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Introduction

Dans le précédent numéro de la Revue de psychoéducation (Vol. 44, no 2) au lieu de placer ma critique de l’ouvrage de Morency et Fontaine (2015), Demande et reçois, dans la rubrique Recensions, j’ai décidé de l’inclure dans la rubrique Controverse (Larivée, 2016). Cette décision était en partie fondée sur la nécessité éthique de dénoncer haut et fort un ouvrage qui demande aux adolescents (12 ans et plus) de cesser de réfléchir, « histoire de fermer le clapet de [leur] cerveau rationnel une fois pour toutes » (p.101), et de se contenter de demander à l’univers ce qu’ils veulent. L’ouvrage d’Yves Gingras (2016), est aux antipodes du livre de Morency et Fontaine, c’est pourquoi j’ai donc voulu lui donner autant d’espace.

Gingras a produit un ouvrage magistral dont le contenu érudit est solidement appuyé par de nombreuses références. Son expertise d’historien et de sociologue des sciences est manifeste tout au long de son ouvrage de 325 pages.

D’entrée de jeu, il campe le sujet de sa réflexion : « Comment expliquer le retour en force, depuis les années 1980-1990, de la question des relations entre science et religion et des appels au “dialogue” entre les deux domaines » (p.9) dont les objets d’étude et les méthodes sont pourtant aux antipodes. Puis, au lieu de présenter dans l’ordre un à un le contenu de chaque chapitre, il lance ses thématiques en désordre, ce qui surprend et stimule la curiosité du lecteur.

Les chapitres 1 et 2 rapportent l’histoire de la condamnation de Galilée par l’Église en 1633 jusqu’à sa réhabilitation par Jean-Paul II en 1992 à l’occasion du 350e anniversaires de son décès. Le cas Galilée illustre parfaitement l’impossible dialogue entre la science et la religion. À l’époque, tout propos contraire à ceux des écritures bibliques était déclaré ipso facto contraire à la vérité. Gingras décrit fort bien l’affrontement majeur qui éclate alors « pour déterminer quelle interprétation a préséance sur les questions concernant la nature : celle des théologiens, fondée sur la Bible et les Pères de l’Église, ou celle des savants fondée sur les observations, sur les calculs et la raison? » (p.47)

L’Inquisition fit son oeuvre. Galilée a eu beau proposer ou se soumettre à divers compromis, rien n’y fit. Il sera finalement condamné. Ses ouvrages et ceux de son prédécesseur Copernic furent mis à l’index. Il faudra « attendre deux cents ans pour que les ouvrages de ces deux grands savants soient retirés de l’Index […] et 150 autres années pour voir Jean-Paul II répondre de façon à peu près adéquate aux demandes répétées des savants du monde entier visant à réhabiliter Galilée et à faire admettre que sa condamnation fut une erreur de la part de l’Église catholique » (p.88). Citant des extraits de l’allocution de Jean-Paul II prononcés le 31 octobre 1992 à l’Académie pontificale des sciences, Gingras rappelle que selon le pontife « toute cette histoire aurait été une “tragique incompréhension réciproque” qui fut “interprétée comme le reflet d’une opposition constitutive entre science et foi”. Les élucidations apportées par les récentes études historiques, ajoute [le pape], “nous permettent d’affirmer que ce douloureux malentendu appartient désormais au passé”. À une longue époque conflictuelle, il voulait ainsi substituer une nouvelle ère de “dialogue” » (p.116-117).

Le lecteur féru d’histoire trouvera dans ces deux premiers chapitres une quantité d’informations pertinentes, appuyées sur plus d’une centaine de références, illustrant de manière percutante à quel point un tel dialogue entre la science et la religion est impossible. Certains pourraient considérer que la partie consacrée à Galilée est un peu longue, et ce d’autant plus que d’autres informations sont ajoutées dans le chapitre 4. Toutefois, cette insistance montre le dogmatisme de l’Église et souligne les nombreuses tentatives des scientifiques au cours des siècles pour réhabiliter la mémoire de Galilée.

