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Élaboré par Koopman et ses collaborateurs (2002), le Stanford Presenteeism Scale (SPS-6) est un instrument couramment utilisé dans les études traitant du présentéisme (Arumugam, MacDermid et Grewal, 2013; Ashby et Mahdon, 2010; Beaton et al., 2010; Brborović, Brborović, Brumen, Pavleković et Mustajbegović, 2014; Despiégel, Danchenko, Fançois, Lensberg et Drummond, 2012; Esposito, Wang, Williams et Patten, 2007; Sanderson, Tilse, Nicholson, Oldenburg et Graves, 2007; Tang, Pitts, Solway et Beaton, 2009; Tang, Beaton, Lacaille, Gignac et Bombardier, 2013; Turpin et al., 2004; Wynne-Jones, Buck, Varnava, Philips et Main, 2009; Wynne-Jones, Buck, Phillips et Main, 2011; Zhou, Martinez, Ferreira et Rodriguez, 2016). Court et facile à utiliser, cet instrument a même fait l’objet de plusieurs traductions : en japonais (Yamashita et Arakida, 2008), en portugais (Laranjeira, 2013), en néerlandais (Hutting, Engels, Heerkens, Staal et Nijhuis-van der Sanden, 2014), en italien (Cicolini, Della Pelle, Cerratti, Franza et Flacco, 2016) ainsi qu’en turc (Yildiz et al., 2017).

Les études ayant utilisé le SPS-6 permettent de démontrer certains avantages liés à l’utilisation de cet instrument, et ce, tant dans le domaine de la recherche que celui de l’intervention clinique. À titre d’exemple, l’étude de Despiégel et ses collaborateurs (2012) permet d’avancer que le SPS-6 est suffisamment sensible pour démontrer le lien entre les symptômes dépressifs et la baisse de productivité au travail. D’ailleurs, comme les troubles de santé mentale sont associés au présentéisme (Esposito et al., 2007; Wynne-Jones et al., 2009), cet instrument serait utile pour prédire l’impact de la détresse psychologique sur le niveau de présentéisme des travailleurs (Wynne-Jones et al., 2011). Cela étant, certaines études ont aussi démontré les désavantages associés au SPS-6. Entre autres, Beaton et ses collaborateurs (2010) ont montré que le SPS-6 possède une faible consistance interne et une faible marge de corrélations item-total. En outre, cet outil serait moins efficace que d’autres pour évaluer le niveau de présentéisme de certaines populations spécifiques, telles que les patients souffrant d’une blessure au coude ou à l’épaule (Tang et al., 2009) et les travailleurs atteints d’arthrite (Tang et al., 2013). Toujours en comparant le SPS-6 à d’autres mesures de présentéisme, celui-ci serait le moins apprécié par les travailleurs ayant participé à l’étude de Tang et ses collaborateurs (2013). Les chercheurs expliquent cela par un manque d’exhaustivité et de compréhensibilité lié à l’instrument. Ainsi, si le SPS-6 représente certes un outil couramment utilisé pour évaluer le présentéisme, force est d’admettre que son utilisation soit aussi associée à un certain nombre de désavantages.

Afin de mieux connaître et de comprendre les particularités propres à l’usage de cet instrument dans les recherches traitant du présentéisme, la présente étude a pour objectif d’examiner le SPS-6 selon cinq critères[2] : a) sa définition du présentéisme, b) les fondements théoriques qui sous-tendent sa structure en deux dimensions, c) sa validité de construit, en considérant sa structure factorielle, d) sa capacité à évaluer (de façon stable) l’aptitude à se concentrer et à accomplir son travail malgré un problème de santé, ainsi que e) sa capacité à expliquer les phénomènes auxquels il peut être associé.

Définition du présentéisme

Les travaux sur le présentéisme peuvent être regroupés sous deux grandes conceptions, à savoir : a) ceux étudiant la fréquence du présentéisme et ses effets délétères sur la santé des travailleurs ainsi que b) ceux s’intéressant aux pertes de productivité que peut engendrer une telle façon de se comporter, et ce, tant pour le travailleur que pour l’organisation au sein de laquelle il travaille.

