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Introduction

La question de l’arbitrage des conflits dans les relations de travail constitue un enjeu de plus en plus souvent discuté par les chercheurs depuis les années 2000. De nombreux travaux ont analysé les facteurs qui peuvent influencer les processus des tribunaux ainsi que les décisions des juges et des arbitres. Dans cette étude, nous nous intéressons au secteur universitaire canadien qui constitue un contexte de travail administratif et professionnel important au Canada, en plus d’être un cas particulier en tant que milieu de travail ni complètement public, ni entièrement privé.

Le processus d’arbitrage joue un rôle fondamental dans la résolution de conflits de travail au Canada, en particulier dans le secteur universitaire. Paulsson en a proposé la définition suivante : « L’idée de l’arbitrage est celle d’une résolution contraignante des différends acceptés avec sérénité par ceux qui en supportent les conséquences en raison de leur confiance particulière dans les décideurs choisis »[1] (2014 : 9). Cet auteur précise que les parties recherchent des vertus comme l’engagement, l’aptitude et le mérite chez un arbitre (2014 : 9). Dans le même ordre d’idée, de multiples études montrent que les parties engagées dans l’arbitrage de griefs (les employeurs et les plaignants) ont majoritairement confiance dans le processus et les vertus des arbitres sur la base de la légitimité institutionnelle de l’arbitrage (Eisenberg et Hill, 2003; Horton, 2018; Mitchnick et Etherington, 2006; Schwartz, 2009). Par conséquent, les parties prenantes présument habituellement de l’impartialité et de la neutralité de ce genre d’arbitrage.

Cependant, selon Giacalone et collab. (1992), bien que de nombreux employés et employeurs tiennent la neutralité du processus d’arbitrage de griefs pour acquise, différents facteurs peuvent en influencer l’impartialité, y compris les caractéristiques démographiques des arbitres. Ils soulignent l’intérêt pour les chercheurs d’étudier plus en détail ces facteurs comme les « attributs de l’arbitre », les « attributs du plaignant » et le « processus d’arbitrage », dont plusieurs études montrent qu’ils peuvent entraîner d’importants biais dans les décisions des arbitres (Giacalone et collab., 1992 : 268). Dans le même ordre d’idées, Chew (2017) mentionne le risque que les procédures d’arbitrage comportent des biais chez les arbitres pouvant nuire à la justice.

En même temps, Paulsson (2014) rappelle que les antécédents sociodémographiques des arbitres se sont diversifiés dans de nombreux pays ces dernières décennies comparativement aux années 1980 et 1990. Cela découle principalement du fait que les contextes sociaux et professionnels, notamment en Amérique du Nord, se sont diversifiés et ont généré de nouveaux besoins en matière de compétences des arbitres. La pluralité des lois, des processus et des conventions collectives, en particulier dans les universités canadiennes, a également contribué à cette diversification.

Cela dit, selon un aperçu de la littérature présentée à la section suivante, les effets possibles des caractéristiques des arbitres sur les résultats de l’arbitrage de griefs semblaient nécessiter une étude plus approfondie. Bien qu’il existe des recherches traitant de l’arbitrage de griefs dans le secteur universitaire canadien, aucune ne porte précisément sur les effets des caractéristiques des arbitres sur les résultats de ce type d’arbitrage dans le milieu universitaire. De manière générale, peu d’études traitent des facteurs influençant les décisions des arbitres, ce qui s’expliquerait par la complexité des enjeux liés à l’arbitrage de griefs d’après Basabe-Serran : « une explication possible du nombre limité de recherches explorant les variables qui affectent la qualité des décisions de justice est la difficulté à définir et à mesurer le concept » (2019 : 110)[2].

Pour combler ces lacunes dans la littérature scientifique, nous nous concentrons sur les effets des caractéristiques des arbitres sur les résultats de l’arbitrage. À partir de notre analyse documentaire, nous distinguons les attributs subjectifs (ou cognitifs) des arbitres et leurs attributs objectifs (ou sociodémographiques). Dans cette étude, nous nous limitons aux attributs objectifs des arbitres et utilisons la base de données CanLII pour examiner empiriquement les décisions d’arbitrage concernant les griefs des employés universitaires contre leur employeur (soit l’université) entre les années 2000 et 2020. Ainsi, nous analysons les effets d’un groupe de variables indépendantes sur deux variables dépendantes : 1) l’issue de la procédure d’arbitrage, et 2) l’indemnisation des dommages-intérêts. Dans un souci de cohérence avec les travaux de recherche précédents, nous regroupons les variables indépendantes dans une seule catégorie, soit les caractéristiques de l’arbitre. Dès lors, nous pouvons examiner l’influence de ce groupe de cinq variables indépendantes sur les deux variables dépendantes que sont l’issue de l’arbitrage et l’indemnisation des dommages-intérêts.

Les résultats de cette étude pourraient être généralisés étant donné que les structures de l’arbitrage se ressemblent d’un secteur d’activités de l’économie à l’autre. Ainsi, nos résultats pourraient ouvrir de nouveaux horizons pour d’autres chercheurs qui souhaitent étudier ces questions à l’extérieur du contexte universitaire.

Dans ce qui suit, nous passons en revue la littérature scientifique existante sur certains aspects de l’arbitrage dans les contextes nord-américain, australien et ouest-européen. Les aspects traités dans cette analyse documentaire sont liés aux caractéristiques des arbitres, y compris le sexe, l’âge, les antécédents syndicaux, les antécédents en gestion et les antécédents en droit. Les effets des caractéristiques des juges sur les résultats des tribunaux de droit civil sont également abordés, car ils peuvent éclairer notre réflexion sur notre sujet d’étude.

