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Le travail du sexe au Nouveau-Brunswick : une réalité particulière

Le Nouveau-Brunswick est l’une des provinces les plus pauvres, mais aussi la seule province officiellement bilingue au Canada. D’après les dernières données du Commissariat aux langues officielles (2020), il est possible de remarquer une forte concentration de francophones dans les régions de Campbellton, Miramichi (41 %) et de Moncton-Richibucto (36 %), situés respectivement au centre-nord-est et au centre-sud-est. Le Nouveau-Brunswick est aussi la province où, comparativement aux autres provinces canadiennes comme le Québec, l’Ontario ou la Colombie-Britannique, il y a encore peu de diversité culturelle, et encore moins hors des centres urbains comme Moncton, Fredericton ou Saint-Jean. Alors qu’une personne sur cinq est née à l’étranger au Canada, c’est le cas d’une personne sur vingt-cinq au Nouveau-Brunswick. L’immigration est un enjeu en ce qui concerne l’accueil, la discrimination à l’emploi et par conséquent leur rétention (Sall, 2021). Ce portrait démographique unique fait ressortir des défis particuliers quand il s’agit de considérer une problématique sociale comme celle des femmes francophones travailleuses du sexe (TDS).

De façon générale, les Néo-Brunswickoises constituent l’une des populations les plus pauvres de la province, ce qui les place dans des conditions de vie défavorables pouvant les mettre en situation de vulnérabilité économique, sociale ou culturelle (Savoie, Lanteigne et Albert, 2015). Sans diplômes d’études secondaires, les femmes sont surreprésentées dans les emplois au salaire minimum dans les provinces de l’Atlantique (Workman, 2003). Jeffrey et MacDonald (2006), dans leur recherche sur les TDS dans les provinces de l’Atlantique, mettent en exergue le fait que cette vulnérabilité économique peut entraîner certaines d’entre elles à oeuvrer dans le TDS afin de générer de l’argent rapidement pour subvenir à leurs besoins de base et à ceux de leurs enfants, le cas échéant. De plus, la majorité des femmes qu’elles ont rencontrées étaient aux prises avec des troubles de santé mentale et d’abus de substances (Jeffrey et MacDonald, 2006). Malgré cette coexistence de conditions, il importe de souligner que les femmes qui exercent le métier de travailleuse du sexe ne sont pas un groupe monolithique. Une compréhension approfondie de la société néo-brunswickoise s’avère essentielle pour comprendre le contexte dans lequel s’articule le travail du sexe (TS). Une telle entreprise est particulièrement pertinente pour les femmes vivant en contexte francophone minoritaire au Nouveau-Brunswick, pour lesquelles l’accès aux services formels d’aide peut être complexifié par la barrière linguistique, l’éloignement géographique et la pauvreté (Hornosty et Doherty, 2003 ; Savoie et al., 2015).

Nous définissons le TS comme « l’échange consensuel de services sexuels entre adultes contre de l’argent ou des biens » (Agence canadienne de santé publique, 2014, p. 3) ; englobant un éventail de contextes de pratique physiques et virtuels. Les études sur le TS s’inscrivent principalement dans la perspective réglementariste, qui cadre celui-ci comme un travail légitime mais non reconnu, ou la position abolitionniste, qui le conçoit comme une forme de violence faite aux femmes. Ce contexte idéologique est moins applicable dans les Maritimes, les provinces de la région de l’Atlantique ne disposant pas d’un aussi grand nombre de services spécialisés offerts aux TDS, comme dans les grands centres urbains au Canada. Les TDS utilisent des services plus généralistes ou de réduction des méfaits qui visent une diversité de groupes dits vulnérables. Ainsi, ces discussions sur l’agentivité en contexte de TS sont moins présentes. À ce sujet, le livre de Jeffrey et MacDonald (2006) est notable, dans le sens qu’il interroge des TDS dans trois villes des Maritimes et ceux qui travaillent autour d’elles : les policiers, les fournisseurs de soins de santé et les travailleurs communautaires.

Le présent article s’inscrit dans une perspective souhaitant avant tout mettre de l’avant les multiples réalités et perspectives entourant le TS (Benoit, Ouellet, Jansson, Magnus et Smith, 2017) qui sont parfois conflictuelles ou contradictoires (Oselin et Weitzer, 2013), s’inspirant de ce fait de la philosophie intégrale (Fisher et Nicholson, 2014 ; Wilber, 2002).

Les travailleuses du sexe : quels besoins ?

Au-delà du schisme idéologique dans les écrits concernant le TS, plusieurs études se sont intéressées aux besoins des femmes et aux perceptions des intervenant.es de ceux-ci. Or, les travaux abordent souvent ces deux points de vue séparément (van der Meulen, Durison et Love, 2013).

Tout d’abord, les recherches sur les besoins des TDS, sur les services offerts ou sur ceux qui seraient susceptibles de répondre de façon compréhensive à leurs besoins sont peu nombreuses (Capous Deysellas, 2010 ; Parent et Bruckert, 2005). Leurs besoins ont plus souvent été déterminés par des personnes qui ne sont pas des TDS (Capous Deysellas, 2010). Lorsqu’ils sont exprimés par les TDS, les besoins se regroupent en plusieurs catégories et concernent souvent leur santé physique et mentale (Benoit et al., 2016 ; Gangoli, 2002 ; Kurtz, Surratt, Kiley et Inciardi, 2005 ; Sou et al., 2017 ; Wiechelt et Shdaimah, 2011). Par exemple, ces besoins en soins de santé comprennent les services de counseling, les médicaments sur ordonnance et d’autres thérapies non couvertes par l’assurance publique (Benoit et al., 2016).

