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1. Problématique

1.1 Conceptualisation de la prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention : des approches variées et peu implantées

Dans les milieux de travail, la coordination des actions de prévention est mise de l’avant dans plusieurs approches : pour la prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS) (Cole et coll., 2006 ; Roquelaure, 2016 ; Tremblay-Boudreault et coll., 2011 ; Yassi et coll., 2003), pour la santé mentale (Israel et coll., 1996 ; LaMontagne et coll., 2007 ; LaMontagne et coll., 2014) et pour la santé en général (Rieth et coll., 1995 ; Rudolph et coll., 2001). Plusieurs bénéfices sont attendus de la coordination des actions de prévention dans les milieux de travail. Yassi et coll. (2003) considèrent que la coordination des actions de prévention permet de réduire les coûts par rapport à la mise en place de programmes séparés et d’améliorer l’impact des actions à chacun des niveaux de prévention. L’effet de complémentarité et la retombée des actions d’un niveau de prévention sur les autres, augmentant ainsi leur efficacité, sont soulignés dans la littérature (Bernon et coll., 2011 ; Frank et coll., 2006 ; Roquelaure, 2016 ; Yassi et coll., 2003). Cet effet synergique entre les niveaux de prévention aurait pour conséquence la diminution des lésions et de leurs impacts selon une recherche visant l’évaluation du programme « Prevention and Early Active Return-to-work Safely » [Prévention et retour au travail actif hâtif en toute sécurité] (PEARS), implanté dans les hôpitaux (Davis et coll., 2004).

Bien que mise de l’avant dans certains articles scientifiques, la prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention est rarement implantée dans les milieux de travail (Calvet et coll., soumis). Dans la province canadienne de la Colombie-Britannique, le programme PEARS, mentionné précédemment, visait la coordination à deux niveaux : 1) des actions de prévention des lésions avant qu’elles ne surviennent, et 2) des actions hâtives de prévention de l’incapacité après une lésion (Yassi et coll., 2002). Au Québec, dans un plan de formation visant la prise en charge globale des TMS implanté dans une entreprise de fabrication de caoutchouc, Tremblay-Boudreault et coll. (2011) ont combiné 1) la prévention visant la réduction de l’apparition des lésions et le maintien en emploi, et 2) le processus de retour au travail. Ainsi, l’opérationnalisation de la coordination des actions de prévention peut prendre différentes formes, d’autant plus que les approches de prévention intégrée sont développées dans différentes disciplines (Calvet et coll., soumis).

1.2 Choix de définitions pour les trois niveaux de prévention proposés par l’OMS

Dans la littérature qui traite de la prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention, les définitions des niveaux de prévention utilisées sont variées (Calvet et coll., soumis). Certaines approches utilisent seulement deux niveaux de prévention (avant et après la blessure) et la prévention primaire est parfois associée à la surveillance et à la réduction de contraintes existantes alors que pour d’autres, ces critères correspondent à la prévention secondaire.

Les trois niveaux de prévention, traditionnellement présentés par l’Organisation mondiale de la santé (1984, 1998) ont une orientation médicale et épidémiologique dans le sens où les définitions se concentrent sur l’évolution des problèmes de santé des individus (avant la maladie, avec symptômes de la maladie, après avoir été absent pour maladie). Afin d’opérationnaliser plus facilement les actions dans les milieux de travail, les définitions ont été adaptées par Vézina et coll. (2018) pour les faire correspondre à des actions dans les milieux de travail, que ce soit pour la prévention des TMS, des problèmes de santé mentale ou des accidents. Ainsi, la prévention primaire représente les actions permettant d’agir au niveau de la conception de nouvelles situations de travail [que ce soit lors de la conception d’un nouveau poste ou lors de l’arrivée d’une nouvelle personne sur un poste], dans le but d’éviter le développement de problèmes de santé ou des accidents ; la prévention secondaire représente les actions de surveillance de l’état de santé du personnel et de dépistage de situations à risque, menant à la mise en place de programmes ou de projets d’amélioration des situations de travail existantes ; la prévention tertiaire représente les actions visant à favoriser le retour au travail des personnes à la suite d’une incapacité totale au travail, donc après une absence. Ces définitions s’inscrivent dans une approche de compréhension des situations de travail centrée sur la personne en activité développée en ergonomie (St-Vincent et coll., 2011 ; Vézina, 2001). Selon ce modèle, mettre en place des actions de prévention revient à agir favorablement sur les moyens et les conditions offerts à la personne pour la réalisation de son activité de travail afin de lui donner la possibilité de développer des stratégies lui permettant d’atteindre les objectifs de production tout en protégeant et développant sa santé. Les actions de prévention permettent ainsi aux personnes d’augmenter leur marge de manœuvre pour travailler tout en préservant leur santé (Coutarel et Petit, 2013).

1.3 La construction sociale de la prévention en milieu de travail

Dans les milieux de travail, le déploiement des actions aux différents niveaux de prévention est influencé par de nombreux systèmes. Le modèle de la production sociale de la santé et de la sécurité du travail de Baril-Gingras et coll. (2013) représente l’influence des systèmes économiques, politiques et sociaux (palier macro), dans les pratiques de gestion du milieu de travail (palier méso). Ainsi, dans le milieu de travail, les pratiques de prévention en SST, les pratiques de gestion des lésions professionnelles et l’organisation syndicale sont influencées par les caractéristiques structurelles du milieu de travail (ex. la taille de l’établissement) ainsi que par le contexte organisationnel du milieu de travail (ex. la culture d’entreprise) (Baril-Gingras et coll., 2013). L’ensemble des éléments des paliers macro et méso représente le contexte et les déterminants de la situation de travail vécue par la personne en activité de travail (palier micro). Ces déterminants représentent les sources de contraintes et les ressources avec lesquelles la personne en activité va devoir composer pour atteindre les objectifs de production tout en protégeant et développant sa santé.

Ainsi, dans les milieux de travail, les actions de prévention déployées varient selon le contexte, ce qui peut influencer les visées de transformations aux différents paliers.

1.3.1 Les activités de prévention dans un système de gestion en SST

Au Québec, la SST est régie par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) qui a pour objet « l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs » (LSST, 1979, c. 63, a. 2). La notion « à la source » a été discutée à plusieurs reprises dans la jurisprudence concernant l’exercice de droits de refus et les demandes de correction de poste des inspecteurs et inspectrices (Guimond, 1997). À partir de ces décisions juridiques, on peut interpréter que les interventions « à la source » représentent la suppression permanente des causes d’accident et de maladie, ainsi que des éléments étant à l’origine des dangers, nonobstant le comportement des travailleurs et des travailleuses. Pour atteindre cet objectif, la LSST définit les droits et les obligations des employeurs, des travailleurs et des travailleuses ainsi que les mécanismes de prévention à mettre en place dans les établissements, comme le comité de santé et de sécurité, le programme de santé spécifique aux établissements, le programme de prévention et la désignation d’un représentant à la prévention. De nombreux systèmes de gestion de la SST (SGSST) et référentiels standardisés en SST (ex. des normes menant ou non à des certifications) orientent les actions afin de structurer les activités de prévention prévues dans la LSST et dans les règlements en SST.

Selon Dionne-Proulx et Laroche (2018), dans un système de gestion en SST (SGSST), on retrouve les activités relationnelles (ex. favoriser un bon climat de travail qui facilitera la mise en place du plan de prévention), les activités liées à la culture d’entreprise (ex. l’engagement de la direction et la participation des travailleurs et des travailleuses qui permettent d’améliorer la performance en SST), les activités d’intégration de la SST à toutes les fonctions de l’entreprise (ex. par une interrelation de la SST avec l’approvisionnement ou la gestion des stocks) et les activités structurelles destinées à éliminer et contrôler les risques (ex. les mécanismes d’identification des risques, la correction des risques, la réparation dans le cas où les lésions surviennent, le suivi des dossiers d’invalidité et de la tarification du système d’assurance).