Les chercheurs qui adhèrent à la première conception poursuivent des travaux dans l’optique de mieux cerner les facteurs (individuels et organisationnels) qui peuvent conditionner l’acte de se présenter au travail, même lorsque malade (voir Aronsson et Gustafsson, 2005; Arronsson, Gustafsson et Dallner, 2000; Jourdain et Vézina, 2014). Cette conception se fonde sur l’idée voulant que le présentéisme soit associé à des conséquences néfastes pour le travailleur et sa santé et doit donc être réduit ou évité. Ainsi, pour cette première conception, les pertes de productivité associées au présentéisme sont implicites plutôt que mesurées directement.

A contrario, les chercheurs qui retiennent la deuxième conception poursuivent plutôt des travaux visant à estimer les pertes de productivité associées au fait de se présenter malade au travail (voir Lerner, Amick, Rogers, Malspeis, Bungay et Cynn, 2001; Zhou et al., 2016). Ils font cela en demandant aux participants d’évaluer comment leur santé a influé sur leur rendement au travail. Ainsi, pour cette seconde conception, les pertes de productivité sont estimées par l’entremise des capacités du travailleur à se concentrer malgré la maladie (ou condition de santé qui l’affecte) et à accomplir son travail. Cette dernière conception est d’ailleurs celle à laquelle adhèrent les chercheurs ayant développé le SPS-6 (Koopman et al., 2002).

Pour ces auteurs, un score élevé au SPS-6 indiquerait un niveau élevé de présentéisme, qu’ils définissent comme étant : « la capacité du travailleur à se concentrer et à accomplir ses activités de travail malgré la présence d’un problème de santé » [traduction libre] (Koopman et al., 2002; p. 17). Suivant cette définition, il semble que le présentéisme ne puisse être appréhendé que par l’intermédiaire des capacités du travailleur à se concentrer à effectuer son travail, et ce, malgré un état de santé altéré. Cette idée suggère donc que le SPS-6 s’inscrit davantage comme une mesure du niveau d’improductivité relative associée au fait de se présenter au travail malgré un problème de santé plus que l’acte lui-même d’être présent dans un tel état. Bien que le présentéisme puisse influencer la productivité d’un travailleur (Miraglia et Johns, 2016), il n’est généralement pas recommandé d’inclure les conséquences d’un phénomène dans sa définition, et ce, même si ces dernières méritent considération (Johns, 2010). Ce faisant, l’usage d’un instrument de mesure conçu à partir d’une telle définition du présentéisme peut induire certains biais perceptifs, et ce, tant chez les praticiens qui désirent évaluer ce phénomène au sein de leur organisation, que chez les chercheurs désireux d’accroître les connaissances sur cet objet d’étude. Sur la base de ce qui précède, une première question de recherche est formulée : est-ce que la représentation (voire la définition) du présentéisme que se font les utilisateurs du SPS-6 diffère de celle préconisée par cet instrument?

Dimensions du présentéisme selon le SPS-6

Selon Koopman et ses collaborateurs (2002), le SPS-6 comporte deux dimensions : a) la capacité d’effectuer le travail et b) la capacité à éviter les distractions. La capacité d’effectuer le travail s’évalue à partir des trois premiers items de l’instrument, lesquels sont formulés positivement (p. ex., Despite having my [health problem], I was able to finish hard tasks in my work) alors que la capacité à éviter les distractions est évaluée à partir des trois derniers items, lesquels sont formulés négativement (e.g. At work I was able to focus on achieving my goal despite my [health problem])[3]. Or, considérant ce qui précède, il semble que la structure bidimensionnelle de l’instrument fait croire en la répétition de deux dimensions qui renvoient à la même idée, à savoir : la capacité du travailleur à réaliser ses activités de travail, et ce, malgré un état de santé altéré. Cette dernière idée nous amène à formuler la question suivante : comment les chercheurs utilisent le SPS-6 : en calculant un score global ou en calculant un score pour chacune des dimensions de l’instrument?

Structure bifactorielle du SPS-6

Selon Koopman et ses collaborateurs (2002), le SPS-6 mesure des aspects cognitifs, comportementaux et émotionnels liés au travail, lesquels sont répartis dans deux dimensions comprenant trois items chacune : a) la capacité d’effectuer le travail (e.g. Despite having my [health problem], I was able to finish hard tasks in my work) et b) la capacité d’éviter les distractions (e.g. At work I was able to focus on achieving my goal despite my [health problem]). Considérant la formulation des items appartenant à chacune des dimensions (c.-à-d. formulation positive vs formulation négative), il semble aussi pertinent de s’intéresser à la structure factorielle de l’instrument, à savoir si la structure en deux facteurs est réelle ou si elle est plutôt le fruit d’un artéfact statistique. En foi de quoi, la question suivante est formulée : la structure bifactorielle du SPS-6 représente-t-elle le construit tel que défini ou si elle est due à la formulation des items?

