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L’éveil aux mathématiques

Plusieurs chercheurs se sont intéressés au développement de différentes notions de l’éveil aux mathématiques avant même l’entrée dans les apprentissages formels de l’enfant à l’école (Deshaies et Dansereau, 2020; Deshaies et Boily, 2021; Dupuis Brouillette et al., sous presse; Pagani et al., 2006; Sarama et Clements, 2012; , St-Jean et al., sous presse; Zosh et al., 2015). De manière générale, ces études soulignent l’importance de la période préscolaire de l’éveil aux mathématiques pour la réussite sociale et éducative ultérieure tant pour les mathématiques que pour les sciences (Clements et al., 2016). De plus, avant même l’entrée dans le monde scolaire, nous observons que les enfants manifestent de l’intérêt pour certaines notions en mathématiques, et plus spécifiquement pour les notions de quantités, de formes, de suites et de tailles (St-Jean, 2020). Toutefois, des enquêtes québécoises démontrent que malgré leurs connaissances intuitives liées à l’éveil aux mathématiques acquises de façon informelle dans divers contextes éducatifs, 11,1% des enfants sont considérés comme vulnérables dans le domaine cognitif et langagier à la maternelle (Institut de la statistique du Québec, 2018). Ces données suggèrent une certaine variabilité du niveau de développement d’éveil aux mathématiques des enfants québécois (Thiel et Perry, 2018). De plus, il semble que les notions d’éveil aux mathématiques ne constituent plus une priorité pour les enseignantes de maternelle (Flynn, 2018). À ce sujet, certaines études américaines indiquent que les enfants passent uniquement 7% du temps en classe à réaliser des activités qui éveillent aux mathématiques, comparativement à 40% du temps consacré à des activités de littératie (Ansari et Pianta, 2018; Ansari et Purtell, 2017; Bruce et al., 2016).

Ainsi, nous constatons que les enfants sont davantage familiarisés avec les dimensions numériques et quantitatives dans leurs divers environnements éducatifs et familiaux (St-Jean et al., 2017; Toll et Van Luit, 2014) et, plus spécifiquement, avec les notions de quantités et de nombres (McGuire, 2010; St-Jean et al., 2017). En contrepartie, les dimensions de la géométrie et du raisonnement spatial sont moins, voire peu ou pas, exploitées autant dans l’environnement familial (Flynn, 2018) que dans les services éducatifs (Clements et al., 2002; Clements et Sarama, 2009; Verdine et al., 2017). De surcroit, lorsque nous nous attardons à la littérature scientifique sur l’éveil aux mathématiques, force est de constater que très peu d’études sont réalisées au sujet de l’influence du développement du raisonnement spatial sur la réussite sociale et éducative et le développement de l’enfant d’âge préscolaire (Sarama et Clements, 2012; Verdine et al., 2017).

Le raisonnement spatial

La notion du raisonnement spatial reçoit rarement une attention explicite dans les programmes d’études (Flynn, 2018; Sarama et Clements, 2009). Pourtant, la réussite en mathématiques dans le parcours scolaire de l’enfant en est tributaire (Sarama et Clements, 2009). En effet, « la relation entre le raisonnement spatial et les mathématiques est si bien établie qu’il n’est plus logique de se demander si les deux sont liés » (Cheng et Mix, 2014, p. 206, traduction libre); « c’est presque comme si elles sont une seule et même chose » (Flynn, 2018, p. 125, traduction libre). Réfléchissant sur la force de cette relation, Verdine et ses collaborateurs (2014) prédisent que des activités favorisant le développement du raisonnement spatial ont un « effet deux-pour-un bénéfique autant pour les mathématiques que pour le raisonnement spatial » (p. 13). À cet égard, en 2006, le National Council of Teachers of Mathematics (NCTM, 2000) recommande qu’au moins 50% de l’enseignement des mathématiques au premier cycle se concentre sur cette notion. En 2014, le ministère de l’Éducation de l’Ontario (MEO) publie un document intitulé Mettre l’accent sur le raisonnement spatial, qui offre un soutien aux enseignantes en définissant cette notion, en expliquant son importance et en fournissant des conseils afin de soutenir son développement à travers la progression développementale des enfants (Flynn, 2018; MEO, 2014).