Ces différentes activités de prévention orientent les actions mises en place dans les milieux de travail. Cependant, l’ergonomie, qui vise l’amélioration des situations de travail du point de vue de la santé des personnes et de l’efficacité du système, se préoccupe de la visée des transformations. Les auteures du présent article s’intéressent donc aux éléments des situations de travail qu’il est nécessaire de transformer pour faire de la prévention en distinguant parmi les actions rapportées par les parties prenantes, celles qui concernent les individus et celles qui concernent l’environnement ou le cadre de travail, soit les conditions de travail.

1.3.2 Les visées de transformation en ergonomie

En ergonomie, la compréhension des situations de travail passe par la description de situations de travail spécifiques, choisies pour leur potentiel de risque pour la santé, et est basée sur la réalité du déroulement de l’activité telle qu’elle se vit. Par cette voie, l’intervention en ergonomie permet d’accéder aux difficultés vécues dans les situations de travail et de réfléchir de façon systémique aux possibilités de transformation (Dugué et coll., 2010 ; St-Vincent et coll., 2011).

Selon Roquelaure (2016), ces informations sur la réalité des situations de travail peuvent servir de base aux parties prenantes pour débattre de leurs préoccupations et des solutions à envisager. Ces échanges autour des données apportées par l’intervention en ergonomie permettraient de dépasser la perception individuelle des parties prenantes sur les situations à risque et ainsi faciliter la coordination des actions de prévention (Roquelaure, 2016). C’est ce qu’ont mis en place Tremblay-Boudreault et coll. (2011) dans une intervention visant la prise en charge globale des TMS en coordonnant les pratiques de prévention et de retour au travail selon le processus d’intervention en ergonomie de St-Vincent et coll. (2011). Dans cette étude, la démarche participative a permis aux parties prenantes de changer leur représentation qui consistait à considérer la méthode de travail de la personne blessée comme seul facteur à l’origine des accidents, pour finalement s’intéresser aux aspects environnementaux et organisationnels du cadre de travail plutôt qu’aux seuls facteurs individuels. Lors du retour au travail, les personnes avec des besoins particuliers ou des limitations fonctionnelles étaient plutôt considérées comme un « poids ». L’intervention en ergonomie a permis aux parties prenantes de considérer ces personnes comme des membres actifs en production en favorisant la collaboration et l’entraide par la participation des travailleur·ses à la définition de leurs tâches (Tremblay-Boudreault et coll., 2011).

Telle que déployée dans cette étude, l’approche en ergonomie permet de comprendre le travail pour le transformer (Guérin et coll., 2007). Les visées de transformation peuvent être orientées vers différentes catégories de déterminants du système que constitue le milieu de travail. Ces déterminants peuvent être liés aux conditions et moyens offerts par le milieu, à l’environnement social ou aux tâches et aux exigences (St-Vincent et coll., 2011). Dans cet article, nous regroupons ces déterminants sous l’expression « environnement de travail ».

Dans une intervention en ergonomie, ce sont principalement des transformations de l’environnement de travail (physique, organisationnel ou social) qui sont visées. Cependant, retenons que le développement des compétences des individus peut faire l’objet d’interventions en ergonomie puisque l’analyse de l’activité de travailleur·ses expérimenté·es peut mettre en évidence l’importance de leur savoir-faire. Des stratégies pour faciliter l’accomplissement des tâches peuvent ainsi être révélées et faire partie du contenu de formation lors de l’accueil de nouvelles personnes (Denis et coll., 2013 ; Ouellet, 2013).

1.4 Des connaissances à la pratique : l’importance des perspectives des parties prenantes sur la prévention

Dans les milieux de travail, les parties prenantes ont des représentations variées de la prévention. La compréhension de leurs perspectives sur la prévention semble être un enjeu dans le développement de la coordination des actions de prévention (Maiwald et coll., 2011 ; Tremblay-Boudreault et coll., 2011). Le recueil de la perception des parties prenantes du programme « Prevention and Early Active Return-to-work Safely » (PEARS) qui coordonne les actions de prévention mises en place avant et après la blessure a montré des divergences de perception sur trois éléments : 1) sur les causes de l’incapacité, 2) sur les interventions qui devraient être mises en place pour réduire l’incapacité, et 3) sur le résultat des mesures implantées (Maiwald et coll., 2011).

Les divergences de représentations des parties prenantes internes et externes au milieu de travail peuvent être dues à l’accès à des données différentes. Au niveau des parties externes au milieu de travail, les assureurs, par exemple, qui se basent sur des données de réclamations, n’auraient pas le même portrait de la santé mentale de la population que celui des représentants de la santé publique qui se basent sur des données sur l’exposition collectées directement dans les milieux de travail ou auprès des individus. Ce dernier portrait comporterait moins de biais liés à la sous-déclaration des lésions par les populations en situation de vulnérabilité (LaMontagne et coll., 2007).

La différence de perspectives des parties prenantes quant aux facteurs à l’origine des TMS peut être due aux différences de parcours professionnel qui influencent leurs perceptions des situations vécues par les travailleur·ses (Roquelaure, 2016). La perception des parties prenantes peut aussi être influencée par le niveau de prévention dans lequel elles interviennent. Selon ces perspectives, les parties prenantes d’un milieu de travail peuvent, par exemple, attribuer les TMS à des causes davantage biomédicales que biopsychosociales. Ces différences de perspectives amèneraient des divergences dans l’orientation des actions posées en prévention des TMS (Roquelaure, 2016), davantage axée sur l’individu, par exemple, que sur l’environnement.

Ainsi, même si des approches de prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention décrites dans la littérature semblent montrer des bénéfices, leur déploiement dans un milieu de travail peut être influencé par de nombreux systèmes existant à l’intérieur et à l’extérieur des milieux de travail.

Avant de développer une approche de prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention dans un milieu de travail, il semble pertinent de comprendre la représentation des parties prenantes sur la prévention intégrée. Il semble aussi très utile de s’interroger sur la nature des actions de prévention mises en place et sur l’orientation de la SST adoptée dans ce milieu.

2. Objectifs

L’objectif de cet article est de comprendre ce que représente la prévention intégrée dans un milieu de travail, à travers l’identification des actions de prévention à coordonner et la représentation des parties prenantes sur la prévention intégrée.

Les sous-objectifs sont de :

  1. Décrire les actions de prévention rapportées par les parties prenantes en fonction des niveaux de prévention primaire, secondaire et tertiaire ;

  2. Restituer la représentation de la prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention de ces parties prenantes dans l’établissement étudié ;

  3. Comprendre la nature des actions de prévention en les classant selon une classification proposée au Québec dans le domaine de la SST (les activités structurelles du SGSST) ;

  4. Analyser les visées de transformation des actions de prévention en précisant si celles-ci concernent des modifications de l’environnement de travail (E) ou des changements sur l’individu (I).

3. Méthodologie

Les données présentées s’inscrivent dans une étude de cas effectuée selon une démarche en ergonomie. Le « cas » étudié correspond à un établissement d’enseignement post-secondaire québécois. Cet article présente un corpus d’entrevues semi-dirigées réalisées lors des investigations qui permettent de comprendre les problèmes qui font l’objet de l’intervention, la population et le fonctionnement de l’établissement (St-Vincent et coll., 2011). Ces entrevues visaient aussi à documenter la structure de prévention, les actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire effectuées par les parties prenantes et leur représentation de la prévention intégrée.

Le projet a fait l’objet d’une approbation éthique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Toutes les personnes participantes ont signé un formulaire de consentement approuvé par le Comité d’éthique de la recherche pour les projets étudiants de la Faculté des sciences humaines.

Dans cette partie, nous présenterons le contexte de l’étude sur la prévention intégrée, avec l’historique du développement de la SST et la structure de prévention de l’établissement. Nous présentons ensuite les caractéristiques des participant·es, les méthodes de recueil de données et les classifications utilisées pour l’analyse des niveaux de prévention.