Les besoins de base comme se nourrir, se vêtir et se loger constituent une autre catégorie de besoins amplement documentée. Les études qui en font mention ont surtout interrogé des femmes qui exercent le travail de rue. Dans certains cas, l’accès à la drogue fait partie des besoins de base exprimés par les femmes ; les femmes qui luttent contre la toxicomanie et le sevrage y voient un moyen de survivre, en particulier en l’absence de traitement de la toxicomanie ou de la santé mentale (Arnold et al., 2000 ; Wiechelt et Shdaimah, 2011). D’autres besoins particulièrement associés au travail de rue sont mis de l’avant par les enjeux auxquels ces femmes doivent faire face durant leur trajectoire de TS : la violence, les problèmes de toxicomanie, les périodes d’itinérance, la faible estime de soi, le harcèlement de la part de la police et de la population, et les expériences négatives dans l’accès à des services gouvernementaux (Arnold et al., 2000 ; Pitcher, 2013). Notablement, la recherche de Capous Deysellas (2010) met de l’avant des aspirations et des besoins relatifs au « nourishment of the heart » (p. 168), aux rêves et aux désirs ainsi qu’au développement de l’esprit et de l’âme chez les participantes à son étude. Cette dimension plus abstraite figure rarement dans la littérature.

Ainsi, le vécu de ces femmes se caractérise par de nombreux besoins en matière d’intervention, que ce soit en regard des contextes adverses dans lesquels elles évoluent (p. ex. : pauvreté, isolement social) ou en raison de comportements qu’elles manifestent (p. ex. : troubles de santé mentale, consommation de drogues) et qui peuvent compromettre leur bien-être (Bellot et Richard, 2017 ; Jeffrey et MacDonald, 2006). Il est également montré qu’une même femme peut cumuler ces différentes problématiques (Bellot et Richard, 2017 ; Bertrand et Nadeau, 2006a, 2006b ; Gilbert et al., 2017 ; Jeffrey et MacDonald, 2006). Selon plusieurs auteurs, les conditions de vie liées au TS coexistent avec la pauvreté, l’itinérance, la consommation de drogues et des troubles de santé mentale (Heilemann et Santhiveeran, 2011 ; Jeffrey et MacDonald, 2006 ; Provencher, Côté, Blais et Manseau, 2013 ; Rogers et al., 2015).

Étant donné la complexité des problèmes de ces femmes et leurs trajectoires distinctes, les intervenant.es se doivent d’adopter une approche adaptée à chacune : celles-ci jouent un rôle clé puisqu’elles sont souvent le premier contact avec les travailleuses cherchant de meilleures conditions de vie. Leurs perceptions à l’égard de ces femmes vont influencer leur pratique et la qualité de la relation thérapeutique (Karver, Handelsman, Fields et Bicker, 2005). D’ailleurs, des études rapportent que les perceptions qu’ont les intervenant.es des besoins des femmes en situation de vulnérabilité teintent considérablement leur pratique clinique (Krumer-Nevo, Berkovitz-Romano et Komem, 2015 ; Peled et Lugasi, 2015). Ces études révèlent que certaines intervenant.es considèrent ces femmes comme victimes de conditions de vie adverses alors que d’autres les considèrent comme des individus autonomes faisant des choix jugés volontaires.

En ce qui a trait à la réinsertion sociale, O’Neill et Campbell (2010) affirment que celle-ci est souvent pensée à partir du désistement. Cette conception est sous-tendue par des assises moralistes et à travers ce processus, les femmes sont souvent assujetties à un programme de responsabilisation individuelle (p. 168) qui ne tient pas compte des éléments systémiques et structurels qui pourraient affecter leur transition hors du TS. De plus, la réinsertion sociale ne se résume pas uniquement à l’arrêt du TS, elle implique des changements sur les plans physique, cognitif et social (Sanders, 2007). Ces constats sur la réinsertion rejoignent notre posture intégrale en ce qui a trait au TS et notre volonté de mettre de l’avant la perspective des femmes quant à ces réalités et à leurs besoins.

Objectifs

Compte tenu de l’accent mis sur certains besoins propres aux femmes TDS et sur le manque d’études intégrant la perspective de femmes à celles d’intervenant.es, cet article apporte une compréhension plus holistique des besoins de ces femmes. Ainsi, nous cherchons à comparer les perceptions des TDS et celles des intervenant.es quant aux besoins des femmes en matière de réinsertion sociale, tout en reconnaissant que le désistement n’est pas toujours souhaité par ces dernières. Cet exercice permettra de susciter des réflexions afin de trouver des pistes pratiques et conceptuelles quant à la notion de réinsertion sociale.