Ensuite, d’après cette revue de la littérature, nous présentons les hypothèses examinées tout au long de notre collecte de données. À partir de l’analyse des données recueillies dans la base de données CanLII, nous déterminons la validité de nos hypothèses. Enfin, nous concluons avec une discussion sur les résultats de l’étude et proposons quelques pistes pour des études similaires prospectives.

Revue de littérature

Comme nous l’avons mentionné, au cours des trois dernières décennies, de nombreux chercheurs ont examiné les effets des attributs des arbitres sur les résultats de l’arbitrage, et cette section fera un tour d’horizon de la littérature scientifique à ce sujet. Nous passons également en revue les études portant sur les conditions des juges et certains facteurs qui sous-tendent leurs comportements professionnels. Cette analyse documentaire s’avère utile en raison des ressemblances entre la position professionnelle du juge et de l’arbitre. Par ailleurs, bien que les modes de nomination des juges soient différents des modes de nomination des arbitres, les comportements des juges et des arbitres pourraient se ressembler.

Depuis les années 1990, deux approches ont émergé dans les études sur l’arbitrage et les litiges. La première de ces approches, mentionnée par Flanders (2009) en se référant à Posner (2008), est le légalisme[3], selon lequel les décisions des tribunaux ne sont que les résultats des processus formels de ces derniers et des jugements purement logiques des juges et des arbitres. Ainsi, le légalisme adopte une vision « mécanique » des processus de décisions des tribunaux. À l’opposé de l’approche légaliste, certains chercheurs affirment qu’une partie des juges sont plutôt pragmatistes et mettent l’accent sur les conséquences de leurs décisions plutôt qu’uniquement sur leur légalité (Flanders, 2009 : 118–119). Posner (2008) avance que la majorité des juges se disent légalistes, mais que certains obstacles les empêchent de rendre de jugements purement légalistes. Pour le situer dans le cadre de l’analyse wébérienne, le légalisme devant les tribunaux reste un type idéal et non une réalité empirique (Weber, 2003). Ainsi, à l’instar des sociologues pragmatistes américains et français (Boltanski et Thévenot, 2006; Goffman, 1969; PernkopfKonhäusner, 2014), nous pensons que, malgré le rôle essentiel des lois et de la légalité devant les tribunaux, les situations dans lesquelles les arbitres (et les juges) prennent leurs décisions peuvent influencer les résultats des tribunaux.

En dépit des différences entre les processus d’arbitrage de griefs et des tribunaux de droit civil, des comparaisons peuvent être faites entre les comportements des juges et ceux des arbitres dans la mesure où les facteurs externes aux processus judiciaires peuvent avoir des effets sur les résultats de ceux-ci. Divers auteurs ont étudié les répercussions de l’idéologie des juges sur leurs décisions. Par exemple, aux États-Unis, Sunstein et collab. (2006) cherchent à savoir si les conditions des tribunaux américains déterminent l’influence des approches idéologiques des juges sur leurs jugements. Les auteurs constatent d’abord une forte probabilité que, dans les grandes controverses, les juges prennent des décisions selon leur penchant politique et non d’après le légalisme. Ensuite, ils affirment que l’influence des fondements idéologiques d’un juge est atténuée lorsque celui-ci siège avec d’autres juges aux convictions divergentes. Ainsi, si des juges ayant les mêmes penchants idéologiques siègent ensemble à la résolution d’un cas, il est fort probable que les effets de leurs idéologies politiques soient amplifiés (Sunstein et collab., 2006 : 811).

Comme l’expliquent Heneman et collab. (1983) dans une étude empirique et théorique, les représentants des syndicats et des employés utilisent des données démographiques (y compris le sexe, l’âge, l’éducation et la profession antérieure) pour choisir un arbitre. Vraisemblablement, cela permet de garantir la sélection du « bon » arbitre par les parties prenantes. Dans le même sens, à partir d’une étude empirique des cas des tribunaux aux États-Unis, Boldt et collab. (2021) constatent que le sexe et la race des juges et des plaignants peuvent influencer les décisions des juges concernant les détentions préventives. Ils remarquent que, comparés aux juges blancs, les juges noirs sont plus susceptibles d’accorder une liberté provisoire sans imposer de conditions particulièrement contraignantes. De plus, ils soulignent que, par rapport à leurs homologues masculins, les femmes qui exercent la profession de juge sont plus susceptibles de demander une caution comme provision financière aux plaignants et moins susceptibles d’en demander une aux plaignantes (Boldt et collab., 2021 : 10-14).

De la même façon, dans une étude examinant les décisions d’arbitrage des cas de congédiement rendus par le tribunal du travail fédéral d’Australie, Southey (2016) constate que les arbitres féminins sont plus susceptibles de rendre des décisions qui favorisent les plaignants que leurs collègues de sexe masculin. Cependant, selon Biernat et Malin (2008), bien que les femmes arbitres aient tendance à être plus libérales dans leurs décisions d’arbitrage, la décision définitive prise par l’arbitre n’est pas forcément attribuable à son sexe. Une autre étude menée dans le contexte américain par Songer et Crews-Meye (2000) cherchait à déterminer si les jugements rendus par des femmes diffèrent de ceux prononcés par des hommes dans les cours suprêmes des différents États. D’après les résultats de cette étude, les femmes tendent à rendre des décisions plus libérales comparativement aux hommes.