Néanmoins, malgré les recommandations des experts sur l’importance du développement du raisonnement spatial et les efforts de certains gouvernements (Ontarien et des États-Unis) pour encourager les enseignantes à porter une attention particulière aux pratiques favorisant le développement des dimensions de géométrie et du raisonnement spatial, nous observons que ces activités demeurent les moins exploitées dans les classes (Bruce et al., 2016). Ainsi, nonobstant les résultats des recherches qui stipulent l’importance du développement du raisonnement spatial à l’éducation préscolaire et au premier cycle à l’enseignement au primaire pour la réussite éducative, cette notion demeure l’orpheline ou encore l’angle mort des programmes éducatifs et des recherches en éducation (Newcombe et Stieff, 2012; Uttal et al., 2013). Tout comme différentes notions de l’éveil aux mathématiques, le raisonnement spatial n’est jamais au coeur des apprentissages privilégiés, contrairement au dénombrement et aux quantités (Flynn, 2018). Au-delà de l’importance du raisonnement spatial pour la réussite éducative ultérieure, de plus en plus d’études soulignent l’importance de s’attarder au raisonnement spatial (Gunderson et al., 2012; Verdine et al., 2014). Par ailleurs, à notre connaissance, aucune étude québécoise n’a étudié le niveau de développement du raisonnement spatial à l’éducation préscolaire.

Contexte théorique

Le raisonnement spatial

Dans le cadre du développement de la notion du raisonnement spatial, ce dernier renvoie aux représentations mentales et aux mouvements physiques d’objets ou de la personne dans l’espace (Flynn, 2018). Il permet de se repérer dans l’espace et de manipuler mentalement les objets (Flynn, 2018). Selon le Spatial Reasonning Study, un groupe de chercheurs du Canada et des États-Unis, le raisonnement spatial inclut plusieurs composantes telles que la prise de perspective, la visualisation, la localisation, l’orientation, le déplacement, la recherche d’un chemin, le glissement, la rotation, la réflexion, la schématisation, la modélisation, la symétrie, la composition d’objets, la décomposition d’objets, la mise à l’échelle, la cartographie et la conception (Sinclair et Bruce, 2015).

Plus récemment, des avancées de la recherche en petite enfance ont suggéré que la notion du raisonnement spatial se divise en deux grandes habiletés : l’orientation spatiale d’une part, et la visualisation spatiale et l’imagerie d’autre part (voir figure 1) (Clements et Sarama, 2009 ; Hegarty et Waller, 2005 ; St-Jean, 2020).

Figure 1

Modèle de raisonnement spatial (St-Jean, 2020, inspiré de Clements et Sarama, 2009)

Modèle de raisonnement spatial (St-Jean, 2020, inspiré de Clements et Sarama, 2009)

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L’orientation spatiale

La première habileté, l’orientation spatiale, est décrite par Clements et ses collaborateurs (2004) comme étant la capacité de se repérer dans l’environnement.

[…] vous savez où vous vous trouvez. Vous regardez autour de vous. Vous avez vos repères. Vous pouvez identifier votre position dans une pièce. Vous pouvez également savoir quel chemin prendre pour vous rendre au magasin, par exemple. Si vous êtes dans une pièce que vous connaissez et que vous parlez avec votre ami, vous pouvez savoir ce qui se trouve derrière vous. En d’autres mots, vous savez ce que votre ami voit derrière vous