Cadre théorique

Pour répondre à nos objectifs, deux perspectives théoriques ont été mobilisées. Tout d’abord, la théorie de l’intersectionnalité, née de la remise en question de la pensée blanche féministe par les femmes noires (Crenshaw, 1991 ; Hooks, 2000), réfute la prémisse selon laquelle les catégories sociales existent isolément. Celles-ci s’articulent plutôt de façon imbriquée et simultanée (Bilge, 2009). L’intersectionnalité permet de comprendre les relations entre différents aspects de l’identité tels que l’âge, le genre, ou encore le statut socioéconomique, et différentes sources d’oppression comme le patriarcat, le classisme ou bien l’anglocentrisme, affectant la capacité d’agir des femmes et compliquant la reprise du pouvoir sur leur vie (Bograd, 1999 ; Crenshaw, 1991 ; Hill Collins, 2016 ; Sokoloff et Dupont, 2005). Selon Taylor (2010) :

[I]ntersectionality refers to the mutually constrictive nature of social divisions and the ways these are experienced, reproduced, and resisted in everyday life. A successful intersectional practice thus explores the relational and reinforcing exclusions and inclusions, the first steps of which are to identify and name these.

p. 90

À ce sujet, la recherche de O’Neill et Campbell (2010) parle de :

[…] the complexity of women’s lives and narratives and the importance of intersectional analysis to make visible the multiple, complex and simultaneous subject position, identities, inequalities, marginalities and resistances to differing and similar oppressions brought to life by women who sell sex.

p. 165

Cette perspective permet donc de déconstruire le présupposé voulant que les femmes constituent un groupe homogène, partageant des expériences et des besoins universels.

La théorie des sois possibles « possible selves » définit les représentations qu’une personne se crée quant à la personne qu’elle souhaiterait devenir, qu’elle s’attend à devenir ou encore, qu’elle craint de devenir (Markus et Nurius, 1986). Ces représentations peuvent inclure des espoirs quant au soi idéal tout comme des craintes par rapport au soi appréhendé (Marshall et Guenette, 2008). Elles sont façonnées par l’environnement social immédiat de la personne ainsi que par ses expériences antérieures (Frazier et Hooker, 2006 ; Markus et Nurius, 1986 ; Packard et Conway, 2006). En somme, cette théorie permet de considérer deux angles de vue quant aux besoins en matière d’intervention des femmes, à travers le sens donné aux aspirations et aux peurs, les moyens mis en action, les ressources disponibles et les capacités d’autorégulation afin de pouvoir proposer une réponse mieux adaptée à leur situation. Arrimé à la perspective intersectionnelle, ce concept permet d’aborder la coexistence des problématiques des femmes TDS (santé mentale, consommation) de façon interreliée, s’entrecroisant de manière dynamique, certaines étant plus saillantes que d’autres à un certain moment (Christensen et Jensen, 2012) en fonction, par exemple, de la position sociale que la femme occupe, de son âge, de son statut socioéconomique ou encore du classisme ou de l’anglocentrisme. Cette dynamique influence à la fois son vécu (passé, présent et futur), et par conséquent sa capacité d’agir et son intégrité de soi, créant ainsi des zones de vulnérabilité qui entravent la reprise du pouvoir sur sa vie.

Globalement, cet arrimage nous amène à aborder la coexistence et l’entrecroisement des problèmes que peuvent vivre des TDS (problèmes de santé mentale, consommation de drogues ou d’alcool). Nous sommes ainsi en mesure de cerner leurs besoins à partir de leurs aspirations et craintes plutôt que de nous axer sur des facteurs de risque à la réintégration sociale. Cette posture nous permet de saisir à la fois les avantages liés au TS tout comme les risques et les éléments négatifs qui peuvent en découler (Benoit et al., 2017).

Méthodologie

Cet article repose sur des données qualitatives recueillies selon une stratégie d’échantillonnage par cas multiples de micro-unités sociales (Angers, 2005 ; Pires, 1997) auprès de deux groupes : les femmes TDS et les intervenant.es. Pour les femmes (n = 10), les critères de diversification interne s’arriment aux caractéristiques individuelles et à leur vécu, cherchant ainsi à faire état de multiples expériences différentes, soit l’expérience de troubles de santé mentale ou de consommation. Ces critères s’expliquent par notre objectif de saisir les besoins en matière d’intervention, et les problématiques mentionnées ci-dessus étaient susceptibles de nous mener vers des femmes qui étaient allées chercher des services sociaux ou de santé. Les critères de diversification de l’échantillon des intervenant.es (n = 26) tiennent compte du secteur d’intervention, du nombre d’années d’expérience et de leurs caractéristiques sociodémographiques.