Thornton et Zirkel (1990) étudient les effets des caractéristiques professionnelles et démographiques des arbitres telles que le sexe, l’âge, la possession d’un diplôme en droit et les expériences antérieures en arbitrage sur la quantité et la qualité des sentences arbitrales. Selon leur étude, il existe des différences entre les attentes des représentants des employés (plaignants) et celles des représentants des employeurs à l’égard des sentences arbitrales. Ainsi, les représentants des employeurs et des plaignants peuvent influencer le cours des affaires d’arbitrage en fonction de leurs attentes et tirer avantage des caractéristiques particulières de l’arbitre (Thornton et Zirkel, 1990). En revanche, Nelson et Kim (2008) constatent que l’âge, la formation, l’expérience et le statut d’arbitre à temps plein ont une incidence limitée sur les décisions des arbitres. Ils concluent qu’une grande partie des différences au niveau des décisions arbitrales est déterminée par les variations et la pondération des facteurs dans leur enquête et par l’importance que les arbitres accordent à ces facteurs.

Dans la même perspective, Dilts et Deitsch (1989) s’interrogent sur l’association entre les caractéristiques démographiques des arbitres et les résultats réels obtenus dans les sentences arbitrales réglant des questions disciplinaires. Malgré des divergences dans les résultats causés par certaines caractéristiques démographiques des arbitres, leur étude ne relève pas d’écarts significatifs dans les décisions rendues par des arbitres ayant des antécédents différents en tant qu’avocats ou autres professions. À l’aide d’une enquête quantitative, Basabe-Serrano (2019) examine pour sa part le rendement de 152 juges de 11 cours suprêmes d’Amérique latine. Il découvre que le rendement des juges qui ont une formation universitaire avancée est supérieur à celui de magistrats qui ont une formation inférieure.

Pour revenir sur la question du sexe comme facteur influençant les décisions des juges, selon une autre hypothèse avancée par Girvan et collab. (2015), les préjugés sexistes peuvent résulter du contexte social et de prédispositions psychologiques des individus, et pas nécessairement de leur sexe. Les auteurs constatent que, même si les étudiants en droit présentent des préjugés sexistes importants, ce n’est pas le cas des arbitres professionnels. Selon leur étude, il semble que les expériences professionnelles approfondies des individus (et leur âge) réduisent considérablement leurs préjugés sexistes.

L’étude empirique de Chew (2017) sur l’arbitrage des affaires de discrimination fondée sur le sexe administré par l’American Arbitration Association entre 2010 et 2014 a également démontré que le facteur du sexe n’a pas d’effet significatif sur les résultats de l’arbitrage. Chew constate qu’il n’y a pas de véritables différences dans l’issue des affaires décidées par les femmes arbitres par rapport aux hommes. Dans le cas particulier des affaires de harcèlement sexuel et de discrimination fondée sur le sexe, il conclut que les arbitres hommes ou femmes ne diffèrent pas significativement dans leur façon de rendre leurs décisions. Malgré cela, compte tenu des études existantes selon lesquelles les juges de sexe féminin sont plus susceptibles que leurs homologues masculins de se prononcer en faveur des plaignants, Chew (2017) propose que les femmes arbitres suivent probablement un schéma similaire.

D’après une autre perspective, dans son étude sur l’arbitrage des enjeux dans les milieux de travail australiens, Southey (2016) constate que les arbitres issus des syndicats sont plus susceptibles de rendre une décision en faveur de l’employé (ou plaignant) comparativement aux arbitres issus de la direction organisationnelle. Cela concorde avec les résultats d’une autre enquête menée auprès de 284 arbitres qui conclut que les arbitres ayant des antécédents professionnels en tant qu’« avocats de la défense » représentant les employeurs sont moins susceptibles de résoudre les affaires d’arbitrage en faveur des employés par rapport aux autres arbitres (Gough et Colvin, 2019). Ces constatations réitèrent le rôle important joué par le parcours professionnel des arbitres dans les processus et les résultats d’arbitrage.

Pour terminer sur la question du parcours professionnel des juges, dans une étude empirique sur le témoignage dans les cours américaines, Domino et collab. (2015) cherchent à déterminer si les connaissances antérieures des juges sur les enjeux présentés en cour peuvent influencer leur décision. Ils constatent que, malgré l’importance de cette familiarité des juges avec les sujets et les renseignements fournis en cour, elle ne produit pas de biais significatif dans leurs décisions.

Ce tour d’horizon de la littérature scientifique nous a permis de recenser de nombreuses recherches sur le rôle des caractéristiques démographiques des arbitres et de déceler une lacune en ce qui concerne l’étude du contexte universitaire canadien. En outre, même si des variables liées à l’expérience professionnelle ont été étudiées précédemment par différents chercheurs, les renseignements précis en matière d’expérience syndicale et en gestion, ainsi que les antécédents professionnels et de formation en droit n’ont pas été examinés dans le contexte de l’arbitrage des relations de travail.

À la lumière de cette analyse documentaire, nous avons défini les éléments qui semblaient essentiels et qui permettraient de combler ces lacunes. La prochaine section présente les hypothèses de l’étude.

