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Le professeur Alain Laberge présente ci-dessus une lecture critique de notre dernier livre, La pêche à la morue en Nouvelle-France. Sa démarche, incisive par certains aspects, pointilleuse par d’autres, conduit inéluctablement à une perception réductrice de l’ouvrage. Ses propos portent essentiellement sur la forme plutôt que sur le fond du travail. Ils offrent de la sorte une relecture du sujet qui reflète davantage les préoccupations de l’analyste que celles de l’auteur.

Bien sûr, le professeur Laberge a droit à ses opinions. C’est là une liberté qui mérite le respect. Son analyse n’offre toutefois pas une juste présentation de l’exposé développé dans le livre, de sorte qu’il est impossible de souscrire à sa conclusion. La notice par laquelle l’IHAF explique l’attribution du Prix Lionel-Groulx 2018 à La pêche à la morue en Nouvelle-France offre un bon point de départ à la discussion.

Il y est écrit que ce dernier « représente une contribution importante de l’histoire économique de la Nouvelle-France ». Pour en arriver à cette appréciation, les membres du jury soulignent le fait que l’ouvrage « documente l’émergence au cours du XVIIIe siècle d’une industrie de la pêche spécifiquement canadienne dans le golfe du Saint-Laurent ». Et s’en tenant à la pêche à la morue telle que développée par les Canadiens, cette dernière, prennent-ils la peine de souligner, « créa et permit d’entretenir des réseaux commerciaux transatlantiques tout en renforçant les revendications territoriales françaises sur le pourtour du golfe ». Le jury aura compris qu’en exposant l’incidence des pêcheries canadiennes sur la conduite des affaires coloniales et métropolitaines, La pêche à la morue en Nouvelle-France déborde largement les cadres d’une monographie locale ou régionale.

Le mode d’analyse de la documentation qui a permis d’arriver à ces résultats semble avoir posé des problèmes au professeur Laberge. Le processus mérite un rappel. Pour parvenir aux résultats documentés dans le livre, le texte est construit de manière à caractériser les activités halieutiques canadiennes en parcourant la bordure du golfe Saint-Laurent. Ce faisant, le livre ne parle pas que du territoire appelé aujourd’hui la Gaspésie (régionalisme qui n’est apparu dans sa globalité qu’au XIXe siècle), mais aussi de l’Acadie, de la baie des Chaleurs, un peu de l’île Royale, dans la mesure où cette dernière vient en conjonction avec le développement des pêcheries canadiennes, et du Labrador. Le tour des établissements du golfe permet de dresser un portrait global de l’industrie de la pêche à la morue. Le procédé offre l’occasion d’identifier les protagonistes, les investisseurs, les lieux de transformation du poisson, l’organisation du travail, les réseaux d’affaires mis en place, etc. Puis, en s’appuyant sur une démarche appelée microstoria, une approche analytique mise au point par Carlo Ginzburg et Giovanni Levi, sont cernés le bassin de recrutement de la main-d’oeuvre, la vie des pêcheurs au quotidien, les processus de transformation du poisson et tutti frutti. Cette approche favorise la mise en rapport de données ponctuelles avec les processus généraux qui ont marqué l’histoire de la Nouvelle-France. D’où « le foisonnement de détails » déploré dans l’analyse critique qui précède, mais détails quand même nécessaires à la bonne représentation et à la compréhension de la société halieutique à l’étude.

C’était là poser les bases d’une étude qui satisfaisait aux objectifs fixés en première page de l’introduction du livre : « retracer les origines de cette activité en Nouvelle-France et la mise en place de ses principaux rouages ». Leur ajouter « un traitement plus global où les similitudes et les disparités… auraient permis une vision synthétique des choses » relevait d’une approche plus analytique, tout à fait différente que celle que nous avons choisie, mais, semble-t-il, davantage appropriée aux préoccupations de l’analyste. Quant au contenu de l’épilogue, jugé « trop superficiel », on aura saisi que ce dernier jouait le rôle d’une conclusion, et qu’une conclusion sert à rappeler sommairement le sujet développé dans l’étude ainsi que les principaux aspects antérieurement abordés. Ce n’est plus la place pour une discussion approfondie.

Selon la critique du professeur Laberge, l’existence de l’industrie de la pêche à la morue n’a plus à être démontrée. Il a en partie raison. Plusieurs chercheurs canadiens s’y sont intéressés. Cependant, l’historiographie concernant ce champ d’activité porte avant tout sur les colonies de Terre-Neuve, du Labrador, du Cap-Breton (île Royale) et de l’Acadie, En témoignent les publications de Rosemary E. Ommer, de Selma Huxley Barkham, de B. A. Balcom, de Peter Pope, de Nicolas Landry et de bien d’autres. Il y a toutefois peu, pour ainsi dire pas d’ouvrages récents sur la pêche à la morue quand on s’arrête aux efforts des habitants de la vallée laurentienne, hormis les mémoires de maîtrise de Lucie Paquet et de Marie-Claude Francoeur. Tout au plus, peut-on citer, comme le fait le professeur Laberge, un ouvrage vieux de 100 ans, à quelques années près. Pour les ouvrages contemporains, il y a notamment les travaux des professeurs Laurier Turgeon et Jean-François Brière. Bien que ce soient d’excellentes études, celles-ci portent sur les efforts que les Bretons, les Normands et les gens du pays Basque ont conduits au profit de leur région d’origine, et non de la Nouvelle-France. C’est ici que ce livre prend tout son sens. La publication de La pêche à la morue en Nouvelle-France assure la suite de ces travaux en documentant l’émergence d’une industrie halieutique spécifiquement coloniale.

Quant à la remise en question et au sens à donner à certains des concepts développés dans l’ouvrage, il est à déplorer qu’ils aient déstabilisé le professeur Laberge, au premier chef, celui de Nouvelle-France. L’utilisation de ce toponyme dans le titre du livre se veut pourtant claire. Sa compréhension spatiale étant entrée depuis des générations dans la pratique langagière, celle-ci devait circonscrire nettement dans l’esprit du lecteur le territoire étudié, en tout ou en partie, le Canada en faisant partie. Par ailleurs, si on veut désigner la périodisation pendant laquelle l’industrie halieutique canadienne s’est développée, l’usage courant veut que l’on parle du Régime français. On dira aussi la période de la Nouvelle-France. Le lecteur verra d’un seul coup d’oeil que la distinction est faite dans l’index du livre.

Au final, bien plus que de rejoindre la richesse d’une histoire locale et régionale, comme le conclut le professeur Laberge, La pêche à la morue en Nouvelle-France parvient à enrichir par ces procédés, et bien d’autres détaillés dans le livre, un volet peu traité de l’histoire nationale, et pour être plus précis, de la Nouvelle-France.

Quoi qu’il en soit, l’attention que le professeur Laberge porte à l’ouvrage témoigne de sa pertinence. Depuis près de quarante ans, personne ne s’est intéressé à l’industrie de la pêche à la morue pratiquée par les Canadiens (et non pas par les gens établis au pays Basque, en Bretagne ou en Normandie). Enfin quelqu’un qui s’y arrête ! Sa présentation aura pour le moins le mérite d’attirer l’attention des historiens sur ce champ de recherche, d’autant que ce livre se veut un point de départ pour son étude et non pas un aboutissement.