Dans le chapitre 3, Gingras rappelle qu’au début du XVIIe siècle, la science moderne s’institutionnalise, bien que les chercheurs restent prudents dans leurs déclarations vu le pouvoir de l’Église; ils préfèrent considérer pendant un moment « que science et religion ne sont pas en conflit, mais contribuent à leurs manières respectives, à la gloire de Dieu » (p.121-122). Puis, Gingras montre qu’à travers le temps, des sciences autres que l’astronomie et la physique vont donner de plus en plus de poids à la conception matérialiste du fonctionnement de l’univers amenant Laplace (1749-1827) à considérer Dieu comme une hypothèse inutile pour expliquer les phénomènes de la nature. Plus particulièrement, des découvertes géologiques disqualifient la lecture biblique du déluge et l’âge de la terre selon les prétentions du texte sacré. Les écrits de Darwin s’inscrivent également dans cette mouvance. À cet égard, Gingras cite un extrait de l’autobiographie de Darwin qui affirme que « tout dans la nature est le résultat de loi immuable […] et que plus nous progressons dans notre connaissance des lois immuables de la nature, plus les miracles sont difficiles à croire » (p.147). Je reviendrai plus loin sur les notions de miracle et de prière en relation avec les actions de la John Templeton Foundation (FJT).

Dans le chapitre 4, intitulé La science censurée, Gingras rappelle à juste titre non seulement les nombreux cas de censure d’ouvrages scientifiques par les instances de l’Église, mais également, à la suite de l’affaire Galilée, « l’autocensure des savants catholiques » au sein même des universités. Même si l’Origine des espèces n’a jamais été officiellement mis à l’Index, d’autres ouvrages évolutionnistes l’ont été. La congrégation de l’Index avait bien compris l’enjeu : l’autonomie croissante des sciences risquait de disqualifier la religion : « La méthode de Darwin “tend à exclure Dieu de la science” ce qui ne peut, selon eux que mener à l’athéisme » (p.197).

Les chapitres 5 et 6, nous plongent au coeur même de l’interrogation clé de cet ouvrage. Je m’attarderai ici à deux éléments traités avec brio par Gingras : la notion de miracle et le rôle de la FJT puisque dans les deux cas on se réfère à la science. J’aborderai également un aspect auquel certains auraient pu s’attendre : la proposition de Gould (1999) à propos du non-empiètement des magistères (NOMA : Non-Overlapping Magisteria).

Les miracles. L’Église a compris depuis longtemps qu’elle ne pouvait pas faire abstraction du prestige et de l’efficacité de la science. La manière dont elle a décidé de gérer la question des miracles s’inscrit dans l’idée d’un dialogue entre science et religion. Ainsi, avant de conclure à une guérison miraculeuse, elle adopte au départ une attitude scientifique : elle doute. Elle fait appel à des médecins, dont la tâche est de trouver une explication naturelle à la guérison. Un miracle ne sera donc reconnu comme tel qu’à la suite d’une longue enquête basée sur l’expertise médicale. Si l’explication est plausible, l’évêque décidera s’il y a miracle ou pas (Ogorselez-Guinchard, 2014). La médecine a certes beaucoup progressée, mais elle n’est pas une science exacte. Les médecins de Lourdes ne peuvent donc pas garantir les certitudes que l’Église attend d’eux.

Selon le modèle biomédical, le corps est totalement gouverné par les lois de la nature. Pour la science, les miracles, à titre d’interventions surnaturelles, n’existent donc pas. Tout miracle allégué doit être compris comme un phénomène naturel non encore élucidé (Stempsey, 2002). La seule manière honnête et sensée de réagir à un événement incompréhensible est d’admettre humblement qu’on ne le comprend pas pour le moment. Invoquer tout de go une intervention divine revient à baisser les bras sur le plan intellectuel. Cette réserve est d’autant plus nécessaire que le progrès scientifique a expliqué maints phénomènes autrefois tenus pour surnaturels ou mystérieux (Maldamé, 2013). On peut dès lors imaginer sans peine que des miracles reconnus comme tels au siècle dernier pourraient aujourd’hui recevoir une explication, d’où probablement la rareté des miracles reconnus depuis la fin des années 1960.