traduction libre, p. 278

Selon plusieurs auteurs, l’habileté de l’orientation spatiale est présente dès la naissance (Clements et Sarama, 2009 ; Verdine et al., 2017). En effet, les bébés centrent leur intérêt sur des objets et en suivent très tôt les déplacements (St-Jean et al., 2017). Plus tard, l’enfant acquiert la pensée symbolique, soit la capacité de mettre en oeuvre des symboles et des images, capacités essentielles au développement de plusieurs dimensions en mathématiques, dont le raisonnement spatial (Sarama et Clements, 2009). L’enfant apprend alors à discerner les objets sous différentes perspectives et à se déplacer dans des endroits moins connus. Par exemple, avant l’âge scolaire, les enfants ont besoin de se déplacer, de faire des mouvements, mais ne sont pas en mesure de visualiser mentalement un déplacement ou un mouvement (Sarama et Clements, 2012). En effet, Piaget et Inhelder (1956) ont étudié spécifiquement le niveau de compréhension des enfants de différents points de vue d’un espace, selon leur capacité d’abstraction. Lorsque les enfants ont été invités à montrer une scène de la perspective d’une poupée qui se déplace dans l’espace, ils ont plutôt dessiné la pièce selon leur propre point de vue et leur propre déplacement, indépendamment du déplacement de la poupée (Bruce et al., 2016). Cela montre que la capacité d’abstraction est encore à développer chez ces jeunes enfants (Bruce et al., 2016).

Dans le même sens, l’habileté d’orientation spatiale repose sur les notions spatiales (haut, bas, à côté, dessous, dessus, etc.) dans l’espace et sur des notions de vocabulaire. Ainsi, la compréhension des termes associés aux notions de direction affecte la capacité d’un enfant à maitriser l’orientation (Clements et al., 2002). Par exemple, dès l’âge de deux ans, les enfants possèdent les compétences cognitives pour acquérir du vocabulaire lié aux notions spatiales et pour en comprendre la signification (Sarama et Clements, 2009). Par exemple, dès leur jeune âge, ils développent des notions spatiales comme « en haut », « en bas », « dedans » et « dessus ».

La visualisation spatiale et l’imagerie

En second lieu, la visualisation spatiale et l’imagerie concernent la capacité de se représenter mentalement des objets ou des images ainsi que de les transformer (Clements et Sarama, 2009). Ces images mentales sont les représentations internes d’objets qui apparaissent similaires à leurs référents. Prenons l’exemple d’une poire. En mentionnant ce mot, une représentation mentale apparait. Est-ce que la visualisation de la poire est jaune ou verte ? La grosseur de la visualisation diffère également. Ce référent est variable d’une personne à une autre compte tenu de son expérience. Contrairement à l’orientation spatiale, l’habileté de visualisation spatiale et d’imagerie ne nécessite pas que les enfants bougent ou changent de position. En effet, l’enfant imagine l’objet et le déplace mentalement, ce qui engage la pensée abstraite.

Avant de modifier les images mentalement, les enfants doivent d’abord les visualiser statiquement (Clements et al., 2016). Les enfants se créent des représentations mentales, mais ne les transforment pas. Par la suite, en expérimentant et en manipulant les objets, les enfants peuvent créer de nouvelles perspectives. Lewis Presser et ses collaborateurs (2015) suggèrent que c’est vers l’entrée à l’éducation préscolaire que les enfants, dans leur développement, peuvent transformer mentalement des images pour les rendre dynamiques, en les déplaçant. De même, Marmor (1975) a constaté que des enfants aussi jeunes que trois ans peuvent déterminer si deux chiffres sont identiques ou différents (p. ex. : 6 et 9) en effectuant des tâches de rotation mentale. Néanmoins, ces résultats sont contraires à la théorie de Piaget et d’Inhelder (1956) qui mentionnent que les habiletés de visualisation spatiale dynamique n’apparaissent pas avant l’âge de sept ans. Avant cet âge, les enfants visualisent seulement des images statiques. Cependant, il existe des études récentes suggérant que les enfants de moins de sept ans sont capables de transformer mentalement des images. Afin d’assurer un développement optimal du raisonnement spatial chez les enfants, Clements et Sarama (2009) proposent des échelles de progressions développementales pour les deux habiletés du raisonnement spatial.

