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Si, dans l’ordre du jour stratégique, les questions liées au désarmement nucléaire ont toujours une grande importance, ce qui distingue la période contemporaine semble être l’émergence d’un consensus général de plus en plus marqué sur la nécessité d’un monde exempt d’armes nucléaires. Après que des diplomates, des responsables politiques et même des militaires de premier plan se furent prononcés en faveur d’un tel scénario, plusieurs indices laissaient présager que les conditions favorables au désarmement nucléaire (fameux discours du président Obama à Prague, processus start relancé, perspectives de ratification du ticen plus concrètes, organisation d’un sommet international consacré à la sécurisation du matériel nucléaire, discussions en Europe sur le retrait des forces nucléaires américaines, etc.) étaient remplies. Néanmoins, comme le soulignent avec raison Boussois et Wasinski dans l’introduction de cet ouvrage qui fait suite à un colloque intitulé L’Alliance atlantique et l’Europe au défi de l’armement et du désarmement nucléaires, les perspectives de désarmement nucléaire hésitent devant une tendance diamétralement opposée, celle de la prolifération verticale sous ses divers aspects (maintien, voire consolidation, des arsenaux des puissances nucléaires, appel de certains « nouveaux » pays de l’otan au maintien des armes nucléaires tactiques américaines, etc.) et celle de la prolifération horizontale (Corée du Nord et Iran qui soufflent le chaud et le froid sur leurs intentions nucléaires). C’est précisément la rencontre entre ces deux dynamiques des contraires qui rend l’ouvrage fondamentalement pertinent.

Sa structure reprend astucieusement la technique dite de l’entonnoir (on part du plus général pour arriver au plus particulier), ceci contribuant à une certaine cohérence du corpus. Dans la première partie, consacrée à « L’arme nucléaire dans la politique internationale », les différents contributeurs s’interrogent sur les perspectives de désarmement à l’échelle mondiale. On trouve ainsi des éléments de réflexion sur les ambitions américaines, russes et françaises en la matière, mais aussi sur les zones exemptes d’arme nucléaire. Puis, dans la deuxième partie, « L’arme nucléaire et l’Alliance atlantique », ce sont les liens entre l’otan et l’arme nucléaire qui sont considérés. Enfin, dans la troisième partie, « L’arme nucléaire et l’Union européenne », les opportunités d’action de l’ue en la matière sont examinées. Remarquons, au passage, la toute dernière contribution, aussi militante que passionnante, qui n’est pas issue du colloque. Il s’agit du célèbre texte que Hans Blix avait écrit dans le rapport de la commission éponyme sur les armes de destruction massive.

On ne pourra qu’apporter quelques petits bémols à ce caractère pertinent du livre. Lorsque l’on publie un ouvrage qui reprend les actes d’un colloque, il est souvent difficile de faire de la somme des contributions un corps harmonieux avec un fil conducteur logique. Ce livre n’échappe pas à cette loi d’airain ; un rapide survol de l’ouvrage cache mal le caractère peu structuré des contributions, et à la seule lecture de son sommaire on pourrait croire qu’il s’agit plus d’un dossier spécial d’une revue spécialisée que d’un ouvrage. L’éclectisme des profils des différents contributeurs concourt à l’aspect patchwork de l’ouvrage. Se côtoient des universitaires des deux rives de l’Atlantique (Michel Fortmann, David G. Haglund, André Dumoulin, etc.), des activistes pour la paix (Luc Manpey, Venace Journé, etc.) et des responsables politiques belges spécialistes des questions de désarmement (Isabelle Durant et Philippe Mahoux). En outre, les contributions sont plutôt empiriques et se contentent, le plus souvent, d’une vision descriptive des problématiques abordées, à l’exception du texte remarquable de Wasinski sur le savoir stratégique en matière nucléaire.

Au-delà de ce caractère de porte-à-faux, on ne peut qu’être frappé par la pertinence dans l’évaluation des problématiques abordées et des solutions envisagées. L’ouvrage sera très utile à tous ceux qui souhaitent une introduction – l’ouvrage n’a pas vocation, comme le notent les coordinateurs, à être exhaustif – à des thèmes d’actualité qui sont appelés à devenir brûlants dans les années à venir.