L’opposition entre la science et la religion porte essentiellement sur leur méthode respective pour obtenir des connaissances fiables. La science requiert des preuves observables et mesurables pour évaluer un phénomène. La théologie de son côté privilégie des vérités dites fondamentales mais ne peut s’empêcher de statuer sur la nature de la réalité. La science est par définition ouverte à tout résultat pourvu que ledit résultat découle d’une expérimentation transparente sur le plan méthodologique et soit reproductible. Pour leur part, les vérités théologiques sont codifiées par des dogmes et relèvent d’une conviction qui par définition se passe de démonstration (Sloan, 2006). Ainsi, même si dans les deux approches il est question de vérité, de toute évidence, vérités scientifiques et vérité de la foi sont deux concepts antinomiques : alors que les premières se modifient au fil du temps, les secondes revêtent un caractère immuable.

Devant la difficulté croissante de recourir au miracle pour manifester la sainteté d’une personne, l’Église adopte une position de repli et transforme le sens du mot. À défaut d’une explication scientifique, l’objectif d’un séjour à Lourdes devient dès lors le ressourcement spirituel (Amiotte-Suchet, 2007). Cela permet à l’évêque de Lourdes, en accord avec les médecins, d’introduire une deuxième catégorie de guérisons – les guérisons intérieures – basée cette fois sur les témoignages. « Les médecins du sanctuaire n’hésitent plus à parler de “guérison intérieure”, de “délivrance” et de “libération” en relation avec “la paix du coeur retrouvée” » (Ogorselez-Guinchard, 2014, p.231). Cette confusion du vocabulaire utilisé entretien la méprise sur le rapport entre les démarches scientifique et théologique et débouche alors sur des liaisons dangereuses.

En effet, la manière dont on se permet désormais de jouer avec le sens du mot « miracle » contribue à maintenir l’incompatibilité entre les démarches scientifique et théologique. Par exemple, dans Lettres ouvertes : correspondance entre un athée et un croyant (Barette et St-Arnaud, 2013), le jésuite St-Arnaud confond miracle au sens courant et miracle au sens théologique. L’échange entre le religieux et le biologiste à propos du miracle illustre bien la double acception du terme et ipso facto accentue l’incompatibilité de la science et de la religion. S’appuyant sur une pirouette linguistique, St-Arnaud déplore que les hommes ne sachent pas reconnaître les milliers de miracles qui nous entourent. D’ailleurs, ajoute-il, « pour qui a conservé ainsi sa capacité d’émerveillement, la vie ordinaire nous réserve des miracles à profusion, qui n’ont pas fini de nous étonner […]. Il se permet même d’assimiler les découvertes scientifiques à des miracles qui « doivent tout autant réjouir les savants que nous, les incultes en la matière » (p.188). Bref, le mot « miracle » devient un mot fourre-tout (Orr, 2007), ce qui n’empêche pas St-Arnaud d’affirmer que les miracles sont, au-delà du fonctionnement normal du monde, « un témoignage de l’action de Dieu dans notre vie concrète » (p.189). Cette attitude fait dire à Barette : « L’approche scientifique de l’Église est donc un simulacre de science […]. En ignorance de cause, l’Église invoque le miracle surnaturel; ce faisant, c’est sa foi aveugle qu’elle exprime, et non pas une foi éclairée par la science ». (p. 198-199). En effet, il est tout de même curieux qu’en l’absence d’explications scientifiques, l’Église conclue au miracle comme si l’inexpliqué renvoyait forcément à une intervention surnaturelle. Pourtant, que quelque chose ne soit pas impossible ne prouve nullement son existence.