3.1 Demande reçue et contexte de l’étude

L’étude a eu lieu dans un établissement d’enseignement post-secondaire syndiqué comptant plus de 5000 employé·es (45 % d’hommes et 55 % de femmes). À titre d’ergonomes, nous avons reçu une demande de participation à un groupe de travail constitué d’une conseillère en prévention, d’une conseillère en gestion de l’invalidité et de la chargée d’un programme de promotion de saines habitudes de vie de cet établissement. Leur objectif était de développer une formation en ligne sur l’aménagement du poste de travail et sur les saines habitudes de travail pour les employé·es utilisant un ordinateur.

Cette demande faisait suite à l’augmentation des appels de la part du personnel pour évaluer leur poste de travail à l’ordinateur. L’analyse de la demande du groupe a montré une volonté des parties prenantes à être plus « proactives » en prévention. Aussi, un rapprochement des Services de santé et de sécurité du travail (SST) et de gestion de l’invalidité des ressources humaines (GI-RH) était souhaité dans l’établissement.

Les investigations menées dans le cadre de la démarche en ergonomie, notamment la consultation de la documentation de l’établissement, ont permis de comprendre la structure et l’approche de prévention de l’établissement.

La structure de prévention s’est d’abord mise en place dans les années 80 pour gérer les risques chimiques et biologiques présents surtout dans les laboratoires de l’établissement. Elle s’est renforcée par la création du Service SST en 1990, avec le développement du cadre légal et de la réglementation gouvernementale en SST au Québec. Pour orienter le déploiement de sa structure de prévention, le Service SST utilise le cadre de référence « Conditions gagnantes pour la prise en charge de la santé et de la sécurité du travail (SST) dans les établissements d’enseignement » (CSST, 2015). Ce cadre de référence opérationnalise les mécanismes de prévention prévus dans la LSST, afin d’orienter les établissements d’enseignement vers une « gestion préventive optimale » (CSST, 2015). Nous présentons ici le mandat des principales unités composant la structure de prévention de l’établissement afin de mieux comprendre les autres parties de la méthodologie (Tableau 1).

Le programme de promotion de saines habitudes de vie a été aboli pour des raisons financières avant le début du recueil de données.

Tableau 1

Présentation des principales entités impliquées en prévention dans l’établissement

Présentation des principales entités impliquées en prévention dans l’établissement

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3.2 Comité de suivi et recrutement des participants et des participantes

Suite aux échanges avec le groupe de travail initiateur du projet, un comité de suivi de cette étude a été mis en place. Ce comité est constitué du chef du Service SST, de la conseillère principale en SST, de la conseillère en prévention et de la cheffe du Service GI-RH. Le comité de suivi a identifié quatre parties prenantes impliquées en prévention : le Service SST, le Service GI-RH, les accréditations syndicales et les gestionnaires de département. Parmi les neuf accréditations syndicales, deux ont été sélectionnées par le comité de suivi car elles représentent un grand nombre d’employé·es et sont touchées par des enjeux de SST.

L’accréditation syndicale A est majoritairement féminine (les femmes représentent 75,8 % de la population de cette accréditation) et est celle qui couvre le plus d’employé·es dans l’établissement (19,2 %). La majorité du personnel dans cette accréditation fait du travail administratif bien que certains occupent aussi des postes techniques. Elle est la seule à bénéficier d’un représentant à la prévention à temps plein.

L’accréditation syndicale B, majoritairement masculine (les hommes représentent 88,3 % de la population de cette accréditation), est celle qui couvre les employé·es qui ont le plus d’accidents-incidents dans l’établissement alors qu’elle ne représente que 2,7 % du personnel. Cette accréditation représente des technicien·nes du bâtiment et de l’entretien, qui manipulent des outils et des machines. Deux travailleurs se relaient une journée par semaine à la fonction de représentant à la santé et à la sécurité.

Deux gestionnaires ont été identifiés par la conseillère en prévention compte tenu de leurs profils différents (types de départements, localisation et implication en SST).

Au total, 21 entrevues individuelles semi-dirigées ont été effectuées auprès des personnes de chaque partie prenante après l’obtention de leur consentement (Tableau 2). Les entrevues ont duré en moyenne une heure quinze minutes et se sont déroulées dans une salle fermée. Au total, 23,5 heures d’entrevues ont été enregistrées et retranscrites.

Tableau 2

Caractéristiques des participants et des participantes aux entrevues

Caractéristiques des participants et des participantes aux entrevues

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3.3 Conduite des entrevues

Afin de répondre aux deux premiers sous-objectifs énoncés dans cet article, des questions ont été posées pour quatre thèmes concernant les actions de prévention : 1) prévention primaire (ex. lorsqu’il y a des projets de conception et de réaménagement dans l’établissement, est-ce que vous êtes impliqués pour l’intégration de la santé-sécurité ?), 2) prévention secondaire (ex. Comment est-ce que vous effectuez le suivi de la santé des employé·es ?), 3) prévention tertiaire (ex. Quelles sont les pratiques de retour au travail que vous utilisez ?). Le quatrième thème se rapporte à leur représentation de la prévention intégrée (ex. Qu’est-ce qu’évoque pour vous la prévention intégrée ?). Afin de documenter les actions aux différents niveaux de prévention, nous avons utilisé les définitions proposées par Vézina et coll. (2018) présentées en introduction.

3.4 Analyse des données

Les passages des entrevues se rapportant à une action de prévention et à la représentation de la prévention intégrée ont été extraits des transcriptions.

Au total, 227 extraits ont été classés dans un tableau Excel, par partie prenante interviewée et par thème abordé (niveau de prévention primaire, secondaire et tertiaire ; représentation de la prévention intégrée).

La compréhension de la structure et de l’approche de prévention en SST de l’établissement décrite précédemment, croisée avec la préoccupation des auteures quant à la transformation de l’environnement de travail, a fait émerger les sous-objectifs 3 et 4 qui consistent à comprendre la nature des actions de prévention et à analyser leurs visées de transformation.

Afin de répondre à ces sous-objectifs, chaque action de prévention relevée dans les extraits a été 1) classée selon les catégories des activités structurelles du système de gestion de la SST (Dionne-Proulx et Laroche, 2018) et 2) analysée selon la visée de transformation sur l’environnement (E) ou sur l’individu (I).

3.4.1 Classement des actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire selon un système de gestion de la santé et de la sécurité du travail

Les actions ont été classées selon les activités structurelles du Système de gestion de la SST (SGSST) déjà mentionnées en introduction et présentées au Tableau 3. Les activités liées aux procédures sécuritaires et à la planification d’urgence (ex. gestion des incendies, explosions, etc.) normalement présentes dans les activités structurelles du SGSST n’ont pas été incluses dans le classement, car elles sont prises en charge par une équipe spécifique, hors du Service SST, dans l’établissement étudié.

Tableau 3

Catégories des activités structurelles du SGSST utilisées dans le classement (Dionne-Proulx et Laroche, 2018)

Catégories des activités structurelles du SGSST utilisées dans le classement (Dionne-Proulx et Laroche, 2018)

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3.4.2 Classement selon la visée des actions de prévention sur l’environnement de travail ou sur les individus

Une situation de travail est composée d’une personne qui réalise une activité de travail à un moment et à un lieu donnés, des éléments du cadre de travail qui influenceront la personne et son activité avec des conséquences positives et/ou négatives de l’activité sur la personne et sur l’établissement (St-Vincent et coll., 2011). Les actions de prévention qui visent l’environnement de travail sont celles qui amènent des modifications au cadre de travail. On retrouve au tableau 4 les différents éléments du cadre de travail proposés par St-Vincent et coll. (2011).

Tableau 4

Éléments du cadre de travail (St-Vincent et coll., 2011)

Éléments du cadre de travail (St-Vincent et coll., 2011)

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Au cours d’une intervention ergonomique, on tend à apporter des modifications dans les éléments du cadre de travail afin de ne pas individualiser les problèmes et de responsabiliser les décideurs quant à l’amélioration des conditions de travail proposées. Cependant, certaines interventions ergonomiques favorisent la transmission des savoirs théoriques et pratiques des travailleurs et des travailleuses expérimentés vers les nouveaux, ce qui permet d’augmenter les compétences individuelles.

