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La diversité de la société québécoise est appelée à s’accentuer au cours des prochaines décennies en raison de la mondialisation et des niveaux d’immigration prévus. Les intervenants sociaux seront donc appelés à relever au quotidien une bonne partie des défis que pose l’idéal de construire une société inclusive et ouverte : égalité de droit, pleine participation et représentation des citoyens et citoyennes d’origines diverses, inclusion sociale et économique, maintien de la cohésion sociale, etc.

La société québécoise condamne le racisme et la discrimination fondée sur l’origine ethnique, l’ascendance religieuse et la « race ». L’engagement dans la quête de l’égalité et de la justice sociale, ainsi que dans la lutte contre le racisme et la discrimination, a marqué les années 1970 et 1980. Différentes lois ont été adoptées et plusieurs réformes sociales et législatives entreprises. Toutefois, les résultats de plusieurs études portant sur la réalité de certaines minorités ethniques et des minorités racisées démontrent clairement qu’il existe d’énormes écarts entre le discours politique ou normatif sur l’égalité et les pratiques en éducation, dans le domaine du logement, sur le marché de l’emploi ou dans le système judiciaire.

Il est généralement admis que des inégalités socioéconomiques importantes entre des groupes ethniques ou culturels différents peuvent constituer un terreau fertile pour le racisme qui offre une justification idéologique facile de la « supériorité » des uns et de « l’infériorité » des autres. Comment, alors, ne pas s’inquiéter lorsque les données du dernier recensement de 2001 nous indiquent que la société devient de plus en plus polarisée, que malgré la croissance économique soutenue des dix dernières années, le revenu de nombreuses familles de salariés a en fait baissé et que cette pauvreté a de plus en plus une couleur ! Pour les personnes nées au Québec, le taux de chômage était en 2001 de 7,8 %. Il était de 7,7 % pour les personnes ne faisant pas partie des minorités visibles, de 14 % pour les personnes faisant partie des minorités visibles et, parmi celles-ci, 16,1 % étaient des Noirs.

Il est vrai que beaucoup d’efforts ont été consentis dans ce domaine au cours des dernières années. Une difficulté particulière au Québec (et au Canada) est qu’on n’a pas toujours su établir la différence entre éducation interculturelle (ou multiculturelle) et antiracisme, car l’un ne contient pas nécessairement l’autre. Des membres du réseau de chercheurs de l’Observatoire ont d’ailleurs écrit judicieusement que « […] à poser les questions uniquement en termes de relations interculturelles, multiculturelles ou civiques, le risque est grand de ne pas toucher les racines profondes du racisme, soit les inégalités économiques et l’aménagement de l’espace public tel qu’il existe actuellement »  (Labelle, Salée et Frenette, 2001).

La Conférence mondiale de Durban a pour sa part souligné « le rapport historique réel qui existe entre l’oppression économique et l’iniquité “ raciale ” ». Des pratiques discriminatoires ont été intégrées de façon tout à fait routinière à différents processus bureaucratiques et dans la structure même de fonctionnement de différentes institutions. Ce caractère systémique et voilé permet ainsi au racisme de continuer à opérer même sans dimension intentionnelle ou consciente. Il est même probable que cette dimension prenne de plus en plus d’importance avec l’institutionnalisation de normes antiracistes par les États et, aujourd’hui, à la suite de la ratification de différents traités internationaux. On peut observer les effets pervers de ce phénomène dans presque toutes les dimensions de la vie sociale : logement, transport, environnement, santé, services sociaux, éducation, emploi, loisirs, sports, etc. Il peut aussi être combiné à d’autres formes de discrimination, par exemple, sexuelle.

Nous espérons que ce dossier, auquel la revue Nouvelles pratiques sociales consacre quatre articles, saura éclairer le débat sur ces questions et offrir des perspectives fécondes dans le champ des pratiques. Le texte de Pierre Bosset met en lumière les trois approches adoptées par le Québec pour lutter contre le racisme et les discriminations et souligne comment celles-ci s’interpénètrent et se complètent. Azzeddine Marhraoui évalue, dans une perspective à la fois historique, politique et économique, la stratégie québécoise de lutte contre le racisme et la discrimination raciale. Il souligne notamment la nécessité d’une véritable politique antiraciste qui tiendrait compte des dimensions institutionnelles de ce phénomène. L’article de Daniel Salée porte sur la question autochtone. Trop souvent, les discriminations que vivent les autochtones sont traitées séparément de celles vécues par les autres groupes racisés de la société, ce qui entraîne une image tronquée de cette réalité. Enfin, un dernier article dégage quelques obstacles et éléments de discrimination auxquels sont confrontées les femmes immigrées, qui vivent des situations d’inégalité, dans leurs démarches d’insertion dans la société. L’auteure décrit les facteurs qui entravent ou compromettent leur intégration effective.

Il nous faut souligner ici tout ce que ce dossier doit à l’atelier « La lutte contre le racisme et les discriminations : un défi pour les sociétés » réalisé avec l’appui de l’Association internationale des études québécoises, dans le cadre de la Conférence Métropolis, qui a eu lieu à Genève, en septembre 2004, ainsi qu’à l’Observatoire international sur le racisme et les discriminations, un programme du Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (CRIEC).