La Fondation John Templeton (FJT). On ne peut mettre côte à côte les mots « science » et « religion » sans évoquer la FJT, et Gingras n’y manque pas dans les chapitres 5 et 6 puisque ces manoeuvres sont au coeur même de l’interrogation de son ouvrage. Il montre en effet que l’ascension fulgurante des publications consacrées aux rapprochements entre science et religion au cours des trente dernières années est due en partie aux efforts de la FJT.

Qu’est-ce au juste que la FJT? Créée en 1987 par John Templeton, un riche homme d’affaires lié au fondamentalisme protestant, elle distribue pas moins de 60 millions de dollars par année en bourses et en programmes de recherche qui ont trait, entre autres sujets, à la nature spirituelle de l’Homme et de « la place occupée par la religion dans la discussion sur les lois de la nature dans la philosophie de la science » (Wikipédia, s.d.). Les projets de la FJT ratissent large, couvrant notamment les sciences naturelles et humaines, la philosophie et évidemment, la théologie. Les titres de deux ouvrages de Lydia Jaeger, directrice des études à l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne en France, traduisent bien les objectifs de la FJT : Lois de la nature et raisons du coeur : les convictions religieuses dans le débat épistémologique contemporain (2007) et Ce que les cieux racontent : la science à la lumière de la création (2008).

Il existe également un prix Templeton, décerné pour la première fois en 1973 « pour récompenser une personne ayant contribué au “progrès” de la religion » (p.244) et dont le montant dépasse toujours celui du prix Nobel. Par exemple, en 2008, le prix était de 1,6 millions de dollars. Parmi les récipiendaires, on retrouve en 1973 Mère Teresa, dont on sait que si son oeuvre est digne de mention, ce n’est pas parce qu’elle a « contribué de façon exceptionnelle à affirmer la dimension spirituelle de la vie » (Wikipédia, s.d.) au sens où l’entend la FJT. En effet, Fox (1994), un médecin américain en visite à Calcutta, observe un déplorable manque d’hygiène dans les locaux, la rareté de soins réels, le peu de compétence médicale des soignantes, un régime alimentaire insuffisant et l’absence d’antidouleur adéquats (Byfield et Byfield, 1997). Dans l’esprit de Mère Teresa, il ne s’agit pas de guérir les malades ni même de tenter de soulager leurs souffrances au sens médical du terme mais d’assujettir leur esprit au sens mystique qu’elle attribue elle-même à la souffrance et la mort. Tout se passe comme si sa mission essentielle consistait à permettre aux personnes malades et souffrantes de ressembler au Christ et, finalement, de s’assurer de le rejoindre rapidement dans l’au-delà. D’autres informations sont disponibles dans Les côtés ténébreux de Mère Teresa (Larivée, Sénéchal et Chénard, 2013).

Pour promouvoir une soi-disant complémentarité de la science et de la spiritualité, la FJT instrumentalise la science pour promouvoir la religion. Pour ce faire, elle finance des chercheurs connus - particulièrement en physique et en astrophysique - , une manoeuvre qui encourage « les usages mystico-théologiques de la physique » (p.271) que Gingras ne manque pas de dénoncer. Cette stratégie de la FJT contribue alors à créer l’illusion que le cumul des découvertes scientifiques ne peut que renforcer la spiritualité et que, par conséquent, la science doit être au service de la spiritualité, outrancièrement identifié par la FJT à la religion. En fait, ce programme est révélateur du jeu d’équilibriste permanent auquel se livre la FJT : « financer des programmes dont les sujets suscitent de véritables interrogations scientifiques et orienter le questionnement vers des aspects religieux présentés comme complémentaires » (Brosseau et Baudoin, 2015, p.43).

À cet égard, quoi de mieux pour brouiller la ligne de démarcation entre la science et la religion que de financer près de 90 facultés de médecine aux États-Unis pour qu’elles offrent des cours sur les liens entre la santé et la spiritualité, comme si la science et la religion faisaient partie d’une seule et même entreprise. Appeler du même coup à l’ouverture d’esprit fait passer les scientifiques qui refusent de jouer le jeu de la FJT pour des esprits fermés. Mais, l’ouverture d’esprit de la part de la FJT serait vraiment manifeste si elle acceptait de financer également des travaux centrés uniquement sur la science sans aucune connotation spirituelle ou religieuse.