Aptitude à se concentrer et à accomplir ses activités de travail malgré un problème de santé

Selon le principe d’acquiescement, les gens auraient une tendance naturelle à répondre plus positivement lorsqu’un certain doute persiste quant à leur réponse (Messick, 1966). Or, puisque le SPS-6 emploie des items dont les valences sous-entendues sont formulées positivement et négativement, il est possible de croire que cela puisse mener à certaines variations dans le score moyen observé à l’échelle. Par exemple, la connotation plus négative des items appartenant à la seconde dimension de l’instrument (c.-à-d. la capacité à éviter les distractions) risque d’amener le répondant à reconsidérer le poids de ses problèmes de santé – et l’impact de ceux-ci sur son travail – l’amenant du coup à répondre différemment à ces questions. Cet effet « sémantique » est bien documenté dans les travaux de Tourangeau, Rips et Rasinski (2000). Dans l’ensemble, ces quelques idées illustrent bien en quoi la formulation des items peut influencer le score moyen observé à l’échelle. Or, dû à l’effet confondant créé par la formulation des divers items de l’échelle, il semble aussi pertinent de s’intéresser à l’impact de cet effet sur le score moyen observé au SPS-6. De ce fait, la présente étude vise également à fournir réponse à la question suivante : est-ce que la formulation des items a un impact sur le score moyen observé au SPS-6?

Capacité du SPS-6 à expliquer les phénomènes auxquels il peut être associé

La capacité d’une échelle de mesure à expliquer (voire prédire) de façon valide et fidèle les phénomènes auxquels elle est associée représente l’une des caractéristiques les plus importantes pour évaluer son utilité. Sur ce plan, Johns (2011) observe une corrélation modeste entre le SPS-6 et une mesure de présentéisme dite subjective (r = 0,14; p < 0,01). Celui-ci observe toutefois une absence de lien entre le SPS-6 et une mesure de la fréquence du présentéisme. Les quelques éléments énoncés précédemment mènent donc aussi à se pencher sur la question suivante : est-ce que la formulation des items a un effet sur la force du lien corrélationnel entre le SPS-6 et d’autres critères (p. ex., la fréquence du présentéisme et l’improductivité relative)?

MÉTHODOLOGIE

Traduction et reformulation des items du SPS-6

La préparation du matériel expérimental nécessaire à la présente étude s’est réalisée en deux étapes. Premièrement, la version originale du SPS-6 a été traduite en français (version A) en suivant une méthodologie similaire à celle préconisée par Lauzier et Haccoun (2010). L’auteur et deux autres personnes bilingues ont ensuite agi à titre de juges afin d’assurer un degré adéquat de similitude avec la version anglaise d’origine. Par l’usage d’une échelle en dix points (1 = Pas du tout équivalent; 10 = Totalement équivalent), ces personnes devaient juger de l’équivalence de chaque paire d’items (anglais – français). Un seuil d’équivalence acceptable égal à 8/10 a été prescrit pour chacune des paires d’items. L’analyse des résultats ne révéla pas de problème puisqu’aucune note en deçà de 8/10 n’a été attribuée par l’un ou l’autre des juges. Les désaccords (mineurs) entre l’auteur et les juges ont été discutés jusqu’à leur résolution, ce qui a mené à la précision de certains termes.

Deuxièmement, deux versions expérimentales du SPS-6 (versions B et C) ont été conçues en reformulant les items traduits. Dans la version B (items positifs) de l’échelle, les trois items composant la seconde dimension du SPS-6, soit la capacité à éviter les distractions, ont été reformulés positivement. Par exemple, pour la version B, l’item suivant de la version A « (Mon problème de santé) m’a empêché d’éprouver du plaisir à effectuer mon travail » a été reformulé de la façon suivante « Malgré (mon problème de santé), j’ai éprouvé autant de plaisir à effectuer mon travail ». Dans la version C (items négatifs) de l’échelle, les trois items composant la première dimension du SPS-6, soit la capacité d’effectuer le travail, ont été reformulés négativement. Par exemple, pour la version C, l’item suivant de la version A « Malgré (mon problème de santé), j’ai été capable de compléter les tâches plus complexes que comprend mon travail » a été reformulé de la façon suivante « Dû à (mon problème de santé), je n’ai pas été capable de compléter les tâches plus complexes que comprend mon travail ». Les items appartenant aux différentes versions du SPS-6 sont reproduits à l’Annexe 1.