Tableau 1

Description de l’échantillon de femmes

Description de l’échantillon de femmes

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Tableau 2

Description de l’échantillon d’intervenantes

Description de l’échantillon d’intervenantes

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Recrutement des participantes

Le recrutement des femmes TDS a été facilité grâce à l’appui de divers organismes dans la province. Malgré cela, nous avons rencontré plusieurs difficultés qui s’expliquent en partie par la sensibilité du sujet, l’éloignement géographique et la méfiance tant des femmes que des organismes. En effet, dans certaines petites communautés de la province, la confidentialité et l’anonymat peuvent devenir un enjeu qui décourage des participantes potentielles à partager leurs expériences. Ensuite, certaines intervenant.es avaient un manque de connaissances sur le TS. Ce constat n’est pas surprenant, car il existe peu de services au Nouveau-Brunswick oeuvrant exclusivement auprès des TDS. La question de la stigmatisation et de la méconnaissance du TS s’est également posée. Effectivement, les femmes ne révèlent pas toujours aux intervenant.es qu’elles exercent le TS. Certains organismes soutenaient qu’il n’y avait pas de TDS dans leur région. En ce qui concerne la méfiance quant à notre recherche, dans certaines régions du Nouveau-Brunswick, certaines affiches que nous placions dans des endroits publics stratégiques disparaissaient systématiquement. À une occasion, nous avons aussi dû expliquer la légitimité de notre démarche, qui avait été faussement perçue par certaines personnes comme une tentative de recrutement en vue de la traite de personnes.

Ces défis de recrutement nous ont amenées à utiliser une variété de procédures d’échantillonnage. Le tri expertisé, qui consiste à faire appel à des experts afin d’arriver à joindre la population à l’étude (Angers, 2005), est recommandé pour des populations parfois difficiles à atteindre. Cependant, en raison du manque d’organismes spécifiquement dédiés au TS et des défis liés à la reconnaissance du TS, l’efficacité de ce procédé de recrutement était amoindrie. Ensuite, la méthode boule de neige qui consiste, quant à elle, à demander à une personne interviewée d’en proposer une autre qui répond aux critères d’échantillonnage et qui consentirait à être contactée (Angers, 2005). Afin de contrôler les biais de ce mode d’échantillonnage, nous avons limité à deux le nombre de recrues possibles par répondante. Finalement, nous avons aussi eu recours au recrutement sur des réseaux sociaux tels Facebook et Instagram, ainsi que sur des sites comme Craigslist afin de recruter directement des femmes correspondant à nos critères d’inclusion.

Pour les intervenant.es, une lettre d’invitation a été envoyée dans les réseaux professionnels des cochercheures ainsi que dans plusieurs organismes communautaires et institutionnels susceptibles d’intervenir auprès de femmes TDS. Afin d’accommoder certaines intervenant.es, trois entrevues avec les intervenant.es ont été effectuées en dyade (n = 1) ou en triade (n = 2). Ainsi, 22 entrevues ont été effectuées auprès des 26 intervenant.es recrutées dans divers milieux de pratique (communautaire, institutionnel, santé).

Collecte de données

Pour les femmes, deux entrevues semi-dirigées (Savoie-Zajc, 2016) ont été réalisées pour favoriser la création d’un lien de confiance et enrichir la teneur des propos rapportés (La Rooy, Lamb et Pipe, 2009). La première entrevue est inspirée du protocole Life Story Interview de McAdams (2008) et permet aux femmes de raconter leur histoire à travers plusieurs étapes marquantes de leur vie. Ce protocole s’accorde avec une perspective intersectionnelle car il aborde la vie comme un tout et non comme des évènements de vie isolés (McAdams, 2008). Le second entretien avec les femmes est inspiré du Possible Selves Mapping Interview (PSMI) (Shepard et Marshall, 1999), qui les invite à identifier leurs sois possibles en regard de ce qu’elles souhaitent devenir et de ce qu’elles craignent devenir dans le futur. Deux femmes étaient plus à l’aise de s’exprimer en anglais durant leur entrevue, et certaines participantes se sont exprimées en chiac, une variété du français acadien propre au sud-est du Nouveau-Brunswick. Les entretiens ont eu lieu à divers endroits choisis par les femmes : à domicile, dans des cafés, des salles privées de bibliothèques municipales, etc. En raison de la pandémie de la COVID-19 et pour accommoder certaines participantes, des entretiens ont aussi été effectués par vidéoconférence.

Les intervenant.es ont eu un seul entretien en s’appuyant sur le PSMI. Celles-ci et ceux-ci devaient déterminer les besoins prioritaires à combler chez ces femmes ainsi que leurs propres souhaits et craintes pour ces dernières. Les intervenant.es ont été rencontrées à leur organisation ou par vidéoconférence.

Analyse des données

Cet article repose sur l’analyse des entrevues inspirées de la théorie des sois possibles, effectuées auprès des femmes TDS (deuxième entrevue) et des intervenant.es. Nous avons utilisé la méthode d’analyse descriptive interprétative, une démarche inductive « attentive à la complexité des phénomènes humains et qui met en valeur la subjectivité » (Gallagher, 2014, p. 6). Cette méthode compte deux volets. Le premier vise le repérage, le regroupement et les mises en relation des composantes du phénomène étudié où nous avons codifié et classifié les souhaits, les besoins et les craintes nommés par les participant.es. Le second volet vise une compréhension approfondie de ce même phénomène, ne se limitant pas à un exercice de classification (Huberman et Miles, 2002), se rapprochant ainsi de l’analyse par catégories conceptualisantes (Paillé et Mucchielli, 2016). C’est à cette étape que les trois dimensions présentées dans les résultats ont été générées en rassemblant les souhaits, besoins et craintes qui se rapportaient à un registre semblable, grâce à l’utilisation de NVivo12.