Science et religion sont deux domaines inconciliables, mais probablement en partie à cause du prestige et de l’efficacité de la science, tout un chacun s’en réclame. Pour certains croyants, accorder d’entrée de jeu du crédit à la science devient en quelque sorte la voie royale non seulement pour concilier science et religion, mais aussi pour conclure que la science mène à la religion. Pourtant tenter de les rapprocher non seulement dilue leur essence et ne profite ni à l’une ni à l’autre, mais relève également de la tromperie. C’est la voie suivie par la FJT qui se consacre non seulement à la promotion de la religion, mais qui entend démontrer l’existence de Dieu en finançant des recherches à hauteur de plusieurs millions par années.

Le NOMA

La proposition de Gould selon laquelle la science et la religion gèrent leurs domaines respectifs indépendamment l’un de l’autre semble en satisfaire plus d’un. Cette proposition est absente du livre de Gingras, ce qui peut surprendre. Baril (2016) a questionné Gingras à ce sujet : « C’est consciemment que je ne parle pas du NOMA, répond-t-il. On parle de ce concept uniquement parce que ça vient de Gould qui était un personnage médiatique. Son NOMA est une confusion entre ce qui est et ce qui devrait être : il dit qu’il ne devrait pas y avoir conflit entre science et religion mais en fait il y a bel et bien conflit. Les historiens et les sociologues doivent expliquer la réalité et non énoncer des voeux pieux » (p.32).

Dawkins (2008) est même d’avis que « l’idée du NOMA n’est populaire que parce qu’aucune preuve ne va dans le sens de l’hypothèse de Dieu » (p.69). En fait, la proposition de Gould est surprenante. Il fustige à la fois les religieux fondamentalistes, pour qui la véracité de la Bible est à mettre sur le même pied que le contenu des ouvrages scientifiques, et les scientifiques qui n’accordent aucune crédibilité aux croyances religieuses.

Dans la dernière partie du chapitre 6 (p.289-292), Gingras cherche à répondre à la question suivante : « La raison a-t-elle des limites? ». Pour ce faire, il analyse brièvement la conférence prononcée par Benoit XVI à Ratisbonne le 12 septembre 2006 « consacrée à la question des rapports entre foi et raison » (p.290). Pour ce pape, il est clair que la foi prime sur la raison, car cette dernière a des limites, d’où la nécessité de « soumettre la raison aux limites que pourrait lui imposer la foi » (p.292). Et Gingras de conclure : « Alors que l’adhésion à une religion est un acte individuel et privé, la raison est publique et accessible à tous les êtres humains normalement constitués. En ce sens, la raison est universelle et démocratique, alors que la foi est privée et autocratique. Si la discussion rationnelle peut éventuellement mener à un consensus, on voit mal comment la foi peut faire consensus alors que les religions sont multiples et se dénoncent mutuellement [...]. En fait, l’appel du pape au « dialogue » cache mal une exigence de soumission de la raison à la foi » (p. 292).

Et l’histoire se poursuit!

Dans le chapitre 7, Gingras montre à l’aide d’exemples récents à quel point le combat des croyances contre la science est encore d’actualité. La plus grande partie du chapitre est consacrée au cas de « l’homme de Kennewick », qui illustre à merveille l’effort des groupes qui considèrent que leurs traditions culturelles ou religieuses doivent avoir préséance sur la recherche scientifique. C’est ainsi que les nations autochtones ont pu faire voter en 1990 une loi contre ce qu’ils considèrent comme une profanation de leurs cimetières par les archéologues et les anthropologues. « Cette loi édicte, essentiellement, que si des ossements humains sont trouvés sur des territoires autochtones, ils doivent, s’ils sont revendiqués par un groupe et présente une affiliation culturelle avec eux, leur être rendus. La loi visait d’abord à s’assurer que lorsque des restes humains provenant d’anciens cimetières autochtones sont découverts lors d’excavation, ils soient traités avec respect et remis aux représentants des tribus indiennes habitants encore sur le territoire et avec lesquels les restes ont le plus d’ “affinités culturelles” » (p.298).