Procédures et participants

La présente étude privilégiait un échantillonnage de type tout-venant. Les participants à cette étude occupaient donc différents postes au sein d’organisations diversifiées. Deux cent trente-huit travailleurs ont participé à cette recherche en complétant l’une des trois versions de l’instrument, sans toutefois connaître l’existence des autres versions. Le choix de recourir à une telle approche, qui se base sur l’étude de Greenberger, Chen, Dmitrieva et Farruggia (2003), visait à faciliter la comparaison entre chacune des versions du SPS-6 utilisées dans le cadre de la présente étude.

Les participants ont été recrutés au sein d’une université québécoise à l’occasion d’une présentation faite en salle de classe, laquelle visait à leur dévoiler le projet de recherche. Les participants n’ont reçu aucune compensation en échange de leur participation à l’étude. Afin d’obtenir un portrait aussi représentatif que possible d’une population active de travailleurs, certaines précautions ont été prises lors du recrutement. D’abord, seules les classes pour des cours se situant dans un programme d’études en lien avec le travail (p. ex., administration, comptabilité, relations industrielles) ont été ciblées. Ce choix s’explique du fait qu’un nombre généralement plus grand d’étudiants inscrits à ces programmes d’études occupent également un emploi (selon les données fournies par l’institution). De plus, le recrutement fut limité aux cours s’offrant le soir seulement (en raison d’une présence plus grande d’étudiants-travailleurs dans les cours s’offrant le soir) ainsi qu’à ceux s’offrant en fin de programme (voire 3e année du baccalauréat). Enfin, le fait d’occuper un emploi à raison de plus de 15 heures par semaines (à l’extérieur des heures normales de classe) constituait un autre critère d’inclusion à la présente étude. Ainsi, trois groupes distincts de participants ont été constitués. Les groupes ne diffèrent pas statistiquement en fonction de l’âge et du sexe de leurs membres.

Groupe 1. Un total de 83 participants a complété la version A de l’échelle. Ce premier groupe est composé de 63 (73 %) femmes et de 20 (27 %) hommes dont l’âge moyen est de 32,30 ans (ET = 6,81). Le score moyen obtenu au SPS-6 est de 2,58 (ET = 0,52).

Groupe 2. Un total de 77 participants a complété la version B de l’échelle. Ce deuxième groupe est composé de 58 (75 %) femmes et de 19 (25 %) hommes dont l’âge moyen est de 32,67 ans (ET = 9,18). Le score moyen obtenu au SPS-6 est de 2,89 (ET = 0,87).

Groupe 3. Un total de 78 participants a complété la version C de l’échelle. Ce troisième groupe est composé de 54 (69 %) femmes et de 24 (31 %) hommes dont l’âge moyen est de 30,87 ans (ET = 7,62). Le score moyen obtenu au SPS-6 est de 2,51 (ET = 0,77).

Instrument

SPS-6. La mesure du SPS-6 a été assurée par la version originale de l’instrument, traduite en français, ainsi que par les deux versions expérimentales décrites précédemment.

Présentéisme (fréquence). Inspiré des autres études (Aronsson et Gustafsson, 2005; Deery, Walsh et Zatzick, 2014; Johns, 2011; Lauzier, Mélançon et Côté, 2017), le présentéisme a été mesuré à partir d’un item permettant de calculer la fréquence du comportement, soit : « Au cours des 6 derniers mois, combien de jours par mois avez-vous travaillé alors que vous ne vous sentiez pas bien physiquement ou psychologiquement? ». Cette façon de mesurer le présentéisme est la plus commune dans les travaux sur le sujet (Johns, 2010). Les participants devaient répondre à cette question en indiquant la fréquence à laquelle ils se sont présentés au travail alors qu’ils étaient malades. Puisque la fréquence du présentéisme ne se distribue pas normalement, une correction logarithmique fut appliquée aux données de chacun des groupes (Lauzier et al., 2017).