Hypothèses de recherche

Deux hypothèses principales sont traitées selon chacun des modèles d’analyse statistique. De plus, les hypothèses principales se déclinent chacune en dix sous-hypothèses. En raison des lacunes dans la littérature, nous n’étions pas en mesure de nous appuyer sur des recherches antérieures pour formuler toutes les hypothèses. Ainsi, nous nous sommes penchés sur nos expériences professionnelles et nos connaissances théoriques pour formuler certaines hypothèses. Par exemple, les hypothèses H1.4.1 et H1.5.1 reposent davantage sur nos expériences professionnelles et scientifiques que sur la littérature existante. Cette démarche est prouvée scientifique dans le cadre des démarches hypothético-déductives, et constitue un élément de l’originalité de notre étude. Dans ce sens, tester ces hypothèses contribue davantage à l’enrichissement de la littérature scientifique.

La présentation des hypothèses de travail nous aide à définir le fil conducteur de l’étude. Ainsi, toutes les hypothèses et sous-hypothèses ne font pas l’objet de discussions et d’une analyse détaillée. Nous nous attardons plutôt à celles qui offrent des pistes de discussions approfondies compte tenu des résultats statistiques.

  • Première hypothèse (H1) : les caractéristiques liées à l’arbitre prédisent significativement l’issue des procédures d’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

  • Hypothèse 1.1 (H1.1) : le sexe des arbitres contribue de manière significative au modèle des « variables liées à l’arbitre » prédisant l’issue des procédures d’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 1.1.1 (H1.1.1) : les arbitres de sexe masculin sont plus susceptibles de prendre des décisions favorables à l’employeur que les arbitres de sexe féminin.

  • Hypothèse 1.2 (H1.2) : les expériences professionnelles des arbitres dans les syndicats contribuent de manière significative au modèle des « variables liées à l’arbitre » prédisant l’issue des procédures d’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 1.2.1 (H1.2.1) : les arbitres ayant « une expérience des syndicats » sont plus susceptibles de trancher en faveur du plaignant que ceux qui n’ont pas ce type d’expérience.

  • Hypothèse 1.3 (H1.3) : les expériences en gestion des arbitres contribuent de manière significative au modèle de « variables liées à l’arbitre » prédisant l’issue des procédures d’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 1.3.1 (H1.3.1) : les arbitres ayant des « expériences en gestion » sont beaucoup moins susceptibles de se prononcer en faveur du « plaignant » que ceux qui n’ont pas ce type d’expérience.

  • Hypothèse 1.4 (H1.4) : la formation des arbitres en droit contribue de manière significative au modèle de « variables liées à l’arbitre » prédisant l’issue des procédures d’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 1.4.1 (H1.4.1) : les arbitres ayant une « formation en droit » sont plus susceptibles de se prononcer en faveur de « l’université » que ceux qui n’ont pas ce type de formation.

  • Hypothèse 1.5 (H1.5) : l’âge des arbitres contribue de manière significative au modèle des « variables liées à l’arbitre » prédisant l’issue des procédures d’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 1.5.1 (H1.5.1) : les arbitres plus âgés sont plus enclins à se prononcer en faveur du plaignant que les arbitres plus jeunes.

  • Deuxième hypothèse (H2) : les caractéristiques de l’arbitre prédisent de manière significative si l’arbitre accorde des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

  • Hypothèse 2.1 (H2.1) : le sexe des arbitres contribue de manière significative au modèle des « variables liées à l’arbitre » prédisant si un arbitre accorde des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 2.1.1 (H2.1.1) : les femmes arbitres sont plus susceptibles d’accorder des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage.

  • Hypothèse 2.2 (H2.2) : les expériences professionnelles des arbitres dans les syndicats contribuent de manière significative au modèle des « variables liées à l’arbitre » prédisant si un arbitre accorde des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 2.2.1 (H2.2.1) : les arbitres ayant « une expérience des syndicats » sont plus susceptibles d’accorder des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage.

  • Hypothèse 2.3 (H2.3) : les expériences en gestion des arbitres contribuent de manière significative au modèle des « variables liées à l’arbitre » prédisant si un arbitre accorde des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 2.3.1 (H2.3.1) : les arbitres ayant une « expérience en gestion » sont plus susceptibles de ne pas accorder de dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage.

  • Hypothèse 2.4 (H2.4) : la formation des arbitres en droit contribue de manière significative au modèle des « variables liées à l’arbitre » prédisant si un arbitre accorde des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 2.4.1 (H2.4.1) : les arbitres ayant une « formation en droit » sont plus susceptibles de ne pas accorder de dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage.

  • Hypothèse 2.5 (H2.5) : l’âge des arbitres contribue de manière significative au modèle des « variables liées à l’arbitre » prédisant si un arbitre accorde des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage dans le secteur universitaire canadien.

    • Hypothèse 2.5.1 (H2.5.1) : les arbitres plus âgés sont plus susceptibles que les jeunes arbitres d’accorder des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage.

Méthodologie

Compte tenu de la littérature scientifique existante, nous avons choisi une approche hypothético-déductive pour mener cette étude. Selon Dépelteau (2000) et Gauthier et collab. (2002), l’approche hypothético-déductive, dérivée de la philosophie de la science de Popper (2002), repose sur la génération d’hypothèses fondées sur les recherches antérieures, la revue de la littérature, le cadre théorique et les raisonnements des chercheurs. Nous avons choisi cette approche principalement en raison de deux facteurs : les études antérieures réalisées sur les processus d’arbitrage qui nous aident à orienter la présente étude et la formulation d’hypothèses qui nous aident à cibler notre recherche des données primaires.

La population de l’étude a été constituée à partir des données brutes accessibles dans la base de données CanLII, l’Institut canadien d’information juridique géré par la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada qui publie gratuitement sur internet les affaires de droit canadiennes. Nous avons inclus l’ensemble des cas d’arbitrage jugés par un seul arbitre dans le secteur universitaire canadien.

