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Dans ce livre, Christian Jetté nous fait part des résultats de recherches qu’il a réalisées dans le cadre de son doctorat. Basé sur une analyse documentaire et statistique et une quarantaine d’entrevues, le livre présente l’évolution des rapports entre le gouvernement et le tiers secteur communautaire dans le domaine de la santé et des services sociaux de 1970 à 2001 à travers notamment le financement de ce secteur dans le cadre du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC). Concrètement, le premier chapitre constitue une mise en contexte où l’auteur présente les différents angles d’analyse des arrangements entre le tiers secteur et l’État suivant le régime politique ou l’approche théorique. L’auteur introduit, également, les éléments centraux du livre, à savoir les organismes communautaires, le PSOC et la crise de l’État-providence. Les chapitres 2 à 10 sont regroupés en trois grandes parties, chacune correspondant à une période temporelle, soit 1970-1979, 1980-1990 et 1991-2001. Et, finalement, le chapitre 11 présente une analyse transversale des trois périodes mettant en valeur les principaux constats de cette recherche.

Ainsi, Jetté nous met en contexte en présentant les spécificités des années 1980-1990 marquées par la crise économique et la transformation de l’environnement (globalisation, tertiarisation de l’économie, nouvelles technologies, nouvelles demandes sociales, etc.). Une situation qui a profondément marqué les changements dans le système sociosanitaire. Afin d’y réagir, de nouveaux arrangements institutionnels sont mis en place pour satisfaire les besoins des individus. Dans ce contexte, la présence du tiers secteur se fait sentir entre autres dans le domaine de la santé et du bien-être donnant lieu à des interactions entre l’État et ce secteur. L’un des enjeux majeurs de ce « processus d’institutionnalisation » est le financement des organismes du tiers secteur.

Les années 1970, couvertes par la première partie du livre, ont été marquées par la modernisation des services sociaux et de santé basée principalement sur la réforme Castonguay-Nepveu en 1971, un projet providentialiste qui a donné naissance à un programme gouvernemental qui offre un soutien financier aux groupes populaires et bénévoles, connu plus tard sous l’appellation du « PSOC ». Cette période a été également marquée par la création d’une unité administrative pour la gestion de ce programme en 1977 ainsi que les CLSC qui ont suscité plusieurs critiques, conflits et oppositions d’opinions entre les différents acteurs. Du côté des mouvements, l’auteur attire l’attention sur la confrontation entre la critique artiste, qui déplore l’utilisation des principes du monde industriel, et la critique sociale, qui met l’accent sur les inégalités sociales et rejette toute forme d’individualisme. À travers cette mouvance, une première considération de l’importance des organismes communautaires commence à prendre place alors que les subventions qui leur sont accordées restent minimes.

La deuxième partie du livre couvre l’évolution des rapports entre l’État et le tiers secteur durant la période 1980-1990. Les années 1980 ont été marquées par la crise sociale et économique résultant de l’échec de l’État-providence. Les déficits du gouvernement fédéral qui se sont traduits par des coupures dans les transferts aux provinces et la rigidité du système ont contribué à la décroissance du système de santé et services sociaux. La critique sociale, en crise, se retrouve face aux limites du modèle de l’État-providence. La critique artiste, quant à elle, dénonce les approches providentialistes et contribue à l’émergence des organismes communautaires, mais aussi l’ensemble du système sociosanitaire, notamment par le recours à l’organisation en réseau. En réponse à cette émergence, il y a eu une « poussée de privatisation » qui a suscité beaucoup d’intérêt à cette époque, mais qui n’a pas connu l’ampleur souhaitée par ses défendeurs. Au sein de ces événements, on assiste à un « réveil des usagers » qui déplore la négligence de leur point de vue. Ainsi, cette deuxième période représente, selon l’auteur, une « période de transition » qui a établi un nouveau partage des responsabilités entre le secteur public, privé et communautaire donnant lieu à de nouveaux arrangements. Tout d’abord, par la commission Rochon en 1988 qui a appuyé l’importance de la concertation entre les établissements publics et les organismes communautaires ainsi que la participation des usagers. Ensuite, le rapport Rochon bonifié par le document de Lavoix-Roux en 1989 amène l’idée de la création des régies régionales. Enfin, les organismes communautaires prennent de la place et se regroupent pour se faire représenter au plan national. Le financement des organismes communautaires a connu une ascension fulgurante durant cette période, mais demeure marginal par rapport à ceux des centres hospitaliers et des autres établissements publics.