Improductivité relative. Afin de comparer les résultats de la présente étude à ceux observés par Koopman et ses collaborateurs (2002), l’improductivité relative a été mesurée par un item inspiré de celui utilisé dans l’étude originale. À partir des réponses à la question précédente portant sur la fréquence du présentéisme, les participants devaient rapporter, à l’aide d’une échelle graduée allant de 0 % à 100 %, le degré auquel ils estimaient avoir été productifs au cours des journées de présentéisme. La consigne suivante était présentée aux répondants : Lors de ces jours de travail où vous étiez indisposé(e) par des problèmes de santé (physique/psychologique), à combien évaluez-vous en moyenne votre niveau de performance ou d’efficacité au travail? Indiquez, le plus honnêtement possible, à l’aide de l’échelle graduée ici-bas, le niveau moyen de performance ou d’efficacité atteinte lors de ces journées (encerclez le pourcentage correspondant à votre réalité). Les participants devaient répondre à cette question en encerclant le pourcentage correspondant à leur niveau moyen de productivité pour les jours où ils ont effectué du présentéisme.

RÉSULTATS

Définition et dimensions du présentéisme selon le SPS-6

Afin de répondre à nos deux premières questions de recherche, nous avons recensé l’ensemble des études ayant utilisé le SPS-6 jusqu’à présent. Les résultats concernant les 14 études trouvées sont présentés au Tableau 1[4]. Nous avons identifié l’ensemble des utilisateurs (auteurs) du SPS-6. Un examen attentif du Tableau 1 permet de faire ressortir deux éléments : a) la moitié (50 %; 7/14) des études utilisant le SPS-6 ont une définition du présentéisme différente de celle préconisée par le SPS-6 (c.-à-d. la capacité du travailleur à se concentrer et à accomplir ses activités de travail malgré la présence d’un problème de santé) et b) seulement 21 % (3/14) des études utilisant le SPS-6 reconnaissent l’existence et utilisent dans leurs travaux les deux dimensions proposées par les auteurs de l’étude originale. Dans 79 % des cas (11/14), les études recensées ne font pas allusion à l’existence des deux dimensions du SPS-6. Elles traitent plutôt le construit de façon unifiée, soit en rassemblant les deux dimensions qui ne créent qu’un seul score (ou variable). La mise en relief de ces quelques résultats permet aussi de reconnaitre une autre tendance dans les études ayant utilisé le SPS-6, soit celle de préférer l’usage d’un construit unifié, et ce, indépendamment de la définition (voire conception) à laquelle souscrivent les auteurs de ces mêmes études. Cette dernière observation paraît pour le moins étrange et suggère une légitimité mitigée de ces dimensions chez les chercheurs mesurant le présentéisme à l’aide de cet instrument.

Structure factorielle des trois versions du SPS-6

Recourant à une stratégie analytique semblable à celle déployée dans l’étude originale (voir Koopman et al., 2002), des analyses en composantes principales (ACP), privilégiant une rotation des données de type varimax, ont été réalisées afin de comparer la structure des trois versions de l’instrument. Encore une fois, et ce, malgré les défauts connus à cette stratégie analytique, ce choix s’explique par un désir de reproduire – aussi fidèlement que possible – les résultats observés à l’étude originale[5]. Les résultats à ces analyses indiquent que la version A (items mixtes) se compose de deux dimensions distinctes (KMO = 0,65) : la première dimension (valeur propre de 2,24) est créée par le rassemblement des trois premiers items; la seconde dimension, quant à elle, se constitue des trois derniers items (valeur propre de 1,41). Prises ensemble, ces deux dimensions expliquent 61 % de la variance totale (comparativement à 71 % dans l’étude originale). En ce qui a trait aux ACP réalisées pour les deux versions expérimentales, les analyses montrent une structure unidimensionnelle, et ce, tant pour la version B (KMO = 0,82; valeur propre de 3,45; variance expliquée de 58 %), que pour la version C (KMO = 0,72; valeur propre de 2,94; variance expliquée de 49 %).

Tableau 1

Caractéristiques des études ayant utilisé le SPS-6

Caractéristiques des études ayant utilisé le SPS-6

Tableau 1 (continuation)

Caractéristiques des études ayant utilisé le SPS-6

Notes. La dénomination « Travailleurs » est employée chaque fois qu’il s’agit d’études réalisées avec la participation d’individus provenant de métiers variés ou d’organisations différentes. D = Distraction (c.-à-d. fait allusion à la première dimension du SPS-6); A = Accomplissement (c.-à-d. fait allusion à la deuxième dimension du SPS-6); T1 = Premier temps de mesure; T2 = Deuxième temps de mesure; N/D = Non-disponible (c.à.d. les études ne founissaient pas l’information).