La base de cas de l’étude comprend des données provenant de différentes provinces canadiennes. Pour constituer cette base, nous avons effectué des recherches dans CanLII en employant des mots-clés identiques afin de nous assurer que les données recueillies reflétaient les mêmes critères de recherche. Nos mots-clés étaient university en anglais et son équivalent université en français. Nous avons circonscrit nos recherches à la période entre le 1er janvier 2000 et le 31 janvier 2020 en raison, d’une part, des difficultés d’accès aux cas plus anciens et, d’autre part, de l’intérêt que nous portons aux transformations contemporaines de l’arbitrage dans le secteur universitaire.

Nous avons également limité notre recherche aux sentences arbitrales de travail ou aux « Labour Arbitration Awards » en anglais pour être en mesure de les comparer dans différentes provinces et nous assurer qu’un seul arbitre a jugé chaque cas. Ainsi, tous les cas de l’étude renferment une sentence arbitrale distincte. Les arbitres identifiés dans les cas ont fait l’objet de recherches sur internet pour trouver les informations nécessaires sur leurs caractéristiques démographiques.

La saisie des données brutes a été effectuée en utilisant le tableur Excel, et les données codées ont été saisies dans le logiciel SPSS pour analyse. Le traitement des données s’est effectué à l’aide de diverses variables nominales, ordinales et d’intervalles. Outre l’analyse univariée, nous avons utilisé la régression logistique multinomiale pour mener l’analyse des données, car les variables dépendantes de l’étude sont nominales et incluent de multiples catégories de réponse. Il faut rappeler que les catégories de réponse de nos variables dépendantes s’excluaient mutuellement, puisqu’une seule catégorie de réponse des deux variables dépendantes a été attribuée à chaque cas de l’étude.

Pour ce qui est de la fidélité de la recherche, au total, plus de 50 arbitres ont été analysés, ce qui garantit une diversité au sein de l’étude. De plus, les expériences de ces arbitres ne sont pas limitées à un seul modèle de cas. Ainsi, le travail des arbitres présente lui aussi une certaine diversité. Enfin, les cas répétitifs ont été exclus afin de maintenir la fidélité de l’étude[4].

Nous définissons les variables de l’étude dans la prochaine section avant d’aborder la méthode d’analyse des données.

Définitions des variables

Parmi les variables utilisées dans cette étude, les deux variables dépendantes sont définies comme suit.

L’issue des procédures de l’arbitrage : cette variable mesure l’issue du processus d’arbitrage sur une échelle nominale. Ses valeurs sont définies comme suit : 1) décision en faveur du plaignant ou du syndicat; 2) décision en faveur de l’université; 3) l’arbitre demande des audiences supplémentaires[5]; 4) conclusion d’un accord entre les parties; 5) l’arbitre demande d’autres négociations et accords entre les parties.

L’indemnisation des dommages-intérêts : cette variable indique si l’arbitre accorde des dommages-intérêts au plaignant qui remporte le cas, où 0) signifie oui et 1) non.

À cet égard, la variable du résultat final comporte plusieurs valeurs nominales tandis que la variable de l’indemnisation des dommages-intérêts n’en comprend que deux.

Les autres variables de l’étude incluent cinq variables indépendantes nominales définies comme suit.

Sexe de l’arbitre : la détermination du sexe de l’arbitre, où 0) signifie un homme et 1) une femme.

Antécédents syndicaux ou associatifs : si l’arbitre a une expérience professionnelle au sein de syndicats ou d’associations (par exemple, un mandat comme représentant d’association) au cours de sa carrière, où 0) signifie oui et 1) non. Les valeurs de cette variable ont été déterminées en effectuant des recherches en ligne afin d’examiner le CV des arbitres.

Expérience en gestion : si l’arbitre a une formation professionnelle en gestion (par exemple, un poste de président d’un conseil professionnel) au cours de sa carrière, où 0) signifie oui et 1) non). Les valeurs de cette variable ont été déterminées en effectuant des recherches en ligne afin d’examiner le CV des arbitres.

Expérience en droit : si l’arbitre a une formation professionnelle en droit (par exemple, la profession d’avocat ou un diplôme en droit) au cours de sa carrière, où 0) signifie oui et 1) non. Les valeurs de cette variable ont été déterminées en effectuant des recherches en ligne afin d’examiner le CV des arbitres.

Âge de l’arbitre (recodé en variable ordinale) : cette variable correspond à l’âge de l’arbitre et est déterminée à l’aide des biographies des arbitres publiées sur leur site Web et leurs profils en ligne. Afin de mieux évaluer l’incidence de cette variable sur notre modèle, elle a été recodée en variable ordinale comportant cinq catégories : 1) 50 ans ou moins; 2) de 51 à 55 ans; 3) de 56 à 60 ans; 4) de 61 à 65 ans et 5) 66 ans ou plus.

Méthode d’analyse des données

La régression logistique est la méthode la mieux adaptée à l’analyse des données de l’étude et à l’examen des hypothèses de recherche. Cette méthode est privilégiée par un grand nombre de chercheurs pour l’analyse des effets d’un ensemble de variables indépendantes sur une variable dépendante nominale comportant divers résultats nominaux (Denham, 2017). Le principal objectif de la régression logistique est la prédiction du résultat d’une variable dépendante fondée sur un ensemble de variables indépendantes. À partir des hypothèses, nous avons regroupé les cinq variables indépendantes dans la catégorie des variables liées à l’arbitre. Deux régressions logistiques multinomiales distinctes ont été effectuées en utilisant le regroupement des variables indépendantes et en vérifiant leurs effets sur les deux variables dépendantes, soit l’issue de l’arbitrage et l’indemnisation des dommages-intérêts.