Limites de la méthodologie

La présente étude comporte quelques limites en plus des difficultés liées au recrutement que nous avons présenté plus haut. La limite de la désirabilité sociale est un biais incontournable des entretiens. Il fait référence au fait d’accorder ses pensées avec les normes sociales du contexte ou d’exprimer des points de vue socialement acceptables afin de plaire à l’intervieweuse (Bergen et Labonté, 2020). Ce biais a pour effet de réduire la validité des conclusions tirées des propos exprimés par les personnes interrogées. Malgré notre cadre intersectionnel, notre échantillon se diversifie pour ce qui est de l’âge et de la présence de divers types de TDS, mais les dimensions ethniques sont peu saillantes, voire absentes, en raison du contexte néo-brunswickois décrit au début de cet article.

Résultats[3]

L’analyse des résultats nous a amenées à relever trois dimensions relatives à la (ré)insertion sociale, soit les dimensions matérielle, systémique et de valorisation. Tout d’abord, nous présentons une description générale de chacune à partir de la perspective des femmes, pour ensuite passer aux perceptions des intervenant.es. Bien que notre démarche ne se veuille pas quantitative, nous croyons pertinent d’exposer la place que ces dimensions occupent chez les femmes, comparativement aux intervenant.es, afin d’illustrer les priorités divergentes chez ces deux groupes.

La dimension matérielle

Tout d’abord, la dimension matérielle regroupe les propos exprimant l’importance de combler les besoins de base des femmes (p. ex. : logement, argent, accès à un mode de transport ou à des services de garde) ; les souhaits et les craintes se rapportant à la santé physique et mentale (mort, maladie, victimisation, détérioration de la santé mentale) ; et la question de l’accessibilité aux services sociaux et de santé.

Bien que les femmes soient très désireuses de combler leurs besoins de base (7/10), la dimension matérielle est bien moins prégnante pour elles que pour les intervenant.es (42 extraits). Pourtant, paradoxalement, pour la majorité des femmes rencontrées, leur quotidien connaît des périodes d’itinérance ou de fréquents changements de logement, d’insécurité financière et alimentaire, ou encore de peur de perdre la garde de leurs enfants ou de ne pas pouvoir subvenir à leurs besoins primaires.

Comme j’essaie de plus travailler la rue, j’essaie de… Si j’ai pas besoin, je le fais pas, ça me tente pas. C’est pas ça que je veux faire you know, mais des fois, faut mettre du manger dans le fridge […]. Le manger est plus important que d’acheter un computer tu sais, pis moi je peux pas appeler comme mom, dad, « peux-tu m’aider ? » J’ai pas personne à demander pour de l’aide.

Énola

La préoccupation matérielle des femmes est davantage arrimée à leur état de santé physique et mentale, aussi étroitement liée avec leur consommation de drogues, comme le relate Azélie : « Je feelerais mieux pis je peux aider avec mes grandkids [petits-enfants], pis je pourrais faire le rehab que je veux faire si que j’aurais une meilleure santé. »

Certes, il est important que leurs besoins de base soient comblés, mais paradoxalement, les femmes semblent moins préoccupées par cet aspect que les intervenant.es. La majorité des femmes semblent davantage préoccupées par l’accès à des ressources pour répondre à ces besoins sans toutefois être jugées ou encore stigmatisées. À cet égard, Azélie mentionne : « Quelqu’un qui a jamais passé au travers, on feel qu’ils nous jugeont quand on leur parle. »

La préoccupation pour la dimension matérielle des femmes TDS était prédominante (présente dans 22 des entretiens et regroupant 307 extraits) chez les intervenant.es, qui s’inquiétaient notamment de leur intégrité physique et de leur sécurité personnelle.

There’s two things that I am thinking about basic needs. First thing, I wonder how many women haven’t have their basic needs met through their entire life and know they are trying to meet basic need, but they can’t. So, housing, clothing, shelter, food, there barely meeting basic need. So, that need to be addressed. We want women that do sex work, we don’t want them to have to do that work in order to meet to their basic needs. Another thing, is that we talked about wages that I just tough of, we talk about sex work likes it is good money, is that a myth ? You know there maybe some but how many women make good money, so you know they rather not work at [restaurant].

Intervenante 21

Une autre crainte… […] Qu’elles n’ont pas accès à du logement, qu’elles n’ont pas accès à la nourriture, qu’elles n’ont pas accès à des services pour combler les besoins de base, donc pas accès aux services, besoin de base. Une crainte, c’est l’isolement, l’isolement local. Une autre crainte, c’est disons que leur situation soit pire, qu’elle empire ! Donc qu’elles soient agressives, violentées… ça arrive que, qu’elles décèdent, t’sais, que ça soit la fin là, ça arrive, ouais. La mort.

Intervenante 7

Certaines des femmes rencontrées préfèrent se débrouiller pour leurs besoins de base plutôt que de demander l’aide des services existants au risque de se faire juger, sanctionner, contrôler ou encore stigmatiser par les intervenant.es, un phénomène qui relève de la dimension systémique.

La dimension systémique

Cette dimension rejoint d’une part les préoccupations concernant l’adaptabilité des services et la capacité du système à répondre aux besoins des femmes et, d’autre part, les forces empêchant les TDS de se prévaloir de soutien adapté à leurs besoins. Nous retrouvons ici des besoins relatifs au non-jugement, à la lutte contre la stigmatisation du TS et au changement de lois qui entourent celui-ci.