Les échelles de progressions développementales du raisonnement spatial

Dans le but de situer le développement de l’enfant sur le plan du raisonnement spatial et de le faire progresser, Clements et Sarama (2009) ont conçu une échelle de progressions développementales pour les enfants de zéro à huit ans. On y remarque que la manipulation et l’expérimentation de l’enfant, tout comme leur unicité, sont au coeur de ces progressions développementales. La progression développementale du raisonnement spatial implique les habiletés de l’orientation spatiale, de la visualisation spatiale et de l’imagerie. Le tableau 1 présente les étapes de la progression développementale des deux habiletés du raisonnement spatial chez les enfants d’âge préscolaire (Clements et Sarama, 2009).

Tableau 1

Progression développementale des habiletés du raisonnement spatial (Sarama et Clements, 2009, p. 194-197 ; St-Jean, 2020)

Progression développementale des habiletés du raisonnement spatial (Sarama et Clements, 2009, p. 194-197 ; St-Jean, 2020)

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Comme en témoignent les progressions développementales, les deux habiletés ne sont pas indépendantes : elles se développent conjointement. Toutefois, avant de visualiser mentalement un déplacement, l’enfant doit avoir l’occasion d’expérimenter à plusieurs reprises ou de manipuler concrètement les objets ou les actions.

Objectifs de recherche

Le présent article s’appuie sur une étude qui se veut inédite par son échantillon d’enfants de maternelle quatre ans qualifiés de vulnérable au Québec. Ce dernier inclut 174 enfants de maternelle quatre ans à temps plein évalués à deux reprises, c’est-à-dire au début (prétest) et à la fin (posttest) d’une année scolaire, au Québec. La présente recherche a suivi le groupe d’enfants ayant effectué trois sous-tests du Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence (WPPSI-III, 2002) à deux reprises durant l’année scolaire. Les résultats issus de cette recherche permettent d’affiner les connaissances actuelles sur le développement du raisonnement spatial chez des enfants de maternelle quatre ans temps plein. Dans cette perspective, l’objectif de cette recherche est d’étudier le développement du raisonnement spatial des enfants de maternelle quatre ans temps plein en début et à la fin de l’année scolaire.

Méthodologie

Cette recherche s’inscrit dans une recherche plus vaste amorcée en 2012 portant sur les conditions d’implantation de la maternelle quatre ans dans cinq classes de maternelle.

Participants

L’échantillon apparié est composé de 174 enfants (89 filles et 85 garçons) âgés entre quatre et cinq ans (prétest : Mâge = 54,54 mois, SDâge = 3,54) (posttest : Mâge = 61,26 mois, SDâge = 3,67) ont participé à l’étude (tableau 2). Cet échantillon a été ciblé par le ministère de l’Éducation du Québec au sein de quatre centres de services scolaires du Québec.

Tableau 2

Portrait global des enfants selon le temps de mesure

Portrait global des enfants selon le temps de mesure

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Déroulement de l’étude

La collecte de donnée a été réalisée sur une période d’une année scolaire. Pour chaque enfant, les données ont été recueillies à une reprise à l’automne (prétest) et une reprise au printemps (posttest) de l’année scolaire. La passation des sous-tests du Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence (WPPSI-III, 2002) a été réalisée par six doctorants en psychologie clinique dûment formés aux sous-tests avec chacun des enfants individuellement, dans un local à l’extérieur de la classe pour une durée de 45 minutes environ.