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La fiabilité des différentes versions du SPS-6 fut évaluée au moyen de calculs des coefficients de consistance interne (alpha de Cronbach). La version A (items mixtes) présente un alpha de 0,76 pour la première dimension et de 0,52 pour la deuxième dimension. Tel qu’il est communément fait dans les autres études ayant utilisé le SPS-6, un alpha total fut calculé pour l’ensemble des items. Dans la présente étude, cet alpha est de 0,65. Une valeur qui se veut bien en deçà de celle de 0,80 rapportée par Koopman et ses collaborateurs (2002). La valeur observée dans la présente étude s’apparente toutefois à celles retrouvées dans d’autres études qui utilisent le SPS-6 : 0,60 dans le cas de Esposito et ses collaborateurs (2007); 0,64 dans le cas de John (2011). Concernant la fiabilité des deux versions expérimentales, le coefficient alpha de la version B (items positifs) est de 0,85 et celui de la version C (items négatifs) est de 0,78.

Enfin, l’étude des corrélations item-total pour chacune des versions de l’instrument révèle des constats quelque peu différents de ceux observés par Beaton et ses collaborateurs (2010). De fait, la version A (items mixtes) du SPS-6 présente une marge de corrélations item-total beaucoup plus large que celles observées pour les versions B (items positifs) et C (items négatifs). Ces dernières présentent des liens plus forts entre les items des versions expérimentales (versions B et C) qu’entre ceux de la version originale. Cette tendance rejoint certaines considérations faites précédemment à l’égard de l’effet possiblement confondant des formulations positive et négative. Le Tableau 2 présente les structures factorielles, les coefficients de consistance interne ainsi que les corrélations item-total pour chacune des versions de l’instrument.

Aptitude à se concentrer et à accomplir ses activités de travail malgré un problème de santé

Afin de tester les différences des scores au SPS-6 entre les trois versions de l’instrument, une analyse de la variance, soit une ANOVA à un facteur, a été réalisée (F (2, 236) = 5,95; p < 0,01). Les comparaisons post-hoc de Tukey indiquent que les participants qui ont rempli la version B (M = 2,89; ET = 0,87) ont donné des cotes significativement plus élevées au SPS-6 que ceux qui ont rempli la version A (M = 2,58; ET = 0,52) ou la version C (M = 2,51; ET = 0,77). Les différences entre les autres versions (c.-à-d. A et C) ne sont toutefois pas statistiquement significatives.

Capacité du SPS-6 à expliquer les phénomènes auxquels il peut être associé

Les corrélations entre chacune des versions du SPS-6 et d’autres critères (c.-à-d. la fréquence de présentéisme et l’improductivité relative) ont été calculées (voir Tableau 3). Dans le cas de la fréquence de présentéisme, aucune des corrélations observées entre cette variable et les différentes versions du SPS-6 ne s’est avérée significative. Ce constat laisse croire que les différentes versions de l’instrument sont relativement semblables dans leur rapport avec cette variable. Ce résultat s’apparente à ceux retrouvés dans d’autres études, telle celle de Johns (2011) qui ne présente pas de lien significatif entre le SPS-6 et la fréquence du présentéisme. En ce qui concerne l’improductivité relative, le calcul des corrélations montre que chacune des versions de l’instrument est liée significativement à cette variable : version A (r = 0,38; p < 0,01); version B (r = 0,53; p < 0,01); version C (r = 0,58; p < 0,01). Sur ce plan, il semble pertinent d’indiquer que Koopman et ses collaborateurs (2002) observent une corrélation équivalente à 0,53 (p < 0,001) entre le SPS-6 et leurs mesures d’improductivité.

Tableau 2

Structure factorielle, consistance interne et corrélations item-total pour les versions A, B et C du SPS-6

Structure factorielle, consistance interne et corrélations item-total pour les versions A, B et C du SPS-6

Notes. Analyse en composante principale (ACP) avec rotation orthogonale (varimax); D1 = Capacité d’effectuer le travail; D2 = Capacité d’éviter les distractions; a = Alpha de Cronbach. Entre parenthèses sont présentés les coefficients de saturation et de consistance interne observés par Koopman et ses collaborateurs (2002).