3.4.3 Analyse à partir des trois classements des actions

L’analyse concernant les actions de prévention rapportées par les parties prenantes s’est effectuée en classant ces actions selon trois perspectives : 1) par niveau de prévention (primaire, secondaire et tertiaire), 2) par type d’activité structurelle du SGSST (identification des risques, interventions à la source, interventions entre la personne et la source et interventions auprès des personnes exposées, processus d’indemnisation et son suivi au moment de la déclaration de la lésion) et 3) par visée de transformation (de l’individu ou de l’environnement de travail). Ces actions sont présentées selon les parties prenantes (Service SST, Service GI-RH, accréditations syndicales A et B, et gestionnaires). Ces comparaisons sont présentées dans trois tableaux dans la section résultat.

3.5 Validation des données sur la vision de la prévention intégrée du comité de suivi

En cohérence avec la demande initiale concernant le rapprochement souhaité entre le Service SST et le Service GI-RH, des données supplémentaires ont été recueillies.

L’analyse des entrevues effectuées auprès des 15 personnes du Service SST et du Service GI-RH a permis de mettre en évidence les éléments communs de leur vision de la prévention intégrée concernant l’arrimage entre ces deux services. Ces éléments ont été présentés au comité de suivi qui a duré une heure. Il a été enregistré et retranscrit.

Une entrevue individuelle a ensuite été effectuée auprès de chaque membre du comité de suivi pour un total de quatre entrevues, afin de valider et de compléter leur vision de la prévention intégrée. Les quatre heures d’entrevues enregistrées ont également été retranscrites et analysées.

4. Résultats

Dans cette section, nous présentons les actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire rapportées être faites par le Service SST, le Service GI-RH, les accréditations syndicales et les gestionnaires de département interviewés. Nous présentons également les actions de prévention selon la classification des activités structurelles du SGSST et selon les visées de transformations sur l’environnement de travail (E) et sur l’individu (I). Nous présentons ensuite la représentation de la prévention intégrée des parties prenantes.

4.1 Les actions de prévention rapportées par les parties prenantes de l’établissement

Trois tableaux permettent de présenter les actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire rapportées être faites par les parties prenantes classées selon les activités structurelles du SGSST et selon la visée de transformation sur l’environnement de travail (E) ou sur l’individu (I).

4.1.1 Les actions de prévention primaire

Les actions de prévention primaire, c’est-à-dire lors de la conception de nouveaux postes de travail ou à l’accueil d’un·e nouvel·le employé·e ne sont pas rapportées par toutes les parties prenantes (Tableau 5). L’accréditation syndicale B ainsi que les conseillères du Service de gestion de l’invalidité rapportent explicitement ne pas être impliquées dans ces actions de prévention primaire. Une conseillère du Service GI-RH, qui exprimait le besoin d’agir plus en prévention qu’en réaction, a souligné le manque de moyens pour faire plus de prévention primaire :

« […] pour l’instant on est vraiment dans le day to day parce qu’on manque de bras pour juste la gestion des absences actuelles là » (conseillère du Service GI-RH).

De son côté, la conseillère en prévention du Service SST rapporte ne pas être impliquée dans le choix du mobilier de bureau lors de la conception des postes, avant les achats.

Concernant la prévention primaire, une gestionnaire du département administratif dit attendre que cette nouvelle personne ressente des problèmes pour agir et ajuster son poste. Elle se situe donc davantage en prévention secondaire :

« […] quand j’accueille un seul employé nouveau je ne vais pas nécessairement au-devant là. Je vais attendre que la personne s’installe. Pis ensuite on va répondre à des problématiques qui peuvent surgir […] il y a des gens qui bougent beaucoup là. », et : « [la conseillère en prévention qui est chargée des ajustements de postes] ne pourrait pas suffire à la tâche. » (Gestionnaire).

De son côté, l’accréditation syndicale A rapporte faire environ cinq minutes de sensibilisation sur les aspects législatifs de la SST (ex. droit de refus). L’accréditation syndicale B indique ne pas avoir d’accueil des employé·es structuré.

Du côté des actions classées selon le SGSST, elles sont rarement à la source et plutôt orientées vers les personnes exposées, avec des formations en sécurité et des sensibilisations aux risques. Les seules actions de prévention primaire visant l’élimination à la source des problèmes concernent l’application de normes de sécurité lors de la mise en fonction des laboratoires comme la délimitation des zones dangereuses, les caractéristiques de la ventilation, le choix de matériaux, etc. (Tableau 5). Ceci se fait sur la base d’une règlementation concernant la conception d’un laboratoire.

Cependant, les visées de transformation des actions de prévention au niveau primaire font généralement partie du cadre de travail et concernent donc l’environnement de travail. Pour les formations, la visée peut autant concerner l’environnement de travail par la mise en place d’un dispositif de formation (ex. temps alloué, contenu de la formation) que l’individu (ex. ses compétences, ses perceptions). À noter que les formations concernent particulièrement la connaissance des risques et la sensibilisation aux dangers potentiels et au port des EPI et non le développement d’un savoir-faire facilitant l’accomplissement des tâches.

Aucune adaptation du poste de travail, des équipements ou des outils (E) n’est rapportée par les parties prenantes lors de l’accueil d’un·e nouvel·le employé·e. Par ailleurs, aucune action de prévention primaire n’a été rapportée concernant la santé mentale.

Tableau 5

Actions de prévention primaire rapportées être faites par les parties prenantes, classées par type d’activité du SGSST et par visée de transformation

Actions de prévention primaire rapportées être faites par les parties prenantes, classées par type d’activité du SGSST et par visée de transformation

Légende des parties prenantes : AS-A : Accréditation syndicale A, AS-B : Accréditation syndicale B, SST : Service SST, GI-RH : Service GI-RH, GES : Gestionnaires de département ; Légende des types d’activité de prévention selon le SGSST : Int-S : Interventions à la source, Int-P/S : Interventions entre la source et la personne exposée, Int-P : Interventions auprès des personnes exposées ; Légende des types de visées des actions de prévention : Env : Sur l’environnement, Ind : Sur l’individu.

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4.1.2 Les actions de prévention secondaire

La prévention secondaire concerne les actions de surveillance et de dépistage qui permettent l’identification des problèmes émergents. Elle concerne aussi les programmes ou les projets d’amélioration des situations de travail qui permettent d’apporter des solutions aux problèmes émergents identifiés. Toutes les parties prenantes rapportent participer à la surveillance de la santé et au dépistage de problèmes émergents dans des situations de travail existantes (Tableau 6). Comme en prévention primaire, peu d’interventions à la source selon le SGSST, sont rapportées par les parties prenantes.

Plusieurs éléments n’ont pas de visée de transformation puisqu’il s’agit principalement d’actions pour identifier les problèmes et non pour les régler.

Tableau 6

Actions de prévention secondaire rapportées être faites par les parties prenantes, classées par type d’activité du SGSST et par visée de transformation

Actions de prévention secondaire rapportées être faites par les parties prenantes, classées par type d’activité du SGSST et par visée de transformation

Légende des parties prenantes : AS-A : Accréditation syndicale A, AS-B : Accréditation syndicale B, SST : Service SST, GI-RH : Service GI-RH, GES : Gestionnaires de département ; Légende des types d’activités selon le SGSST : Int-S : Interventions à la source, Int-P/S : Interventions entre la source et la personne exposée, Int-P : Interventions auprès des personnes exposées ; Légende des types de visées des actions de prévention : Env : Sur l’environnement, Ind : Sur l’individu.

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Pour l’identification des risques, les accréditations syndicales rapportent effectuer les tournées d’inspection des lieux dans les départements dans lesquels se trouvent les employé·es qu’ils représentent. Ces tournées d’inspection des lieux leur permettent aussi de rencontrer les employé·es qui leur rapportent des problèmes comme des défaillances techniques ou des situations dangereuses. Le Service SST rapporte aussi faire des tournées d’inspections dans les laboratoires, pour les risques liés aux matières dangereuses, mais aussi en dehors des laboratoires pour des risques liés à la sécurité qui sont réglementés (ex. les espaces clos, la sécurité machine).