Bien qu’une majorité des femmes (6/10) en aient fait mention, cette dimension est timidement abordée (seulement 10 références). Seules quelques femmes mentionnent le besoin d’éducation et de formation des intervenant.es afin qu’ils-elles comprennent mieux leur parcours et soient ainsi moins porté.es à les juger, voire les stigmatiser, comme le souligne d’ailleurs Eileen à cet égard :

C’est vraiment épeurant de demander pour de l’aide, c’est vraiment épeurant de dire à quelqu’un qu’est-ce qui t’arrive. Alors l’éducation, enlever le stigma, donne plus de ressources aux docteurs, aux thérapies, aux polices, dans la communauté t’sais […] y’a des ressources mais des fois on peut pas, alors peut-être plus de empathy, understanding.

Alors que cette dimension systémique est présente dans l’ensemble du vécu des femmes rencontrées, elle l’est peu dans leur discours, en entrevue, sur les sois possibles. Toutefois, elles reconnaissent la nécessité de services adaptés, d’une meilleure aide pour leurs problèmes de santé mentale et de consommation.

Chez les intervenant.es, les craintes d’ordre systémique se rapportaient au risque que les femmes soient criminalisées et judiciarisées, qu’elles soient isolées socialement et que la volonté politique de fournir des services adaptés et complets soit insuffisante. Cette dimension figurait dans 85 références, au cours de 20 entrevues. Ici, le souhait prédominant concerne l’intégration des femmes à la société et l’offre de services reflétant leurs besoins.

[…]in addition to educating all the services that currently exist, we need services for sex workers specifically in every province. At least, a few keys area in the province or where the statistics are showing it’s more prevalent but yes, we need both of those things.

Intervenante 12

Cette dimension met aussi l’accent sur les obstacles auxquels peuvent faire face les femmes lorsqu’elles tentent d’obtenir du soutien :

Souvent quand elles devraient accéder à des soins médicaux, elles vont pas le faire, parce qu’elles sentent… pis c’est vrai d’ailleurs, je l’ai déjà vu, on les accompagne dans les rendez-vous pis on voit vraiment qu’elles sont traitées de façon différente […] ça arrive… qu’elles soient vraiment traitées différemment, de façon très négative, ou qu’elles attendent plus longtemps pour des services que d’autres, c’est quelque chose qu’on a vu. Ça fait que se sentir stigmatisée encore une fois, ça va les figer, elles ne vont pas chercher à surmonter les épreuves ou cheminer vers les choses qu’elles voudraient accomplir.

Intervenante 7

La dimension de valorisation

Enfin, la dimension de valorisation regroupe les propos exprimant l’importance d’être aimée, valorisée et d’avoir prise sur sa vie. Une majorité de femmes (8/10) se sont largement exprimées sur cette dimension (145 références). Pour elles, l’amour passe par la stabilité de leur entourage, d’avoir un amoureux et d’être soutenues. La valorisation fait aussi référence au fait de pouvoir rêver et espérer, que l’on reconnaisse leur valeur et que l’on donne un sens à leur vécu. Les femmes s’expriment également sur leur besoin de pouvoir quant à leur choix de renoncer au TS, d’avoir un travail qui leur ressemble, de rendre leur pratique plus sécuritaire, ou encore de mieux contrôler leur consommation.

Pour plus de la majorité des femmes rencontrées, leur plus grand souhait est fait de rêves et d’espoirs. Certaines souhaitent voyager, alors que d’autres ont espoir de devenir entrepreneure et d’ouvrir leur propre commerce, que ce soit un pawnshop (Joséphine), ou un salon de toilettage pour chiens (Rosanne), ou encore de pouvoir aider d’autres femmes dans la même situation en créant une ressource qui répondrait à leurs besoins (Azélie). Quant à Eileen, qui nous confie avoir fait trois tentatives de suicide avant l’âge de 10 ans, elle désire simplement pouvoir encore espérer. Elle nous raconte que :

C’est pas drôle mais c’est un peu… ça amène des émotions parce que je pensais pas que je suis 36 ans, je pensais jamais que… I never thought I would make it this far, alors penser au futur… Je sais que la dépression pis la santé mentale va jamais quitter, comme ça va jamais arrêter, ça va toujours être quelque chose qui faut que je travaille avec et essayer de comprendre. L’espoir pour le futur, c’est que je vais jamais avoir aussi peur que quand j’étais plus jeune. Juste le fait que maintenant j’ai l’espoir et je veux l’espoir pour le futur maintenant. J’essaie de faire des plans pour 5-10 ans, qu’est-ce que je veux faire ? Alors ça toute seule, ça c’est huge ! Juste pour penser qu’il y a un futur et oui, que les choses peuvent changer et que je peux changer. J’ai une voix, je peux… I can dictate my future, j’ai la vie à vivre pis c’est un cadeau de Dieu ou je sais pas quoi, mais c’est un cadeau pis avant j’avais pas cette mentalité […] c’est l’espoir pour l’espoir… Pour une longue partie de ma vie, je pensais que c’était… I was a lost cause.