L’instrument de mesure utilisé

Afin d’étudier le développement du raisonnement spatial des enfants de maternelle quatre ans temps plein en début et à la fin de l’année scolaire, l’échelle de Performance du WPPSI-III (2002) a été utilisée. Globalement, le WPPSI-III (2002) a été conçu pour évaluer et mesurer le niveau de développement cognitif et langagier des enfants de deux ans et sept mois à sept ans et trois mois. Le WPPSI-III est un outil standardisé. La standardisation de l’instrument a été réalisée auprès de 1700 enfants par échantillonnage stratifié selon les caractéristiques démographiques suivantes : l’âge, le sexe, l’ethnie, l’éducation parentale et la région géographique (WPPSI-III, 2002). Dans le cadre de cette étude, nous avons utilisé, plus spécifiquement, trois sous-tests (blocs, matrices et concepts en images) de l’instrument nous permettant de mesure le niveau de raisonnement spatial des enfants. Les sous-tests de l’échelle de Performance possèdent de bonnes qualités psychométriques et les coefficients de fidélité des tests (alpha de Cronbach) est acceptable (blocs = 0,79 ; matrices = 0,78 ; concepts en images = 0,73) (WPPSI-III, 2002). Les sous-tests de l’échelle de Performance de la présente étude obtiennent des coefficients de fidélité (alpha de Cronbach) acceptables (blocs = 0,72 ; matrices = 0,78 ; concepts en images = 0,87) comparables à ceux du WPPSI-III (2002). En ce qui concerne la passation de l’instrument aux enfants, cinq assistantes de recherche (formées au préalable) ont administré le WPPSI-III. En ce qui concerne la présente recherche, des accords interjuges réalisés sur 19,76 % de l’échantillon sont excellents (98 %; pour plus de détails, voir April et al., 2017).

Blocs. Ce sous-test mesure les habiletés d’orientation, de visualisation et d’imagerie en effectuant l’analyse des relations et des transformations des objets par leur positionnement et leur rotation. Lors du sous-test blocs, l’enfant doit reproduire un modèle avec des blocs (rouges, blancs et bicolores mi-rouges/mi-blancs). Les 13 premières reproductions sont réalisées en trois dimensions. En effet, l’assistant de recherche fait le modèle et l’enfant doit le reproduire. Ensuite, sept images sont présentées en deux dimensions dans un livre et l’enfant doit les reproduire. L’enfant obtient 1 point s’il a une mauvaise orientation de son modèle ou s’il réussit au 2e essai. Il obtient 2 points s’il a une bonne orientation, du premier essai et s’il réussit la tâche dans le temps limite (entre 30 secondes et 90 secondes selon les indications), pour un total de 40 points. Si l’enfant obtient trois scores consécutifs de 0 point, l’assistant de recherche met fin au sous-test blocs et calcule les scores aux tâches précédentes.

Matrices. Ce sous-test mesure l’habileté d’orientation spatiale en présentant trois images à l’enfant dans un tableau. Une quatrième case du tableau est vide. L’enfant doit choisir, au bas de la page, parmi cinq images, laquelle vient remplir la case vide du tableau. L’enfant obtient 1 point pour chaque tâche (29 tâches) correspondant à un total de 29 points. Après 4 scores consécutifs de 0, l’assistant de recherche met fin au sous-test matrices et calcule les scores aux tâches précédentes.

Concepts en image. Ce sous-test mesure l’habileté d’orientation spatiale en demandant à l’enfant d’associer deux images semblables selon différentes caractéristiques (positionnement, rotation, etc.). L’enfant obtient 1 point pour chaque tâche (28 tâches) correspondant pour un total de 28 points. Après 4 scores consécutifs de 0, l’assistant de recherche met fin au sous-test matrices et calcule les scores aux tâches.

Lorsque l’ensemble des sous-tests sont terminés, l’assistant de recherche fait la conversion des scores aux tâches en scores standardisés.

Analyse

Afin de répondre à l’objectif visant à étudier le développement du raisonnement spatial des enfants de maternelle quatre ans temps plein en début et à la fin de l’année scolaire, des analyses comparatives avec test t de Student pour échantillons appariés ont été réalisées à l’aide du logiciel Statistical Analysis System — SAS University (version 9.4). Ces analyses mesurent, selon les temps de mesure, le niveau et l’évolution du développement du raisonnement spatial des enfants de classes de maternelle quatre ans à l’aide de l’échelle Performance décrite précédemment. Des analyses descriptives ont également permis de décrire la distribution des variables telles que la moyenne, l’écart-type, le minimum et le maximum. La probabilité p est calculée avec un seuil de significativité fixé à p < .05. Les analyses comparatives à l’aide de test t pour échantillons appariés ont été réalisées sur l’échelle de Performance du WPPSI-III et les trois sous-tests (blocs, matrices et concepts en images) de cette échelle.