À propos des hypothèses et des conditions de la régression logistique, Ho (2013) précise que « la régression logistique est plus flexible, car elle n’exige pas d’hypothèse sur la distribution des variables prédictives[6] — les variables prédictives ne nécessitent pas la présence d’une distribution normale, d’une relation linéaire ou d’une variance ou covariance égale entre les groupes »[7] (p. 383). Cependant, avant d’examiner en détail les résultats de l’étude, passons à une démonstration de la validité du test statistique.

Il existe trois prémisses à la régression logistique : la taille de l’échantillon, la multicolinéarité et les valeurs aberrantes (Pallant, 2010 : 169). Voici une courte explication de notre démarche pour obtenir les conditions liées à ces prémisses.

Tout d’abord, comme l’étude comprend 284 et 258 cas valides respectivement pour les deux modèles, la taille de la population satisfait à la première prémisse. Nous avons également abordé la question du nombre des cas de chaque variable indépendante et de leurs catégories respectives, et nous nous sommes assurés d’avoir plusieurs cas dans chaque catégorie de réponse.

Ensuite, un test de multicolinéarité n’était pas nécessaire pour la présente étude, puisque les deux modèles comptaient un nombre restreint de variables indépendantes, mais nous avons conduit un test similaire pour vérifier l’absence de colinéarité entre les variables indépendantes. Pallant (2010) suggère d’utiliser les diagnostics de colinéarité dans le cadre de la régression multiple standard dans SPSS, car le test de la régression logistique de ce logiciel ne fournit pas d’outils particuliers pour diagnostiquer les problèmes potentiels de multicolinéarité. Même si la variable dépendante est nominale, il est possible de réaliser un test de colinéarité dans le cadre de la régression multiple uniquement pour mesurer toute multicolinéarité parmi les variables indépendantes (Pallant, 2010). Ainsi, nous avons effectué le test de colinéarité de facteur d’inflation de variance (VIF) dans le cadre de la régression multiple standard uniquement pour confirmer l’absence de colinéarité entre les variables indépendantes, quelle que soit la variable dépendante. Les résultats du VIF pour les cinq variables indépendantes variaient entre 1 et 1,25 et ceux du test de la tolérance étaient supérieurs à 0,70, une valeur tout à fait acceptable pour démontrer l’absence de colinéarité entre les variables indépendantes.

En ce qui concerne la présence possible de valeurs aberrantes, la validité de l’ajustement[8] de nos modèles, qui était suffisamment élevée et acceptable, ainsi que l’absence de variables d’intervalles ont éliminé le risque de valeurs aberrantes dans nos modèles.

Résultats

Les principaux résultats chiffrés de nos modèles sont présentés dans le Tableau 1, tandis que les Tableaux 2 et 3 détaillent les résultats des catégories qui contribuent de manière significative à la confirmation ou à la réfutation des hypothèses.

Tableau 1

Résultats des modèles de la recherche

Résultats des modèles de la recherche

*p ≤ 0,10, **p ≤ 0,05, ***p ≤ 0,01

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Comme le montrent nos modèles de régression logistique multinomiale, les « variables liées à l’arbitre », en tant que modèle de variables indépendantes, prédisent de manière significative les variations de la variable dépendante « issue de l’arbitrage » et corroborent ainsi la première hypothèse principale (H1) qui supposait des effets significatifs des variables liées à l’arbitre sur l’issue de l’arbitrage. La valeur de p est significative à 0,001. Le niveau de confiance est de 99 % et la validité de l’ajustement[9] de 1,00, ce qui est parfait pour notre modèle. De plus, le pseudo-R-carré de Nagelkerke est de 0,235, ce qui indique un niveau moyen de prédiction de notre variable dépendante par ce modèle. Seules trois des cinq variables du modèle y contribuent de manière statistiquement significative, soit l’âge (recodé en variable ordinale, ayant un niveau de confiance de 99 %); « l’expérience en gestion » de l’arbitre (niveau de confiance de 95 %) et « l’expérience des syndicats » de l’arbitre (niveau de confiance de 90 %). Ces résultats corroborent les trois sous-hypothèses H1.2, H1.3 et H1.5 selon lesquelles les expériences en gestion et syndicales ainsi que l’âge des arbitres contribuent de manière significative dans le premier modèle, tandis qu’ils réfutent les sous-hypothèses H1.1 et H1.4 selon lesquelles le sexe des arbitres et leurs expériences professionnelles en droit contribuent de manière significative dans le premier modèle.

Les résultats montrent également que les « variables indépendantes liées à l’arbitre » peuvent prédire de manière significative si les arbitres accordent des dommages-intérêts aux plaignants qui ont remporté l’arbitrage avec une valeur de p hautement significative à 0,015, un niveau de confiance de 95 % et une validité de l’ajustement acceptable à 0,489. Ce résultat corrobore la deuxième hypothèse principale (H2) qui supposait des effets significatifs des variables liées à l’arbitre sur l’indemnisation aux plaignants qui remportent leur cas. Le pseudoRcarré de Nagelkerke est de 0,125; une valeur considérée comme moyenne. Deux variables contribuent de manière significative au modèle : l’expérience en gestion de l’arbitre (niveau de confiance de 99 %) et l’âge (recodé en variable ordinale, ayant un niveau de confiance de 90 %). Ainsi, les résultats corroborent la sous-hypothèse H2.3 qui proposait que les expériences professionnelles des arbitres contribuent de manière significative au modèle et la soushypothèse H2.5 selon laquelle l’âge des arbitres contribue de manière significative au modèle.