Pour la surveillance de la santé, le Service GI-RH et le Service SST étaient en train de mettre en place un programme de santé (ex. examens auditifs et visuels, relevés d’exposition à des substances) pour les personnes exposées à des risques particuliers et réglementés (ex. exposition au bruit, à des lasers ou à des substances).

Le dépistage des situations dangereuses pour la sécurité et la surveillance de la santé (risques particuliers) est aussi effectué grâce au formulaire du rapport d’accident-incident et de premiers secours de l’établissement, rempli par la personne affectée et son gestionnaire. Ce formulaire, reçu par le Service GI-RH et transmis au Service SST et au syndicat concerné, permet de déclarer des situations qui auraient pu, ou qui ont causé une lésion qui a mené ou non à une absence.

Lors de la correction d’un poste de travail à la suite de l’identification d’un risque par les différents moyens décrits précédemment, des actions de nature variée peuvent être effectuées : changer un outil ou le matériel (à la source), ajouter des équipements de protection (entre la personne et la source) ou sensibiliser la personne à la présence d’un risque ou à modifier sa façon de faire (auprès des personnes exposées).

Pour les problèmes de santé mentale, une gestionnaire rapporte la possibilité de revoir les tâches d’une personne qui ressentirait trop de stress. Ces personnes peuvent aussi être orientées vers le Programme d’aide aux employé·es (PAE). Lors de conflits dans une équipe, la gestionnaire recourt au Service des ressources humaines ou au service de soutien face à du harcèlement psychologique. Le Service des ressources humaines rapporte avoir mis en place une formation afin que les gestionnaires puissent identifier une personne en détresse, pour qu’ils sachent intervenir (ex. savoir s’adresser à une personne en détresse, trouver des solutions au cas par cas ou diriger vers les ressources pertinentes) et réagir lorsque la personne revient après une absence.

Plusieurs parties prenantes rapportent des actions de correction en prévention secondaire sur des postes de travail situés dans des locaux neufs et pour lesquels ils n’avaient pas été consultés lors de leur conception, ce qui aurait été une occasion de faire de la prévention primaire. Une représentante du Service GI-RH rapporte :

« Après ça j’ai comme des travailleuses qui se plaignent de douleurs […]. Donc là oui je me dis comment ça se fait qu’ils n’ont pas mis... c’est des nouveaux locaux […] il y a quelqu’un qui les a conçus là. » (Conseillère du Service GI-RH).

Le représentant de l’accréditation syndicale A rapporte aussi des corrections dans de nouveaux locaux :

« […] là ça a été de refaire la ventilation au complet, qui était pas correcte, pourtant c’était neuf ou presque » (Représentant à la prévention de l’accréditation syndicale A).

Une situation similaire a été rapportée par le Service SST qui a refusé un mandat de correction de poste de travail à l’ordinateur dans un local neuf, car le problème de conception était trop majeur.

4.1.3 Les actions de prévention tertiaire

Les actions de prévention tertiaire, pour faciliter le retour au travail après une absence, correspondent aux activités associées au processus d’indemnisation et son suivi (incluant le droit à la réadaptation et au retour au travail). Le tableau 7 présente les actions rapportées par les parties prenantes pour faciliter le retour au travail.

Tableau 7

Actions de prévention tertiaire rapportées être faites par les parties prenantes, classées par type d’activité du SGSST et par visée de transformation

Actions de prévention tertiaire rapportées être faites par les parties prenantes, classées par type d’activité du SGSST et par visée de transformation

Légende des parties prenantes : AS-A : Accréditation syndicale A, AS-B : Accréditation syndicale B, SST : Service SST, GI-RH : Service GI-RH, GES : Gestionnaires de département ;Légende des types d’activité de prévention selon le SGSST : Int-S : Interventions à la source, Int-P/S : Interventions entre la source et la personne exposée, Int-P : Interventions auprès des personnes exposées ; Légende des types de visée des activités de prévention : Env : Sur l’environnement, Ind : Sur l’individu.

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L’identification des incapacités ayant mené à une absence s’effectue de différentes façons par le Service GI-RH : d’abord, à partir de l’analyse des absences déclarées dans un logiciel par les employé·es, approuvées par les gestionnaires ; ensuite, par l’analyse des formulaires de rapport d’accident-incident et de premiers secours qui donnent des informations sur la situation de travail ; enfin, lors de la réception de documents relatifs à la condition médicale d’une personne, qui peuvent préciser une absence du travail ou un diagnostic médical.

Les parties prenantes rapportent être impliquées dans plusieurs actions menées lors du retour au travail d’une personne à la suite d’une incapacité totale (absence) (Tableau 7). L’accréditation syndicale A s’intéresse aux paramètres de retour au travail uniquement si elle est mandatée dans le dossier, notamment pour les démarches administratives et lors de contestations du dossier. Les actions rapportées par le Service GI-RH concernent l’évaluation du poste de travail par un professionnel externe pour les personnes revenant au travail avec des limitations fonctionnelles ou lorsque la personne ou le médecin le demande. Cependant, il n’a pas été spécifié si les évaluations de postes visaient l’élimination des problèmes à l’origine de la lésion (ou ayant pu l’aggraver) ou si ces actions visaient l’adaptation du poste aux conditions particulières de la personne suite à sa lésion (ex. limitations fonctionnelles). Dans le tableau 7, nous avons fait l’hypothèse que ces actions pouvaient se rapporter autant à l’individu qu’à l’environnement mais nos résultats ne permettent pas de nous positionner clairement. Ces actions viseraient alors la transformation de l’environnement de travail (E) (Tableau 7). Le Service GI-RH offre aussi un accompagnement à la personne lors du retour au travail afin de développer ses « bonnes habitudes de travail » (I). Le retour au travail progressif est aussi rapporté par le Service GI-RH. Les gestionnaires de département font le suivi de l’adaptation des tâches et de l’horaire de la personne lors du retour au travail, donc au niveau de l’organisation du travail (E).

4.2 Représentation de la prévention intégrée des parties prenantes

Les parties prenantes interviewées ont rapporté leur vision de la prévention intégrée ainsi que des actions qui permettraient de mettre en place une prévention intégrée dans le contexte de leur milieu de travail. Le tableau 8 présente les éléments rapportés par les parties prenantes de l’établissement et par le comité de suivi en ce qui concerne leur vision globale et les actions qui représentent la prévention intégrée.

Tableau 8

Représentation de la prévention intégrée des parties prenantes à partir des entrevues individuelles et de la rencontre du comité de suivi de l’étude

Représentation de la prévention intégrée des parties prenantes à partir des entrevues individuelles et de la rencontre du comité de suivi de l’étude

Légende : AS-A : Accréditation syndicale A, AS-B : Accréditation syndicale B, SST : Service SST, GI-RH : Service GI-RH, GES : Gestionnaires de département.

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4.2.1 La prévention intégrée : une façon d’améliorer la prévention dans l’établissement

D’une façon générale, les parties prenantes perçoivent la prévention intégrée comme une façon d’améliorer la prévention dans l’établissement (tableau 8).

Plusieurs personnes du Service SST et du Service GI-RH précisent que la prévention intégrée réfère à l’implication de « toutes les strates de l’organisation », que tout le monde se sente imputable et soit impliqué en prévention. Les personnes du Service SST et de l’accréditation syndicale A rapportent l’importance d’impliquer la haute direction et les directions de services comme celle du Service des achats. Les personnes du Service SST et du Service GI-RH soulignent l’importance de la responsabilité des gestionnaires de département en prévention. Pour ces deux services, les gestionnaires de département devraient davantage suivre les recommandations qu’ils leur proposent sur des aspects de prévention (ex. sur l’achat d’équipements ou sur la mise en place de procédures). Par contre, une gestionnaire de département propose plutôt de responsabiliser les employé·es à la prévention (ex. qu’ils apprennent à ajuster leurs postes de travail avec le logiciel de formation en ligne).