Résultats

Les résultats obtenus (i.e., scores moyens, écart-types et étendue) à l’échelle de Performance et aux trois sous-tests lors du prétest et du post-test sont présentés au tableau 3 ci-dessous.

Tableau 3

Scores moyens du développement du raisonnement spatial

Scores moyens du développement du raisonnement spatial

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En ce qui concerne les scores de l’échelle de Performance, les enfants obtiennent un score moyen de 98,27 et l’étendue des scores des enfants varie de 63 (minimum) à 141 (maximum), en respectant le postulat de normalité. Le résultat du test t de Student pour échantillon apparié indique une augmentation significative (t(172)=-5,09, p< 0,001) des résultats obtenus entre le prétest et le posttest (Tableau 3). Afin d’évaluer l’ampleur de la différence, la taille de l’effet a été calculée (η2=0.13). Cette analyse complémentaire suggère que la taille de l’effet est très grande (Cohen et al., 2011).

En ce qui concerne le sous-test blocs, le résultat du test t de Student pour échantillon apparié indique une augmentation significative (t(172)=-7,296, p<0,001) des scores obtenus entre le prétest et le posttest (Tableau 3). Afin d’évaluer l’ampleur de la différence, la taille de l’effet a été calculée (η2=0.24). Cette analyse complémentaire suggère que la taille de l’effet est très grande (Cohen et al., 2011).

En ce qui concerne le sous-test matrices, le résultat du test t de Student pour échantillon apparié indique une absence de différence significative (t(172)=-0,94, p=0,347) entre les scores obtenus au prétest et au posttest (Tableau 3).

Enfin, en ce qui concerne le sous-test concepts, le résultat du test t de Student pour échantillon apparié indique une augmentation significative (t(172)=-2,214 ; p=0,028) des scores obtenus entre le prétest et le posttest (Tableau 3). Afin d’évaluer l’ampleur de la différence, la taille de l’effet a été calculée (η2=0.07). Cette analyse complémentaire suggère que la taille de l’effet est moyenne (Cohen et al., 2011).

D’un point de vue descriptif, les résultats se situent dans la zone dite normale de l’instrument de mesure utilisé (WPPSI-III, 2002). À cet effet, à l’échelle de Performance, les enfants obtiennent un score moyen de 98,27, ce qui est similaire à la moyenne de la population générale canadienne (M=100). Néanmoins, nous notons que l’étendue des scores des enfants obtenus à l’échelle de Performance varie de 63 (minimum) à 141 (maximum), en respectant le postulat de normalité. Ces scores sont issus d’indicateurs relatifs à une échelle de classifications descriptives de la performance de l’enfant. Ainsi, un score sous 69 (1,3 % des enfants de notre échantillon) indique une performance nettement inférieure à la moyenne alors qu’un score de 141 (1 % des enfants de notre échantillon) correspond à une performance nettement supérieure. Par conséquent, de manière générale, 6,90 % des enfants de notre échantillon obtiennent un score se situant dans la zone limite (70-79) de l’instrument, 17,30 % un score moyen inférieur (80-89), alors que la moitié de notre échantillon, 49,10 %, se situent dans la zone moyenne (90-109), 16,90 % dans la zone de la moyenne supérieure (110-119) et enfin 8,4 % se situent dans la zone supérieure (120-129). Nos résultats sont comparables à ceux des études de Clifford (2008) et de Keith et de ses collaborateurs (2006) dont les scores des enfants se retrouvent aux deux extrémités de la courbe de distribution, bien que la moyenne générale se situe entre 90 et 109. Nos résultats indiquent donc que la moitié des enfants de notre échantillon se situent dans la moyenne populationnelle canadienne.