Tableau 2

Catégories de réponse avec des coefficients B significatifs

Catégories de réponse avec des coefficients B significatifs

*La catégorie de référence est : « En faveur du plaignant »

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Comme l’indique le Tableau 2, les arbitres qui ont une expérience des syndicats (par rapport à ceux qui n’ont pas ce type de formation) ont tendance à trancher en faveur du plaignant plutôt qu’en faveur de l’université (niveau de confiance de 90 %). De plus, ces mêmes arbitres ont tendance à faire appel à une autre audience/juridiction plutôt qu’à se prononcer en faveur du plaignant (niveau de confiance de 90 %). Bien que ces résultats dressent un tableau mixte, ils semblent confirmer la sous-hypothèse H1.2.1 selon laquelle les arbitres possédant une expérience des syndicats seraient plus susceptibles de rendre des décisions en faveur du plaignant.

De leur côté, les arbitres ayant une formation en gestion (par rapport à ceux qui n’ont pas ce type de formation) ont tendance à demander d’autres audiences plutôt que de trancher en faveur du plaignant (niveau de confiance de 95 %). Ces mêmes arbitres ont tendance à demander d’autres négociations et accords entre les parties plutôt que de se prononcer en faveur du plaignant avec un niveau de confiance de 90 %. Ces résultats corroborent la sous-hypothèse H1.3.1 selon laquelle les arbitres ayant une formation en gestion sont moins susceptibles de rendre des décisions en faveur du plaignant.

Les arbitres âgés de 61 à 65 ans (par rapport à ceux de 66 ans ou plus) ont tendance à faire appel à une autre audience/juridiction ou à demander d’autres négociations et accords entre les parties plutôt que de trancher en faveur du plaignant (niveau de confiance de 95 %). Ce résultat réfute la sous-hypothèse H1.5.1 selon laquelle les arbitres plus âgés sont plus enclins à se prononcer en faveur du plaignant comparativement à leurs collègues plus jeunes.

Tableau 3

Catégories de réponse avec des coefficients B significatifs

Catégories de réponse avec des coefficients B significatifs

* La catégorie de référence est : « L’arbitre n’accorde pas de dommages-intérêts au plaignant qui gagne le cas »

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Les résultats du Tableau 3 montrent que les arbitres qui ont une formation en gestion (par rapport à ceux qui n’ont pas ce type de formation) ont tendance à accorder des dommages-intérêts au plaignant qui a remporté la cause (niveau de confiance de 99 %). Ce résultat réfute la soushypothèse H2.3.1 selon laquelle les arbitres ayant des expériences en gestion sont plus susceptibles de ne pas accorder de dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage.

De plus, les arbitres âgés de 51 à 55 ans (par rapport à ceux qui avaient 66 ans ou plus) avaient plus tendance à ne pas accorder de dommages-intérêts au plaignant qui a remporté l’affaire (niveau de confiance de 95 %). Ce résultat confirme la sous-hypothèse H2.5.1 selon laquelle, comparativement aux jeunes arbitres, les arbitres âgés sont plus susceptibles d’accorder des dommages-intérêts aux plaignants qui remportent l’arbitrage.

Discussion

À la lumière de ces résultats, certains éléments méritent une discussion approfondie.

Premièrement, comme la présente étude propose de réfléchir aux facteurs qui influencent les décisions des arbitres, un examen approfondi des caractéristiques démographiques des arbitres dans la jurisprudence canadienne semble à propos. D’après Collini (2012), la majorité des universités d’aujourd’hui représentent un milieu de travail particulier pour le corps enseignant et le personnel administratif, car elles ne sont ni gouvernementales, ni complètement privées et indépendantes du financement public. En ce sens, une étude de l’arbitrage dans le secteur universitaire permet d’améliorer les connaissances sur les relations de travail dans ce milieu.

Deuxièmement, comme en témoignent nos résultats, les caractéristiques démographiques des arbitres influencent de manière significative l’issue des cas d’arbitrage ainsi que l’accord des dommages-intérêts dans le secteur universitaire canadien. Ces résultats, en confirmant nos deux hypothèses principales, rappellent l’existence de biais persistants dans les processus d’arbitrage. De manière générale, ces biais démontrent les limites qu’imposent les caractéristiques des arbitres sur leurs jugements et décisions. En particulier, nous suggérons de tenir compte du rôle de l’expérience professionnelle des arbitres dans leurs décisions afin de mieux prévenir les biais dans les processus d’arbitrage. Une possibilité serait de diversifier les arbitres en fonction de leurs antécédents professionnels pour réduire les biais attribuables à ces expériences.

Troisièmement, malgré la nécessité d’un consensus entre les deux parties au moment de choisir un arbitre pour une affaire donnée, nous constatons que dans de nombreux cas, certains biais liés aux arbitres peuvent subsister. Cela étant dit, comme l’autonomie des parties au Canada et au Québec permet à ces dernières de choisir un arbitre, nous suggérons aux parties de préférer les arbitres qui présentent un parcours professionnel diversifié par rapport à ceux qui n’ont travaillé que dans un seul secteur au cours de leur carrière. Le fait que les parties détiennent un certain degré d’autonomie dans le choix de l’arbitre leur permet de réaliser cette recommandation sur la diversification des arbitres.