On aura compris qu’au-delà de collaborations ponctuelles entre les deux groupes, ce type de loi ne favorise guère le dialogue entre la science et les religions. La saga judiciaire qui s’en est suivi s’est soldée, pour le moment (en 2014), par une décision en faveur de la science. Un deuxième élément soulevé dans ce chapitre renvoie à la décision de parents croyants de remplacer les soins médicaux par la prière. Même si un tel choix peut entraîner la mort, Gingras rappelle qu’aux États-Unis « un tournant important en faveur de la priorité des droits religieux [...] s’est produit avec l’adoption en 1974 d’une règlementation fédérale sur la protection de l’enfant, qui permet aux parents de remplacer les traitements médicaux reconnus par la simple prière lorsque leur choix est fondé sur une conviction religieuse sincère. Et cela, même s’il est démontré que les traitements médicaux sont infiniment plus efficaces que la prière, qui, on le devine, ne guérit aucune maladie grave » (p.310).

À cet égard, rappelons l’investissement de 2,4 millions de dollars par la FJT dans une étude connue sous le nom de STEP (Study of the therapeutic effects of intercessory prayer) sur l’effet de la prière de demande auprès de patients souffrant d’une maladie coronarienne (Benson et al., 2005). Les 1 802 patients provenant de six hôpitaux américains, étaient répartis au hasard en trois groupes : 604 étaient l’objet de prière sans le savoir, 597 n’en bénéficiaient pas mais, à l’instar du premier groupe, n’en étaient pas sûrs, et 601 étaient l’objet de prière en étant certains de l’être. En vue d’obtenir des résultats valides, tous les patients des deux premiers groupes ainsi que les médecins traitants ignoraient ceux pour qui ont priait. Notons au passage que ce type de protocole en double aveugle constitue le nec plus ultra de la démarche scientifique. Durant l’étude, trois groupes de chrétiens recevaient chaque soir une liste de patients pour lesquels ils devaient, pendant deux semaines, demander à Dieu la réussite d’une intervention chirurgicale, et un rétablissement rapide et sans complications. Les analyses statistiques montrent l’absence de différence entre les deux premiers groupes : les prières à leur intention n’ont eu aucun effet sur les conditions postopératoires des patients. Autrement dit, lorsque les patients ignorent si effectivement on a prié pour eux, la prière à leur intention n’a aucun effet. Cependant, chez les patients qui savaient qu’on allait prier pour eux (groupe 3). Les chercheurs émettent l’hypothèse que ces patients ont pu avoir subi un stress supplémentaire en s’imaginant que leur condition de santé devait être plus grave qu’ils ne le pensaient puisqu’ils ne constataient aucune amélioration bien qu’on priât pour eux (Larivée et Turcotte, 2009).

Sur la base de recensions des écrits et de méta-analyses sur l’efficacité de la prière pour autrui (Hodge, 2007; Masters, Spielmans et Goodson, 2006; Larivée et Turcotte, 2009), il est clair que celle-ci n’a pas été démontrée. À cet égard, ceux qui prétendent à l’efficacité de la prière pour autrui n’ont-ils pas l’obligation éthique de démontrer la véracité de leur affirmation, ne serait-ce que pour réduire les frais reliés à la santé et aider ceux qui peuvent l’être? En effet, si les croyants ont raison, on aurait enfin trouvé une solution intéressante au problème des engorgements des hôpitaux. Il suffirait de remplir à nouveaux les églises de pieux fidèles pour que, dans un vaste effort de prière conjointe, tous les malades du Québec, du Canada et peut-être du monde soient éventuellement guéris. Ne peut-on pas penser en que les 2,4 millions de dollars investis par la FJT dans la STEP auraient certainement été plus utiles pour réduire la pauvreté ou améliorer la qualité de vie des gens dans le besoin.