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Afin de mieux comprendre le rapport qu’entretiennent les différentes versions du SPS-6 avec la mesure d’improductivité relative, les corrélations provenant de chacun des échantillons ont été comparées. Cette comparaison s’est effectuée à l’aide de la statistique z qui se veut une transformation (voire conversion) du r (selon la logique du test de Fisher). Le calcul de cette valeur z peut ensuite être appliqué afin d’évaluer le degré auquel une corrélation diffère significativement d’une autre (à p < 0,05). En ce qui concerne l’improductivité relative, une différence significative (p < 0,05, test unilatéral) est observée pour la corrélation entre cette variable et la version A du SPS-6 lorsque comparée aux corrélations observées avec la version B (z = -1,60) et la version C (z = -1,70). Il semble donc que les corrélations qu’entretiennent les version B (items positifs seulement) et C (items négatifs seulement) de l’instrument avec la mesure d’improductivité soient significativement supérieures de celle qu’entretient la version A (comprenant les items originaux).

Tableau 3

Comparaison des corrélations entre les critères et les différentes versions du SPS-6

Comparaison des corrélations entre les critères et les différentes versions du SPS-6

Notes. **p < 0,01.

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DISCUSSION

Dans sa globalité, cette étude avait pour objectif de dresser un portrait des pratiques liées à l’usage du SPS-6 à partir de cinq éléments, à savoir : sa définition du présentéisme, les fondements sur lesquels reposent ses dimensions, sa structure bifactorielle, les différences dans le score moyen observé aux différentes versions de l’instrument ainsi que sa capacité à expliquer des phénomènes qui lui sont liés.

Principaux constats

Concernant la définition du présentéisme, il semble que les définitions auxquelles recourent les utilisateurs du SPS-6 ne correspondent pas toujours à la définition proposée par les auteurs de l’instrument. Cette constatation s’avère surprenante, car elle sous-entend que la majorité des utilisateurs du SPS-6 utilisent un instrument qui ne mesure pas le phénomène tel qu’ils le définissent. Le manque d’outils disponibles pour mesurer le présentéisme peut possiblement expliquer cette situation. Il en va de même en ce qui a trait à la reconnaissance des deux dimensions du modèle proposé par Koopman et ses collaborateurs (2002). En effet, il semble y avoir un écart entre les prétentions soutenues par les concepteurs du SPS-6 et celles reconnues dans les études menées sur le sujet. Ceci peut s’expliquer du fait que les deux dimensions de l’échelle semblent se chevaucher et dépendre l’une de l’autre. Par exemple, pour accomplir une tâche (dimension reflétée dans les trois dernières questions du SPS-6), on doit être en mesure d’éviter les distractions (dimension reflétée dans les trois premières questions du SPS-6). Dans la mesure où la seconde dimension (capacité d’accomplir le travail) constitue une conséquence logique de la première (capacité de concentration), est-il utile alors de conserver la première dimension? Ce questionnement en soulève un autre quant à la capacité des deux dimensions à représenter des aspects différents du concept général évalué par le SPS-6 (c.-à-d. la capacité du travailleur à se concentrer et à accomplir ses activités de travail malgré la présence d’un problème de santé). Plus concrètement, quelle distinction existe-t-il entre la capacité d’une personne à mobiliser ses capacités cognitives (c.-à-d. se concentrer) et sa capacité à accomplir le travail? On peut penser que pour des métiers comprenant des tâches plus complexes – ou ceux qui exigent un niveau plus élevé de concentration – les deux sous-dimensions sont possiblement redondantes (voire similaires).

Concernant la validité de construit du SPS-6, les résultats observés aux suites des analyses factorielles (exploratoires) suggèrent que la structure en deux dimensions retrouvée au sein de la version originale est due à la formulation des énoncés, et non pas à une distinction fondée théoriquement. Plus concrètement, les deux dimensions sont observées lorsque la moitié des énoncés sont formulés de façon négative, mais pas lorsque tous les énoncés sont de forme uniquement positive ou de forme uniquement négative. Cette observation soutient l’idée voulant que la structure en deux dimensions du SPS-6 ne constitue rien de plus qu’un artéfact statistique, voire une répétition de deux dimensions qui renvoient à une seule et même idée.

Concernant le score moyen observé au SPS-6, les résultats à la présente étude révèlent aussi certaines différences entre les versions. De fait, il semble que la version B (items positifs) soit celle où un taux plus faible de perte de productivité est rapporté. Ceci signifie que les répondants ont eu moins de difficultés à effectuer leur travail malgré un état de santé altéré. La moyenne la plus faible est observée pour la version C (items négatifs) où les répondants ont indiqué avoir plus de difficulté à effectuer leur travail malgré un état de santé altéré. Ces quelques constats soutiennent le questionnement quant à la validité du SPS-6.