Pour une personne du Service SST, l’amélioration de la prévention signifie être plus « proactif », c’est-à-dire de ne pas considérer la SST comme une obligation légale en réagissant aux problèmes au fur et à mesure qu’ils émergent, mais plutôt de l’intégrer dans la culture de l’établissement. Une personne du Service GI-RH exprime le besoin de « réagir en bonne prévention », c’est à dire de cibler les actions de prévention aux endroits où il y a le plus de problèmes identifiés en gestion de l’invalidité.

La prévention intégrée évoque aussi l’intégration de la prévention dans les activités et les tâches courantes des employé·es afin d’augmenter leur conscience des risques auxquels ils et elles sont exposé·es. Par contre, une gestionnaire aborde les difficultés d’agir en prévention plutôt qu’en réaction :

« Et quand on parle de prévention, […], c’est de prévoir quelque chose qui n’a pas encore eu lieu. […], ça prend une volonté, ça prend... c’est pas naturel comme réaction. Parce que c’est sûr que les actions correctives, c’est naturel, c’est facile, mais le préventif... » (une gestionnaire).

Une conseillère du Service GI-RH trouve aussi difficile de s’impliquer plus en prévention, mais souligne plutôt le manque de moyens humains pour le faire.

Plusieurs personnes du Service SST, du Service GI-RH et de l’accréditation syndicale B, proposent le déploiement d’un plan de prévention formel (ou de politiques écrites en SST) accompagné d’un plan de communication clair pour que la structure de prévention soit connue dans l’établissement.

La prévention intégrée réfère aussi à l’arrimage entre différents services. Par exemple, cet arrimage pourrait se faire en améliorant l’échange d’informations pour agir plus efficacement et ainsi améliorer le service aux usagers. Pour un représentant de l’accréditation syndicale B, l’arrimage de tout le monde permettrait « d’être sur la même longueur d’onde » ou de « marcher dans le même sens ».

Une personne du Service SST propose d’avoir une personne dédiée à l’élaboration d’une vision d’ensemble des problématiques émergentes :

« Je pense qu’on voit plus les départements qui émergent de temps en temps. Mais je ne pense pas qu’on a la photo parfaite pour dire ouais là c’est plus problématique que là ou là […] ça on n’est pas capable […] d’anticiper où est-ce qu’on devrait mettre plus d’énergie au niveau de la prévention. » (une personne du Service SST).

Une personne du Service GI-RH propose la mise en place d’un comité spécifiquement dédié à la prévention, conjoint avec le Service SST, le Service GI-RH et un représentant du département ciblé. Le représentant de l’accréditation syndicale A rapporte l’importance d’avoir des décideurs sur les comités SST, « quelqu’un qui étampe » les décisions, afin que les solutions amenées dans les comités SST soient réellement mises en place.

Une gestionnaire propose de bonifier l’accueil des nouveaux employés et des nouvelles employées mais, d’un autre côté, craint qu’ils et elles soulèvent des problèmes auxquels ils n’auraient pas pensé autrement :

« [une procédure d’accueil], peut-être, ça pourrait faire partie. Jusqu’à un certain point parce que je ne voudrais pas que justement on aille au-devant là de certains besoins qui n’étaient pas là, qui n’auraient pas été là autrement. » (une gestionnaire).

Une personne du Service SST propose la mise en place d’un système pour suivre les formations effectuées par les employé·es au fil du temps et les besoins de mises à jour. Une personne du Service GI-RH propose aussi des formations annuelles de sensibilisation mais plutôt orientées sur les « bonnes habitudes de vie au travail » pour diminuer les risques de blessures.

Une personne du Service SST propose la mise en place d’un logiciel qui permettrait de faire le suivi du programme de santé (ex. examens auditifs, vaccins) des employé·es afin de faciliter la collaboration avec le Service GI-RH, aussi responsable de ce programme.

4.2.2 La vision de la prévention intégrée élaborée par le comité de suivi

En plus des éléments décrits précédemment, le Service SST et le Service GI-RH associent la prévention intégrée à un arrimage entre leurs deux services. Même s’ils siègent tous deux dans les comités santé-sécurité, le chef du Service SST rapporte que cela ne suffit pas pour être arrimés. Plus précisément, la prévention intégrée évoque à ces deux services un échange d’informations entre eux sur les données de prévention et de réadaptation. Selon eux, cet échange d’informations leur permettrait d’être plus efficaces en prévention :

Selon la cheffe du Service GI-RH : « [le Service SST] n’en a aucune idée des statistiques ou des problématiques d’invalidité qu’on peut avoir. Fait que nécessairement, il faudrait qu’on puisse se nourrir mutuellement, voici le portrait, tsé de façon générale les diagnostics, pour qu’eux autres [du Service SST] puissent bien réagir en bonne prévention là. »

Ils évoquent l’importance d’être conscients des actions effectuées par chacun pour cibler les actions en prévention et avoir un portrait général de la situation.

Des personnes du Service SST proposent la prise en charge des nouveaux employés et des nouvelles employées dès leur arrivée dans leur environnement de travail. Par exemple, le Service des ressources humaines pourrait identifier les personnes nouvellement embauchées via le Service de rémunération, auxquelles le Service SST pourrait offrir des formations selon les risques auxquels elles sont exposées.

L’arrimage entre le Service SST et le Service GI-RH pourrait être organisé dans une boucle de rétroaction comme suit : le Service GI-RH pourrait cibler les départements et les types de lésions les plus problématiques à travers les statistiques de gestion de l’invalidité, ce qui permettrait au Service SST de cibler ses actions de prévention en conséquence. Le Service GI-RH pourrait ensuite faire un retour au Service SST de l’efficacité de leurs actions, toujours en analysant les statistiques. Le Service SST propose de développer des indicateurs d’incidence et de gravité des lésions qui permettent de refléter la diversité des départements mais sans être trop complexes.

5. Discussion

Cette étude a permis de comprendre ce que représente la prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention aux niveau primaire, secondaire et tertiaire pour les parties prenantes d’un établissement. Nous nous sommes intéressées à classer les actions de prévention de ces parties prenantes de telle sorte que nous puissions les situer dans un SGSST largement utilisé au Québec et comprendre leurs visées de transformation sur les individus ou sur l’environnement de travail.

Dans cette section, nous reviendrons sur les principaux résultats concernant les actions de prévention rapportées dans l’établissement. Nous nous attarderons aussi sur l’influence de la complexité de la structure de prévention de l’établissement sur la vision de la prévention intégrée des parties prenantes. Ensuite, nous soulignerons l’importance d’adopter une approche constructive de la santé dans le cadre du développement d’une prévention intégrée. Nous terminerons par une réflexion sur l’arrimage des approches de prévention.

5.1 Les actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire

Les résultats montrent que les niveaux de prévention primaire, secondaire et tertiaire impliquent des parties prenantes différentes et ont chacune une orientation spécifique.

Au niveau de la prévention primaire, la partie prenante qui rapporte le plus d’actions est le Service SST. Ses actions concernent surtout l’application de règlements relatifs à la sécurité et à l’hygiène dans les laboratoires. La gestionnaire de département qui rapporte des actions de prévention primaire supervise des laboratoires. Son implication concerne donc aussi les procédures et règlements de sécurité en laboratoire. Le classement dans le SGSST montre que les actions sont plus axées sur la formation des personnes à leur arrivée que sur le règlement des problèmes à la source. Les actions visent la transformation de l’environnement de travail mais surtout pour des aspects règlementés dans le cadre légal, comme des dangers en laboratoires. Peu d’actions visent la prévention des troubles musculo-squelettiques (ex. formation sur l’ajustement de postes de travail) et aucune n’aborde la prévention primaire des problèmes de santé mentale.

Il aurait été intéressant de compléter la liste des actions de prévention primaire avec les actions effectuées par le Service des achats mais ce dernier n’a pas souhaité participer à l’étude. Pourtant plusieurs remarques des parties prenantes sont liées au fait qu’elles ne sont pas consultées au moment de la conception ou des achats.