Plusieurs des femmes rencontrées souhaitent avoir une voix, être écoutées et entendues, que l’on valorise leurs expériences, ainsi comme nous le raconte Azélie :

Ils apprendraient qu’on n’est pas mauvaises, tu sais… on a encore un coeur pis c’est pas toutes les filles qui sont pareilles… […] Si qu’ils pouvions voir que… il y en a beaucoup d’eux qui ont une opinion sur nous autres because elles [les personnes en général] nous connaissent pas. Ça fait qu’y croient juste que tout le monde c’est pour la drogue pis c’est juste pour la drogue, pis qu’on est bonnes à rien. C’est juste pour montrer au monde que c’est pas juste des filles qui sont pareilles. On a encore une morale, y a encore des choses importantes pour nous autres.

D’autres insistent sur l’importance de combler leur besoin d’amour et de stabilité dans leur vie. À ce sujet, Rosanne et Joséphine exposent que :

Je veux pas quelqu’un qui a pas de job, pas de vie, pis qui veut inque [rien que] faire de la dope… Si que tu travailles pis que tu as une vie pour lui-même, c’est ça que j’ai besoin : I need a stable partner.

Rosanne

My wishes are to be able to provide a stable loving home for my twin boys and myself. Also, for them to continue have a good relationship with their father which they do have. […] So, that would be my goal to live the longest I can to be around my boys and to provide, you know, the best home I can. Also, show… to parent them in the best of my abilities, so they can be successful in life. I want to show them that… that it is not just about money but it is also about caring for each other.

Joséphine

Enfin, quelques femmes désirent reprendre leur vie en main et souhaitent ainsi contrôler leur consommation, rendre leur pratique du TS plus sécuritaire, ou encore avoir un travail qui représente réellement leur personnalité. Azélie mentionne qu’elle aimerait :

[…]avoir une place comme pour aller avec les hommes, so on a pas besoin d’aller avec eux, so ils savent pas où qu’on reste pis tu sais là… On a moins de chances à se faire battre pis de quoi de même si qu’on aurait une place. […] Ça serait nice si qu’on avait une place à aller… comme les hommes appelleraient là pour demander pour une fille à la place de marcher la rue. […] D’avoir une safe place, ça me dérangerait pas de donner de l’argent tu sais… […] J’aimerais plus que ça serait quelqu’un d’autre comme une organisation qui runnerait cette place-là, le gouvernement ou tu sais là…

Quant à Hélène :

Je veux pu avoir besoin, je veux utiliser mon intelligence à la place de mon corps pis je veux… T’sais je veux avoir des affaires de nouveau, je veux bâtir, je veux rebâtir mes affaires, je veux mes bijoux de nouveau, je veux mes affaires… Je sais que c’est con mais c’est pas con. […] Oui, je veux être une productive citizen de nouveau parce que là, ça fait un an que je suis pas, ça fait un an que j’habite sur le bien-être social pis c’est comme… Je suis plus capable, comme j’ai travaillé dans un bar pas trop loin, mais tu sais comme fuck man, j’ai jamais pas travaillé. Je me sens niaiseuse même si que je travaillais pas légalement tu sais… comme en tout cas whatever j’aime pas ça…

En ce qui a trait aux intervenant.es, cette valorisation s’articule autour de l’importance d’être réellement à l’écoute des besoins des femmes, de les amener à comprendre leur valeur et de favoriser des réseaux d’entraide entre elles. La valorisation était la dimension la moins mentionnée par les intervenant.es (20/26 entrevues, pour un total de 69 références).

Ben j’pense là, encore une fois, comme le [nom de l’organisme], c’est vraiment une bonne idée d’avoir le plus de peer specialists, d’avoir des travailleuses du sexe qui offrent du soutien aux travailleuses du sexe, quand on veut parler des travailleuses du sexe ou trouver des solutions, que les travailleuses du sexe soient invitées autour de la table, c’est rarement le cas.

Intervenante 6

Chez les intervenant.es, la reconnaissance des femmes sur le plan « humain » était également présente dans la dimension de valorisation.

Quand on est pas accepté, pis on est isolé, c’est vraiment difficile de cheminer, de faire qu’est-ce qu’on veut dans la vie, surtout si c’est par ses proches, c’est ça… C’est le soutien, c’est l’appui, c’est d’être comprise, d’être aimée, d’être acceptée, tout ça ! Je pense que c’est des choses importantes pour qui que ce soit, pour le cheminement personnel, c’est des choses qui sont très, très, très importantes.

Intervenante 7

Ces trois dimensions nous amènent à remarquer l’importance des rêves et espoirs, d’une vie tranquille et bien entourée, bien que les femmes craignent pour leur santé, l’avenir de leurs enfants ou de sombrer dans la drogue. Alors que leurs craintes paraissent plus immédiates et concrètes, leurs souhaits paraissent plus lointains et idéalistes. Il semblerait que les femmes aient des besoins plus abstraits alors que les intervenant.es soient plus dans l’immédiat et le concret.