La dernière décennie couverte dans la troisième partie du livre (1991-2001) a été marquée par la récession de 1990-1991 et comprend trois principaux événements : la réforme Côté, la réforme Rochon et le virage ambulatoire et la commission Clair. Même si le concept de régies régionales remontait à la commission Rochon, c’est à la suite de la réforme Côté qu’il y a eu la création de régies régionales qui sont responsables, entre autres, du financement des organismes communautaires à travers le PSOC qui, depuis 1994, est un programme décentralisé. La reconnaissance du tiers secteur leur a valu la participation aux instances régionales. Deuxièmement, la réforme Rochon se situait en continuité de la réforme Côté, mais a été mise en place en même temps que les compressions budgétaires (virage ambulatoire) et a suscité beaucoup de critiques. Cela étant dit, les organismes communautaires semblent avoir reçu un apport financier très avantageux sous la gouverne de Jean Rochon, mais, avec des disparités régionales. Par ailleurs, à la fin des années 1990, on assiste aux derniers efforts de décentralisation, notamment par l’adoption du projet de loi 28 en 2001. Ce processus de centralisation s’est traduit par l’injection de sommes supplémentaires vers les centres hospitaliers pour régler la crise du système sociosanitaire et la disparition du processus électif des administrateurs au conseil d’administration des régies régionales. La marge de manoeuvre des régies régionales a été resserrée. On se retrouve plus près d’une dynamique de « déconcentration », orientation qui va être appuyée par la commission Clair en 2000. Les décisions relatives au financement des organismes communautaires sont désormais prises au niveau du ministère et les régies régionales jouent un rôle de redistribution des ressources. Cependant, les organismes communautaires ont renforcé leur position politique et leur reconnaissance.

Dans le chapitre 11, l’auteur présente une synthèse transversale fort intéressante des analyses présentées dans les trois parties de son livre. Il met en perspective sept constats qu’il juge pertinents. D’abord, l’évolution des rapports entre le gouvernement et le tiers secteur communautaire a été marquée par l’implication de plusieurs acteurs avec des opinions et des intérêts divers et parfois contradictoires et divergents. D’ailleurs, la reconnaissance des organismes communautaires a été le fruit, entre autres, de l’appui des fonctionnaires et de la classe politique à travers le Conseil des affaires sociales et de la famille (CASF) et la présentation du groupe de fonctionnaires responsable du PSOC ainsi que les CLSC. De plus, la force des mouvements sociaux qui appuyaient les organismes ainsi que la priorisation de certaines problématiques ont influencé cette évolution. De même, les politiques publiques adoptées et la cohésion et le regroupement des organismes communautaires ont soutenu l’évolution de ces rapports. Tous ces événements ont contribué à la création d’un « welfare mix », un nouveau modèle d’intervention publique basé sur une pluralité des actions des organisations et une logique réciprocitaire au plan des services sociaux et sur les principes d’action du secteur marchand au plan de la pratique médico-hospitalière. Or, la situation rend compte de la primauté des services de santé sur les services sociaux par le retour à l’hospitalocentrisme. Cela dit, l’auteur conclut que la pérennité du PSOC rend compte du rapport de force que les organismes communautaires ont réussi à tenir avec l’État. De fait, ce programme a réussi à établir un compromis entre les principes de la critique artiste (innovation, réciprocité et participation) et les principes d’imputabilité et d’efficacité.

En somme, ce livre, structuré de manière pédagogique, offre des repères historiques et théoriques très détaillés et une analyse pertinente de l’évolution des rapports entre l’État et les organismes communautaires. En ce sens, il s’adresse aux étudiants et chercheurs tant dans le domaine communautaire, de la santé et des services sociaux que dans celui des politiques publiques. Pour les étudiants, il sera d’un apport exceptionnel pour comprendre l’évolution des rapports de l’État et du tiers secteur, notamment à travers le financement de ces organismes. Pour les chercheurs, le livre constitue une piste de recherche future. En effet, l’auteur présente l’évolution du financement des organismes communautaires à travers le PSOC. Il serait intéressant de se questionner sur la contribution de ce financement à l’amélioration des services rendus par les organismes communautaires proportionnellement à l’évolution de leur financement.