Au niveau de la prévention secondaire, toutes les parties prenantes rapportent être impliquées dans l’identification des risques et la correction de problèmes. Plusieurs outils ou processus sont utilisés pour identifier les problèmes. Cependant, en prévention secondaire, peu d’actions pour corriger les problèmes sont à la source. Il ressort aussi que des actions de prévention secondaire visent à corriger des problèmes identifiés dans des locaux neufs ou suite à des rénovations.

Au niveau de la prévention tertiaire, ce sont le Service GI-RH et les gestionnaires qui sont impliqués. Ces parties prenantes font aussi appel à des professionnels externes, surtout pour la réadaptation. L’implication des autres parties prenantes comme les syndicats ou le Service SST est restreinte par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) qui régit le processus d’indemnisation et son suivi. Les actions de prévention tertiaire visent l’environnement de travail et l’individu, mais dans un contexte de réadaptation et de retour au travail de la personne lésée seulement.

5.2 Une vision de la prévention intégrée influencée par la complexité de la structure de prévention de l’établissement

Les résultats montrent que les parties prenantes ont une vision de la prévention intégrée qui est systémique et qui vise à intéresser plus de parties prenantes et à élargir les actions de prévention.

Dans leur vision de la prévention intégrée, les parties prenantes énoncent des éléments qui, selon eux, pourraient être améliorés dans leur système de prévention en place comme l’implication de tout le monde en prévention dans l’établissement et le développement d’une culture de prévention. Cette vision de la prévention intégrée des parties prenantes semble correspondre aux activités relationnelles et aux activités liées à la culture d’entreprise du SGSST telles que décrites par Dionne-Proulx et Laroche (2018).

Du côté du comité de suivi de cette étude, composé de personnes du Service SST et du Service GI-RH, la prévention intégrée correspond à un arrimage entre leurs deux services. C’est aussi un objectif qu’ils se sont fixés pour améliorer le système de prévention en place. Ces deux services soulèvent le besoin d’avoir un portrait global de la situation pour avoir une meilleure idée des besoins de prévention dans l’établissement. Les problèmes identifiés par le Service GI-RH pourraient être transmis au Service SST afin qu’ils les résolvent. Ces données issues de la gestion des absences permettraient au Service SST de cibler les populations à risques et de prioriser leurs actions. Cette façon de fonctionner proposée par les parties prenantes semble toutefois rester en réaction, pour corriger des problèmes existants, plutôt qu’en prévention. À plusieurs reprises, les parties prenantes ont soulevé le manque de moyens humains pour faire plus de prévention. Ainsi, on peut se demander si les ressources pour corriger les problèmes identifiés sont suffisantes dans l’établissement.

Cette vision de la prévention intégrée illustre l’intérêt de développer une prévention intégrée mais reflète la complexité d’arrimer les différentes parties prenantes dans un grand établissement où la structure de prévention est complexe.

La structure de prévention de l’établissement s’est développée au fur et à mesure de la mise en place de nouveaux règlements et de nouvelles normes, et de l’identification de nouveaux dangers dans leur établissement ou dans des établissements similaires. L’ajout successif, au fil du temps, de structures de prévention visant à contrôler les dangers, semble avoir eu pour effet 1) de complexifier la structure de prévention, 2) de créer des structures de prévention en silo, et 3) de mettre de côté des aspects de la santé au travail qui ne sont pas régis par des règlements.

Aussi dans cet établissement de plus de 5000 employé·es, on retrouve des corps de métiers aux enjeux de SST très différents, des départements indépendants et de nombreuses accréditations syndicales qui ont des structures de prévention variées. De précédentes études ont montré que la place faite à la SST par les syndicats varie selon leur structure SST qui est plus ou moins développée selon les conditions légales, le temps alloué à la SST (dégagement de leurs autres fonctions), leur formation, la représentation et la compréhension de leur rôle (Baril-Gingras et Dubois-Ouellet, 2018 ; Brun et Loiselle, 2002).

Ceci soulève des questions sur les rôles et les responsabilités de chacun dans la structure de prévention. Une dizaine de personnes du Service SST ont pour fonction la mise en place d’un système de prévention et de gestion des risques en SST pour l’ensemble de l’établissement dont les départements, les métiers et les risques sont très variés. Dans un SGSST, tout le monde (employé·es, gestionnaires, etc.) est responsable de la SST au quotidien et les activités de SST devraient être incluses dans les activités courantes de gestion. Dans cette structure, il revient donc à chaque gestionnaire de département d’être actif en prévention. Comme illustré dans les verbatims présentés précédemment, tous les gestionnaires n’ont pas la même formation et les mêmes préoccupations en SST. De plus, personne n’a le mandat de coordonner les différents services et départements entre eux. Le Service SST a un rôle plutôt macro de mise en place des procédures et d’application des Lois et règlements, ce qui peut expliquer le fait qu’ils soient peu nombreux malgré les demandes, car leur rôle n’est pas d’être en première ligne dans les départements.

Cependant, on constate les limites de cette façon de fonctionner avec des gestionnaires plus ou moins disposés à s’impliquer en prévention pour une multitude de facteurs, que ce soit leur charge de travail, leur sensibilisation à l’importance de la SST ou leur crainte de soulever de nouveaux problèmes auxquels ils n’auraient pas les moyens de faire face. Pourtant le soutien apporté par les superviseurs est un élément permettant d’instaurer une culture de prévention et de protéger les travailleur·ses exposé·es à des risques en santé et en sécurité du travail (Huang et coll., 2018 ; Puah et coll., 2016 ; Yanar et coll., 2019). Aussi, l’accompagnement offert par les superviseurs aux travailleur·ses ayant des lésions est reconnu pour faciliter le retour au travail (Jetha et coll., 2018 ; Nastasia et coll., 2017 ; Negrini et coll., 2018 ; Shaw et coll., 2006).

5.3 Le besoin d’une approche constructive de la santé pour prendre en considération les maladies professionnelles multifactorielles et pour le développement d’une prévention intégrée

Les résultats montrent que les actions de prévention qui sont traitées au niveau primaire sont celles régies par des Lois et des règlements en SST, associées, par exemple, à la gestion de la ventilation, à la sécurité des machines et à la gestion des matières dangereuses dans les laboratoires. Les actions de prévention des maladies professionnelles multifactorielles comme les troubles musculo-squelettiques et les problèmes de santé mentale sont peu représentées dans les actions de prévention citées par les parties prenantes. Ces résultats vont dans le même sens que d’autres recherches.

L’étude de Baril-Gingras et Dubois-Ouellet (2018) a montré que les actions rapportées par les syndicats sont surtout orientées vers les risques liés à la sécurité desquels découlent des blessures traumatiques. Comme le rapportent Baril-Gingras et Dubois-Ouellet (2018), ce champ d’action restreint la définition de la santé et de la sécurité du travail à des aspects de sécurité, délaissant les aspects liés à la santé (non couverts par la LATMP) qui sont peu traités par les acteurs de la SST. Les approches normatives qui évaluent le degré de conformité au prescrit ne sont pas suffisantes et nécessitent de développer des connaissances sur les situations de travail (Nascimiento et coll., 2013). Les approches orientées par type de danger scindent en objets particuliers les actions de prévention, sous-estiment l’origine multifactorielle des impacts sur la santé et ne favorisent pas une approche globale de la santé au travail (Briec et Y, 2011 ; Coutarel et Petit, 2013). Ce constat peut avoir des conséquences négatives sur la prise en charge de la santé au travail et possiblement sur la santé des femmes qui sont plus exposées à des conditions de travail amenant ce type d’impact d’origine multifactorielle sur la santé (Fortino, 2014 ; Lippel et Cox, 2012).

Différentes perspectives comme celle apportée par les systèmes de gestion des risques et l’approche constructive de la santé développée en ergonomie (Falzon, 2013), devraient être conciliées pour appréhender d’une façon globale la santé et la sécurité du travail.