Discussion

Afin de répondre à l’objectif de cet article qui est d’étudier le développement du raisonnement spatial des enfants de maternelle quatre ans temps plein en début et à la fin de l’année scolaire, nous discutons des résultats obtenus aux trois sous-tests de l’échelle de Performance, soit les blocs, les matrices et les concepts en images. À cet égard, les résultats aux trois sous-tests sont supérieurs aux mesures prises en fin d’année scolaire en comparaison avec celles du début d’année scolaire, suggérant que les enfants développent leurs habiletés du raisonnement spatial au cours de l’année scolaire. On pourrait estimer que les habiletés du raisonnement spatial se construisent dans les classes de maternelle quatre ans, sans nécessairement en faire un enseignement explicite. Verdine et ses collaborateurs (2014), rapportent que les enfants de quatre ans qualifiés de vulnérables réussissent moins les reproductions de modèles à l’aide des blocs Lego en début d’année scolaire puisqu’ils utiliseraient moins de mots de vocabulaire liés au raisonnement spatial (entre, en dessous, proche, loin) dans leur environnement familial. Dans le même sens, Case et Sowder (1990) ont démontré dans leur étude sur le développement du raisonnement spatial que l’utilisation de vocabulaire spécifique aux notions du raisonnement spatial permet aux enfants de développer les habiletés d’orientation et de visualisation, à l’éducation préscolaire.

On se doit de souligner que cet accroissement des scores de raisonnement spatial des enfants de cette recherche pourrait aussi être attribuable au processus normal de maturation des enfants de cet âge, soit la progression développementale des enfants de quatre à cinq ans proposée par Clements et Sarama (2009). En effet, pour ces chercheurs, sur le plan de la visualisation spatiale et de l’imagerie, l’enfant de quatre ans est capable de tourner tout simplement, signifiant qu’il amorce le déplacement mental d’objets, mais qu’il requiert un référent en trois dimensions (3D) pour y parvenir (Clements et Sarama, 2009).

Les résultats aux sous-tests matrices (9.97/19) et concepts en images (9.44/19) sont un peu plus bas que ceux du sous-test blocs (10.02/19), et ce, tant au début qu’à la fin de l’année scolaire. Puisque ces tâches se réalisent dans un livre où l’enfant observe des figures ou des structures géométriques qu’il doit associer, il se peut que les scores soient plus bas puisque les enfants de quatre et cinq ans ont besoin de manipuler pour être en mesure de visualiser mentalement les changements dans les figures (Clements et Sarama, 2009). Ces résultats vont dans le sens de Canivez et de ses collaborateurs (2017) qui soutiennent que la compréhension des figures et des structures géométriques nécessite que l’enfant perçoive leur orientation spatiale pour ensuite les visualiser. Ces résultats corroborent également ceux d’Abad (2018) qui suggèrent que les enfants à l’éducation préscolaire ont besoin de manipuler les objets pour bien en percevoir les différentes caractéristiques.

Pour expliquer ces résultats, nous pouvons aussi émettre l’hypothèse que les enfants se situent au début du niveau de débuter la translation, réflexion et rotation selon la progression développementale de Samara et Clements (2009), à la fin de l’année scolaire. Afin de soutenir cette progression développementale du raisonnement spatial, les enseignantes pourraient utiliser du vocabulaire lié au raisonnement spatial lors des déplacements dans l’école, comme l’a observé Zenniger (2016). Par exemple, lors de déplacements dans l’école, l’utilisation par les enseignantes des concepts de direction tels que la droite et la gauche dans leurs consignes tout au long de l’année scolaire, bonifiées par des questions, pourrait avoir permis de soutenir ces acquis chez les enfants. Les observations de Zenniger (2016) indiquent à cet effet que les enfants peuvent parvenir à une représentation mentale de leur école à la fin de l’année scolaire.