Quatrièmement, les antécédents des arbitres dans le domaine de la gestion représentent un facteur qui pourrait influencer fortement leurs jugements. Nos résultats indiquent que les arbitres possédant des expériences en gestion tendent à rendre des décisions plus conservatrices. D’une part, ils préfèrent utiliser d’autres recours plutôt que de se prononcer en faveur des plaignants et, d’autre part, ils tendent à accorder des indemnités aux plaignants qui remportent l’arbitrage. Une explication possible serait que les arbitres avec des antécédents en gestion perçoivent leur situation comme précaire ou adoptent une attitude défensive parce que leur carrière professionnelle ne se limite pas au droit ou aux tribunaux. Autre constat à souligner, les arbitres plus jeunes tendent à recourir davantage aux autres types de décision (comme la poursuite des négociations) plutôt que de rendre des décisions en faveur du plaignant. Ces résultats pourraient indiquer que les arbitres plus âgés, forts de leur expérience, ont tendance à trancher avec plus de confiance comparativement aux jeunes arbitres, qui sont généralement moins chevronnés, ont probablement moins confiance en leur décision et sont plus susceptibles de vouloir démontrer leur aptitude en matière d’arbitrage.

Par ailleurs, dans la présente étude, le sexe des arbitres ne joue pas de rôle significatif dans leurs décisions. Cela montre que, du moins dans le cas des arbitrages de griefs dans le secteur universitaire canadien, les préjugés sexistes chez les arbitres reculent de plus en plus. Ces résultats n’étaient pas inattendus compte tenu de certaines études antérieures, dont celles de Biernat et Malin (2008), de Thornton et Zirkel (1990), de Girvan et collab. (2015) et de Chew (2017), selon lesquelles les effets du sexe des arbitres sur leur jugement se sont amenuisés depuis les années 2000. Toutefois, ces résultats pourraient varier selon le type de litige étudié. Ainsi, nous proposons que les chercheurs continuent d’étudier les effets de ce facteur, le sexe des arbitres et des plaignants, dans les recherches futures.

L’étude contribue à la littérature scientifique de différentes façons. Elle propose une nouvelle perspective sur l’arbitrage dans le contexte universitaire canadien et sur l’influence de facteurs négligés sur les résultats des cas d’arbitrage dans ce milieu particulier. Cette nouvelle approche consiste à mener une étude quantitative des effets des caractéristiques des arbitres et de leur incidence sur les résultats de l’arbitrage. C’est une première pour ce type d’études au Canada. De plus, il existe peu de travaux de ce genre sur le secteur universitaire canadien. La présente recherche ouvre donc la porte à d’autres études.

Finalement, un autre élément d’originalité de cette étude est que nous avons inclus des variables indépendantes précises sur les antécédents des arbitres en droit, en gestion et en matière syndicale. Ces variables sont souvent absentes des études précédentes. La présente étude démontre leur incidence possible sur les résultats des cas d’arbitrage.

Limites de l’étude et pistes de recherche

La présente étude a décelé que les différents types de biais dans les processus d’arbitrage représentent une piste de recherche à explorer. De futures études pourraient surmonter certaines limites de la présente recherche. Un des principaux défis de cette étude était l’accès aux données sur les arbitres et aux renseignements détaillés sur les cas d’arbitrage. Pour y remédier, les bases de données comme CanLII pourraient agglomérer et quantifier les données sur les cas, les arbitres et les plaignants pour faciliter l’analyse des cas par les chercheurs.

Outre la réflexion sur les biais menée dans cette recherche, de nombreux facteurs pourraient être étudiés à l’avenir. Les chercheurs peuvent employer la même approche pour analyser de manière approfondie l’incidence possible des caractéristiques des plaignants sur l’issue de l’arbitrage. Comme Izzet et Fishman (1976), Kerr et Bray (1995), Kerr et collab. (1995) et Chelliah et D’Netto (2006) en discutent, les caractéristiques des plaignants peuvent jouer un rôle important dans les résultats et dans les processus d’arbitrage. Ainsi, des études plus approfondies sur les caractéristiques des plaignants pourraient permettre de comprendre un facteur important et comparer différents contextes d’arbitrage.

Par ailleurs, une autre piste de recherche serait d’examiner des variables qui n’ont pas été prises en compte dans cette étude, comme les types de recours exercés et les sujets abordés dans les plaidoiries. Par exemple, une étude pourrait chercher à déterminer si les sujets des plaidoiries dans les tribunaux d’arbitrage influencent les décisions rendues de manière significative, même si l’arbitre évite forcément d’en discuter.

En outre, les chercheurs peuvent mener diverses études comparatives dans divers contextes sociaux et géographiques afin de mettre en lumière les différents types de biais découlant des éléments culturels. Ils pourraient également réfléchir sur les effets de divers types de variables indépendantes sur d’autres variables dépendantes liées aux processus d’arbitrage, en particulier le fondement sur lequel les arbitres fondent leurs jugements. Cette variable dépendante mesure la manière dont les arbitres justifient leurs décisions en invoquant diverses raisons, et ses variations indiqueraient les différents types de justifications employées par les arbitres dans les tribunaux d’arbitrage.

Enfin, une autre piste de recherche serait de mener des enquêtes sur les biais possibles dans les processus décisionnels des tribunaux arbitraux, et non seulement sur les résultats de l’arbitrage. Cette approche comprendrait une étude du discours et des biais cognitifs des arbitres au moyen d’analyses qualitatives et discursives.