Enfin, malgré l’absence de liens corrélationnels significatifs entre le SPS-6 et la fréquence du présentéisme, des différences sont observées selon les versions du SPS-6 et la mesure d’improductivité relative. Plus particulièrement, l’association relevée pour la version A (items mixtes) de l’échelle est significativement différente de celles observées avec les versions B (items positifs) et C (items négatifs). Pris ensemble, ces quelques constats remettent en cause la stabilité de l’instrument.

Limites et pistes de recherche

La présente étude comporte un certain nombre de limites. Force est d’admettre toutefois que celles-ci constituent autant d’avenues de recherche intéressantes, qui devront être explorées par les études à venir. Premièrement, le fait que les données recueillies dans le cadre de cette étude étaient de nature autorapportée implique qu’elles aient aussi été sujettes à certains biais (p. ex., fidélité du rappel en mémoire, désirabilité sociale, etc.). Les études futures devront prendre des moyens pour contrôler de tels effets. Deuxièmement, la présente étude ne fait pas la distinction entre les conditions de santé qui affectaient les répondants lors de leur participation à l’étude. Cette limite se veut toutefois intrinsèquement liée au SPS-6, du fait que cette mesure ne permet pas clairement de considérer l’effet variable de différentes conditions de santé sur le niveau de productivité rapporté. Les recherches futures devront considérer l’impact de distinguer entre du présentéisme bénin (p. ex., rhume) et du présentéisme toxique ou chronique (p. ex., épisode dépressif majeur) sur les scores observés au SPS-6. Troisièmement, la présente étude aurait pu intégrer d’autres mesures afin d’étayer les indices de validité du SPS-6. Les études futures pourraient, entre autres, recourir à des mesures déjà validées et standardisées, telle le Work Limitation Questionnaire développé par Lerner et ses collaborateurs (2001). Enfin, une quatrième limite à la présente étude tient à l’utilisation d’instruments de mesure dits « maison » pour évaluer la validité concomitante du SPS-6 (c.-à-d. fréquence du présentéisme et improductivité relative). Encore une fois, le choix de recourir à ces instruments visait à reproduire aussi fidèlement que possible la méthodologie suivie par les auteurs de l’étude originale.

Enfin, il ne faudrait pas que les conséquences de cet instrument (et sa critique) ne soient que négatives. Le SPS-6, en tant qu’outil mesurant la capacité d’une personne à accomplir le travail malgré un état de santé altéré, demeure un outil intéressant pour la recherche sur le présentéisme. Notamment, celui-ci pourrait permettre de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents à la relation unissant les comportements de présentéisme (c.-à-d. l’acte) au rendement au travail. En ce sens, la capacité à accomplir le travail malgré la maladie constitue possiblement un mécanisme psychologique (voire variable médiatrice) intéressant à explorer pour les futurs travaux sur le sujet. Il semble aussi que le SPS-6 présente une certaine sensibilité au niveau de complexité des tâches (voire l’emploi) accomplies par le travailleur. Or, le fait de considérer la catégorie professionnelle à laquelle appartiennent les participants (p. ex., gestionnaires vs employés) pourrait aider à préciser les apports de cet instrument à une compréhension plus fine du présentéisme. Cela dit, les résultats à la présente étude montrent qu’il est peut-être préférable de capturer l’essence de cette variable par l’usage d’une version alternative de l’instrument, soit en utilisant les versions qui ne comprennent qu’un seul facteur unifié.

CONCLUSION

Malgré les avancées importantes réalisées au cours des quelques dernières années sur le présentéisme, la question concernant la meilleure façon de mesurer celui-ci reste entière. Bien que le SPS-6 demeure un outil populaire, les résultats à la présente étude révèlent que cette popularité ne constitue pas nécessairement un gage d’efficacité, voire de validité. Qu’ils soient considérés seuls ou collectivement, les résultats à cette étude suggèrent certaines limites pouvant être associées à l’usage de cet instrument. Considérant l’intérêt actuel pour le sujet, les constats observés à la présente étude invitent les praticiens et les chercheurs à considérer l’usage de formes alternatives de cet instrument – c’est-à-dire les versions B ou C – au sein de leur organisation ou de leurs projets de recherche.