Les retombées

Afin de développer le raisonnement spatial des enfants, le développement professionnel apparait comme une piste incontournable. En effet, Ginsburg et Ertle (2008) se sont interrogés sur la formation limitée des enseignantes liée aux mathématiques à l’éducation préscolaire et au développement de l’enfant au cours de leur parcours universitaire. En effet, nous savons qu’actuellement dans les universités québécoises, seulement un à trois cours sont offerts dans les programmes de formation initiale en éducation préscolaire impliquant les fondements, les modalités de pratiques et le développement de l’enfant (St-Jean et al., accepté). Nous sommes d’avis d’offrir plus de possibilités de formation initiale et continue aux enseignantes en ce qui concerne le raisonnement spatial et la compréhension des progressions développementales (Clements et al., 2004; Clements et Sarama, 2013).

Les limites de l’étude

Ces résultats doivent être interprétés en tenant compte de certaines limites de cette étude. Il importe de mentionner que les descriptions du développement du raisonnement spatial sont issues des résultats de cette recherche et ne sont pas généralisables à l’ensemble des maternelles quatre ans du Québec. En effet, les données ont été recueillies auprès de 174 enfants lors des premières années d’implantation de ce type de maternelle au Québec. En ce qui concerne le niveau de développement du raisonnement spatial des enfants, ce dernier pourrait être évalué par d’autres outils comme la Topologie et le développement de l’intelligence de l’enfant (Sauvy et Sauvy, 1972). De plus, les données collectées et analysées ne permettent pas de connaitre les variables ayant influencé les résultats obtenus (p. ex., la motivation des enfants, les connaissances des enfants, etc.) ni de tâche contrôle chez l’enfant. De plus, les activités réalisées en classe, précisément en lien avec le développement du raisonnement spatial, n’ont pas été prises en compte dans cette étude. Avec l’ouverture des classes de maternelle quatre ans temps plein au Québec, les mesures se voulaient dans une posture exploratrice afin de documenter le développement du raisonnement spatial des enfants.

Conclusion

Avant d’aller plus loin, il convient de rappeler que les résultats présentés ont été recueillis auprès d’enfants de cinq classes de maternelle quatre ans temps plein. Le croisement de deux temps de mesure renforce leur pertinence, mais d’autres recherches devront être menées dans d’autres milieux afin de s’assurer que le développement du raisonnement spatial n’était pas le fruit d’un ensemble de facteurs propres au contexte de la recherche.

Comme le rapportent les résultats présentés, l’utilisation des données en prétests et en posttests représente des forces reconnues dans cette recherche. À la lumière des résultats, quelques recommandations peuvent être formulées pour la formation initiale en éducation préscolaire et en enseignement primaire et les milieux scolaires qui souhaitent soutenir le développement du raisonnement spatial chez les enfants.

L’aspect distinctif de cette recherche repose sur un échantillon d’enfants de quatre ans et de la mesure de la notion du développement du raisonnement spatial. Il apparait tout à fait pertinent d’intégrer des activités de raisonnement spatial dans les classes à l’éducation préscolaire. Cette particularité de l’échantillon suscite énormément de questionnements. L’ouverture des classes de maternelle quatre ans temps plein au Québec constitue un terrain riche pour la prise de conscience, l’ouverture et la remise en question de qui sont les enfants de quatre ans. En les laissant évoluer, en les engageant à expliquer leur pensée et leurs expérimentations, les enfants peuvent développer leur raisonnement spatial.

Il parait également important de souligner l’importance d’offrir du soutien et des activités de formation continue aux enseignantes en lien avec le raisonnement spatial. Plus encore, les résultats suggèrent l’idée que les enfants de quatre ans amorcent le déplacement mental d’objets, tout en ayant un référent en trois dimensions, ce qui amène une nouvelle réflexion pour de futures recherches : quelles sont les pratiques éducatives mises en place par des enseignantes qui soutiennent le développement du raisonnement spatial ?