), à l’heure du soupçon jeté sur toute forme d’institutions, les activités électives mettent en oeuvre aujourd’hui, à l’insu de tous, une éducation sans école, au travers d’une sorte de curriculum parallèle et disparate que pourtant tout adolescent fréquente assidûment.

La principale question posée à partir des activités électives adolescentes à l’institution scolaire consiste donc à se demander si et comment elle peut refaire le lien entre ses contenus, ses temporalités, ses évaluations, et un projet global de société, et si elle peut et veut faire de nouveau des exercices scolaires des épreuves de formation de soi.