5.4 De la coordination des actions de prévention en milieu de travail à l’arrimage des approches de prévention

Dans l’analyse des actions de prévention, nous nous sommes également intéressées à la visée de transformation. Notre préoccupation était de voir si les actions de prévention visaient l’amélioration des conditions de travail ou bien la responsabilisation des individus. Certaines actions de prévention comme la gestion des EPI et l’offre de formations amènent à réfléchir quant à la visée de transformation qui peut concerner autant l’environnement de travail que la personne.

Dans le SGSST utilisé dans cette étude, le port des EPI est une intervention auprès des personnes exposées, c’est-à-dire qui repose sur le comportement de l’individu malgré le fait que ce qui est préconisé par la LSST et par les auteurs du SGSST (Laroche et coll., 2018 ; Pérusse, 2012) soient les actions de prévention à la source. En ergonomie, les équipements de protection individuels (EPI) offerts par un établissement sont considérés comme des éléments du dispositif technique du cadre du travail importants à analyser, car ils peuvent avoir un impact négatif sur l’individu qui les porte s’ils sont, par exemple, mal ajustés et s’ils rendent difficile la réalisation de l’activité de travail. Ainsi, les EPI peuvent permettre de se protéger contre un risque, mais peuvent aussi être une source de contraintes pour la réalisation de l’activité et avoir un impact négatif sur la santé.

Les formations, dans le SGSST, sont des interventions auprès des personnes exposées, qui visent à les sensibiliser à des dangers et à les inciter à adopter des procédures sécuritaires. Par exemple, dans nos résultats, le Service GI-RH a mis en place une formation aux gestionnaires en réponse aux problèmes associés à la santé mentale dans les départements. En ergonomie, l’élaboration d’une formation peut autant viser le développement des compétences de la personne et ainsi être axées sur l’individu, qu’à améliorer le dispositif de formation et donc viser l’environnement de travail. Aussi, le contenu des formations développées par l’intervention en ergonomie s’attarde plutôt à la transmission de savoirs professionnels théoriques et pratiques pour permettre le développement de savoir-faire efficients chez les apprentis (Chatigny, 2001 ; Ouellet, 2013 ; Ouellet et Vézina, 2008). Les formations de sensibilisation visant à outiller les personnes à la détection et au traitement de problèmes comme le stress, l’épuisement professionnel et la violence au travail semblent renforcer une approche qui vise à éviter l’exposition à des dangers au détriment d’une approche de construction de la santé au travail (Rouat, 2019).

En complément de la connaissance des dangers proposée dans les formations en SST, il est important que le milieu de travail propose des ressources aux personnes en activité, car la seule connaissance de ces dangers ne suffit pas à s’en prémunir (Rouat, 2019). Les programmes de formation mis en place en « top-down » sont désincarnés de l’activité réelle de travail et peuvent complexifier cette activité (Aubry et Feillou, 2019).

Tout comme pour la prévention des TMS et des problèmes de santé mentale, les formations sur la sécurité et l’hygiène du travail devraient aussi considérer les connaissances sur les situations de travail, car le respect des procédures et la conformité aux règles prescrites ne sont pas toujours suffisants. Les formations qui développent les compétences des personnes augmentent leurs ressources et leur permettent de gérer et de construire la sécurité en situations de travail réelles (Nascimiento et coll., 2013).

À travers l’analyse des visées de transformation des actions de prévention, il est ressorti que ce n’était pas chose facile de classer certaines actions et que l’analyse pouvait différer selon le classement utilisé. Cet exercice a fait ressortir la différence de cadre théorique explicatif des mécanismes de prévention utilisé en ergonomie et dans le SGSST. Dans le cadre du développement d’une prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention, il semble important de prendre conscience de ces différences de cadre théorique qui expliquent les mécanismes de prévention, d’un côté à travers l’exposition à un danger ou d’un autre côté à travers la compréhension des situations de travail afin de définir les visées de transformation.

Ainsi, la coordination des actions de prévention soulève le besoin 1) de préciser en quoi consistent les actions de prévention déployées dans les milieux de travail, quels sont leurs contenus, 2) d’adopter une approche constructive de la santé qui permette d’appréhender les problèmes de santé multifactoriels, et 3) de développer une approche systémique d’analyse des situations de travail. Ces trois points soulèvent le besoin de discuter du positionnement des disciplines concernées par la santé et la sécurité au travail, des cadres théoriques sous-jacents et de leur articulation dans le développement d’une prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention.

6. Limites de l’étude

Les actions de prévention recensées sont celles rapportées par les parties prenantes et ne sont donc pas exhaustives des actions effectuées dans l’établissement. Par exemple, toutes les parties prenantes rapportent qu’elles font des inspections permettant l’identification de certains risques, mais il est difficile d’apprécier à quel point des énergies sont consacrées à la transformation des situations identifiées.

Par ailleurs, bien que les quatre parties prenantes impliquées dans l’étude soient représentatives de celles identifiées dans d’autres interventions visant la coordination des actions de prévention (Maiwald et coll., 2011 ; Tremblay-Boudreault et coll., 2011), il aurait été intéressant d’impliquer d’autres parties prenantes dans l’étude, comme le Service des achats, qui pourrait avoir un rôle en prévention primaire. Malgré plusieurs tentatives, les personnes de ce service n’ont pas souhaité répondre à nos demandes. Cette réticence peut être expliquée par une charge de travail élevée mais aussi par des tentatives de projets communs avec le Service SST qui auraient été infructueuses dans le passé. Malgré le fait que les entrevues se limitent à quatre parties prenantes mais dont les personnes ont des responsabilités variées au sein du même service, le croisement des représentations des différents interviewés amène une diversité des points de vue et enrichit les perspectives de développement sur la prévention intégrée.

Il est à noter que cet article fait partie d’une étude plus large sur la prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention. Ainsi, le présent article n’aborde que partiellement le profil du personnel, la complexité de l’établissement, la gestion de la prévention pour des postes de travail variés. Des résultats complémentaires faisant appel à d’autres outils méthodologiques seront publiés dans le cadre d’une thèse de doctorat (Calvet, en préparation).

7. Portées de l’étude et perspectives de recherche

L’impact du cadre législatif de la LSST et la LATMP au Québec, ainsi que l’important développement des approches de la santé et de la sécurité du travail avec les SGSST (Dionne-Proulx et Laroche, 2018) ont grandement influencé les milieux de travail au Québec et leur structure de gestion de la SST. L’étude de la prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention abordée dans cet article a représenté une opportunité de discuter de l’apport et des limites des actions de prévention dans un établissement.

Cette étude est une des rares à mettre en place des investigations sur la prévention intégrée visant la coordination des actions de prévention dans un milieu de travail. L’étude soulève le besoin de clarifier le rôle des différentes parties prenantes dans les actions de prévention, en considérant leurs différentes perspectives et les moyens mis à leur disposition pour favoriser leur coordination dans une prévention plus intégrée. Aussi, la coordination des actions de prévention semble être une occasion de repenser les actions déjà en place dans l’établissement, de viser une meilleure proactivité de la structure et d’adopter une approche constructive de la santé.

8. Conclusion

Ces entrevues ont permis d’identifier les actions de prévention primaire, secondaire et tertiaire ainsi que la représentation de la prévention intégrée visant la coordination de ces actions de prévention dans les milieux de travail. Les actions de prévention rapportées par les parties prenantes sont influencées par la complexité de la structure de prévention de l’établissement, sont axées sur les aspects de sécurité et abordent peu la prévention des maladies professionnelles multifactorielles comme les TMS et les problèmes de santé mentale. La vision de la prévention intégrée proposée par les parties prenantes met de l’avant des éléments qui sont semblables à un système de gestion en SST avec l’amélioration de la culture de prévention et l’implication de tout le monde en prévention (Dionne-Proulx et Laroche, 2018). Le Service de gestion de l’invalidité et le Service de santé et de sécurité du travail mettent de l’avant leur arrimage pour mettre en place une prévention intégrée. Cependant, davantage de ressources seront nécessaires.