Discussion

Entre les perceptions des intervenant.es et ce que veulent les travailleuses du sexe, il y a un monde

Nos résultats révèlent la diversité des besoins des femmes TDS. En effet, ceux-ci sont de trois ordres différents, allant du très concret (dimension matérielle) à l’abstrait (dimension de valorisation), en passant par la dimension systémique. À la lumière de ces constats, nous postulons que les avenues de (ré)insertion prendront différentes formes. À titre d’exemple, des interventions axées principalement sur la dimension matérielle rendent possible une réinsertion sociale apparente de la femme dans la société, lui donnant des moyens de subsistance, mais sans plus. Ensuite, des interventions qui prennent en compte la dimension systémique rendent possible une certaine adaptation des services et favorisent la réduction des barrières systémiques et la (ré)intégration des femmes dans la société. Finalement, des interventions qui prennent en compte la dimension de valorisation semblent plus favorables à une réelle inclusion des femmes TDS au sein de la communauté ainsi qu’à une reconnaissance et une considération de celles-ci comme des citoyennes à part entière. Il semble donc que la notion de (ré)insertion doive être pensée de manière plus nuancée et globale afin d’intégrer ces différents aspects relevés dans nos résultats.

Nos résultats montrent clairement le contraste entre ce que les intervenant.es perçoivent comme étant prioritaire pour les femmes et les besoins que ces dernières expriment. Nous posons l’hypothèse que ce décalage tient en partie au manque de connaissances ou d’exposition au TS de la part des intervenant.es au Nouveau-Brunswick. Comme nous l’avons souligné, il existe très peu de services spécialisés pour les TDS, et certaines participant.es disaient n’être intervenues que très rarement auprès de femmes TDS. En effet, la préoccupation des intervenant.es pour la sécurité physique et leurs besoins matériels, soit la dimension matérielle des femmes, était la plus saillante dans leurs discours. En ce sens, nos résultats rejoignent les études qui mettent de l’avant la parole des TDS pour ce qui est de répondre aux besoins matériels et relatifs à l’intégrité physique des femmes (Benoit et al., 2016 ; Gangoli, 2002 ; Wiechelt et Shdaimah, 2011).

Figure 1

Les dimensions de la (ré)insertion sociale des femmes francophones travailleuses du sexe au Nouveau-Brunswick

Les dimensions de la (ré)insertion sociale des femmes francophones travailleuses du sexe au Nouveau-Brunswick

-> Voir la liste des figures

Chez les femmes, la dimension de valorisation était prépondérante. Bien qu’elles soient conscientes que leurs besoins relatifs aux conditions de vie tant matérielle, comme se loger, se nourrir, se vêtir, que physique, comme être en santé, sont essentiels, toutes les femmes rencontrées expriment l’importance pour elles d’être, avant tout, aimées, valorisées, bien entourées et être en mesure de donner un sens à leur vécu. Elles n’envisagent pas leur avenir autrement que fait de rêves et d’espoir. Malgré la présence de cette dimension dans le discours des femmes rencontrées, cet aspect était peu abordé dans la littérature recensée, à l’exception notamment de la recherche de Capous Desyllas (2010). C’est en ce sens que les divergences quant aux priorités données aux besoins des femmes peuvent influencer les interventions et finalement ne pas répondre aux souhaits et aux craintes des femmes.

Il est absolument prioritaire pour les intervenant.es que les besoins de base soient satisfaits, mais c’est parfois au détriment d’une simple écoute active de ce que les femmes veulent. Quasi unanimement, les femmes nous ont confié après leur participation à la recherche qu’elles avaient enfin eu la chance d’être écoutées, sans être jugées, et finalement d’avoir une voix. Les interventions ont tendance à négliger cet aspect, alors que pour les femmes, c’est aussi essentiel que de combler leurs besoins de base. Pour rejoindre ces deux dimensions essentielles, soit les besoins relatifs aux conditions de vie et les besoins de valorisation, il est nécessaire d’avoir un ancrage qui relie les conditions sociales et systémiques.

Enfin, bien des intervenant.es voient dans le TS uniquement le travail de rue ; or, le spectre des activités est beaucoup plus large. Certaines ne reconnaissaient pas cette réalité quand d’autres la soupçonnaient sans en connaître l’ampleur réelle. Le fait que le Nouveau-Brunswick est une province à forte densité rurale est une piste d’explication. Dans des communautés rurales, les activités de femmes TDS sont moins visibles et prennent différentes formes. Il est donc important d’élargir la notion des intervenant.es non seulement à l’égard du TS, mais aussi à l’égard de ce qui peut être inclus dans une démarche de (ré)insertion sociale.

Malgré les limites de notre démarche, nos résultats nous amènent à constater une disparité entre les perceptions des intervenant.es et celles des femmes TDS. Bien qu’elle puisse être expliquée en partie par la formation des professionnel.les et le mandat de leur organisation, les résultats montrent avant tout l’importance d’être à l’écoute des femmes, d’avoir une vision holistique de leurs besoins, de leurs rêves, de leurs souhaits et de leurs projets. Comment amener les intervenant.es à intégrer dans leur travail les dimensions systémique et de valorisation ? Les résultats de la présente étude mettent en lumière une piste de solution intéressante : des services intégrés prendraient en compte à la fois les besoins perçus par les intervenant.es de même que ceux exprimés par les femmes elles-mêmes. Cela permettrait ainsi un meilleur arrimage entre ces deux points de vue et favoriserait une (ré)insertion sociale qui réponde de manière plus holistique aux besoins des femmes.